Extraits

— Je n’oublierai jamais ce jour, dit-il en riant. J’avais du mal à croire que tu voulais m’embrasser et je… j’étais heureux même si je savais que j’allais devoir te rejeter. Mais tu as embrassé mon œil !

Il s’esclaffa de plus belle, l’arc-en-ciel tourbillonnant dans son regard.

— C’est un souvenir qui m’est cher. J’y pense toujours quand je ne vais pas bien. Et je n’arrêterai jamais. C’est peut-être logique dans le fond que notre premier baiser ait été aussi étrange puisque c’est comme ça que les gens nous voient.

Je passai mes mains derrière sa nuque.

— Non.

Son regard multicolore rencontra le mien.

— Non ?

Je l’embrassai.

— Non. Ce soir nous appartient. Ce soir, je ne veux pas entendre parler de géants, de harpes, ou de foutus kelpies, d’accord ?

Il effleura ma joue du dos de la main.

— Oui, ma reine.

— Dis, tu t’appelles comment ? demandai-je au kelpie.

Je n’aimais pas l’idée de me battre sur son dos sans même connaître son nom.

Le kelpie terrestre poussa un petit rire.

— Pourquoi je devrais te le dire, au juste ?

— Tu n’es pas obligé de me donner ton vrai prénom, un faux fera l’affaire.

— Kallik.

Je levai les yeux au ciel tandis qu’il sautait sur l’aile gauche souple du dragon. Le kelpie terrestre s’arrangea pour ne pas rebondir trop haut et avancer en zigzag, ce qui nous permit de gagner du terrain sans être dans la ligne de mire de nos ennemis non loin.

— Je pourrais t’appeler « connard », si tu préfères ?

— Et qu’est-ce que tu dirais que je colle mes sabots dans tes chicots ?

— Mes sabots dans tes chicots… J’aime bien.

— Sabodantéchico… répéta-t-il après une pause. Ça ne sonne pas trop mal.

Je haussai les sourcils tout en jetant un coup d’œil à la tête du dragon, puis à sa queue. Jusqu’à maintenant, mon intuition ne semblait pas erronée. Mon nouveau copain bestial n’allait pas se transformer en un second adversaire.

— Tu es sérieux ? Tu veux que je t’appelle comme ça ?

— Qu’est-ce qu’il y a ? Tu as besoin que je te l’épelle, l’imbécile ?

Non, merci.

— Va pour Sabodantéchico, grommelai-je. 

Je tendis une main à l’aveugle entre les bulles étonnamment solides. Qui se cachait derrière elles ?

Ma mère ?

Devon ?

Je serais aussi contente de voir ma sœur l’esprit guide.

— Faites que ce ne soit pas Adair, maugréai-je.

— Déesse, grogna-t-il. Si je deviens Adair, tue-moi tout de suite.

Cette voix…

Je m’agrippai à un poignet vigoureux, puis pliai les jambes afin de tirer de toutes mes forces. S’il y avait la moindre chance que ce fût bien lui, je n’allais pas passer à côté.

La main de Lan traversa la barrière brillante en premier, suivie de son torse et de sa tête jusqu’à ce que son magnifique corps nu soit devant moi.

— Bordel, déglutis-je avec peine, tu as le sens de la mise en scène.

À peine les mots avaient-ils quitté ma bouche que je me jetai contre lui en pleurant.

Pendant une fraction de seconde, je craignis qu’il ne me rende pas mon étreinte, mais il m’enlaça dans ses bras. Forts. Familiers. Si nécessaires.

— L’orpheline, fit-il d’un ton abasourdi. Qu’est-ce que tu fais là...

— Tais-toi.

J’attrapai son visage pour l’embrasser. Je me laissai aller contre son corps que je connaissais si bien. Un corps qui avait hanté tant de mes rêves, mais pas comme ça. Mes mains se baladèrent sur son torse anguleux et ses pectoraux. Je me fichais désormais de comprendre comment je m’étais retrouvée là ou de savoir s’il s’agissait en fait d’une sorte d’hallucination provoquée. J’étais avec Lan. 

— Je suis désolé d’avoir mis aussi longtemps, lâcha Faolan. Mais je suis là maintenant, mon amour. Je suis là.

— Tu sais ce que ta façon de me maltraiter pendant mon enfance m’a appris, Adair ?

Elle affichait une expression craintive.

J’attrapai son poignet avec force, puis le serrai jusqu’à ce qu’elle soit contrainte de lâcher mon bras. Elle poussa un gémissement.

— Que ce que les gens pensent de toi n’a pas d’importance. Tout ce qui compte, c’est ton opinion de toi-même. Seules les personnes faibles laissent les mots et les actions d’autrui les élever ou les détruire, déclarai-je en relevant le menton. Je mérite ma place. Je suis fière de qui je suis.

Je libérai son poignet avant d’ajouter :

— Peux-tu en dire autant ?

Lan.

Je revoyais ses yeux sombres dans le campement. Des éclats de la couleur des pierres précieuses y tourbillonnaient.

Ce qui n’arrivait qu’en ma présence.

Un sanglot se logea dans ma gorge tandis que je montais le plus vite possible les marches du hall d’entrée. Une fois en haut des escaliers, je m’appuyai contre le mur pour me calmer. Je ne pouvais pas me laisser abattre. Pas maintenant. 

— Écoute ton amie. Tout n’est pas perdu, jeune reine. Pas avant que le dernier cœur fae ne flanche. Pas tant qu’il restera de la magie et que l’Autre Monde n’aura pas été oublié.

Elle releva le museau vers moi et je fus presque certaine d’y deviner un sourire.

— Fais-moi confiance. Mes différentes vies m’en ont appris beaucoup sur l’espoir.

Je posai une main sur sa tête. Je compris le message derrière ses paroles : la vie continuait.

— Merci. J’essaierai de m’en souvenir.

Un soupir satisfait derrière moi me fit sursauter.

— C’est vraiment trop mignon, fit Cinth.

Je lui lançai un regard perplexe, le sourcil arqué.

— Tu trouves ?

— Vous vous retrouvez là tous les soirs au coucher du soleil pour vous faire coucou. Oui, je maintiens ce que j’ai dit. Trop mignon.

Une chose était certaine, je désirais ma nouvelle position autant que Lan avait voulu de la sienne.