Extraits

— Tu ne lis jamais les journaux, Alex ? Tu sais combien d’accidents il y a par an dans ce type de manèges ? Beaucoup trop. Et ça n’a rien d’étonnant puisque le seul but du proprio de ce manège est que le plus de monde possible monte dedans. Peu importe si certaines vis sont rouillées ou si les harnais censés te retenir sont un peu lâches. Tu penses vraiment que Lons-le-Lac est doté d’une commission de sécurité digne de ce nom ? Bon sang, ladite commission doit être composée du même gars chargé de compter les points le dimanche des compétitions de badminton !

Alex m’observe avec une gravité indéchiffrable, sans mot dire. Sa détermination flanche, non ? Hum… Pas sûr. J’embraye :

— Si je dois un jour grimper dans une abomination de ce genre, ça sera forcément dans un parc d’attractions américain aux procédures ultra-sécurisées, où le moindre accident provoque une telle mauvaise publicité que c’est dans l’intérêt de tout le monde que ça se passe bien. Tu vois ce que je veux dire ou pas ?

Et toc. Démonstration brillante d’une avocate tout aussi brillante.

Elle et moi savons très bien que monter en voiture avec ma mère est un cauchemar. Il était hors de question que j’accepte sa proposition. Déjà parce que j’ai passé l’âge qu’elle me conduise où que ce soit. Ensuite parce que ma mère – qui en bonne Parisienne sort sa voiture deux fois par an pour se rendre à Deauville – nous aurait certainement tués avant le péage de Saint-Arnoult. Ou elle m’aurait tant soûlé de conseils new age qu’il y avait un risque que je saute de ma propre volonté de la voiture sur l’autoroute.

Je crois qu’elle se trompe en ramenant tout au sexe, même si le type est idiot. Je crois que personne n’est jamais nul au lit s’il trouve le bon partenaire et qu’on est toujours le super coup de quelqu’un qui saura vous donner confiance et vous révéler.

— Vous savez quoi, confrère ? On dit que la première impression est souvent la bonne. Vu comme je vous ai trouvé con en arrivant, je vais finir par croire à cet adage.

La petite garce.

Sur ce, elle me fixe une dernière fois, lèvres pincées et mâchoire contractée avant de me décocher un sourire victorieux :

— Profitez bien de l’hospitalité locale !

Elle ne va pas s’en tirer comme ça. Parce qu’une chose est certaine et c’est bien pour ça que j’exerce ce boulot : je déteste perdre.

Je jette un coup d’œil prudent à mon téléphone, posé sur la table basse… et muet depuis hier après-midi.

Normalement, une fille célibataire de vingt-six ans qui passe ses vendredis soir devant la télé rêverait que son téléphone sonne pour entendre une voix masculine qui la réclame. Mais pas une fille célibataire de vingt-six ans, avocate ET de permanence pénale, je vous assure.

Pourquoi ? Parce que le moindre appel à cette heure tardive signifie garde à vue. De préférence à l’autre bout du département. Pour aller tenir la main d’un type bourré qui jure que non, il n’a rien bu, mais qu’il a des problèmes métaboliques qui faussent les mesures, et qu’à la rigueur, s’il a peut-être un peu bu, c’est à cause de sa bonne femme, et puis c’est une consommation purement festive, et si on n’a plus le droit de faire la fête dans ce pays, on va où, Maître ?!

Le tout avec possibilité que le type se soit déjà vomi dessus à un moment ou à un autre.

Bref…

Ne sonne pas, téléphone de malheur !