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"On doit toujours expier ses péchés."
Cette idée, c'était mon grand-père qui me l'avait inculquée. Mon timbré de grand-père qui, je l'espérais, brûlait en enfer. Parce que s'il existait vraiment un endroit de ce genre quelque part, il était forcément destiné à des types comme lui. Je l'ai maudit de toutes les façons possibles et imaginables. Ça ne l'a pas beaucoup affecté. D'une part parce qu'il savait combattre ce genre de choses, d'autre part parce que, comme nous étions du même sang, je me suis pris par ricochet une partie des mauvais sorts que je lui avais jetés. Puisse-t-il se consumer, maintenant, et diffuser autour de lui cette chaleur dont il m'avait refusé jusqu'à la moindre étincelle.
Afficher en entierPhénix était mince, couvert de taches de rousseur. Vêtu d'un vieux blouson râpé, d'un pull rapiécé et d'un jean élimé aux genoux, il avait des yeux qui semblaient être un monde en soi, une planète abandonnée. Ses longues mains aux doigts fins, dont les ongles étaient rongés jusqu'au sang, complétaient le personnage.
Afficher en entierQuant aux traditions, elles étaient effectivement "soigneusement préservées" : l'apathie générale qui régnait ici n'avait pu être instaurée que par plusieurs générations de souffreteux, chaque promotion apportant son lot de léthargie désespérée.
Afficher en entierC'était incroyable, ils pouvaient bavasser pendant des heures, fébriles et tremblants, les yeux brillant d'excitation. Bien que ce ne soient que des petits garçons propres sur eux, sérieux et posés, ils avaient tout de ces commères gâteuses qui trompent l'ennui en commentant les malheurs du monde. On pouvait deviner sous leurs visages poupins les traits de ces vieillards rongées par la bile.
Afficher en entier- Ok. Oublions cet autre Toi qui vit dans le miroir.
- Tu penses que ce n'est pas moi ?
- C'est bien toi, mais en partie seulement, pas complètement. Disons que c'est toi, déformé par ta propre perception. Dans les miroirs, nous sommes toujours moins bien qu'en réalité, tu n'as pas remarqué ?
Afficher en entier« C'est… C'est comment, de voir les rêves d'un autre ? »
L'Aveugle réfléchit un peu.
Comment était-ce ? Triste. Éprouvant. Les rêves ne racontaient jamais rien de très intéressant. Aucun objet n'était ce qu'il semblait être. Tout était instable et les métamorphoses, trop rapides. À peine un visage surgissait, qu'on le perdait. C'était seulement par petits bouts, à partir d'une ressemblance presque imperceptible, en suivant des traces familières à travers de nombreux rêves qu'on pouvait recomposer une vue d'ensemble. Au bout d'un moment, on commençait même à croiser son propre visage, puis de plus en plus souvent, tel un masque de papier blanc, jusqu'à ce qu'un beau jour, on se regarde dans les yeux et on s'étonne de leur transparence. « Que je suis beau ! », se disait-on alors avec enthousiasme. Puis ton entourage ne tardait alors pas à remarquer ta suffisance et te repoussait, mais sans que cela t'affecte. Tu étais heureux quelque temps, et tu commençais même à prendre soin de ce que tu pensais être ton apparence. Venait alors la rencontre suivante avec toi-même, où tu découvrais des yeux blancs et morts comme ceux d'un poisson bouilli et un visage couvert de boutons répugnants. Et cette vision t'emplissait d'épouvante. Tu dissimulais tes yeux derrière des lunettes noires, tu cachais ton visage avec tes cheveux et tu vivais comme un paria, persuadé que tu étais trop abject pour t'approcher des autres. Puis à la rencontre d'après, tu n'avais plus d'yeux du tout. Tu te mettais en colère contre ceux qui t'avaient vu laid et sans yeux, et tu cessais de visiter leurs rêves. Mais un jour, tu comprenais enfin que ce n'était pas vraiment ton visage que tu voyais, mais plutôt ce à quoi ressemblaient véritablement les rêveurs eux-mêmes.
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