Extraits

— Un dernier petit conseil, reprit Weston après une dernière pression sur les doigts d’Ethan. La prochaine fois qu’on vous tire dessus… pensez à vous baisser.

— En cas de problème avec les prisonniers, servez-vous de ceci. C’est un modèle à double action. Il suffit de relever le chien une fois, et une balle sera tirée chaque fois que vous appuierez sur la détente.

Weston considéra l’arme d’un oeil dubitatif, puis répliqua :

— Si ces chacals me donnent du fil à retordre, j’ai une remise pleine d’outils qui feront très bien l’affaire. Et vous aurez besoin de votre revolver si vous devez affronter Jenkyn.

— Nous avons une arme bien plus puissante, intervint Garrett.

Weston coula un regard faussement inquiet à Ethan.

— Vous emportez la petite cuillère ?

Ethan réprima un sourire.

— Non, je ne pars pas avec l’argenterie. L’arme dont parle le Dr Gibson, ce sont les mots.

— Les mots, répéta Weston en empochant le revolver. Je suis toujours un peu sceptique quand j’entends des phrases du genre : « Une plume est plus forte qu’une épée. » Ce n’est vrai que lorsque ladite plume est collée à la poignée d’un coutelas en acier allemand.

— Acushla, vous avez dicté les règles pendant deux semaines et je m’y suis soumis comme…

— Vous n’avez cessé de discuter mes ordres et de désobéir !

— J’ai bu sans broncher ce tonique infâme que vous vous obstinez à me donner.

— Je sais très bien que vous le versez dans la fougère dès que j’ai le dos tourné.

— Le goût est épouvantable, pire que l’eau de la Tamise. Et la fougère est d’accord avec moi, voilà pourquoi elle s’est toute ratatinée.

— La fièvre est tombée et vous ne m’avez pas réveillée ? croassa-t-elle.

— À quoi bon ? Vous aviez besoin de repos et je savais qu’il serait tout aussi vivant au matin.

— Vous, vous le serez beaucoup moins quand j’en aurai fini avec vous !

Il leva les yeux au ciel.

— Vais-je devoir endurer chaque jour des menaces de mort de votre part et de celle de votre patient ?

— C’est probable, lança Ethan depuis son lit.

C’était Weston Ravenel qui le considérait, la tête légèrement inclinée de côté.

— On dirait que nous allons mieux aujourd’hui.

— Où suis-je ? demanda Ethan d’une voix enrouée.

— À Eversby Priory, notre domaine ancestral.

Le bandage qui ceignait la poitrine d’Ethan avait commencé à se dérouler. Weston s’approcha.

— Laissez-moi terminer ce pansement…

— Si vous me touchez, je vous plante ça dans le corps, gronda Ethan en brandissant l’objet métallique.

— C’est une petite cuillère.

— Je sais.

Ravenel laissa retomber sa main et recula d’un pas. Le coin de sa bouche frémit.

Il s’éveilla dans la clarté du matin qu’il décela sous ses paupières closes, alors que quelqu’un tirait doucement sur son pansement comme on pèle un fruit. Un liquide corrosif coula sur son épaule, goutte à goutte. Pendant ce temps, un homme parlait, sans vraiment s’adresser à lui et sans attendre de réponse.

C’était très agaçant.

— … me suis jamais autant occupé du corps d’un homme. De celui d’une femme non plus, d’ailleurs. Je vais peut-être entrer dans les ordres après cela.

L’homme était en train de lui enrouler une bande de gaze autour de la poitrine et lui soulevait le buste à chaque passage.

— … aussi lourd qu’un goret du Hampshire… plus musclé que les autres races, c’est pourquoi il pèse son poids. Vous feriez une sacrée bête de concours à la foire. Sûr de rafler le premier prix. Et ça, c’est un vrai compliment.

— Qu’avez-vous mis dans mon thé ? s’écria-t-elle.

Affolée, elle voulut se lever. Elle vacilla. Et sentit les bras de Weston se refermer autour d’elle.

— Juste une pincée de valériane. Qui ne vous ferait pas tant d’effet si vous n’étiez pas aussi épuisée.

— Je vais vous tuer !

— Sûrement, mais avant, vous allez prendre un peu de repos.

