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Partie 34





Royce revint dans le hall tard dans l’après-midi, après un entraînement exténuant de ses hommes qui avaient trop paressé ces cinq derniers jours. On avait fait le ménage, rangé les tables et nettoyé la salle. Et Darrelle se tenait à nouveau dans le coin réservé aux broderies et au tissage. Darrelle, qui avait à peine adressé la parole à Royce depuis que sa liaison avec Kristen était devenue une évidence. Elle exprimait sa désapprobation par des bouderies qui, en temps normal, n’auraient pas le moins du monde ému Royce. Mais celui-ci se prit à la comparer à Kristen qui ne boudait jamais, qui ne gardait pas sa rancœur mais au contraire l’exprimait à très haute et intelligible voix. Étrangement, ce franc-parler était loin d’être aussi irritant que les sempiternels regards de reproche de Darrelle. Celle-ci avait-elle besoin d’un mari, malgré son désir avoué de rester célibataire ? — Tu ne sais pas si l’un de nos invités a eu le bonheur de plaire à ta sœur ? demanda-t-il à Alden. Ils étaient assis à la table de jeu, engagés dans une partie d’échecs. Alden, dont c’était le tour de jouer, écouta à peine la question. — Non, je n’en sais rien. — Tu es sûr ? Alden abandonna ses pièces et considéra son cousin d’un air débonnaire. — Tu as vraiment d’étranges préoccupations, ces derniers temps. Maintenant que tu en parles, il me semble que l’arrivée de Wilburt lui a fait plaisir. — Le frère de Corliss ? s’étonna Royce. Tu crois qu’elle aimerait l’épouser ? Alden laissa échapper un petit sifflement. — Est-ce qu’elle sait ce que tu es en train de mijoter ? — Comment pourrait-elle le savoir puisqu’elle ne m’adresse plus la parole ? — Oui, elle te boude un peu, ces temps-ci. Tu ne vas quand même pas la marier pour cela ? — Je préférerais qu’un autre s’occupe de ses états d’âme. Tu ne crois pas qu’il est temps pour elle de trouver un époux ? — Si, en effet, mais il ne faut pas y compter. Elle s’y opposera… tant que tu ne te seras pas marié. — Comment ça ? — Allons, cousin. Pourquoi crois-tu qu’elle a refusé tous les prétendants que tu lui as présentés ces dernières années ? Elle a peur que, sans une femme pour tenir cette maison, le chaos ne s’installe ici. Et elle n’a sûrement pas tort. — Si tu connaissais ses raisons, en bon frère tu aurais dû m’en faire part. Alden parut scandalisé. — Tu veux qu’elle me fasse la tête pendant quinze ans ? Tu plaisantes, cousin, pour rien au monde je ne t’aurais révélé son secret. D’ailleurs, puisqu’on parle mariage, quand comptes-tu célébrer le tien ? — Quand j’en aurai le temps, répliqua sèchement Royce. Et pour le moment, il n’en est pas question. Alden secoua la tête. — Si tu ne veux pas l’épouser… — Je n’ai jamais voulu l’épouser. Simplement, cela semblait raisonnable. Enfin, si on veut… — Tu n’as qu’à rompre. — Facile à dire. Alden était hilare. — La vie était vraiment beaucoup plus simple avant l’arrivée d’une certaine Viking… Cette remarque lui valut un regard noir de Royce, qui le fit rire de plus belle. L’attention des deux hommes fut alors attirée par deux soldats de Royce qui entraient, escortant un étranger. À son allure et à ses vêtements, on aurait dit un Celte. Il était très grand. Ce qui le rendait d’autant plus intéressant après les problèmes récents qu’ils avaient connus avec les Celtes de Cornouailles. Il fut conduit devant Royce. L’un des soldats expliqua que l’homme avait été arrêté à l’ouest du domaine de Wyndhurst. On avait battu les environs pour vérifier qu’il voyageait bien seul comme il le soutenait et on n’avait trouvé trace de personne d’autre. Il montait un vieux bourrin agonisant et ne possédait rien d’autre que les vêtements qu’il portait ainsi qu’une épée rouillée à la garde ornée d’anciens motifs celtes. Impassible, Royce écouta ce rapport en examinant attentivement l’inconnu. Il n’avait jamais vu d’homme aussi beau malgré son apparence dépenaillée. Ses cheveux noirs étaient attachés dans le dos par un lien de cuir. Il n’était pas mieux vêtu que le plus pauvre des serfs avec sa longue tunique retenue à la taille par une corde et ses sandales pleines de trous. Pourtant, il n’y avait rien de soumis dans son attitude. De son regard gris sombre, il soutint celui de Royce sans agressivité et sans crainte. C’était le regard d’un homme qui se considérait comme son égal. La curiosité de Royce en fut piquée. — Qui es-tu ? — Je ne comprends pas. Royce serra les mâchoires. L’homme s’était exprimé dans sa langue celte. La plupart des Celtes de l’Ouest connaissait le saxon à la différence de ceux de Cornouailles qui, pourtant, les attaquaient souvent. Il répéta sa question dans la langue de l’étranger. — Je m’appelle Gaelan. — De Cornouailles ? — Du Devon. — Tu es un homme libre ? — Oui. Royce fronça les sourcils. Il n’était pas très bavard, cet homme libre du Devon. — Comment savoir si ce que tu me dis est vrai ? — Pourquoi mentirais-je ? — Pourquoi, en effet ? grogna Royce. Tu es bien loin de chez toi. Qu’est-ce qui t’amène sur mes terres ? — Je cherche à servir un seigneur qui combattra les Danois. L’ai-je trouvé ? Alden rit de la surprise de Royce. — Voilà bien la dernière chose à laquelle tu t’attendais, hein, cousin ? Royce lui lança un regard réprobateur avant de scruter le Celte. — Il y a beaucoup de seigneurs ici, dans le Devon, qui sont prêts à se battre contre les Danois. Pourquoi es-tu venu aussi loin à l’est ? — Je n’en ai pas rencontré un seul qui y soit vraiment décidé. Je veux être certain de combattre. — Pourquoi ? — Les Danois ont occupé une partie de mon pays et ils continuent à lancer des raids par la mer. J’habitais un petit village de pêcheurs sur la côte. Il a été détruit dans un raid viking. J’ai perdu ma femme, mes deux fils, ma famille et mes amis. Personne n’a survécu. — Sauf toi. Pourquoi ? — Je chassais à l’intérieur des terres. Je suis revenu au moment où leur bateau repartait. C’était une histoire que Gaelan avait répétée maintes et maintes fois tout au long de sa quête. Elle lui était bien utile auprès de ces seigneurs saxons et ces deux-là semblaient plus troublés que les autres. Avait-il enfin trouvé ce qu’il cherchait ? — Quand était-ce ? demanda Royce. — Au début de l’été. — Pourquoi dis-tu que ce sont des Danois qui ont attaqué ton village ? — Quel autre fléau s’est abattu sur notre pays ? Royce et Alden échangèrent un regard. Les poings de Royce s’étaient soudain crispés. La question resta sans réponse. Alden s’adressa à Gaelan. — Si les Danois se tournent à nouveau contre le Wessex, ils nous trouveront sur leur chemin. Tu as la volonté de te battre, mais sais-tu le faire ? — Je peux m’entraîner. — Et si mon cousin offre de t’entraîner, comment comptes-tu le servir en retour ? — Je lui servirai personnellement de garde du corps… à cause de ma taille. — Même si tu savais te battre, intervint Royce, regarde-moi. Ai-je l’air de quelqu’un qui a besoin de protection ? Une lueur amusée apparut dans les yeux gris de Gaelan. — Les autres seigneurs que j’ai rencontrés n’étaient pas aussi bien bâtis que vous, milord. Je suis disposé à vous servir de la façon qui vous plaira. Alden s’adressa à Royce dans leur propre langue. — Eh bien, cousin ? Un homme supplémentaire est toujours utile, surtout un homme aussi fort. — Je n’aime pas ça, répondit Royce. — Tu crains qu’en apprenant l’existence de nos prisonniers, il ne veuille mettre un terme à sa quête et tenter de se venger ? — Entre autres. — Ils sont bien gardés. Il ne pourra s’en approcher. — Kristen n’est pas si bien gardée, fit brièvement Royce. Alden le fixa, étonné. — Bien sûr, maintenant qu’elle est libre de parcourir Wyndhurst, elle n’est pas gardée du tout. Tu pourrais l’obliger à ne pas quitter le hall et ordonner à ce gaillard de ne pas pénétrer ici… — J’ai donné ma parole à Kristen. Je ne peux pas la reprendre. — Je plaisantais, Royce. Je ne pense pas qu’il s’en prendra à elle. Il veut le sang des Vikings, pas celui d’une femme. Si tu as des doutes, mets-le à l’épreuve. Mais ne le rejette pas sur de simples présomptions. Pense que tu poursuis le même but que lui et que tu n’as pas touché un seul cheveu de cette chère Kristen. Royce serra les lèvres. C’était vrai. Il fit face au Celte qui n’avait toujours pas bronché, faisant preuve d’une patience exemplaire. — Nous aussi, nous avons subi un raid de Vikings cet été, annonça-t-il en le surveillant attentivement. Nous avons eu plus de chance que ceux de ton village car nous les avons défaits. — Vous les avez tous tués ? Même Alden haussa un sourcil devant une telle rage. — Je doute que ce soit les mêmes qui aient attaqué ton village, annonça-t-il. Les nôtres étaient des Norvégiens à la recherche de trésors. Ils n’auraient pas attaqué un pauvre village de pêcheurs. — Mais vous les avez tous tués ? — Pas tous. Ceux que nous avons capturés sont prisonniers ici. Ils travaillent à renforcer nos défenses. — Ils sont tous sous ma protection, ajouta Royce qui n’avait pas du tout apprécié la façon dont l’homme s’était détendu à la mention des prisonniers. Gaelan comprit la menace. — Si vous avez réduit ces Vikings en esclavage, ce n’est que justice. Ils ne pilleront plus. J’en veux à ceux qui sont encore libres de tuer, là-bas au Nord. Le bateau qui a attaqué mon village y faisait voile. — Si je t’accepte parmi nous, Gaelan du Devon, travailleras-tu à construire une muraille avec mes prisonniers ? L’homme se raidit. — Je ne prendrai pas ma vengeance sur eux, milord, mais ne me demandez pas de travailler parmi eux. — Je te le demande. C’est le seul travail que je puis offrir en ce moment à un homme comme toi. Tu disais être prêt à faire tout ce qu’on te demanderait. — C’est ce que j’ai dit… Il y eut un long silence puis il ajouta : — Qu’il en soit ainsi. — Tu pourras résister à la tentation ? insista Royce. — J’ai dit que je ne désire pas le sang d’esclaves. — Alors, sois le bienvenu. Tu commenceras à travailler demain matin. L’après-midi, tu t’entraîneras avec mes hommes. Seldon, veille à ce qu’il soit bien installé. Alden se pencha vers Royce tandis que Seldon conduisait l’étranger vers le tonneau de bière. — Tu lui fais confiance ? Royce haussa les sourcils. — Tu me demandes ça après avoir pris sa défense ? Oui, j’ai confiance, dit-il avant d’ajouter, l’air sombre : Mais pas au point de ne pas le faire surveiller jusqu’à ce que j’aie vraiment confiance
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Partie 33

