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"Vous veniez pour la voir ?
- Non.
- Il faudrait que vous préveniez les gens de la famille. Elle ne paye plus son loyer."
Ces paroles et peut-être aussi le quartier où chaque après-midi j'allais chercher la petite m'ont fait penser à un appartement, près du bois de Boulogne, dont, malgré moi, je gardais le souvenir : la grande pièce avec les trois marches couvertes de peluche, le tableau de Tola Soungouroff, ma chambre encore plus vide que celle de la petite...
En ce temps-là, comment payait-elle le loyer ?
"Ce sera difficile de la mettre à la porte. Et puis on la connaît bien dans le quartier... On lui a même donné un surnom...
- Lequel ?"
J'étais vraiment curieuse de la savoir. Et si c'était le même que celui qu'on lui avait donné il y a vingt ans ?
"On l'appelle "Trompe-la-mort"."
Elle l'avait dit gentiment, comme s'il s'agissait d'un surnom affectueux.
"Quelquefois on a l'impression qu'elle va se laisser mourir, et puis le lendemain, elle est fringante et aimable, ou bien elle vous balance une vacherie."
Pour moi, ce surnom prenait un autre sens. J'avais cru qu'elle était morte au Maroc et maintenant je découvrais qu'elle avait ressuscité, quelque part, dans la banlieue.
Afficher en entierComme c'est drôle d'entendre quelqu'un vous poser des questions que vous étiez seule jusqu'à présent à vous poser à vous-même...
Afficher en entierQuand j'avais sept ans, on m'appelait la Petite Bijou.
Afficher en entierUn chien. Un caniche noir. Dès le début, il a dormi dans ma chambre. Ma mère ne s'occupait jamais de lui, et d'ailleurs, quand j'y pense aujourd'hui, elle aurait été incapable de s'occuper d'un chien, pas plus que d'un enfant. Quelqu'un lui avait certainement offert ce chien. il n'était pour elle qu'un simple accessoire dont elle a dû se lasser très vite. Je me demande encore par quel hasard ce chien et moi, nous nous trouvions tous les deux dans la voiture. Maintenant qu'elle habitait un grand appartement et qu'elle s'appelait la comtesse Olga O' Dauyé, il lui fallait sans doute un chien et une petite fille.
Afficher en entierSi l'on habite près d'une gare, cela change complètement la vie. On a l'impression d'être de passage. Rien n'est jamais définitif. Un jour ou l'autre, on monte dans un train.
Afficher en entierUne douzaine d'années avait passé depuis que l'on ne m'appelait plus «la Petite Bijou» et je me trouvais à la station de métro Châtelet à l'heure de pointe. J'étais dans la foule qui suivait le couloir sans fin, sur le trottoir roulant. Une femme portait un manteau jaune. La couleur du manteau avait attiré mon attention et je la voyais de dos, sur le tapis roulant. Puis elle marchait le long du couloir où il était indiqué «Direction Château-de-Vincennes». Nous étions maintenant immobiles, serrés les uns contre les autres au milieu de l'escalier, en attendant que le portillon s'ouvre. Elle se tenait à côté de moi. Alors j'ai vu son visage. La ressemblance de ce visage avec celui de ma mère était si frappante que j'ai pensé que c'était elle.
Afficher en entierIl faut se méfier de ceux qu'on appelle des témoins.
Afficher en entiernouvel Et pourtant, elle a fini par reparaître la cinquième semaine. Au moment où je sortais de la bouche du métro, je l’ai vue dans la cabine téléphonique. Elle portait son manteau jaune. Je me suis demandé si elle aussi venait de sortir du métro. Il y aurait donc dans sa vie des trajets et des horaires réguliers… J’avais peine à l’imaginer exerçant un travail quotidien, comme tous ceux qui prenaient le métro à cette heure-là. Station Châtelet. C’était bien vague pour en savoir plus.
Afficher en entiernouvel On l’interpellait à une table voisine. Je crois qu’il ne m’avait pas entendue. Mais il n’aurait pas eu le temps de me répondre. Pour lui aussi, c’était l’heure de pointe. Peut-être n’était-elle pas du tout une habituée de ce café. Elle ne vivait pas dans ce quartier. La personne à qui elle avait téléphoné dans la cabine habitait l’immeuble de brique et, ce soir-là, elle était venue lui rendre visite.
Afficher en entiernouvel J’ai retrouvé le même chemin, les soirs suivants. À l’heure exacte où je l’avais rencontrée la première fois, j’attendais, assise sur un banc, à la station Châtelet. Je guettais le manteau jaune. Le portillon s’ouvre au départ du métro, le flot des voyageurs se répand sur le quai. À la prochaine rame, ils s’entasseront dans les wagons. Le quai est vide, il se remplit à nouveau, et l’attention finit par se relâcher.
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