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Avant, chaque fois que sa sœur lui permettait d'utiliser la petite voiture, elle avait toujours roulé très prudemment, en veillant soigneusement à éviter la moindre petite égratignure, la moindre griffe, de peur d'irriter sa sœur. Mais aujourd'hui, sa boîte en carton sur le siège arrière, sa valise sur le plancher et, sur le siège à côté d'elle, ses gants, son sac et son manteau de demi-saison, elle était l'unique propriétaire de son véhicule. Un petit monde en soi, qui n'appartenait qu'à elle seule. Je pars pour de bon, se répétait-elle.
Afficher en entierDe nouveau, le silence se fit. Comme si la maison écoutait attentivement les paroles d'Eléonore, les comprenait, y consentait cyniquement - et se contentait d'attendre. Un tout petit rire ténu leur parvint, apporté dans la chambre comme par un courant d'air, un minuscule ricanement teinté de folie, le plus faible des chuchotement de rire. Eléonore l'entendit monter et descendre le long de son dos, tel un rire infime et satisfait que ne faisait que passer et traversait la maison tout entière - et c'est alors qu'elle entendit Luke et le docteur les appeler depuis escalier. C'était enfin fini.
Afficher en entierIl ne fait aucun doute que certains lieux s’entourent d’une atmosphère de sainteté et de bonté. De même, on peut raisonnablement affirmer que des maisons sont nées mauvaises. Quelle qu’en soit la raison, il y a plus de vingt ans qu’aucun être humain ne peut habiter Hill House. Comment était-elle auparavant ? Sa personnalité a-t-elle été forgée par les gens qui y on vécu ou par les actes qu’ils ont perpétrés ? Était-elle malsaine dès le début ?
Afficher en entierAucun organisme vivant ne peut demeurer sain dans un état de réalité absolue. Même les alouettes et les sauterelles rêvent, semble-t-il. Mais Hill House, seule et maladive, se dressait depuis quatre-vingts ans à flanc de colline, abritant en son sein des ténèbres éternelles. Les murs de brique et les planchers restaient droits à tout jamais, un profond silence régnait entre les portes soigneusement closes. Ce qui déambulait ici, scellé dans le bois et la pierre, errait en solitaire
Afficher en entier"s'asseyant tout à coup dans les lits qu'on leur avait placés côte à côte. Eléonore et Théodora tendirent le bras l'une vers l'autre et se prirent la main, en serrant très fort. Brusquement, la chambre avait été plongée dans un froid glacial et dans une épaisse obscurité. De la chambre voisine - qui jusqu'à ce matin là avait été celle de Théodora - provenait le son grave et continu d'une voix qui murmurait. Elle parlait trop bas pour que l'on doute de ce qu'on entendait. Les mains tellement crispées qu'elles sentaient les os l'une de l'autre, toutes deux tendaient l'oreille, et le son grave, continu, se poursuivait. De temps à autre, la voix s'élevait comme pour souligner un mot qu'elle marmonnait, et parfois, par contre, elle diminuait jusqu'à n'être plus qu'un souffle - mais toujours elle continuait. Subitement, sans avertissement, il y eut un petit rire, un infime gargouillis qui perça au milieu du bavardage et s'enfla de plus en plus, s'intensifia jusqu'au ricanement, puis se brisa dans un petit hoquet douloureux. Et la voix recommença."
Afficher en entier"Aucun organisme vivant ne peut connaître longtemps ne existence saine dans des conditions de réalité absolue. Les alouettes et les sauterelles elles-mêmes, au dire de certains, ne feraient que rêver. Hill House se dressait toute seule, malsaine, adossée à ses collines. En son sein, les ténèbres. Il y avait quatre vingts ans qu'elle se dressait là et elle y était peut être encore pour quatre vingts. A l'intérieur, les murs étaient toujours debout, les briques toujours jointes, les planchers solides et les portes bien closes. Le silence s'étalait hermétiquement le long des boiseries et des pierres de Hill House. Et ce qui y déambulait, y déambulait tout seul."
Afficher en entier"Il est impossible pour un oeil humain de visualiser isolément la coïncidence malheureuse des lignes et des espaces qui, réunis dans la façade d'une maison, lui donnent l'air de respirer le mal. Et cependant, il y avait là un je ne sais quoi - une juxtaposition insensée, un angle mal tourné, une rencontre hasardeuse entre ciel et toiture, qui faisaient de Hill House un hâvre de désespoir, d'autant plus terrifiant qu'il semblait présenter un visage éveillé, avec la vigilance de ses fenêtres aveugles et le soupçon de gaieté que suggérait le sourcil d'une corniche. N'importe qu'elle maison, pratiquement, peut donner l'impression de tourner un regard profondément expressif vers la personne qui la voit brusquement, alors qu'elle ne s'y attendait pas, ou bien si elle l'aperçoit sous un angle inhabituel. Il suffit d'une méchante petite cheminée, d'une lucarne pareille à une fossette, pour donner au nouveau venu une sensation de complicité. Mais quand une maison exhale l'arrogance et la haine, quand elle est sans cesse sur le qui vive, celle maison là ne peut être que mauvaise. En quelque sorte, Hill House semblait s'être faite toute seule, s'être érigée selon ses propres plans entre les mains des constructeurs. C'était une maison sans gentilles, qui n'était pas destinée à être habitée. Il n'y avait pas en elle la moindre place pour l'homme, ni pour l'amour, ni pour l'espoir. Les exorcismes sont impuissants face à la substance d'une maison. Hill House resterait ce qu'elle était jusqu'au jour de sa destruction.
Afficher en entier"De nouveau, le silence se fit. Comme si la maison écoutait attentivement les paroles d'Eléonore, les comprenait, y consentait cyniquement - et se contentait d'attendre. Un tout petit rire ténu leur parvint, apporté dans la chambre comme par un courant d'air, un minuscule ricanement teinté de folie, le plus faible des chuchotement de rire".
Afficher en entierElle était déjà loin de la ville, à présent, et elle attendait impatiemment l'indication du virage vers la route 39, ce fil magique que le Dr Montague avait choisi de lui faire suivre, une route bien précise parmi toutes les routes du monde, la seule qui la mènerait en toute sécurité jusqu'à lui, jusqu'à Hill House. Aucune autre route ne pourrait la conduire de l'endroit où elle se trouvait vers l'endroit où elle devait aller. Le Dr Montague reçut bientôt la confirmation qui en fit en être infaillible : sous le poteau indicateur qui annonçait la route 39, il y avait un autre panneau : Ashton, 121 miles.
Afficher en entierC'est le voyage lui-même qui était l'élément positif : quant à sa destination, elle lui paraissait vague, difficile à imaginer. Peut-être n'existait-elle pas. Elle était déterminée à jouir de chaque tournant du trajet, elle aimait la route, les arbres, les maisons, les vilaines petites villes, elle s'amusait à se dire que, si l'idée lui en passait par la tête, elle pourrait parfaitement s'arrêter n'importe où et ne plus jamais repartir. Elle pourrait par exemple stopper sur le bord de la route – à vrai dire, c'était interdit, réfléchit-elle : elle serait punie si elle le faisait réellement – et abandonner la voiture pour aller se promener de l'autre côté des arbres et y découvrir un pays doux et accueillant.
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