Six gros pains aux noix tout chauds furent placés dans un panier et portés au chariot dehors. Eda avait réveillé Kristen très tôt ce matin afin qu’elle les prépare pour le roi. Lui et sa suite partaient enfin. Les serviteurs se réunirent à nouveau devant les fenêtres pour admirer les nobles chevauchant leurs belles montures. Le ciel était lourd de nuages menaçants. Ils seraient sûrement trempés avant la fin de la matinée. Mais le mauvais temps ne retenait pas Alfred. Cette fois, Kristen fut autorisée à regarder le départ. Elle vit le roi étreindre Royce. Elle les vit rire ensemble à une plaisanterie d’Alfred. Puis elle observa ce jeune roi des Saxons qui quittait Wyndhurst. Elle n’était pas triste de le voir partir, n’ayant guère apprécié l’émoi suscité par sa visite. Pourtant, elle savait que ce départ signifiait la fin du marché passé avec Royce. Elle revint lentement vers la cheminée, accompagnée par Eda. — Royce ne t’a rien dit ce matin ? — Si. — Oh… — Si tu veux savoir pour les chaînes, tu n’as qu’à me le demander. Non, c’est inutile. Il m’a donné ses ordres et tu les connais. — Oui, je les connais. — Si ça peut te consoler, il n’en est pas plus heureux que toi. — Ah ? Eda haussa les sourcils devant une telle apathie. — Tu as passé un marché avec lui. Tu peux en passer un autre. Tu es intelligente. Utilise ce que tu as pour obtenir ce que tu veux. La vieille servante était enfin parvenue à la provoquer. — Ce n’est pas très loyal envers ton seigneur de le suggérer. Tu oublies qu’on ne peut pas me faire confiance. Je risque de m’enfuir en plein milieu de la journée. — C’est ça, ne m’écoute pas. Tu ne m’écoutes jamais. Qui a besoin des conseils d’une vieille femme ? Après tout, je ne connais cet homme que depuis sa naissance. J’ai… — Par le Seigneur ! s’exclama Kristen. Si tu n’arrêtes pas de me tarabuster, je te… — Le Seigneur ? s’enquit Royce derrière elle. De quel dieu parles-tu ? Elle fit volte-face. — Que veux-tu, Saxon ? Pourquoi ne vas-tu pas chasser ou t’entraîner ou visiter ton domaine ? Tu as sûrement quelque chose d’important à faire ! Je déteste que tu m’espionnes ! Il savait ce qui la mettait hors d’elle. Il avait prévu qu’il ne lui serait pas facile d’accepter à nouveau les chaînes. C’était pour cette raison qu’il était venu la voir, pour essayer de régler ce problème sans heurts. Mais elle l’avait surpris en formulant une imprécation que seule une chrétienne aurait utilisée. — Quel dieu sers-tu ? répéta-t-il. Elle serra les mâchoires, décidée à ne pas répondre. Il la prit par le bras et la secoua jusqu’à ce que, de rage, elle le repousse violemment. — Touche-moi encore une fois, Saxon, et je te jure que je te flanque mon poing dans la figure ! Il aurait dû s’emporter, lui aussi. Au lieu de cela, il éclata de rire. — C’était une simple question, Kristen. Pourquoi t’emportes-tu ainsi ? Son rire eut un effet magique. Elle retrouva son calme comme par miracle. Pourquoi gardait-elle encore ce secret ? Il n’y avait plus de raison maintenant. Kristen sourit de son propre mauvais caractère. Eda secoua la tête devant une telle versatilité. Royce était tout aussi désarçonné. — Pardonnez-moi, milord, dit Kristen qui n’avait nullement l’air contrit. Je ne voulais pas me montrer insolente… Si je l’ai été, je vous en demande pardon. — Ce qui ne signifie pas que tu ne le referas plus à l’avenir… — C’est vrai. Une flamme dansait dans les yeux de Kristen. Royce sourit. — Es-tu disposée à répondre à ma question maintenant ? — Je vénère le Dieu de ma mère. — Alors, pourquoi ne pas lui donner un nom ? — Je viens de le faire, milord. Le Dieu de ma mère est ton Dieu. Il sursauta. — Comment est-ce possible ? — Très facilement, milord. Les Vikings lancent des raids contre beaucoup d’autres pays depuis très longtemps. Ces raids ont ramené des prisonniers chrétiens. Ma mère en était une. Le père de ma mère était aussi un chrétien. Mon père et mes frères, conclut-elle joyeusement, préfèrent ne courir aucun risque : ils adorent tous les dieux. — Et toi ? — Je crois au seul vrai Dieu. Il fronça les sourcils et lui rappela sèchement : — Tu as défendu tes amis qui allaient mettre à sac un monastère ! Elle lui rendit son regard. — Je ne les ai pas défendus. Je comprenais leurs motifs, ce dont tu es incapable. Je t’ai déjà expliqué que mon frère m’a laissée dans l’ignorance de leur projet. Je ne t’en avais pas donné la raison mais cette raison était que je l’aurais combattu de toute mon âme pour lui faire changer de plan. Il ne m’a donc rien dit. Il est venu ici et il en est mort. Je sais, au fond de moi, que c’était la volonté de Dieu mais la moitié de mon sang est viking et ce sang crie vengeance. Les chrétiens saxons ne vengent-ils pas la mort de ceux qu’ils aiment ? Il ne pouvait le nier. Malgré l’interdiction de l’Église, nombreux étaient ceux qui cherchaient à se venger et cela se terminait souvent par un bain de sang. — Pourquoi ne m’as-tu jamais dit que tu étais chrétienne ? — Quelle différence cela aurait-il fait ? Les autres esclaves sont chrétiens, et ils sont toujours esclaves. — Cela fait pourtant une différence, Kristen. C’est un lien qui nous lie et qui me procure le levier dont j’avais besoin pour traiter avec toi. Elle le scruta d’un air suspicieux. — Que veux-tu dire, Saxon ? — Je peux accepter ta parole si tu jures sur le nom de Dieu. Jure que tu ne t’enfuiras jamais d’ici et tu bénéficieras de la même liberté que les autres serviteurs. — Plus de chaînes ? demanda-t-elle, incrédule. — Non. — Alors, je jure… Elle se tut, consciente tout à coup de s’engager sans réfléchir. — Kristen ? — Par le Ciel ! s’écria-t-elle. Laisse-moi un moment. Jamais, avait-il dit. À jamais. Que se passerait-il quand il n’aurait plus envie d’elle, quand il prendrait cette épouse ? Elle en viendrait à haïr cet endroit et aussi, sûrement, à le haïr, lui. Et pourtant, lui ayant donné sa parole, elle serait obligée de rester ici… à jamais, de continuer à servir dans ce hall… à jamais. Elle affronta son regard. Que lui importait qu’elle croupisse ici toute sa vie ? Son sort devait quand même l’intéresser sinon il ne lui ferait pas une telle proposition. — Très bien, milord, je jure sur notre Dieu que je n’essaierai pas de m’enfuir de Wyndhurst… tant que vous ne serez pas marié. Les yeux d’émeraude se durcirent. Elle poursuivit : — Je suis désolée de le dire, mais je n’aime pas votre fiancée. Je ne pense pas être capable de tolérer sa présence quand elle dirigera cette maison. — Marché conclu ! — Tu es sérieux ? s’étonna-t-elle. Tu acceptes cette condition ? — Oui. Cela signifie simplement que tu remettras ces chaînes à ce moment-là. Elle serra les dents, vexée et triste. — Qu’il en soit donc ainsi. Mais c’est la seule promesse que je vous fais. — Non, tu vas aussi promettre que tu n’aideras pas tes amis à s’enfuir… Il lui posa un doigt sur les lèvres pour arrêter son cri de colère. — … jusqu’à mon mariage. — Marché conclu ! rétorqua-t-elle avec amertume. Mais je ne renierai pas ma vengeance. — Non, je sais que tu ne le feras pas, regretta-t-il. Alden est rétabli maintenant, il peut se défendre. J’ai confiance en ses capacités. Tant que tu ne l’attaques pas dans son sommeil. — Je veux une vengeance, pas un meurtre, répliqua-t-elle, méprisante. — Très bien. Alors, il me reste à te prévenir d’une dernière chose. Si tu tues Alden, je devrai prendre ta vie en échange
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Partie 32
 Tu crois qu’il me verra si je me cache sous la table ? Eda jeta un regard à Kristen. — Qu’est-ce que c’est que cette question ? — Une question idiote, reconnut Kristen en se laissant tomber sur un tabouret. Après de telles émotions, elle avait bien le droit d’être sur les nerfs. Elle n’aimait pas être tenue pour responsable d’idées qu’elle n’avait pas eues. Ne sachant trop comment affronter cette situation, elle préférait éviter la fureur de Royce. Et elle cherchait où se cacher en attendant qu’il se calme un peu. Eda brisa le cours de ses pensées. — Tu es revenue seule ? Où est lord Royce ? Kristen balaya la question d’un geste de la main. — Il y a eu un petit problème avec les prisonniers. Il a décidé de s’en occuper personnellement. Il ne va plus tarder. En fait, il était déjà là, à l’autre bout de la salle, et même à cette distance elle discernait la flamme qui dansait dans ses yeux. Il n’était apparemment pas encore décidé à s’occuper d’elle, en tout cas, car il se dirigea tout droit vers sa chaise. Il allait donc recommencer à boire et à s’amuser comme si rien ne s’était passé. Comme s’il ne venait pas de risquer sa vie. Et pourquoi fallait-il que cela agace autant Kristen ? — Vais-je encore dormir avec toi, Eda ? — Tu sais bien que non. Tu as vu lord Averill et sa famille partir tout à l’heure. — Oui, mais je préférerais dormir avec toi. — Vraiment ? Alors qu’hier, tu te plaignais d’avoir perdu ton grand lit si confortable ! — Je ne me suis pas plainte ! — Qu’est-ce qui te met de si méchante humeur ? Cela ne méritait pas de réponse. — Pourquoi est-il venu me chercher, Eda ? Je ne suis pas restée là-bas si longtemps… Eda haussa les épaules. — Il a vu Uland revenir tout excité. Le pauvre garçon était étonné de l’accueil chaleureux que tes Vikings t’ont réservé. Il prétendait aussi qu’ils allaient finir par t’écraser les os à force de te serrer contre eux. — Et c’est ça qui l’a décidé à venir me chercher ? — Non, il a continué à manger mais je l’ai bien observé… Là, Eda gloussa d’un air entendu avant de poursuivre : — Il ne quittait pas la porte des yeux, attendant ton retour. J’imagine qu’en fin de compte, il s’est dit que tu restais trop longtemps là-bas. Et maintenant, il n’avait nulle envie d’étaler sa colère devant le roi. Mais Kristen ne se faisait pas d’illusions, il ne se montrerait pas aussi clément qu’hier. Elle jeta un regard vers Royce mais ne put le voir car il était caché par Alden, assis à sa droite. Alfred se trouvait à sa gauche. Edrea posa un plateau vide sur la table à côté de Kristen. — Ils l’ont aimé, tu sais, ton pain, lui dit-elle. Milord a même demandé qui l’avait fait. — Et tu le lui as dit ? — Non. J’ai eu peur que ces seigneurs ne le recrachent de crainte qu’il ne soit empoisonné. Les yeux bruns de la jeune fille brillaient. Elle venait de faire une plaisanterie. Kristen avait du mal à y croire, sans compter qu’elle lui avait adressé la parole de son propre chef. — Tu aurais pu le leur dire après qu’ils l’eurent avalé, remarqua Kristen. Edrea rit de bon cœur. — Uland a raison. Tu n’es pas si bizarre. Eda le dit aussi depuis le début, mais elle s’est mise à t’aimer… Et ça, c’est vraiment bizarre. Kristen sourit malgré sa mauvaise humeur. — Oui, elle a un caractère infernal. Elle avait élevé la voix pour que la vieille servante l’entende. Eda renifla d’un air méprisant et Edrea sourit de plus belle. — On a du mal à la comprendre parfois. Dis-moi, c’est vrai que les Vikings ne sont pas aussi méchants qu’on le raconte ? — Il s’appelle Bjarni, dit Kristen. — Qui ? — Celui à qui tu plais. La jeune fille ne savait comment cacher son plaisir. Son joli visage s’illumina. — Il te l’a dit ? Kristen n’était pas vraiment d’humeur à faire l’apologie de Bjarni, mais parler avec Edrea lui faisait du bien. — Il est malheureux car il ne peut pas te le dire lui-même. Il a demandé à Thorolf de lui apprendre les mots mais ne t’étonne pas si tu ne comprends rien à ce qu’il raconte car Thorolf ne connaît pas très bien votre langue. Pendant l’heure qui suivit, Edrea ne cessa de lui poser des questions à propos du jeune Viking et Kristen lui dressa un portrait très flatteur qui allait sans doute la conduire à de cruelles désillusions car Bjarni était loin d’être le parangon de vertu qu’elle dépeignait. C’était un homme avec qui il faisait bon s’amuser mais qu’il ne fallait surtout pas prendre au sérieux. Mais si Edrea était prête à croire toutes les sornettes qu’il allait lui débiter afin qu’elle facilite leur évasion, c’était son problème. La liberté de ses amis comptait plus que les sentiments d’une petite Saxonne. Si Kristen pouvait atteindre Lyman et cette clé, elle s’en chargerait elle-même. Mais, dès ce soir, elle serait à nouveau enfermée dans la chambre du seigneur. — Tu restes assise là à ne rien faire, grommela Eda dès