Extraits

Le bébé fille sursaute par reflexe. Ses longs doigts s’ouvrirent comme un volubilis, puis se refermèrent en cherchant une prise. Et Emily Gold se rendormit en serrant très fort, instinctivement, la main de Christopher Harte.

Lorsqu’il se blessait Emily faisait la grimace ou vice versa. Elle tombait de vélo et c’était lui qui pleurait. Le pédiatre appelait ça la douleur de solidarité, et il disait que ça leur passerait quand ils grandiraient.

Cela ne leur était pas passé.

Le révolver glissa sur la tempe d’Emily, et Chris sut tout à coup que si elle se suicidait, il mourrait. Peut-être pas tout de suite, peut-être pas avec la même douleur fulgurante, mais il mourrait. Il ne pourrait pas vivre sans cœur très longtemps.

Chris ferma les yeux. Comment confier à quelqu’un qui ne l’avait jamais vu que pour lui son odeur était celle d’une pluie rafraîchissante… que chaque fois qu’il la voyait dénouer ses cheveux, il sentait son estomac se contracter ? Comment lui décrire ce qu’il ressentait lorsqu’elle finissait ses phrases… ou qu’il la voyait tourner la tasse qu’ils partageaient de manière à poser ses lèvres à l’endroit où il avait mis les siennes ? Comment expliquer qu’en sa compagnie il aurait pu se sentir chez lui dans le monde entier, sous l’eau ou dans la forêt de pins du Maine, ou ailleurs, cela n’avait pas d’importance ?

_Elle m’appartenait, dit-il simplement.

_En d’autres termes, répondit le médecin, cela signifie que les personnalités de Chris et Emily étaient si unies qu’on ne pouvait plus distinguer l’une de l’autre. Ils ont été élevés de façon si proches qu’ils ne pouvaient fonctionner l’un sans l’autre. Tout ce qui arrivait à l’un d’eux affectait l’autre. En cas de mort de l’un d’eux, l’autre ne pourrait littéralement plus continuer à vivre.