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Oh, ne prenez pas cette mine, déclara Berenilde. Vivre avec des Animistes n’est pas de tout repos non plus pour une femme enceinte. Les portes claquent pour un oui ou pour un non, les horloges indiquent des heures tout à fait fantaisistes, les robinets s’écoulent dès qu’on s’approche du lavabo et ce manteau, mes aïeux, ce manteau ! soupira-t-elle avec un regard désapprobateur pour la silhouette qui s’agitait furieusement sur sa patère. J’ai parfois l’impression de vivre dans une maison hantée.

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Maman est furieuse mais soulagée, expliqua Ophélie à mesure qu’elle lisait. Elle m’accuse de lui avoir provoqué de violentes palpitations avec mon silence. Elle voudrait que je lui envoie des photographies la prochaine fois, elle n’a rien compris à mes descriptions. Elle est très étonnée d’apprendre que nous avons autant de soleil en plein hiver polaire et me demande si je ne me suis pas trompée d’arche. Ah, elle m’offre un nouveau manteau, mais il paraît qu’il a aussi mauvais caractère que la couturière… Ce doit être le gros colis qui remue, là. Elle espère que je fais bonne impression à ma nouvelle famille.

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Ce soleil ne vaut vraiment rien ! déclara la tante Roseline en la voyant revenir. Les draps sont plus intelligents que nous, ils ont parfaitement compris que c’était du toc. Les chemises de notre archiduchesse ne sont pas près d’être sèches.

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– Vous m’avez promis, dit-elle. Vous m’avez promis de ne plus rien me dissimuler qui me concerne directement. Je suis plus que concernée à présent. Vous me devez la vérité.

– Je romps cette promesse, décréta Thorn sans la moindre hésitation. C’est beaucoup plus qu’une intrigue de cour, insista-t-il d’une voix lourde. C’est un engrenage où il suffit de mettre le doigt pour ne plus jamais connaître la paix, et je parle en connaissance de cause. Il est encore temps pour vous de faire machine arrière. […]

– […] Nous devons fuir.

– Non, répondit Thorn.

– Non ? Vous avez une autre idée ?

À travers les taches de sang sur ses lunettes, Ophélie croisa le regard inflexible de Thorn.

– Il n’y a plus de « nous ». Le mariage est annulé. Vous rentrez chez vos parents et vous menez la vie que je n’aurais jamais dû interrompre. Je vais, quant à moi, me rendre à la justice du Pôle et assumer les conséquences de mes actes. C’était de toute façon ce que je m’apprêtais à faire quand j’ai reçu le télégramme de votre assistant. En ce qui concerne cet individu, ajouta Thorn en regardant l’endroit où la balustrade avait cédé, j’ai fait ce que j’avais à faire. Ce n’est pas la première fois que je tue quelqu’un en légitime défense, ça ne m’a jamais empêché de prendre mes responsabilités.

– C’est différent, et vous le savez, protesta Ophélie. Il s’agit d’un Mirage et, pour tous ces gens, vous n’êtes que… qu’un…

Thorn eut cette torsion de lèvres qu’il était si difficile d’interpréter.

– Un bâtard, oui. Je ne me fais aucune illusion, je n’aurai pas droit à un procès impartial. Je me suis battu pour empêcher les nobles de se placer au-dessus des lois, coupa-t-il Ophélie d’un ton catégorique, alors qu’elle entrouvrait la bouche. Je ne fuirai pas la justice aujourd’hui. (Il la saisit par les épaules de façon à plonger son regard tout au fond du sien.) Respecterez-vous ma décision ?

Après un long silence buté, elle acquiesça.

– Je la respecterai.

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– Je vous donne rendez-vous. Un rendez-vous officiel, de futur mari à future épouse. Vous me recevez toujours ?

– Oui, oui, je vous reçois, bredouilla-t-elle. Mais enfin, pourquoi nous voir ? Je viens de vous dire…

– Nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre d’être ennemis, trancha Thorn. Vous me compliquez la vie avec votre rancœur, nous devons impérativement nous réconcilier. Je n’ai pas le droit de pénétrer dans le gynécée : retrouvez-moi à l’intendance, insultez-moi, giflez-moi, cassez moi une assiette sur la tête si ça vous chante, et puis n’en parlons plus. Votre jour sera le mien. Ce jeudi m’arrangerait. Disons… (Il y eut, dans le cornet acoustique, un bruit de pages tournées à la hâte.) Entre onze heures trente et midi. Je vous note sur mon emploi du temps ?

Suffoquée, Ophélie raccrocha le combiné avec autant de colère que si elle l’avait abattu sur le crâne de Thorn.

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"Scelle tes charmes". Thorn comprend, à présent. ça a été les derniers mots de Dieu avant qu'il ne disparaisse de sa vie. Scelle tes charmes. Sèche tes larmes. Dieu gouverne le monde et il fait des lapsus.

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Thorn se pencha dans un interminable mouvement vertébral, mais il ne lui rendit pas la montre. A la place, il posa sa bouche sur la sienne.

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Ophélie avait déjà connu quelques frayeurs dans sa vie. Elle s'était étouffée avec un noyau de pêche, électrocutée en branchant une lampe, broyé les doigts à cause d'une fenêtre à guillotine et les choses n'avaient cessé d'empirer depuis qu'elle avait quitté Anima pour le Pôle. Toutefois, rien de ce qu'elle avait vécu jusqu'à présent n'était comparable à la peur qui la saisit ici et maintenant. Elle ne lisait dans le regard de Farouk aucun courroux, aucun dédain, rien de ce qui aurait pu se rapprocher un tant soit peu d'une émotion.

Non, ce qu'il y avait au fond de ce regard, c'était un désert.

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– Vous devriez nettoyer le sang et réparer la fenêtre avant de recevoir vos visiteurs, ne put-elle s’empêcher de sermonner Thorn. Ne donnez pas aux gens des raisons supplémentaires de vous trouver douteux.

Sans lever le nez de son catalogue, Thorn sortit sa montre à gousset et, au lieu de consulter l’heure, il la serra énergiquement dans son poing.

– Vous m’avez voulu honnête avec vous. Vous apprendrez donc que vous n’êtes pas pour moi qu’une paire de mains. Et je me contrefiche que les gens me trouvent douteux, du moment que je ne le suis pas à vos yeux. Vous me la rendrez lorsque j’aurai tenu toutes mes promesses, maugréa-t-il en tendant sa montre à Ophélie sans remarquer son expression ahurie. Et si vous doutez encore de moi à l’avenir, lisez-la. Je vous téléphonerai bientôt au sujet de votre cabinet, ajouta-t-il négligemment en guise d’au revoir.

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Ophélie avait vraiment du mal à imaginer la scène. Thorn perdait rarement son sang-froid et il n’avait jamais levé le petit doigt pour sa tante. Le geste le plus affectueux qu’Ophélie avait surpris entre lui et Berenilde, c’était quand il lui avait tendu la salière à table.

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