qu’Edrea fut appelée pour remplir des cornes de bière. Tu ferais mieux d’aller te coucher tout de suite. Comme ça, tu te lèveras tôt demain matin. Lady Darrelle m’a elle-même demandé davantage de tes pains aux noix. Elle croit que c’est une recette que j’ai gardée secrète pendant toutes ces années. — Et tu ne l’as pas détrompée… — Bien sûr que non. Et c’était quoi, ces messes basses avec Edrea ? — Elle apprécie un des prisonniers. Eda haussa les sourcils. — J’espère que tu lui as dit qu’il ne pouvait rien en sortir de bon ? — Et pourquoi pas ? Ce sont des hommes, tout comme Royce. Il n’est pas cruel au point de refuser de leur amener des femmes. Sinon, ils seront frustrés et il y aura des troubles. Il doit comprendre… — Dieu nous aide ! s’écria Eda, ahurie. D’abord, tu leur apportes à manger. Et maintenant, tu veux leur amener des putains ! Va te coucher, espèce de folle, avant que l’idée ne te vienne qu’ils puissent se marier et s’installer ici. — Maintenant que tu en parles… Kristen s’enfuit avant qu’Eda ne lui brise son plateau sur la tête. Elle garda le sourire jusqu’à ce qu’elle atteigne l’étage. Là, la vue de la porte au fond du couloir refroidit son ardeur. Lentement, elle traversa le couloir et entra dans la chambre en se demandant si Royce tarderait longtemps avant de la rejoindre. Elle attendit environ une demi-minute. Il avait dû quitter le hall juste derrière elle. Elle était debout au milieu de la chambre, ne sachant trop quoi faire, quand la porte s’ouvrit. — Que s’est-il passé avec les prisonniers, Kristen ? Elle se retourna, les yeux écarquillés : c’était Alden et non Royce. Il lui fallut un moment pour se remettre de sa surprise, puis elle glissa un regard vers les armes suspendues au mur. — Non, dit-il en devinant ses pensées. Écoute ce que j’ai à te dire avant d’essayer de me trancher à nouveau la gorge. Je connais mon cousin. Quand il est en colère, il crie, il hurle, il cogne des têtes. Quand il est furieux, il est mortellement calme et Dieu vienne en aide au malheureux qui se trouve sur son chemin. Il est furieux en ce moment. Que s’est-il passé ? — Pourquoi ne pas le lui demander ? — Le lui demander ? Alden frissonna et Kristen pensa qu’il simulait probablement la terreur. — Quand il est dans cet état, je n’ai pas même envie de m’approcher de lui. — Et je ne veux pas m’approcher de toi, Saxon. Ne crains rien, je ne t’attaquerai pas. J’ai donné ma parole à ton cousin qu’aussi longtemps que le roi sera ici, je ne te toucherai pas. — Tu veux dire que je peux t’approcher sans crainte ? — À ta place, je m’en garderais bien. — Me diras-tu au moins ce qui s’est passé ? Peut-être qu’alors, je trouverai un moyen de le calmer. Elle haussa les épaules, loin d’être aussi insouciante qu’elle le laissait paraître. — Il s’est conduit comme un idiot sans cervelle. Il s’est avancé en plein milieu des prisonniers pour me faire partir… À mesure qu’elle parlait, sa voix s’élevait : — Thorolf me tenait mais au lieu de s’en aller bien sagement – alors qu’il savait que je ne tarderais pas à le rejoindre – cet imbécile a préféré entrer et marcher au milieu d’eux. C’était ce qu’il pouvait faire de plus stupide, de plus arrogant… Et c’était exactement ce qu’ils espéraient… — Pourtant, il s’en est sorti. L’expression de Kristen reflétait son dégoût. — Là n’est pas la question. Il s’est débrouillé pour avoir le dessus. Il aurait très bien pu se faire étrangler. — Et c’est cela qui te déplaît ? Elle lui jeta un regard noir. — Je t’ai dit ce que tu voulais savoir. Maintenant, laisse-moi. Il hocha la tête mais, avant de partir, il ajouta : — Un mot encore pour te prévenir. Ne lui répète pas ce que tu viens de me dire. Je ne pense pas qu’il apprécierait d’être traité d’imbécile et d’idiot sans cervelle en ce moment. Il ouvrit la porte… et Royce apparut. Alden adressa une prière silencieuse à son saint patron pour qu’il n’ait pas entendu leurs dernières paroles. Kristen comprit immédiatement qu’Alden avait raison. Royce semblait très calme, d’un calme terrifiant. — Que fais-tu ici, cousin ? Alden choisit la plaisanterie. — J’aide la Viking à se préparer à l’assaut. Mais Royce n’avait pas envie de rire. — Ça devient une déplorable habitude chez toi. Tu veux toujours l’aider ! Un de ces jours, tu finiras avec une épée dans le dos. Laisse-nous. Tout ceci fut prononcé avec une extrême douceur mais Kristen ne s’y trompa pas. Elle lui tourna le dos dès que la porte se referma. Une seule fois, elle avait vu Royce dans cet état : la première nuit où elle l’avait aperçu dans la cour. Quand il avait annoncé froidement qu’il fallait tous les tuer. Elle savait qu’il n’allait pas la tuer, mais elle ignorait le sort qu’il lui réservait et cela suffisait à la terroriser. — Je suis forcé de me demander maintenant si tu ne mens pas sans cesse. Kristen se raidit. Au nom du Ciel, de quoi parlait-il ? — J’imagine, milord, que vous avez une raison pour affirmer une chose pareille. Vous voulez me la donner ou bien dois-je la deviner ? Elle ne s’était pas rendu compte qu’il s’était approché. Elle poussa un cri étouffé quand il lui enfonça cruellement les doigts dans l’épaule. Il la força à se retourner. Elle lui fit face, déterminée à ne pas entrer dans son jeu – un jeu où il était le chat et elle, la souris. — Dis ce que tu as à dire, et qu’on en finisse ! s’exclama-t-elle. — Il est plus qu’un ami pour toi, ce Thorolf. — Quoi ? fit-elle, incrédule. Tu dis cela parce qu’il me tenait ? Et alors ? Je ne pensais pas que tu étais assez idiot pour tomber dans son piège. — Qui a été idiot ? Elle ouvrit de grands yeux. — Tu savais ! Tu savais ce qu’il avait derrière la tête et tu es quand même entré ? Tu es encore plus fou que je ne le pensais ! Il la secoua violemment. — Je suis surtout à bout. Est-ce que tu l’aimes ? Elle aussi était à bout et la colère lui donnait des forces, elle parvint à repousser ses mains. — Encore une question qui n’a rien à voir avec ce qui s’est passé ! Bien sûr que je l’aime. Il est comme un frère pour moi. Maintenant, c’est à toi de m’expliquer pourquoi tu t’es jeté dans la gueule du loup ! Thorolf a dit qu’ils ne voulaient pas te tuer mais tu ne pouvais pas le savoir. Il te suffisait de rentrer dans le hall, Saxon, et je t’aurais rejoint de mon plein gré. — Et ça, comment pouvais-je le savoir ? Elle se rendit compte qu’il criait à présent, ce qui signifiait qu’il n’était plus furieux – s’il fallait en croire Alden. Qu’avait-elle bien pu dire pour l’apaiser ? Mystère… Elle se força à baisser la voix. — Tu l’aurais su si tu avais un peu de bon sens. Hors de cette pièce, tu es le maître. Tu aurais pu m’obliger à sortir par bien d’autres moyens. D’ailleurs, je n’avais pas l’intention de rester, admit-elle. Mais il y avait si longtemps que je ne les avais pas vus… — Ni touchés ! Et lui, tout particulièrement ! J’ai des yeux, femme. Tu étais sur ses genoux ! — Tu plaisantes ? J’étais accroupie à côté de lui. Il me tenait la main. Qu’as-tu donc imaginé ? Je t’ai déjà dit qu’on m’a appris à ne pas avoir peur de montrer mes sentiments. Il est normal pour moi de toucher quelqu’un que j’aime. — Alors, touche-moi, Kristen. Ces mots la frappèrent comme la foudre. Soudain, il était tremblant de désir et non de colère. Elle se mit à trembler comme lui. Et elle faillit céder, franchir le pas qui les aurait réunis. Elle dut puiser au tréfonds d’elle-même la force de ne pas le faire. Seigneur, s’il avait dit cela différemment, si seulement il avait dit… — Kristen ? — Non ! Je ne t’aime pas ! C’était comme si elle venait de se déchirer le corps. Alors, il fit ce geste qu’elle refusait d’accomplir. Il la serra contre lui, corps contre corps. Et ses lèvres furent comme un baume contre la fièvre qui la brûlait. Exigeant, violent même, il l’embrassa, tirant, arrachant la passion au plus profond d’elle-même. Ses lèvres quittèrent la bouche de Kristen pour lui frôler l’oreille. — Je m’incline, Kristen. Touche-moi non parce que tu m’aimes mais parce que j’ai besoin de toi. Touche-moi ! Ce fut ce dernier râle qui la décida. Comme s’il agonisait, comme s’il était sur le point de mourir. Elle ne pouvait résister à cet appel. Son corps avait déjà perdu la bataille. Elle lui prit le visage entre les mains, le forçant à la regarder – et le regard de Royce était plus enivrant que n’importe quelle caresse. « Oui, mon Saxon, je vais te toucher jusqu’au cœur… » Elle ne le dit pas à haute voix mais il put lire dans ses yeux le désir, le besoin, l’amour. Elle l’embrassa, les paupières closes pour qu’il n’en voie pas trop. Puis leurs bouches se retrouvèrent et elle fit de son mieux pour lui donner ce qu’il demandait. Elle le rendit fou
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Partie 31
Les prisonniers connurent un jeûne forcé ce jour-là. Ni Eda, chargée de préparer leur nourriture, ni Edrea, qui la leur apportait habituellement, ne crurent Kristen quand elle leur annonça qu’elle avait été autorisée à leur porter le repas. De plus, Eda était trop prudente pour ne pas attendre la confirmation de Royce. Celui-ci ne descendit de sa chambre qu’en fin d’après-midi. Il s’y était enfermé après avoir quitté Corliss. Kristen avait observé leur conversation. Corliss avait pleuré et il était parti furieux. Aussitôt, les larmes de Corliss avaient disparu et son expression avait trahi plus de dépit que de chagrin. Kristen en avait été scandalisée. Sa fierté lui interdisait de tels stratagèmes mais elle savait que certaines femmes n’hésitaient pas à recourir aux larmes pour atteindre leur but. Des femmes comme Darrelle, par exemple. Ou comme Corliss. Kristen éprouvait presque de la pitié pour Royce car la vie aux côtés d’une telle épouse ne serait jamais agréable. À la différence de la veille, Kristen ne broyait plus d’idées noires. Le bonheur qu’elle avait éprouvé au cours de la matinée ne se dissipait pas et elle n’essaya pas de se demander pourquoi. Et puis, elle avait un nouveau travail à accomplir. Eda avait goûté un des petits pains pétris pour Meghan. Elle l’avait trouvé si bon qu’elle avait proposé un marché. Elle fournirait les noix et Kristen ferait une demi-douzaine de pains pour les prisonniers ainsi qu’un nombre égal pour les invités de Royce. Une offre pareille ne se refusait pas, d’autant que Kristen bénéficiait de l’aide de Meghan. Ainsi la journée se déroula-t-elle plaisamment. Puis Eda ronchonna à propos de l’heure et de Royce qui ne descendait toujours pas. La soupe des prisonniers s’épaississait. Edrea avait maintenant d’autres tâches à accomplir avec les invités qui commençaient à revenir de la chasse, et elle ne pouvait plus s’occuper des Vikings. Quant à Kristen, elle n’ignorait pas que Thorolf devait se ronger d’inquiétude. Finalement, elle prit Eda à part. — Va le réveiller et demande-lui si je peux y aller. De toute manière, il ne sera pas content d’avoir dormi si longtemps. — Tu n’arrêtes pas de dire qu’il dort. Pourquoi dormirait-il durant la journée ? Kristen haussa les épaules. — Peu importe, Eda. Vas-y. Il ne se mettra pas en colère si tu le réveilles. Eda obéit et revint quelques minutes plus tard en secouant la tête. — Il dormait, en effet, et il s’est mis à hurler en demandant pourquoi on ne l’avait pas tiré du lit plus tôt ! Kristen sourit. — Ça va, ça va, reprit Eda. Il a aussi donné son accord pour que tu ailles porter leur repas aux prisonniers. Il