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Claire entra, apportant des rafraîchissements. La conversation devint générale. Puis apparut l’abbé Jacques Rivors, un neveu de Mme Fervières, depuis un an vicaire à Sainte-Cécile, la principale paroisse de Sargé. M. de Marges l’emmena à l’écart pour lui demander des renseignements sur un de ses protégés. La tête de l’abbé arrivait à peine à l’épaule d’Henry, son ancien camarade de collège, auquel l’unissait toujours une ferme amitié. Dans le visage au teint brun, les yeux foncés pétillaient de vie et de fine intelligence. Ce petit homme, sec et alerte, semblait toujours infatigable. Rien n’arrêtait son zèle et ne lassait sa patience. Il savait, avec un tact extrême, discerner et retenir ce qui, dans les méthodes adverses, pouvait être utilisé avec fruit dans son ministère. Son vieux curé disait : « Moi, je ne puis plus changer. Mais l’abbé Rivors est le prêtre du moment. Il a l’audace et la jeunesse. Le dogme, la morale sont immuables, mais la manière de les prêcher aux foules varie. Aux temps nouveaux, il faut des hommes nouveaux. »
Afficher en entierElle parlait à Bruno de l’ouvrage qu’il venait de faire paraître. Brillant élève de la Faculté d’Angers, récemment reçu docteur ès lettres, il se sentait très attiré par la carrière littéraire. Son père le poussait à opter pour le professorat. Cependant, le succès de cette première œuvre, L’ombre qui vient, roman mystique d’une grande délicatesse de style et d’une observation très pénétrante, semblait changer quelque peu sur ce point les idées de M. Fervières, ainsi que Bruno l’expliquait à Mme de Marges.
Afficher en entierIls se dirigèrent vers une des portes vitrées du rez-de-chaussée, que Mme Fervières ouvrit. Dans le petit salon où l’on ne recevait que les intimes, Henry de Marges et sa femme, assis sur un canapé, causaient à mi-voix. Lui, âgé d’une trentaine d’années, offrait le type accompli du gentilhomme de vieille race, ayant su se conserver sain d’âme et de corps et gardant intactes les traditions d’énergie, de distinction physique et morale, de foi profonde léguées par les ancêtres, ces nobles angevins qui, aux jours de la Révolution, s’étaient mêlés à leurs paysans pour la défense de leur religion et de leur roi. Elle, fille d’un Français et d’une Grecque, avait à peine vingt ans. De beaux yeux noirs, voilés de cils blonds comme les cheveux, répandaient un doux éclat sur le visage délicat, d’une fine blancheur. Elevée par des parents irréligieux, elle avait été convertie par M. de Marges. Leur parfaite union pouvait se résumer en cette phrase dite un jour par Henry : « Nous n’avons qu’une pensée et qu’une âme. »
Afficher en entierIls descendaient lentement les deux degrés de pierre qui, du rez-de-chaussée, menaient au jardin. La mère et le fils avaient la même taille, à peine au-dessus de la moyenne, mais qui semblait plus élevée parce qu’elle était svelte, très souple, et bien mise en valeur par la coupe simple mais sans défaut de la robe de voile marron, chez Mme Fervières, et du complet gris foncé de Bruno. Ils avaient aussi la même allure élégante, la même absence de mouvements trop vifs et cette pareille façon de pencher la tête, quand ils restaient silencieux et quand ils pensaient.
Afficher en entierLe regard de Mme Fervières l’enveloppait d’un rayonnement de tendresse grave. Sur ce visage de jeune homme, elle retrouvait ses propres traits, à peine un peu virilisés, et dans toute la personne de Bruno, ce charme fin qui la distinguait elle-même. Toutefois, lui non plus n’avait pas son regard. Dans les yeux bleus, très beaux, où se reflétait une âme sérieuse, pure et bonne, un peu de rêve flottait toujours, et l’on n’y retrouvait pas la profondeur lumineuse qui éclairait ceux de Mme Fervières.
Afficher en entierLa mère et la fille, dans la grande salle d’où le soleil se retirait, s’attardèrent à ranger au fond des placards profonds les pièces d’étoffe et les fournitures de mercerie. Mme Fervières avait des mouvements précis et doux, sans lenteur. De temps à autre, pour mieux voir une étoffe, elle penchait un peu la tête et son profil se découpait, jeune encore et très fin, sur le bois jaune foncé de l’armoire.
Afficher en entierMme Fervières faisait de nouveau courir l’aiguille dans la percale noire d’un tablier d’enfant. Les feuillages, en se déplaçant sous un coup de brise plus vif, mirent un instant en pleine lumière son teint légèrement mat, qui prit sous cette subite clarté une nuance ambrée. Les cheveux châtains, sans éclat, furent parsemés de points d’or. Et dans les yeux qui se levèrent une seconde, toute cette lumière parut se réfugier.
Afficher en entierCet extérieur ne trompait pas sur la valeur morale. L’intelligence affinée s’unissait, chez Mme Fervières, à une bonté que rien ne lassait et à la plus discrète charité. Sur cette réunion hebdomadaire qui se tenait au rez-de-chaussée d’un pavillon dépendant de la maison notariale, elle exerçait, par son tact et ses vertus, une influence dont la réputation du prochain retirait maints avantages. Car elle ne laissait passer aucun propos qui eût allure de médisance et, avec une fermeté tranquille, coupait net le commérage. Toutes ces dames de l’ouvroir Sainte-Clotilde le savaient. Aussi les incorrigibles gardaient-elles pour une meilleure occasion les racontars abhorrés de leur présidente.
Afficher en entierLa chaude brise de juin entrait par les trois portes-fenêtres dans la grande salle longue qu’assombrissaient un peu les marronniers proches. L’ombre mouvante des feuillages dansait sur le bois verni des placards, sur la table couverte de morceaux d’étoffes, de ciseaux, de boîtes à fil, sur les visages des travailleuses et les cheveux bruns, blonds, grisonnants. Elles étaient là douze – quelques-unes âgées, comme Mme Augé qui atteignait quatre-vingts ans ; d’autres très jeunes, telle Claire Fervières, dont la légère chevelure châtain clair entourait une ronde et rieuse figure qui n’accusait pas plus de dix-huit ans. Veuves, femmes mariées, jeunes et vieilles filles se réunissaient ici, chaque samedi, et travaillaient pour les pauvres sous la présidence de Mme Fervières, la femme du notaire.
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