Garrett voulut lui envoyer son poing dans la figure. Il para le coup sans difficulté et elle ne fit que balayer l’air de son bras. Il la souleva au moment où ses jambes se dérobaient sous elle.

— Lâchez-moi ! Je ne peux pas l’abandonner ! Il a besoin de moi…

— Je suis tout à fait capable de m’occuper de lui pendant que vous dormez.

— Non, vous ne pouvez pas, dit-elle, avant que sa voix ne se brise sur un sanglot. Vos patients ont quatre pattes. Il… il n’a que deux jambes.

— Eh bien, cela me fera deux fois moins de soucis.

Tandis qu’il l’emportait hors de la chambre, elle se débattit, rageuse, impuissante. Ethan était sur son lit de mort et ce type plaisantait !

Elle s’efforçait désespérément de cesser de pleurer. Ses yeux la brûlaient, elle avait mal au crâne et sa tête était si lourde qu’elle dut l’appuyer contre l’épaule de Weston.

— Voyons, il ne s’agit que de quelques heures, l’entendit-elle murmurer.

Et à votre réveil, vous pourrez vous venger tout votre soûl.

— Je vais vous disséquer… hoqueta-t-elle, en un million de morceaux.

— Parfait. Commencez à réfléchir aux instruments que vous allez utiliser. Peut-être ce petit scalpel à double tranchant avec le drôle de manche.

Il entra dans une jolie chambre à la tapisserie fleurie.

— Fermez le poing, s’il vous plaît.

Les muscles de son avant-bras bronzé se bandèrent sous la peau.

— La veine médiane est parfaite, commenta-t-elle en désinfectant la zone. J’aurais pu la trouver même sans poser de garrot.

— Je serais ivre de fierté si je ne voyais pas cette aiguille de dix centimètres au bout de ce tube.

— Je serai aussi douce que possible, mais ce sera un peu douloureux, je le crains.

— Je suis à côté d’un homme qui a reçu une balle dans la poitrine. Je ne peux décemment pas me plaindre sans passer pour une chochotte.

— Tout le monde sait que tu es une chochotte, répliqua son frère. Alors si tu as envie de te plaindre, ne te gêne pas.

— Gardez le poing fermé, monsieur Ravenel. Et détournez les yeux si vous préférez, dit Garrett.

— Appelez-moi Weston.

— Nous ne nous connaissons pas assez.

— Vous prenez mon sang dans ma veine médiane parfaite, fit-il remarquer. Je suis à tu et à toi avec des femmes qui ont pris bien moins de privautés avec moi. Sacré nom de Dieu ! brama Ravenel comme Garrett enfonçait l’aiguille dans son bras.

Il fronça les sourcils en voyant le sang filer dans le tube jusque dans l’aspirateur.

— Je n’aurai donc rien de vous ? murmura-t-elle. Quelques violettes séchées dans les pages d’un livre et une nouvelle serrure sur ma porte… ce seront mes seuls souvenirs ?

— Que voudriez-vous ? Dites-le-moi. Pour vous, je volerais les bijoux de la Couronne !

Les traits de Garrett s’adoucirent et elle lui caressa la joue.

— Ce que je veux ? Cette affiche qui est chez vous. Le singe qui fait du vélo.

Il la fixa, déconcerté.

— Faites ce que vous avez à faire avec ces documents, puis amenez-le moi. S’il vous plaît.

— Sir Jasper… est-ce l’homme que vous considérez comme votre mentor ? Pourquoi souhaitait-il ma présence ici ce soir ?

— Il me lance un avertissement, répondit Ethan sans la regarder.

— Un avertissement à quel propos ?

Son masque rigide se fissura enfin.

— Il sait que j’ai… un faible pour vous.

Il s’approcha de la petite porte, l’ouvrit et entraîna Garrett dans l’escalier de service. Le calme qui régnait là était une bénédiction après le brouhaha.

Dans la pénombre fraîche flottait une légère odeur de renfermé atténuée par le petit courant d’air qui filtrait par les bouches d’aération.

— Un faible ? répéta-t-elle. Qu’est-ce que cela signifie ?

Ils s’immobilisèrent dans un coude de l’escalier, sous une applique qui éclairait le visage et les larges épaules d’Ethan. Troublée par sa proximité, elle sentit son coeur s’emballer.

— Cela signifie que je vous préfère à tout le reste, répondit-il, avant de capturer sa bouche avec voracité.