doit être malade ! Tu peux y aller mais deux gardes t’accompagnent et Uland t’aidera. Eda appela les hommes pour leur donner ses instructions, Kristen ne protesta pas, tant elle se languissait de voir Thorolf et les autres. Ils étaient tous enfermés dans la hutte. Devant la porte ouverte, deux gardes jouaient paresseusement à planter leurs couteaux dans le sol. Ils accordèrent à peine un regard à Kristen et à sa petite escorte. La raison de ce laxisme lui apparut clairement quand elle entendit le bruit des chaînes raclant le sol. Elle éprouva un pincement au cœur en se rendant compte qu’ils étaient toujours enchaînés. Mais, à l’instant où elle franchit le seuil, elle retrouva son sourire. Ses yeux s’arrêtèrent tout d’abord sur son cousin. Elle posa son panier de pains et de fruits avant de se jeter dans les bras d’Ohthere éberlué. Des cris de surprise retentirent et elle comprit que Thorolf n’avait parlé à personne de sa petite escapade nocturne. Il avait dû craindre qu’elle ne vienne pas. Ohthere l’abandonna à l’enthousiasme général et, pendant quelques minutes, elle fut serrée, embrassée, à moitié étouffée par ses amis. Uland, qui se tenait toujours sur le seuil, n’en croyait pas ses yeux. Edrea avait soutenu qu’au moins un des Vikings, celui qui venait toujours lui prendre son plateau des mains, ne pouvait être aussi sauvage que les autres car il avait un si joli sourire. Bavardage stupide d’une fille fascinée par un beau garçon, s’était dit Uland. Mais cette démonstration d’affection et de tendresse pour la géante blonde… cela les rendait presque humains, en tout cas, bien moins barbares qu’on ne le croyait. Tout à sa surprise, Uland abandonna son chaudron dans l’entrée et se précipita dans le hall pour raconter aux autres la scène à laquelle il venait d’assister. Le dernier à accueillir Kristen fut Thorolf. En le voyant, elle perdit de son exubérance. Il était si solennel, si sérieux qu’elle se souvint soudain des révélations que Royce lui avait faites. Une horrible timidité la submergea, elle qui se montrait toujours pleine d’audace. Thorolf rougit car il voyait qu’elle perdait son sourire à cause de lui. Il avait été à l’agonie pendant toute la journée, chaque minute qui passait étant un nouveau supplice tant il était persuadé qu’elle avait subi un châtiment terrible. Il avait encore du mal à croire qu’elle se tenait là, devant lui. Il cherchait des traces de coups inexistantes alors qu’il aurait dû exprimer sa joie comme les autres. Il lui souleva gentiment le menton. — Pardonne-moi, Kristen. Le Saxon t’a fouettée une fois déjà et je pensais… — Qu’il le ferait à nouveau ? le coupa-t-elle avec un petit sourire. C’est ce que je croyais moi aussi, mais il ne l’a pas fait. — Cela veut-il dire qu’il ne le fera pas ? Elle repensa à la nuit précédente. Royce l’avait emmenée nager. Il l’avait autorisée à voir ses amis. Et il lui avait fait l’amour sous les étoiles… Ce fut avec une totale assurance qu’elle répondit à la question de Thorolf. — Non, il ne le fera pas. Alors, le Viking rugit de rire et la prit dans ses bras pour une nouvelle étreinte d’ours. — Par les dents de Thor ! C’est bon à entendre ! — De quoi parlez-vous ? voulut savoir Ohthere. Lui et les autres les entouraient. Elle envisagea brièvement de leur raconter une histoire quelconque mais elle était incapable de leur mentir. Toutefois, le récit de sa tentative de la veille ne fut pas simple. Elle dut passer sous silence un certain nombre d’éléments, notamment les raisons qui lui avaient valu d’échapper à une punition, et éviter les questions trop indiscrètes. Elle essaya de s’en sortir en leur racontant ce qu’elle avait appris à propos de Wyndhurst et du Wessex, ce qui n’était pas grand-chose mais infiniment plus que ce qu’ils savaient. Elle leur indiqua où ils pouvaient trouver des chevaux ainsi que la position supposée de l’armée danoise, malheureusement en poste très loin au Nord. Elle leur parla aussi des Celtes hostiles aux Saxons et qui accepteraient peut-être d’aider les Vikings si ceux-ci décidaient de fuir vers l’ouest plutôt que vers le nord. L’évasion était leur unique souci. Mais ils grognaient à propos des précautions prises par les Saxons qui ne leur laissaient pratiquement aucune chance. Elle leur fit alors observer qu’ils semblaient tous guéris et en excellente condition. Bjarni rit et prouva sa force en la soulevant au-dessus de sa tête. Quand il la reposa au sol, elle lui lança un regard courroucé qui ne l’émut pas le moins du monde. — Au moins, vous êtes d’attaque pour partir, remarqua-t-elle. — Oui, soulever toutes ces pierres ne nous a pas fait de mal, répliqua Odell. Quand je rentrerai chez moi, labourer mes champs sera un jeu d’enfant ! — Les murs de cette hutte ne peuvent nous retenir, Kristen, reprit Ohthere plus sérieusement. Mais il serait ridicule de les abattre sans disposer d’une hache pour briser ces chaînes. — Je n’en ai pas vu une seule depuis que je suis là, fit-elle, pensive. On trouve toutes sortes d’armes dans le hall mais pas de hache. Il ne m’étonnerait pas qu’elles soient enfermées quelque part, Ohthere, car le Saxon est d’une rare prudence. — Alors, il nous faut la clé de la porte et de ces chaînes. — Est-ce que tu sais qui les a ? demanda-t-elle. — Le responsable du mur, un certain Lyman. Elle se souvenait de lui mais ne l’avait pas revu depuis sa séparation d’avec ses amis. — Il ne vient pas dans le hall. Il ne doit pas habiter le manoir. Cette nouvelle fut accueillie par un silence désolé. Kristen partageait leur déception. Par le Ciel, ce n’était pas juste ! Ohthere gloussa dans sa barbe. — Allez, cousine, ne te tracasse pas trop. On trouvera bien un moyen. Ils s’habituent à nous. Un jour, tôt ou tard, quelqu’un fera une erreur et nous aurons notre chance. — Ils s’habituent à moi aussi mais ils ne me font toujours pas confiance. C’est la première fois aujourd’hui qu’ils me laissent quitter le hall. — Il y a cette fille, Edrea, que Bjarni cajole. Crois-tu qu’on puisse la persuader de nous aider s’il arrive à gagner ses faveurs ? Kristen ouvrit de grands yeux avant d’éclater de rire. — Par le Ciel, vous pensez à tout ! Mais maintenant que tu m’en parles, elle a paru un peu déçue de ne pas vous apporter votre nourriture aujourd’hui. Elle se tourna vers Bjarni. — Comment peux-tu séduire une femme sans connaître sa langue ? lui demanda-t-elle. Il sourit. — Thorolf m’apprend les mots dont j’ai besoin. — Ah, ces mots-là… Elle sourit à son tour. — A-t-elle la liberté d’aller et venir où bon lui semble ? s’enquit Ohthere. — Oui, pour ce que j’en sais. D’Edrea elle-même, je ne pourrai pas vous en dire beaucoup car je la connais à peine. Je ne sais si elle acceptera de vous aider pour les beaux yeux de Bjarni. Les servantes ont toutes peur de moi et elles me parlent peu à l’exception d’une vieille femme, Eda, qui est d’une totale loyauté envers son seigneur. J’essaierai de parler à Edrea, malgré tout, pour voir si elle a effectivement un faible pour Bjarni. Je peux au moins lui dire combien il est bon et fidèle. Ce fut un éclat de rire général car la réputation de coureur de jupons du jeune Viking n’était plus à faire. Même Kristen avait subi ses assauts. De tous, il était effectivement le plus beau garçon. S’il y en avait un parmi eux qui pouvait ravir le cœur d’une jeune fille et lui faire trahir son peuple, c’était bien Bjarni. Ils continuèrent à lui poser des questions, en particulier sur les seigneurs inconnus qui étaient venus les voir l’autre jour. Ils furent stupéfaits d’apprendre que l’un d’entre eux était le roi de ces Saxons et qu’il résidait à Wyndhurst pour le moment. Elle dut le décrire des pieds à la tête car il ferait l’otage parfait si jamais ils arrivaient à lui mettre la main dessus. Avec Alfred de Wessex en leur pouvoir, ils pourraient exiger leur liberté et celle de Kristen. Elle leur raconta tout ce qu’ils désiraient savoir mais elle doutait que son Saxon leur donne l’occasion de s’attaquer à son roi. Finalement, elle annonça qu’ils feraient bien de manger avant que leur nourriture ne refroidisse davantage, déclenchant une nouvelle crise d’hilarité car leur soupe leur arrivait rarement chaude. Ils s’emparèrent de leurs misérables bols de bois. Seul Thorolf ne se servit pas. Il prit Kristen à l’écart et s’accroupit avec elle contre le mur. Il ne la regardait pas mais contemplait la pièce. Ohthere n’avait pas cherché à savoir comment elle se portait car, à l’évidence, elle allait bien. Thorolf n’avait pas de telles prévenances. Il alla droit au but. — C’est donc vrai ce que le seigneur saxon m’a dit ? Il te plaît ? Royce était leur ennemi. Il les avait tous réduits en esclavage. Elle savait ce que Thorolf pensait. Comment comprendrait-il alors qu’elle-même n’y parvenait pas ? — Quand je le regarde, je sens quelque chose de merveilleux en moi. Cela ne m’était jamais arrivé, Thorolf. — Tu voudrais de lui pour époux ? Elle eut une mimique de dépit qu’il ne vit pas. — Je voudrais… mais pas lui. Il lui caressa gentiment le bout des doigts. — J’avais peur que tu ne t’en sois pas rendu compte, que tu t’attendes à ce qu’il se comporte en homme d’honneur avec toi. — Ce n’est pas parce que j’ai perdu ma… mon innocence que j’ai perdu l’esprit. Je sais exactement ce qui m’attend. Il m’aime bien à présent mais… — À présent ? — Au début, il pensait que j’étais une putain. Non, Thorolf… Cela devrait te faire rire. Moi, j’en ai ri. Et je n’ai rien dit. Dégoûté, il ne voulait pas me toucher. Mais, petit à petit, j’ai eu envie qu’il s’occupe un peu plus de moi… Bon, comme je l’ai déjà dit, pour le moment, il m’apprécie mais cela ne l’empêche pas de se méfier de moi dès qu’il ne m’a pas sous les yeux. Il éloigne les autres hommes de moi, il m’a même enlevé mes chaînes pendant le séjour de tous ces jeunes seigneurs ici, afin que je puisse me défendre toute seule au cas où l’un d’entre eux se ferait trop pressant. — Et plus tard ? — Plus tard, je le perdrai. Il va se marier. Et pourtant… Elle soupira. Thorolf lui serra les doigts pour lui montrer qu’il compatissait. Il n’était pas hypocrite. Il n’allait pas lui dire qu’elle avait tort de désirer le Saxon. Si leurs positions étaient inversées, il aurait agi exactement comme elle, et pris son plaisir. Même avec une ennemie. Que Kristen soit une femme ne changeait rien à l’affaire : elle était la digne fille de Brenna. Brenna Hardraad était une brave qui savait se battre pour ce qu’elle voulait. Et qui n’avait jamais tenu aucun compte des préjugés concernant les femmes. — Ne te tracasse pas, Kristen. — Je devrais le haïr. C’est vrai, j’avais de l’espoir, admit-elle à regret. Mais plus maintenant que j’ai vu sa fiancée. Et pourtant, crois-moi, Thorolf, il m’a emmenée nager dans un lac juste après m’avoir surprise en train d’essayer de vous libérer. Pourquoi a-t-il fait une chose pareille ? — Je suppose qu’il n’a pas pris son plaisir là-bas ? — Il aurait pu le prendre n’importe où. Il n’avait pas besoin de m’emmener au lac. — Eh bien, c’est simple. Cet homme est fou de toi et ça ne risque pas de changer de sitôt. — Fou de moi ? Non, c’est moi qui suis folle de lui. Je sais que je devrais le haïr, je le voudrais… J’aimerais qu’il se marie demain pour qu’il m’oublie enfin. Thorolf semblait très amusé. — J’ai pitié de ton Saxon, Kristen, je t’assure. Qu’il t’oublie ? Odin nous aide ! Si jamais tu