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Il faisait toujours partie du nombre, malgré tout, en dépit de ce que signifiait sa présence ici. Même si elle mentait, l'impression n'en était pas moins agréable, vaguement grisante : vivre cet instant, là, à l'insu de tous.
Il s'efforçait de pousser la tricherie sur ce plan, également : se convaincre que personne ni rien ne pouvait savoir qu'il se trouvait à cet endroit.
Son véritable nom n'était pas Daniel Payle.
Son véritable nom n'était pas Daniel Payle, et sans ce nom, pourtant, Daniel Payle se demandait parfois quelles auraient été les couleurs de sa vie au cours de ces vingt dernières années… C'est au bout de ces vingt dernières années qu'il avait commencé de se poser la question (qui existait en lui depuis tout ce temps, bien entendu, et qui avait germé patiemment, lentement, puisant sa force grandissante à chaque nouvelle aube de chaque nouveau jour à vivre) ; depuis l'instant où il s'était rendu compte qu'il avait pris la décision, et que c'était un pas décisif qu'il venait de franchir. Avant ce temps-là, il n'était tout simplement pas conscient de ce qui le hantait. Tout simplement mal à l'aise, de temps à autre… et sans vouloir prendre la peine d'isoler, d'identifier le virus de la "maladie".
Pendant vingt ans et plus, en quelque sorte, Payle avait porté des vêtements qui n'étaient ni tout à fait de son style, ni tout à fait à sa taille, et il s'en était accommodé, et c'est ainsi qu'il avait existé. Ce n'était jamais que deux lettres enlevées de son nom véritable, remplacées par une troisième.
Il soupira. Frissonna. Il tressaillit, les épaules secouées, des dents claquant brièvement. Pourtant, il n'avait pas véritablement froid, pourtant, le sourire qui passa sur ses lèvres n'exprimait certainement pas la joie : au mieux, une sorte de grimace vaguement satisfaite en rapport avec cette impression mensongère qu'il éprouvait d'être arrivé sans encombre à une étape de cette course qu'il menait en solitaire. S'agissait-il réellement d'une course ? Etait-ce le bon terme ? Ne valait-il pas mieux songer au mot "fuite" ?
"Je ne m'enfuis pas !" se répondit mentalement Daniel Payle. Il frissonna encore. S'enfuir - vraiment s'enfuir -, c'est avant tout supprimer de sa conscience jusqu'à l'éventualité même de l'existence de cet endroit que l'on quitte - que l'on efface. C'est ne plus conserver d'espoir que pour ailleurs.
Tandis que Payle, lui, pouvait se dire : "Je n'ai pas perdu tout espoir pour ici, puisque je crois pouvoir participer à sa destruction…".
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