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Mon cœur fait un bond quand sa joue râpeuse frôle la mienne. Et puis il m’embrasse. Sur la bouche. Doucement. Il a un goût de café. Tout ce qu’il a éprouvé pendant ces longs mois s’exprime dans ce simple baiser. Toute cette tendresse. Cette attention. Et je le lui rends bien. J’enfouis mes doigts dans ses cheveux soyeux. Ce baiser me fait l’effet d’un coup de poing à l’estomac tant le désir me prend aux tripes. Et nous restons là à nous bécoter, plantés sur le trottoir, sous un orme, devant le snack dans lequel je viens tout le temps depuis cette première fois, quand j’avais onze ans et qu’avec Serge et mes parents nous y avions déjeuné parce qu’il n’y avait pas école.

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Après avoir tiré la chasse, un goût de bile dans la bouche, je reste prostrée sur le carrelage froid. C’est alors que je surprends la conversation de deux filles aux lavabos.

— N’empêche, je parie qu’il est canon.

— Mais c’est pas lui qui l’a abattue. C’est un de sa bande. Par contre, le truc au musée, c’était trop. Faut quand même du cran, je veux dire.

— Tu parles ! C’est Robin des Bois, genre. Piquer aux riches pour refiler aux pauvres, tu vois.

— Paraît qu’il a que vingt et un ans, t’imagines !

Bien que l’estomac vide, j’ai encore la nausée en entendant le soupir d’extase de l’intéressée. Je pousse la porte et je les toise pour me faire une idée. Des collégiennes de treize-quatorze ans, à peine pubères. L’une d’entre elles tient un rouge à lèvres ; l’autre, un pinceau, avec lequel elle applique une ombre à paupières scintillante.

— Et moi, j’ai entendu dire qu’il avait quarante ans et une tête de gargouille. Et aussi qu’il aimait mettre une balle dans la tête de gamines dans votre genre. (Je pointe mon index sur le front de la plus petite et j’appuie sur une détente imaginaire.) Bang bang ! Tu parles qu’il a du cran !

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Nous deux, seuls, la nuit, enfermés dans une pièce… Je repense à ce qu’il a dit, lors d’un de ses rares moments de lucidité, juste avant de tomber dans le coma : « Toute ma vie j’ai attendu… »

Mes sentiments pour lui avaient été étouffés par toute cette angoisse et ce stress accumulés. Mais, maintenant qu’il va mieux, je n’éprouve plus qu’une drôle de chaleur, quelque part là dans mon ventre, et une folle envie de me rapprocher de lui. Je laisse aller ma tête sur son épaule et je ferme les yeux, m’abandonnant à cet incroyable magnétisme qui nous attire l’un vers l’autre… Et puis la poignée de la porte claque derrière Ford et la petite Sam déboule en chemise de nuit.

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Il m’adresse un clin d’œil. Sam grimpe sur ses genoux et se tourne vers moi avec un petit sourire espiègle.

— Il t’aaaaaime, Antheeeeem.

— On se calme, maintenant, tigresse !

Il roule des yeux comme des billes en riant. Mais il a le cou tout rouge.

— Elle a trop lu de contes de fées, prétexte-t-il.

Pas de problème, quant à moi. Je ne le lui dis pas, mais je le pense très fort. Parce que… il se pourrait bien que je l’aime aussi.

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J'ai eu beau essayer, impossible de fermer l'oeil. Toute cette histoire tourne en boucle dans ma tête. Il est temps pour moi de voir les choses sous un autre angle. Et il n'y a qu'une seule personne dont le point de vue m'intéresse.

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Tandis qu’ils s’éloignent, je laisse mes pensées dériver et, forcément, j’en reviens au baiser de Ford. Je regrette de ne pas avoir eu plus de temps pour le voir. Il me manque déjà.

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J’ai toujours pensé que mon père était celui sur lequel je pouvais compter – enfin, un minimum. Aujourd’hui, pourtant, je ne peux plus lui faire confiance. Il me faut à tout prix découvrir ce qu’il savait à propos de Gavin Sharp, mon ex-petit ami devenu mon ennemi – désormais mort et enterré.

Trois semaines se sont écoulées depuis ses funérailles. Et j’ai eu beau fouiner aussi discrètement et méthodiquement que possible, je ne sais toujours rien sur les relations qu’il entretenait avec mon père, hormis qu’il était son employé. Ce qu’il s’était bien gardé de me révéler, d’ailleurs. En même temps, pourquoi me l’aurait-il avoué ? Tout ce qu’il m’avait raconté sur sa vie n’avait été qu’un tissu de mensonges, de toute façon. Une suite ininterrompue de bobards qu’il m’avait fait avaler un à un. Jusqu’à son prétendu enlèvement, monté de toutes pièces. Et moi, comme une idiote, qui avais tout gobé !

Je me demande parfois pourquoi j’ai fait une proie aussi facile. Comment j’ai pu me laisser si aisément embobiner par sa belle gueule, cette façon qu’il avait de me tenir dans ses bras et toutes ces fausses promesses et ces projets bidon ? Est-ce que c’était écrit sur ma figure : « bonne poire, pauvre fille naïve et crédule »

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Rien ne sera plus « comme au bon vieux temps ». Plus jamais. Je ne veux pourtant pas que mon père s’interroge sur ma soudaine assiduité familiale (c’est dingue le temps que je passe avec eux, en ce moment). S’il a l’impression que je le surveille, il ne s’en montrera que plus prudent.

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"Nous t’avons appelée Anthem parce que ça veut dire « hymne ». Tu nous as apporté un tel espoir, un tel bonheur quand tu es venue au monde. C’était à une période si exaltante, et si terrifiante à la fois. Tu étais comme la concrétisation de tout ce dont nous avions toujours rêvé. Pour cette ville et pour ce monde. "

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Le printemps est enfin arrivé à Bedlam, et de la piste monte un parfum de roses fraîchement écloses (ça sent le pop-corn et le crottin aussi). Installée en tribune pour le concours hippique du printemps, je regarde le dernier groupe de cavaliers passer, menant leurs montures par la bride. À leur tête se trouve Martha Marks, la fille du maire. Je la connais depuis l’enfance. Altière, avec sa bombe de velours noir haut perchée, ses impeccables jodhpurs couleur crème à basanes et ses bottes d’équitation d’un noir étincelant fraîchement maculées de boue, elle esquisse à peine un sourire. Le regard fixe, elle semble à la fois calme et très concentrée.

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