te lasses de lui, espérons pour notre sauvegarde qu’il n’aura pas le cœur brisé ! Kristen considéra cet aspect de la question avec intérêt puis elle rit à l’idée de Royce au cœur brisé. C’était une idée ridicule, absurde, mais bien agréable et elle était reconnaissante à Thorolf de l’avoir exprimée. Ce fut ainsi que Royce la découvrit quand il arriva sur le seuil de la pièce : tout contre le Viking, leurs mains mêlées et riant tous les deux. Sa première impulsion fut de réduire le jeune Viking en bouillie. Le silence s’abattit sur la pièce et Kristen se retourna pour voir ce qui se passait. — Je crois que je suis restée trop longtemps, gémit-elle à voix basse. Thorolf la soutint de la main tandis qu’elle se redressait. — Tu crois qu’il va oser entrer te chercher ? Cette question l’effraya. — Regarde-le. Il n’a pas envie de rire, je peux te l’assurer. Tu veux qu’il me traîne hors d’ici ? — Je me demande ce qui arriverait s’il essayait. À cet instant, elle comprit où il voulait en venir. — Thorolf ! — Nous pouvons nous occuper de lui, Kristen, annonça-t-il calmement, les yeux rivés à ceux du Saxon. Comme otage, il sera aussi bien que son roi. Là-dedans, ils ne peuvent pas nous atteindre avec leurs flèches. — Je le connais, Thorolf. Écoute-moi bien. Son peuple et son devoir passent avant tout. Il est persuadé qu’un massacre sera perpétré si vous vous libérez. Je ne suis pas parvenue à le convaincre du contraire. Il sera prêt à se sacrifier plutôt que de donner l’ordre de vous délivrer. Thorolf avait son propre raisonnement. — Ses gardes ne l’écouteront pas si sa vie est menacée. — Ça ne marchera pas ! — Ton cousin n’est pas d’accord. Regarde-le, Kristen. Ohthere a tiré les mêmes conclusions que moi. Si ton Saxon est assez fou pour venir parmi nous te chercher, alors il mérite ce qui va lui arriver. Il n’avait pas le droit ! Thorolf ne pouvait la forcer à choisir entre eux et Royce. Si elle courait hors de la hutte à présent, personne ne la retiendrait mais elle enlèverait ainsi à ses amis une chance – peut-être la dernière – de retrouver la liberté. Mais si elle restait… Royce risquait d’en mourir. Thorolf devina ses pensées. Il lui lâcha la main, lui laissant l’entière responsabilité de son choix, mais il ajouta avec tendresse : — Nous ne le tuerons pas, Kristen. Cela ne servirait à rien. Cela n’avait plus d’importance maintenant. Le choix n’appartenait plus à Kristen car la patience de Royce avait atteint ses limites. Au lieu de fermer la porte et de la forcer à sortir par un autre moyen, son arrogance – sa maudite arrogance – le poussa en avant. On aurait dit qu’il traversait son hall au milieu de ses fidèles serviteurs. Il semblait détendu, parfaitement à son aise au milieu de cette bande de Vikings. Visiblement, Ohthere avait du mal à se convaincre de ce qui se passait. Il avait attendu la réaction de Royce, mais maintenant qu’il accomplissait l’inimaginable, Ohthere n’y croyait pas. Des doutes semblables avaient saisi Thorolf qui semblait nettement moins confiant. De la main, il écarta légèrement Kristen afin de faire face à Royce. Elle sentit sa nervosité. Pourtant, il allait quand même tenter sa chance, essayer de terrasser Royce. Et elle ne pouvait l’avertir car cela déclencherait immédiatement les hostilités. Les Vikings étaient des gens superstitieux. Ils ne posaient pas le pied sur un de leurs drakkars sans que des sacrifices multiples aient été offerts à leurs dieux. La bravoure de Royce, qui confinait à la folie pure, les confondait. Cet élément de surprise lui permit de traverser la pièce sans être arrêté. Il l’avait déjà fait une fois, entouré par ses gardes. Cette fois, il était seul, l’épée dans son fourreau, les mains nues… Il s’arrêta devant Kristen et Thorolf. Ce dernier lâcha la main de la jeune femme. Elle s’attendait à ce que Royce la traîne au-dehors. Il était impassible mais elle savait qu’il était au bord de la crise de rage. Elle-même n’en pouvait plus. Elle avait l’impression de se liquéfier sur place à attendre qu’il se passe quelque chose. La main de Royce se détendit mais ce fut Thorolf qu’il saisit. Avec une rapidité foudroyante, Royce se déplaça. L’instant d’après, il se tenait derrière Thorolf, le bras passé autour de sa gorge, l’autre main lui appuyant sur la tête et la maintenant penchée suivant un angle horrible. En moins d’une seconde, il pouvait lui briser le cou. — Royce… Il la coupa sans même la regarder. — Tu es sans doute prête à partir maintenant. Thorolf émit un son étranglé. Elle le contempla avec frayeur. Mais ce qu’elle vit lui donna des envies de meurtre d’un autre genre. Il s’étouffait de rire ! Dieu du ciel ! Il trouvait comique d’avoir été pris à son propre piège… Elle tourna le dos aux deux hommes et s’adressa à Ohthere. — Tu le laisses partir ou tu veux qu’il tue Thorolf ? Thorolf trouve peut-être ça amusant mais le Saxon ne partage pas son sens de l’humour. Il va le tuer. — C’est ce que je vois, répondit Ohthere d’un ton qui indiquait que, lui aussi, trouvait tout cela fort drôle. Le Saxon sortira et je ne pense pas qu’il aura besoin de notre aide. Par les dents de Thor, il est toujours plein de ressources, celui-là. Profitons-en pour nous distraire encore un peu et voyons ce qu’il va inventer. Va, mon enfant, sors d’ici. Je suis certain qu’il ne tardera pas à te rejoindre. Il la serra très fort dans ses bras avant de la laisser partir. Ils savaient tous deux qu’ils risquaient de ne plus se revoir avant très longtemps. Puis il la poussa vers la porte et elle sortit tandis qu’ils lui faisaient leurs adieux bruyants. Et plus tard, pendant qu’ils se raconteraient tout cela en riant comme des petits fous, elle affronterait Royce. Et cela ne serait pas drôle du tout
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Partie 30


Toute à la joie de nager dans l’eau fraîche, elle était parfaitement détendue, en paix avec elle-même. À tel point qu’elle en oubliait la présence de Royce qui ne la quittait pas des yeux depuis la rive. Il avait avoué qu’il ne savait pas nager, et Kristen avait plongé seule. Elle avait l’impression d’être libre à nouveau et de retour chez elle, à la différence que l’eau était plus tiède ici. Et puis, chez elle, elle n’avait pas d’amant pour l’attendre sur la rive. Quand elle émergea enfin de l’eau, Royce ne lui laissa même pas le temps de se sécher. Il la prit dans ses bras et se mit en devoir d’essuyer des lèvres l’eau qui ruisselait sur sa bouche, ses joues, ses seins. Elle n’avait pas la force de lui refuser ce plaisir au clair de lune. Elle n’était même pas capable de simuler une résistance. Elle avait envie de lui, elle voulait lui rendre un peu du bonheur qu’il lui avait offert en l’amenant ici. Il ne pouvait comprendre ce qu’il lui avait donné. Peut-être s’en rendit-il compte peu après. Jamais elle ne l’avait aimé avec une telle fougue, une telle passion. S’il avait cru la connaître, il découvrit cette nuit-là qu’elle cachait des trésors d’amour insoupçonnés. Il ne risquait pas d’oublier cet intermède au bord du lac. À la différence de Kristen, il ne put trouver le sommeil. Elle s’en aperçut au petit matin en se réveillant. Il se tenait là, veillant sur elle comme sur une relique. À en juger par les cernes sombres sous ses yeux, il n’avait pas fermé l’œil. Il la serrait contre lui. Elle avait dormi dans le nid douillet de ses bras. Ils ne s’étaient pas rhabillés. Kristen se redressa et s’étira voluptueusement avant de se tourner vers Royce et de hocher la tête d’un air réprobateur. — Vous auriez dû dormir, milord. — Et te laisser me voler mon cheval ? — Tu es injuste. Tu ne vas pas me reprocher ton manque de sommeil ? Tu aurais très bien pu me ramener et me faire surveiller par tes hommes. — Je croyais que tu n’aimais pas mes chiens de garde ? — Et qu’as-tu fait toute la nuit ? Il se redressa à son tour en souriant. — Il fallait que je veille sur toi. C’était une tâche pénible dont je me suis fort bien acquitté. Non ? Elle éclata de rire. — Tu es impossible mais je te suis reconnaissante. C’était bien plus confortable ici, sur l’herbe, que sur les dalles du hall. — Tu veux dire que je suis confortable ? — Entre autres… Du bout de l’index, il suivit la ligne de son cou avant de se perdre dans la vallée qui séparait ses seins. — Dès ce soir, tu reviendras dans mon lit. — Et qu’est-ce qui te fait croire que j’en aie envie ? demanda-t-elle, moqueuse. — Rien… Je le sais. Elle secoua la tête. — Ici, nous avons eu une trêve, mais dès que nous serons rentrés… — Chut ! De ses lèvres, il frôla celles de Kristen, il butina son cou. Tout à coup, il la coucha en travers de ses cuisses. Surprise, elle poussa un petit cri aigu. — Maintenant, admets-le. Tu aimes être dans mon lit. Il était incorrigible, ce matin. Et elle était d’humeur tout aussi badine. — Pour ça, oui ! Ton lit me plaît, Saxon. C’est un bon lit ! Elle ne laissait planer aucun doute : elle ne parlait que du lit. Il se remit à lui butiner la bouche, le visage. — Je ne te lâcherai pas… Il lui mordit la lèvre inférieure. — … jusqu’à ce que tu admettes… Il lui lécha l’autre lèvre. — … que tu as envie de moi, conclut-il. — Dans ce cas, milord… Elle noua les bras autour de son cou, mêlant ses doigts aux boucles brunes. — … nous sommes là pour un bon moment !     La matinée tirait à sa fin quand ils décidèrent de revenir au manoir. Kristen avait nagé une dernière fois avant de se rhabiller, mais Royce ne voulait pas qu’ils rentrent directement. Il la fit monter en selle devant lui et la mena à travers des forêts, des champs cultivés, des prairies couvertes de fleurs sauvages. Il lui montra ses terres, ses gens, leurs villages. Elle découvrit que ceux qui travaillaient au château ne représentaient qu’une infime minorité de ses sujets. Il y en avait beaucoup d’autres qui labouraient la terre, s’occupaient du bétail, chassaient dans les forêts. Et elle sentait la fierté de Royce tandis qu’il lui montrait tout cela. Cette visite fut une promenade enchantée. La bonne humeur avec laquelle ils s’étaient réveillés se transformait en bonheur. Fatigués, bien des hommes devenaient irritables. Pas Royce. Il se montrait joyeux, taquin. Il buvait la moindre de ses paroles. Puis il lâchait les rênes de leur monture et elle les rattrapait en catastrophe tandis qu’il s’agrippait à ses seins. Il ne tenait plus en place et profitait largement du fait qu’elle montait en amazone, sa robe se soulevant très, très haut. Elle avait beau donner des claques sur ses mains baladeuses, celles-ci n’en continuaient pas moins à fouiller, à chercher… et à trouver. Il la taquinait jusqu’à ce qu’elle demande grâce puis l’embrassait, la cajolait. Il ne pouvait tout simplement pas la laisser tranquille. Et Kristen aimait cela. Elle se sentait libre, aimée. Ce fut à regret qu’elle retrouva le hall et la réalité. Elle retournerait bientôt à son travail. Et il irait sans doute tout droit se coucher puisque Alden avait conduit le roi et sa suite à une partie de chasse. Ils les avaient d’ailleurs entendus dans la forêt mais Royce ne les avait pas rejoints. Il l’aida à descendre de cheval mais ses mains s’attardèrent encore sur sa taille. Il semblait préoccupé à présent. Peut-être était-il déprimé par la fin de leur idylle ? Elle avait envie de le croire. — Tu as les joues toutes roses. Kristen sourit faiblement. — Le grand air, dit-elle. — Peut-être. Mais