Extraits

Je sais quels sont mes torts envers Fabienne, comment je suis passé à côté d'elle par flemme et par injustice, par nostalgie de mon adolescence, par dépit de n'avoir rien fait de ma vie. C'était si facile de l'en accuser.

Pourquoi ne fait-on l'effort de comprendre les autres que lorsqu'ils ne nous gênent plus ? Elle avait tout pour me fournir l'amour qui remplit une vie et nourrit une œuvre. Mais j'ai cherché ailleurs pour me croire libre.

J'ai accompli l'acte auquel j'étais destiné. Même si mon existence posthume ne devait servir qu'à cela, aider un caniche à passer en douceur dans le monde de ses rêves, j'ai l'impression qu'elle serait justifiée.

Mon père, dans un accès de violence inattendu, vire le metteur en bière, beuglant que je logerai dans le pin stratifié taille unique vendu par les centres Leclerc, et voilà, toujours assez bon pour donner aux vers, sale profiteur, qu'est-ce que ça veut dire "garantie à vie", foutez-vous-le-au-cul, votre doublage en plomb, et laissez mon fils tranquille, où qu'il soit; ce n'est pas vous qui allez me le rendre!

Curieusement, la détresse de mon père m'a rempli d'allégresse, et je me sens plus proche de lui, peut-être, que je ne l'ai été depuis dix ans. Je voudrais lui dire merci pour cette explosion de colère, merci pour Leclerc et la garantie à vie, lui dire qu'à sa place je n'aurai pas réagi différemment, que je l'aime comme il est et qu'il mérite de me survivre.

Le sens de ma veillée funèbre m'apparaît maintenant sous un jour plus aimable. Tous, ou presque, ils sont venus m'apporter nos moments les plus forts, les plus doux, pour les partager autour de mon lit, pour meubler mon absence.

Les humains seraient peut-être plus détendus, si on les prévenait que la mort est un Luna Park où l'on passe d'une attraction à l'autre.

Pour la première fois, peut-être, je prends conscience que j'ai fini de laisser ma trace sur terre. Et je me demande pourquoi je survis. Pour qui.

En fait, pour communiquer, il faut être deux. Alphonse parle tout seul: ça lui suffit. Mon père me conjugue au passé, ma femme pense à l'avenir, ma soeur me déboulonne, ma maîtresse m'ignore.

Le Paradis n'est peut-être qu'un genre d'hospice, quand plus personne ne peut vous recueillir sur terre.