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Je la lavai avec des gestes lents et soigneux, d'abord en la laissant accroupie dans le bac et puis en lui demandant de se mettre debout : j'ai encore dans les oreilles le bruit de l'eau qui dégouline, et j'ai gardé l'impression que la consistance du cuivre de la bassine n'était guère différente de celle de la chair de Lisa, lisse, ferme et calme.
Afficher en entierNous n'étions pas encore amies et je ne pouvais pas lui demander pourquoi elle s'était comportée ainsi. Mais en réalité, je n'avais pas besoin de lui poser de questions, car j'étais capable de deviner ses raisons.
Afficher en entierCe qui devait changer, selon elle, c'était toujours la même chose : de pauvres nous devions devenir riches, et alors que nous n'avions rien nous devions arriver à tout avoir.
Afficher en entierQuand on est au monde depuis peu de temps, il est difficile de comprendre quels sont les désastres à l'origine de notre sentiment du désastre, et peut-être n'en ressent-on même pas la nécessité. Les grandes personnes, en attente du lendemain, évoluent dans un présent derrière lequel il y a hier, avant-hier ou tout au plus la semaine passée : elles ne veulent pas penser au reste. Les petits ne savent pas ce que veut dire "hier", "avant-hier", ni même "demain", pour eux tout est ici et maintenant : ici c'est notre rue, cette porte, ces escaliers, ici c'est cette maman et ce papa, ce jour et cette nuit. Moi j'étais petite et, en fin de compte, ma poupée en savait plus long que moi.
Afficher en entierQuand on est au monde depuis peu de temps, il est difficile de comprendre quels sont les désastres à l'origine de notre sentiment de désastre, et peut-être n'en ressent-on même pas la nécessité.
Afficher en entierMais Stefano et elle, que pouvaient-ils bien avoir en tête, et où croyaient-ils donc vivre ? L'attitude qu'ils adoptaient ne se trouvait même pas dans les poésies que j'étudiais en classe ou dans les romans que je lisais. J'étais perplexe. Ils ne réagissaient pas aux offenses, même pas à celle, vraiment insupportable, que leur faisaient les Solara. Ils déployaient gentillesse et politesse avec tout le monde, comme s'ils étaient John et Jacqueline Kennedy en visite dans un quartier de pouilleux.
Afficher en entierCette nuit-là, je l'ai déjà dit, beaucoup de choses m'échappèrent. Mais surtout, emportée par l'ambiance de fête, de danger, et par le tourbillon des garçons dont les corps dégageaient une chaleur plus forte que les feux d'artifice dans le ciel, je négligeai Lila. Et pourtant ce fut alors que se produisit son premier changement intérieur.
Afficher en entierJe dus admettre bien vite que ce que je faisais toute seule n'arrivait pas à me faire battre le coeur, seulement ce que Lila effleurait devenait important. Mais si elle s'éloignait et si sa voix s'éloignait des choses, alors celles-ci s'abîmaient et se couvraient de poussière.
Afficher en entierIl savait qu'il entrait dans le quartier et en sortait comme il le voulait, sans en être contaminé. Il pouvait le faire il avait les capacités de le faire, Nino, oui, il pouvait tout se permettre: il avait le visage, les gestes et la démarche de celui qui ne cesserait jamais de progresser. Quand il disparut, j'eus l'impression qu'avait disparu la seule personne de toute la salle qui ait la force de m'entraîner au loin.
Afficher en entierElle était en train de vivre ce phénomène auquel j’ai déjà fait allusion et que, plus tard, elle appela la « délimitation ». Ce fut comme si, me raconta-t-elle, par une nuit de pleine lune sur la mer, la masse toute noire d’un orage s’avançait dans le ciel, et supprimant toute clarté, abîmait la circonférence du cercle lunaire et déformait le disque brillant en le réduisant à sa véritable nature de matière brute et privée de sens. Lila imagina, vit, sentit – comme si c’était vrai – se briser son frère. Devant ses yeux, Rino perdit la physionomie qu’il avait toujours eu, d’aussi loin qu’elle se souvienne, celle d’un garçon généreux et honnête, avec ses traits agréables inspirant confiance, le profil aimé de celui qui depuis toujours, depuis qu’elle avait une mémoire, l’avait amusée, aidée et protégée. Là, au milieu de la violence des explosions, dans le froid, la fumée qui brûlait les narines et la forte odeur de soufre, quelque chose attaqua la structure matérielle de son frère, exerçant sur lui une pression tellement intense que ses contours se brisèrent et que sa matière se répandit comme un magma, révélant à Lila de quoi il était réellement fait.
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