tu as les yeux qui brillent aussi. J’aimerais t’entendre dire que tu as aimé cette promenade. On emmenait son cheval. Il y avait au moins trois hommes autour d’eux. — Vraiment ? Et tu es prêt à me garder ici jusqu’à ce que je le dise ? Il éclata de rire avant de la soulever dans ses bras pour l’embrasser goulûment. Il la reposa sur le sol et la gratifia d’une tape sur les fesses. — Sorcière ! Je ne serai pas rustre au point de te garder dans les écuries. Mais, tout à l’heure… — Des menaces ! Toujours des menaces ! s’écria-t-elle, taquine. Je suppose qu’il va me falloir l’admettre. C’est vrai, cette promenade m’a beaucoup plu. — Eh bien, puisque tu es d’humeur si conciliante, tu… — Non, Saxon, je ne fais qu’une concession par jour. Il ravala son rire, tentant vainement de paraître déçu. — Tu n’as aucune pitié pour un pauvre hère, ô cruelle ! dit-il en la conduisant hors des écuries. — Quelle louable insistance ! soupira-t-elle. Il rit de bon cœur. — J’abandonne… pour cette fois. Il laissa sa main sur l’épaule de Kristen tandis qu’ils traversaient la cour. Ce fut d’une voix nettement plus hésitante qu’il reprit la parole. — Ce ne sera pas très souvent mais, quand je le pourrai, tu viendras encore avec moi au lac ? Stupéfaite, Kristen lui lança un regard en coin. Il lui donnait quelque chose à attendre, à espérer, qu’il s’en rende compte ou non. Et c’était énorme. C’était ce dont elle avait le plus besoin en ce moment. — Cela me plairait beaucoup, milord. Mais pourrais-je avoir un cheval la prochaine fois ? — Non. — Je sais monter. — C’est ce que Thorolf m’a dit. — Tu ne me fais toujours pas confiance… — Bien sûr que non. Il sourit avant de continuer : — Mais surtout, j’aime t’avoir sur la selle devant moi… — Royce ! — Tu rougis ? Par le Ciel ! Elle rougit ! — Arrête, Saxon, ou je… Il ne sut jamais ce qu’elle comptait faire. Il suivit son regard pour voir ce qui l’avait subitement pétrifiée. Corliss se tenait à l’entrée du hall, une de ses sœurs sur les talons – l’air de vouloir se transformer en statues de sel. — Vous avez oublié qu’elle était là, milord, murmura Kristen. Un regard à Kristen lui apprit qu’elle ne compatissait pas le moins du monde. Ses yeux brillaient de malice. Sorcière sans pitié, elle voulait le voir aux prises avec sa fiancée délaissée. — Milady, dit Royce avec raideur en guise de salutation. — Milord, répliqua Corliss, tout aussi froide. Elle ne s’écarta pas pour laisser le passage à Kristen. En fait, elle l’examinait d’un air inquisiteur. — Qui est cette géante difforme ? Royce serra les mâchoires. Les muscles de son cou roulèrent de façon alarmante. Cette réaction aurait stupéfié Kristen si elle l’avait vue, mais elle ne regardait pas Royce. Elle toisait Corliss dont le sommet du crâne ne lui arrivait pas au menton. Sa taille n’avait jamais représenté une gêne pour Kristen. Elle ne fut donc pas blessée par cette insulte grossière. En fait, elle était plutôt amusée par l’évidente jalousie de Corliss. Elle n’avait pas non plus pour habitude de mâcher ses mots. Aussi répondit-elle d’un ton placide : — Si c’est de moi qu’il est question, milady, je dois vous dire que là d’où je viens, on ne garde pas les bébés chétifs car ils ne pourraient survivre à notre rude climat. — Barbare ! s’étrangla Corliss. — Oui, je comprends votre point de vue, répliqua Kristen en la parcourant d’un regard éloquent de la tête aux pieds. — Milord…, cria Corliss tandis que deux taches rouges apparaissaient sur ses joues. Kristen ne la laissa pas continuer. — Pardonnez-moi, milady. Je vois à présent que votre question ne concernait pas ma taille et que vous vous intéressiez uniquement à ma personne. Mais alors, lord Royce pourra simplement vous dire que j’ai été capturée et asservie. De moi, il ne sait que ce que je lui ai dit, c’est-à-dire pas grand-chose. N’est-ce pas, milord ? Il gardait un air affable mais elle ne s’y trompa pas : il était furieux. Il la poussa dans le hall malgré Corliss et donna un ordre bref à un homme pour qu’on la remette au travail. Elle avait donc outrepassé les limites qu’il lui avait fixées… Mais elle ne s’en souciait pas et le regard qu’elle lui adressa par-dessus son épaule tandis qu’on la conduisait vers la cheminée le lui signifiait clairement. Royce eut toutes les peines du monde à attendre que Kristen eût disparu avant d’éclater de rire. Aussitôt, ses yeux tombèrent sur Corliss et il se ressaisit. Dans son irritation, il jura. Ce fut suffisant pour faire fuir la sœur de Corliss. Quant à celle-ci, elle tressaillit et se détourna, outrée. Il la retint par l’épaule. — Non, milady, vous allez vous expliquer. — Royce, vous me faites mal ! Il jura à nouveau tandis que de grosses larmes brillantes apparaissaient dans les yeux de Corliss. Il la lâcha immédiatement. Elle était aussi frêle qu’une enfant. Il ne s’en était jamais rendu compte jusqu’à aujourd’hui. Mais après Kristen qui donnait autant qu’elle recevait, qui ne craignait pas de se mesurer avec lui et qu’il n’avait pas vue pleurer une seule fois, il ne supportait plus Corliss et ses sanglots. — Séchez vos larmes, dit-il avec brusquerie. Je connais ma force et je sais que je ne vous ai pas fait mal. Pourquoi pleurez-vous ? Ses pleurs cessèrent aussitôt mais elle affectait un air de martyre. — Vous êtes grossier ! — Moi ? Et comment qualifiez-vous la petite insulte dont vous avez gratifié la Viking ? — Quelle insulte ? se défendit-elle. Je n’ai fait que dire la vérité. Sa taille la rend difforme. — Elle n’est pas aussi grande que moi, Corliss. Que suis-je donc à vos yeux ? — Vous ? Mais vous êtes un homme ! Il est normal que vous soyez grand. Ce qui est anormal, c’est qu’elle soit plus grande que la plupart des hommes. — Pas la plupart des hommes, répliqua-t-il sèchement. La plupart des Saxons. Il y a seize Vikings là-bas, et ils sont tous plus grands qu’elle. Vous voulez les voir ? — Vous plaisantez ! s’exclama-t-elle. — Oui, je plaisante, soupira-t-il. Excusez-moi, Corliss. Je suis irritable quand je suis fatigué et je suis… très fatigué. Elle ignora l’insinuation. — Que faisiez-vous avec elle, Royce ? Il serra les dents pour retenir un nouveau juron. — Vous n’êtes pas encore ma femme, mes affaires ne vous concernent pas. — Et si j’étais votre femme ? — Vous auriez appris à ne pas poser de questions. Cette attitude n’offensa pas Corliss car c’était celle de la grande majorité des hommes. Mais le ton lui déplut et les larmes gonflèrent à nouveau ses yeux. Royce, écœuré, l’abandonna
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Parti 29



Une unique torche brillait encore près de l’escalier. Quelques bruits sporadiques s’élevaient dans le hall : une quinte de toux, des grognements… Eda ronflait doucement. Elle avait conduit Kristen vers son coin réservé, un endroit convoité, près de la cheminée éteinte, car il y faisait frais en été et chaud en hiver. Il ne restait plus de paillasse pour Kristen car toutes étaient utilisées par les invités. Une mince couverture sur le sol dur lui servait de lit. L’inconfort de cette situation l’aida à rester éveillée. Pour rien au monde, elle ne se serait endormie cette nuit. Elle se redressa doucement et observa le hall autour d’elle. Seules quelques femmes dormaient à proximité mais suffisamment loin pour qu’elle ne trouble pas leur sommeil. Eda venait enfin de s’endormir. Elle aurait préféré attendre un peu plus longtemps au cas où quelqu’un serait encore éveillé, mais elle ne pouvait plus se permettre de gaspiller un temps précieux. Elle partait. La décision avait été facile à prendre car une si belle occasion ne se représenterait pas de sitôt. La veille, elle avait demandé à Royce si le roi resterait encore longtemps. Il avait été incapable de lui répondre. Alfred pouvait partir demain, dans une semaine ou dans un mois. Avec le départ du roi, Kristen retrouverait ses chaînes le jour, et la chambre de Royce la nuit. Une si belle occasion ne se représenterait jamais… Elle devait tenter sa chance ce soir, dans ce hall surpeuplé. Ici, les fenêtres étaient grandes ouvertes et Kristen n’avait qu’un bond à faire pour se retrouver dans la cour. L’aube était encore loin, ce qui lui donnait pas mal de temps avant qu’on ne découvre sa disparition. Si la décision avait été facile à prendre, elle n’en provoquait pas moins chez Kristen un sentiment de désolation. Elle savait qu’il n’y avait aucun espoir pour elle ici, mais elle avait le cœur brisé à l’idée de ne plus jamais revoir Royce. Elle lança un dernier regard à Eda plongée dans un profond sommeil. La vieille femme lui manquerait elle aussi, avec sa gentillesse bourrue. Et la petite Meghan qui l’attendrissait avec sa curiosité et son discret besoin d’affection. Ces pensées n’empêchèrent pas Kristen de se glisser jusqu’à la fenêtre. Personne ne broncha quand elle l’enjamba. En proie à une tristesse infinie, elle hésita un long moment. Finalement, sa fierté lui donna la dernière impulsion. Le clair de lune inondait la cour de lumière. Kristen se réfugia immédiatement dans l’ombre du mur. Autour d’elle, tout était calme, endormi. Elle longea le mur jusqu’à l’autre partie de la cour où se trouvaient les écuries, l’entrepôt et la prison de fortune qui abritait son cousin et les autres. Elle n’avait pas vu cet abri achevé, mais elle savait que c’était une sorte de hutte en pierre, étroite et sans fenêtres. Il devait être déplaisant d’y dormir, mais moins que de passer la nuit sous la pluie comme avant. Elle aurait préféré qu’il pleuve. La nuit était trop claire, trop silencieuse. Le moindre de ses pas semblait résonner à des centaines de mètres à la ronde. Cela n’entama pas sa détermination. Personne n’était là pour la voir ou l’entendre. Elle avait le champ libre. Elle dépassa les écuries. Ils auraient bien sûr besoin de chevaux mais pas de ceux-là. Les grandes portes étaient fermées et verrouillées la nuit, et nul doute qu’un homme montait la garde. Même sans garde, il n’était pas envisageable de faire sortir les chevaux. Le vacarme réveillerait tout le monde. Mais elle savait que les chevaux de Royce avaient été pour la plupart emmenés aux pâturages. Il leur suffisait maintenant de trouver ces pâturages. En revanche, un problème auquel elle n’avait pas pensé l’attendait devant la prison. Un homme en gardait la porte. Elle se cacha au coin du bâtiment, le cœur battant. L’avait-il entendue ? Pendant de longues secondes rien ne se passa et elle risqua un coup d’œil. L’homme était toujours assis, adossé à la porte, la tête penchée en arrière. Elle poussa un soupir de soulagement. Il dormait. Elle n’avait pas imaginé une seule seconde trouver un garde ici, car la porte était verrouillée. À présent, elle devait l’éliminer. Avec un peu de chance, l’homme portait sur lui les clés de l’énorme serrure qui fermait la porte. Kristen retourna derrière le bâtiment pour chercher une pierre assez grosse pour assommer le garde. Bien sûr, elle aurait pu lui subtiliser sa dague et profiter de son sommeil pour le tuer, mais cette solution lui répugnait. Malheureusement, il n’y avait pas de grosses pierres dans la cour et elle dut se rendre jusqu’au chantier de la muraille où les rocs étaient entassés. Là, il lui fallut encore un moment avant de trouver ce qu’elle cherchait. Elle revint alors vers la prison. Son pouls s’accéléra tandis qu’elle s’approchait de la forme endormie. Si elle frappait