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Fabien aurait pu dire qu'il restait douze kilomètres, ou cent vingt, ou quatre millions : pour moi et Victor, c'était du pareil au même. On a regardé nos jambes pour voir s'il en restait encore, si elles étaient pas usées jusqu'aux genoux. Il en restait encore ... Elles marchaient toutes seules , nos jambes.
Afficher en entierYann arrivait seul en dernier. Comme un point final au bout d'une phrase.
Afficher en entierMe dites pas, avec le nombre de chemins qui existent, de routes, d'autoroutes et le reste, on se demande pourquoi ils éprouvent le besoin de marcher là. Mais je commence à avoir mon idée. Ils marchent là : une, parce que c'est tout droit, et deux, parce que au bout il y a toujours une gare. Ca leur fait deux certitudes et ça repose. En général, c'est des personnes seules. Ca va tête baissée, à broyer du noir. Enfin je suppose. Quand on marche tout seul le long d'une voie ferrée, c'est pour quoi faire, si c'est pas pour broyer du noir ?
Parfois j'ai envie d'ouvrir ma fenêtre et de leur brailler : "Ca s'arrangera pas, votre affaire ! Couchez-vous plutôt sur le rail, le prochain passe dans cinq minutes ! Vous serez tranquille comme ça !" Ca me fait rire toute seule. Je suis pas méchante, juste un peu taquine. On se distrait comme on peut. Ca m'est venu avec l'âge. J'étais pas tordue comme ça avant, il me semble...
Afficher en entierDes écureuils, d'après Maurice ! Des écureuils ! Le pauvre, il s'arrange pas avec l'âge. Est-ce qu'on a déjà vu des écureuils ouvrir un pot de confiture ? Les boîtes de gâteaux secs je veux bien, ils auraient grignoté l'emballage, mais mon pot de rhubarbe, franchement ?
Afficher en entier"Bout de chou", "mignon", "mimi", "trognon" : voilà ce qu'on avait envie de dire de lui, mais on en était empêché par cette expression d'adulte qu'il avait autour des yeux et de la bouche, cette gravité.
Afficher en entierDepuis, quand je pense à lui, c'est cette image que je vois : un visage souriant, qui danse dans une flamme et qui me dit "vous êtes sauvés".
Afficher en entierJe suis une des dernières personnes qui ont vu Yann Doutreleau vivant. Enfin je crois. Il était posé à côté de moi dans la voiture. Je dis bien « posé », pas assis. ses jambes trop courtes étaient étendues à plat sur le siège et pointaient vers l’avant, raides comme des bâtons, les deux pieds désignant la boîte à gants. La ceinture de sécurité flottait autour de sa poitrine. J’aurais pu le mettre à l’arrière dans le siège auto mais je n’avais pas osé. On aurait dit une grande poupée. C’était en novembre dernier. Vous vous rappelez cette semaine de pluie qu’on a eue au début du mois ? Ce temps de chien ? Il tombait des cordes et c’est moi qui l’ai ramené chez lui ce matin-là.
Je ne l’ai jamais revu depuis.
Afficher en entierC'est comme un gros mot qui serait impossible à dire.Même les petits comprennent ça, alors ils suivent et ils demandent rien. Ou alors juste où on va, mais ça ils ont le droit. C'était dans la cabane, ce matin. Rémy a répondu :
- On va vers l'ouest, vers l'Océan.
Et moi j'ai ajouté :
- L'océan Atlantique.
Il y a eu un silence et on l'a tous vu, l'Océan, on a entendu les vagues sur le sable, vraaaoutch, et on a senti le vent sur notre peau. J'en ai eu la chair de poule.
Afficher en entierPour s'orienter, ça changerait rien vu qu'avec Yann c'est pas sorcier : il a une boussole dans la tête, ou des antennes ou je sais pas quoi. En tout cas, il hésite jamais longtemps, il tourne sa petite tête vers le ciel, il la fait pivoter dans tous les sens, et puis il pointe son doigt. Et nous, on suit.
Afficher en entierEt ceux là qui me tombent du ciel, comme ça, en pleine nuit, comme des chats perdus. "Pauv' gosses", je me suis dit et je n'ai pas pu m'empêcher d'avoir un peu pitié. Faut dire qu'ils étaient drôlement fagotés. Les fringues, c'était pas du Chevignon, je vous le garantis.
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