Commentaire de Amiiii

Qu’est-ce que l’individu ? Pouvons-nous nous affranchir des déterminismes sociaux, de notre ethnie, dans une Amérique obnubilée par le concept de « race », pour se construire sa propre identité ? Pouvons-nous sortir d’un cadre social oppressant où l’étiquette semble primer ? Ce sont notamment les questions autour desquelles le récit de La Tache est construit.

Philip Roth nous offre dans ce roman un témoignage des contradictions d’une Amérique dominée par les opinions et les idéologies. Alors même que l’ethnie semble être le concept fondateur de l’individu, de l’identité, il est parfois difficile voire impossible de clairement l’identifier. Coleman Silk est-il Noir ? Est-il Blanc ? Juif ? L’impossibilité de le déterminer souligne la faiblesse de cet attribue dans la construction identitaire. Et pourtant. Et pourtant, il détermine tout le reste : accepter son ethnie c’est choisir une identité sociale, c’est faire partie d’une communauté ; la renier c’est vivre en paria, en imposteur, mais c’est se forger sa propre destinée, c’est le gage d’une certaine liberté. Mais qu’est-ce que la liberté dans cette Amérique divisée ? Est-ce seulement être Blanc ?

Il serait réducteur de penser que la portée littéraire de La Tache s’arrête aux concepts raciaux. Le roman est une critique des discours moralisateurs omniprésents dans le monde universitaire qui, sous couvert d’une défense de l’individu, des prétendument laissés-pour-compte, décide de s’affranchir de toute logique. La défense déraisonnée de certains, peut en fait être menée par des ambitions égoïstes involontaires, et pousser à légitimer la médiocrité de l’individu. Sous couvert d’une démarche humaniste, le discours moralisateur peut dériver vers une intransigeance autoritaire, visant à museler et briser l’opinion contraire. L’université, lieu de culture et de connaissance, prend le risque de se dénaturer et de faillir à sa mission de forger des individus autonomes et « éclairés ».

Mais au-delà des guéguerres intestines des universitaires, qu’en est-il des véritables marginaux ? Des illettrés, des traumatisés de guerre ? Ils sont invisibles. Ils doivent s’organiser eux-mêmes face à une société qui les opprime par son indifférence.

La Tache est donc un roman profond, bien écrit et bien pensé. Néanmoins, ce serait mentir de dire qu’il s’agit d’un livre facile à lire. La structure de la narration et la densité du récit rendent la lecture parfois ardue. Il s’agit toutefois d’une très bonne lecture, traitant encore aujourd’hui d’un sujet ô combien actuel.