trop fort… Dieu lui vienne en aide, elle ne voulait pas le tuer mais simplement l’étourdir. La pierre s’abattit sur la tempe de l’homme et il glissa sur le côté. Il respirait. Cela suffit à soulager la conscience de Kristen pour l’instant. Elle le fouilla rapidement à la recherche d’une clé – en vain. Elle allait perdre encore du temps pour forcer la serrure. Au moins avait-elle maintenant une dague à sa disposition. Elle se précipita vers la porte et appela tout bas : — Ohthere, Thor… Une grande main se plaqua sur sa bouche, la réduisant au silence, tandis qu’une autre s’emparait de son poignet droit. — Lâche ça. Tout de suite. Elle obéit, éprouvant un curieux mélange de peur et de soulagement en reconnaissant cette voix. Il lui lâcha le poignet dès que la dague heurta le sol, et il la saisit à bras-le-corps. Il ne serrait pas trop fort mais elle savait qu’elle n’avait aucune chance de lui échapper. Tout à coup, la voix étouffée de Thorolf retentit de l’autre côté de la porte. Il l’avait entendue, il devait penser qu’elle venait les libérer. — Kristen ? Kristen, réponds ! Dis-moi que je ne rêve pas… — Que dit-il ? lui murmura Royce à l’oreille. — Il sait que c’est moi… — Raconte-lui ce qui s’est passé. Que s’était-il passé au juste ? Comment avait-il su ? Alors qu’elle touchait au but, elle venait d’être arrêtée par le seul homme ici qu’elle ne pouvait combattre. Si ç’avait été n’importe qui d’autre… — Thorolf, je suis désolée… J’ai failli réussir mais le chef saxon m’a arrêtée. Il est ici. Il y eut un long silence derrière la porte. — Tu n’aurais pas dû venir nous aider, Kristen, répliqua Thorolf. Tu aurais dû fuir puisque tu en avais l’occasion… — Ça n’a plus d’importance maintenant. — Que va-t-il te faire ? Comment pouvait-elle le savoir ? Elle se tourna vers Royce. — Il veut savoir ce que tu vas me faire. — Que se serait-il passé si tu avais réussi à ouvrir cette porte ? Il était d’un calme terrifiant. Par le Ciel ! Pourquoi ne hurlait-il pas ? Il la maintenait de telle façon qu’elle ne parvenait toujours pas à distinguer ses traits. Il devait être furieux. — Si j’avais ouvert cette porte, nous aurions couru jusqu’à cette barrière, là-bas, et nous serions partis. — Après le massacre ? — Vous plaisantez, milord. Il n’y a que seize hommes là-dedans. Presque tous les chevaliers du roi dorment dans votre hall ainsi que vos propres gardes. Vous avez une armée bien entraînée. Les Vikings sont braves, milord, mais pas stupides. — Alors, dis-lui que tu n’as rien à craindre puisque tu n’as fait que frapper un garde qui le méritait pour s’être endormi pendant son tour de veille. Elle ne le crut pas. Il allait la punir. Il y était forcé. On ne pouvait faire preuve de clémence envers une esclave qui avait tenté de s’échapper et qui avait voulu aider d’autres esclaves à s’enfuir. Mais elle préféra ne pas alarmer Thorolf. Elle expliqua rapidement ce que lui avait dit Royce mais Thorolf fut aussi perplexe qu’elle. — Il ne vous croit pas, milord. — Dis-lui que tu leur apporteras leur nourriture demain matin, et qu’ils pourront apprendre de ta bouche le traitement que tu auras subi. Un frisson lui parcourut le dos. Elle traduisit exactement ces paroles à Thorolf qui parut satisfait. De toute manière, Royce n’avait pas l’intention de laisser cette conversation se prolonger. Il entraîna Kristen, un bras autour de sa taille. Elle était terrifiée maintenant. La menace était claire : « Le traitement que tu auras subi » … Tout à coup, il s’immobilisa. Ils se trouvaient devant les écuries. Il la força à lui faire face. La tête rejetée en arrière, il examinait le ciel comme pour profiter de ce magnifique clair de lune. Il soupira. — Je t’ai proposé l’autre nuit d’aller nous baigner au lac, déclara-t-il tranquillement. Tu veux y aller, ce soir ? — Tu veux me noyer ? Il plongea le regard dans le sien, et sourit. — Tu ne crois pas ce que j’ai dit à Thorolf ? — J’ai essayé de fuir. Tu m’en as empêchée… mais j’ai quand même essayé. Qu’est-ce que ta loi prévoit pour un tel crime ? — Tu es une prisonnière, pas une Bretonne. Les lois sont plus floues en ce qui concerne les prisonniers. Mais aucune loi n’entre en ligne de compte ici, car personne ne sait ce que tu as fait… sauf moi. — Et le garde. — Il croira qu’il a rêvé et qu’il s’est fait cette bosse en tombant. Peut-être qu’il ne dormira plus pendant son service… Elle ouvrit de grands yeux. — Tu es sincère ? Tu ne veux vraiment pas me punir ? — Le loup se coupe la patte pour s’échapper du piège. Il y parvient, mais à quel prix… Si tu t’étais enfuie avec les autres, je vous aurais retrouvés. Tes amis se seraient défendus et le sang aurait coulé. Cela aurait été un terrible châtiment pour toi. Mais tu as échoué. Je comprends le loup, je peux donc aussi comprendre ce qui t’a poussée. Tu veux ta liberté. Comment te punir pour cela ? Mais je ne peux pas non plus te laisser partir. — Tu le pourrais, affirma-t-elle. Les autres construisent ton mur. Leur tâche est nécessaire à Wyndhurst. Mais ce que j’accomplis dans le hall n’a aucune importance. Tu n’as aucune raison de me garder ici. — Tu m’es nécessaire, Kristen. À moi. La force de ces mots la réduisit au silence, mais elle se méfiait encore. Il était peut-être sincère, mais ce n’était pas une raison pour le croire. Elle l’obsédait pour le moment, car il n’avait jamais connu de femme comme elle. Bientôt, cette obsession prendrait fin et il n’aurait plus besoin d’elle. Sans doute dès qu’il aurait épousé cette jolie lady. D’ici là, que Dieu l’aide, elle devrait lutter par tous les moyens pour garder une once de dignité. Royce l’attira contre lui. Elle se raidit. — Tu as toujours des doutes ? — Non, mais m’emmener au lac après ce que j’ai fait… c’est comme si tu me récompensais de t’avoir défié. Tu me troubles, Saxon. Il rit et la serra plus fort. — Je suis content de te l’entendre dire. J’ai trop longtemps été le seul troublé. C’est un plaisir que tu le sois à ton tour. Non, poursuivit-il tandis qu’elle s’efforçait de se libérer, je vais tenter de dissiper ton trouble… ce qui est plus que ce que tu as fait pour moi. — Eh bien ? — J’ai simplement choisi d’oublier. Je suis descendu dans le hall pour t’emmener au lac. Quand j’ai découvert que tu étais partie… Il ne put lui dire ce qu’il avait ressenti à cet instant-là. Il ne voulait plus jamais éprouver un sentiment pareil. Il lui caressa la joue des lèvres avant de poursuivre : — Le sang n’a pas été versé, Kristen. Je sais deviner tes intentions et j’espère que tu es maintenant convaincue qu’il est inutile d’essayer de fuir. — Tu savais ? murmura-t-elle. C’est pour cela qu’il y avait un garde… — Je n’avais pas choisi le bon, avoua-t-il. Comprends-moi, je ne veux prendre aucun risque en ce qui te concerne. Il ne la laisserait jamais partir. En tout cas, pas avant qu’il ne trouve son plaisir ailleurs. — Quand vous mariez-vous, milord ? Elle l’avait surpris. Elle le sentit se crisper. — À quoi penses-tu, sorcière ? — Cela ne me concerne-t-il pas ? — Non. — Je suis curieuse, milord. — Je ne crois pas que ce soit de la simple curiosité. Essaierais-tu, par hasard, de me mettre en colère ? Ce fut au tour de Kristen d’être surprise. — Pourquoi donc ? C’est une question assez banale, milord, qui me concerne effectivement. Quand votre femme vivra ici, il y aura des changements. Ce sera elle qui partagera votre chambre, pas moi. Si elle croyait l’apaiser, elle se trompait lourdement. — Et tu es pressée que cela arrive ? s’emporta-t-il. Eh bien, laisse-moi te décevoir car ce n’est pas pour tout de suite. Nous n’avons pas encore fixé la date du mariage. Kristen répondit sans réfléchir, avec son cœur. — En vérité, je ne suis pas déçue. Cette fois, Royce parut se calmer. Il se mit à rire. — Votre hilarité est mal venue, s’insurgea Kristen pour qui cette réaction était incompréhensible. Votre fiancée peut vous… — Chut ! Ne parle plus d’elle… Je n’ai toujours pas envie de retourner dans ma chambre où Averill ronfle comme trois sangliers. Alors, tu veux bien venir au lac avec moi ? Ce n’était pas juste. Il n’avait pas le droit de la tenter ainsi… Mais comment se serait-elle privée d’un tel plaisir ? Elle adopta un ton mesuré. — Je veux bien. La voix de Royce devint rauque. — Et tu me laisseras te faire l’amour ? — Tu n’avais pas parlé de conditions ! — Non ? Tant pis ! Je tente quand même ma chance
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Partie 28


De nouveaux invités arrivèrent à Wyndhurst. Lord Averill venait présenter ses hommages au roi. Son fils unique, Wilburt, et ses trois filles l’accompagnaient. Ces nouveaux venus n’auraient guère attiré l’attention de la jeune Viking si lady Corliss de Raedwood ne s’était trouvée parmi eux. Edrea, qui travaillait à côté de Kristen, lui chuchota le nom de la nouvelle venue. Mais n’importe qui se serait douté de son importance en voyant l’accueil que lui réservait Darrelle. Ainsi, c’était donc là la fiancée de Royce… Kristen ne fut pas surprise de constater l’éclatante beauté de Corliss. Celle-ci était petite, délicate et gracieuse – tout ce que n’était pas Kristen. Et elle s’était imaginé pouvoir arracher Royce à cette rivale… Par le Ciel, elle était encore plus stupide qu’elle ne l’avait pensé jusqu’ici. Une chose lui procura néanmoins un léger réconfort : Royce n’était pas présent pour accueillir sa future femme. Elle n’aurait pas supporté de le voir déployer toute la tendresse et la galanterie dont il était capable. Il était déjà assez pénible de voir les attentions que Darrelle, les serviteurs et même Alden, arrivé un peu plus tard, lui témoignaient. Il était évident que s’ils la traitaient tous ainsi, c’était uniquement parce qu’elle allait devenir la maîtresse de Wyndhurst, supplantant Darrelle qui occupait cette position en tant que plus proche parente de Royce. Il existait pourtant une personne dans la maison qui ne se souciait pas de gagner les faveurs de la dame : Meghan. Bien sûr, l’enfant ne pouvait comprendre que cette femme serait bientôt entièrement responsable de son éducation. Mais Kristen eut chaud au cœur en voyant Meghan secouer la tête quand Corliss lui demanda d’approcher. La petite fille la gratifia même d’une grimace avant de se réfugier à l’autre bout du hall. Darrelle ne remarqua rien. Quant à Corliss, elle serra les lèvres, l’air pincé, mais elle ne rappela pas Meghan. Et Kristen réprima une forte envie d’éclater de rire. Elle aurait été bien incapable de faire preuve d’une telle maîtrise de soi si elle avait aperçu Alden. Ayant surpris la mimique de Meghan, celui-ci faisait en effet de son mieux pour cacher son hilarité. Quelques instants plus tard, Kristen sentit qu’on tirait sur sa robe. Elle baissa les yeux et vit Meghan qui s’était débrouillée pour traverser le hall à l’insu de tous et venir jusqu’à elle. L’enfant n’osait la regarder. — Tu es toujours en colère contre moi ? Kristen fronça les sourcils, intriguée par cette question. — Pourquoi le serais-je ? — J’ai répété à mon frère ce que tu m’as raconté… et Alden a dit que je révélais des secrets, expliqua Meghan en levant enfin les yeux vers Kristen. Je ne savais pas, je te le promets. — Et tu croyais que j’étais en colère ? — Oui. Je t’ai bien vue le lendemain. Tu n’étais vraiment pas contente… Kristen sourit en se remémorant cette journée. — Je n’avais rien contre toi, mon cœur. Ce que tu as dit à ton frère n’a rien changé. C’était un mensonge car les révélations de Meghan avaient, au contraire, changé beaucoup de choses. C’était après avoir appris que Selig était son frère que Royce lui avait fait l’amour pour la première fois, et cela, Kristen ne pouvait le regretter. L’enfant se renfrogna. — Alors, je t’ai évitée pour rien. Kristen émit un rire étouffé qui attira l’attention d’Eda. — Que fais-tu ici, mon enfant ? demanda la vieille servante à Meghan. — Je parle, rétorqua celle-ci. Eda lança un regard inquiet à Kristen. — N’oublie pas ton travail… — Je ne l’oublie pas. — Je peux t’aider ? s’enquit Meghan. À ces mots, Eda secoua la tête d’un air accablé et s’éloigna. Kristen ne savait pas quoi dire à Meghan qui attendait toujours sa réponse. Elle jeta un coup d’œil vers le groupe de femmes réunies à l’autre bout du hall. — Tu ne devrais pas être ailleurs, Meghan ? demanda-t-elle. À son tour, Meghan regarda les femmes avant de répondre avec entêtement : — Je préfère être ici que là-bas. Kristen réprima un sourire. — Pourquoi n’aimes-tu pas lady Corliss ? Meghan la dévisagea d’un air étonné. — Comment le sais-tu ? — J’ai vu ta grimace. — Oh… La petite fille rougit, baissa la tête et se rongea un ongle avant de se défendre. — Elle n’avait pas vraiment envie que je vienne près d’elle. Elle dit des choses qu’elle ne pense pas. Elle est toute gentille maintenant mais elle n’était pas comme ça avant les fiançailles. — Je vois. — C’est vrai ? s’écria Meghan avec espoir. Tu ne penses pas que j’ai tort de ne pas l’aimer ? — Tes sentiments t’appartiennent, ils ne peuvent être commandés par personne. Mais puisque ton frère l’aime, tu devrais essayer de faire des efforts. — J’ai essayé, admit Meghan avec une pointe de rancune. Mais, un jour, Royce m’a emmenée avec lui à Raedwood et elle m’a pincée. Alors, je suis partie et je les ai laissés tous les deux. — Il n’a rien dit ? — Non, mais il ne l’a pas vue quand elle m’a fait ça. Kristen fronça les sourcils. — Tu aurais dû le lui dire. — Il n’aurait pas été content. Et Meghan n’osait pas mécontenter son frère. Kristen soupira. Il fallait que cette enfant comprenne que les colères de son frère n’avaient rien de bien terrible – en tout cas, pas pour elle. Il traitait Meghan avec la plus grande tendresse. Kristen avait vu comment il la portait dans sa chambre lorsqu’elle s’endormait dans le hall. Elle avait eu l’impression de revoir son propre père. Royce aimait sa petite sœur de tout son cœur et, malgré cela, elle avait encore peur de lui. Kristen secoua la tête avec tristesse. Tandis que Meghan l’observait, elle s’inquiéta : — Tu veux que je parte ? — Quoi ? Oh ! non, mon cœur, pas du tout ! Mais tu es sûre que tu ne te feras pas gronder si tu restes là ? — Il y a tellement d’invités que personne ne me remarque. — Alors, assieds-toi sur ce tabouret et je vais te montrer comment je fais le pain aux noix, celui que préfère mon père. — Il aime les noix dans le pain ? — Bien sûr ! Kristen cligna de l’œil en fouillant dans une des poches de sa robe. Elle en sortit une poignée de noix. — J’ai subtilisé celles-là à Eda avant qu’elle ne puisse en farcir ses poulets. On va faire deux petits pains rien que pour nous. Tu veux ? — Oh ! oui, Kristen ! s’exclama Meghan dont le petit visage s’illumina. Ce sera notre secret…     Meghan s’était trompée. Dès qu’il pénétra dans le hall, Royce la repéra. En fait, comme toujours, son regard cherchait Kristen et il remarqua tout de suite sa petite sœur assise près d’elle. Toutes deux penchées sur la table, elles riaient de bon cœur, insouciantes de tout ce qui les entourait. Il s’immobilisa, heureux de voir sa sœur et sa femme si proches, et aussi un peu surpris. La plupart de ses gens redoutaient Kristen. Il était étrange de constater que Meghan – qu’un rien effrayait – ne semblait pas la craindre le moins du monde. À l’évidence, elles s’appréciaient et il en éprouvait un réel plaisir. Il s’apprêtait à les rejoindre quand Darrelle l’appela. Ce fut alors qu’il vit Corliss. Il se raidit. Comment avait-il pu l’oublier ? Lord Averill était venu jusqu’au champ d’exercices où Alfred avait proposé à ses seigneurs un petit concours d’adresse. Et chaque fois qu’Averill venait à Wyndhurst, ses filles l’accompagnaient. Pourquoi en aurait-il été autrement aujourd’hui ? Royce serra les dents et se dirigea vers sa fiancée.     Kristen observa Royce et Corliss toute la soirée, qu’ils passèrent assis côte à côte à la longue table. Elle était incapable de s’en empêcher, malgré la douleur qui lui serrait le cœur. Elle ne cessait de se répéter que cela n’avait aucune importance, que Royce ne lui appartenait pas, elle se sentait trahie – et complètement désarmée. Elle ne pouvait pas se battre, l’injurier, ni rien faire pour l’arracher à cette femme. Elle avait mal. Jusque-là, Kristen avait eu tendance à se cacher la vérité, à ne pas accepter qu’elle n’était qu’une esclave, car elle croyait qu’au bout du compte tout s’arrangerait selon ses désirs. Elle était certaine d’épouser Royce un jour. Bien sûr, elle avait souvent perdu patience mais jamais l’espoir. Quelle naïveté ! Parce que son père était tombé amoureux d’une esclave et l’avait épousée, elle avait cru qu’il en irait de même pour elle. Pourtant, même en Norvège où sa famille jouissait d’une position aussi élevée que celle de Royce ici, sa mère avait dû être libérée de son joug d’esclave avant de pouvoir épouser Garrick. L’amour n’avait pu briser la loi concernant les esclaves. Et ici, dans le Wessex, il y avait tant de seigneurs, tant de lois ! Royce lui-même ne l’avait-il pas traitée de folle quand elle avait évoqué le mariage ? En le voyant avec sa fiancée, Kristen ne pouvait s’empêcher de penser qu’il avait eu raison. Pas une seule fois elle n’avait considéré les choses selon le point de vue de Royce. Elle n’était qu’une esclave parmi tant d’autres. Elle avait réchauffé son lit mais bientôt, il aurait une femme. Royce l’appréciait, c’était vrai, mais tout autant qu’un de ses chevaux favoris. — Tu rêvasses ? Kristen se tourna lentement vers Eda. — Hein ? Oui, oui, peut-être… Eda l’examina, sensible à la tristesse de sa voix. — Tu t’es fait des illusions. — Je sais. Eda secoua la tête. — Tu devrais remercier le Seigneur de ce que tu as. Tu es vivante, alors qu’il aurait pu vous tuer, toi et ceux que tu appelles tes amis. Il veille sur toi. Et il te protège même des autres hommes ! La moitié de ces femmes que tu vois là seront culbutées ce soir par ces beaux seigneurs qui ne leur demanderont même pas leur avis… mais pas toi. — Inutile de toujours me rappeler la chance que j’ai. — Tu es bien sarcastique ! Si ton sort ne te plaît pas, tu peux toujours essayer de te trouver un autre homme. J’ai des yeux et j’ai bien vu comment certains de ces messieurs te regardent. Peut-être que si tu le lui demandes gentiment, lord Royce consentira à te vendre après son mariage. — Bonne idée. — Non, Viking, je plaisantais. Si tu fais ça, tous nous nous en mordrons les doigts ! Il sera enragé. — Que veux-tu dire, Eda ? — C’est simple. Il ne te vendra jamais. Tu n’es pas stupide, lui dit-elle avec impatience. Tu sais très bien l’influence que tu as sur lui. — Quelle influence ? — Tu le fais exprès ? Rappelle-toi cette semaine où rien ne lui plaisait, cette semaine où tu n’as pas voulu aller dans sa chambre… Comment appelles-tu cela ? Tout le monde ici savait que tu étais l’unique cause de sa mauvaise humeur. Et puis, comme par miracle, dès que tu as accepté de retourner le voir, il est redevenu gai comme un pinson. Les joues enflammées, Kristen contemplait le sol devant elle. — Et alors ? Il a envie de moi en ce moment, c’est tout. Ça ne durera pas. — Cet homme aura toujours envie de toi, petite. Kristen sursauta devant ce qualificatif inhabituel de la part d’une femme qui ne lui arrivait même pas à l’épaule. Mais Eda poursuivait : — Je vois comment il te regarde, comment il te cherche dès qu’il a une seconde de libre. Et je pourrais t’en dire bien plus encore si je voulais te convaincre. Mais je ne veux pas te remplir la tête de vaines espérances. Non, il ne te vendra jamais, il ne te laissera jamais à un autre. Mais il épousera sa lady. Kristen se figea. — Alors, pourquoi me dire tout ça, vieille femme ? — Parce qu’il te gardera même après son mariage. Parce que je n’aime pas te voir malheureuse. Parce qu’il faut que tu commences à accepter ton sort et que tu cesses de viser toujours plus haut. Si tu n’es pas heureuse, il ne sera pas heureux et cela nous affectera tous tant que nous sommes. — Assez, Eda. Je n’ai pas une telle influence sur lui. Si c’était vrai… — Si c’était vrai, quoi ? Oui, je sais. Tu ne tiendras aucun compte de ce que je viens de te dire. Tu vises toujours trop haut, Viking. — Ne comprends-tu pas que je ne puisse accepter mon sort, ni me résigner ? Ma mère a été réduite en esclavage autrefois, elle a été capturée exactement comme moi. Elle était la fille d’un grand seigneur dans le pays d’où elle venait et elle ne manquait pas de fierté. Elle n’a jamais accepté d’être une esclave, ni vis-à-vis de l’homme qui la possédait ni vis-à-vis d’elle-même. Je ne suis pas aussi entêtée. Je sais quelle est ma situation. Mais je reste la fille de ma mère. Je ne serai pas une esclave toute ma vie, Eda. — Tu n’as pas le choix. Kristen contempla le hall. Seules quelques torches restaient allumées. Perdue dans ses sombres pensées, elle ne s’était pas rendu compte que le repas était terminé et que presque tous les invités s’étaient retirés. Des lits de fortune s’étalaient un peu partout pour les gens du domaine et quelques hôtes moins fortunés que les autres. Elle n’avait pas vu partir Royce et sa future épouse. — Elle reste pour la nuit ? demanda-t-elle à Eda. La vieille femme grommela, sachant bien de qui elle voulait parler. — Oui. J’ai suffisamment usé ma salive pour une sourde. Viens. Tu dors avec moi, ce soir. Kristen resta stoïque. — Elle couche avec lui… — Tu n’as donc pas de pudeur ! s’indigna Eda. Tu sais qu’il n’y a que six chambres en haut. Les dames dorment avec lady Darrelle et Meghan. Lord Alden a abandonné sa chambre au roi et il est obligé de partager une des deux autres avec les seigneurs qui y sont entassés. — Alors, pourquoi… — Chut ! Milord n’en était pas vraiment ravi mais avec lord Averill et son fils qui sont arrivés aujourd’hui, il ne pouvait plus garder sa chambre pour lui tout seul. Il n’y avait tout simplement plus de place ailleurs. Kristen se représenta Royce partageant son lit avec son futur beau-père et son futur beau-frère. L’image était comique… enfin, presque
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Partie 27


Kristen fut envoyée à l’étage par Eda. Seule, sans l’escorte de la vieille servante ou de l’un des deux gardes, elle se sentait dans d’excellentes dispositions. Elle alla tout droit dans la chambre de Royce. Il était toujours en bas. La nuit était déjà bien avancée, et la plupart de ses invités s’étaient retirés. Mais le roi buvait toujours et racontait des histoires qui valaient bien celles du troubadour. Il n’aurait pas été convenable que, ce soir encore, Royce se retire avant son suzerain. Kristen ne l’ignorait pas et faisait preuve de patience. La veille, trop épuisée, elle avait oublié le marché dont ils avaient parlé, mais pas ce soir. Sa tâche avait été considérablement allégée aujourd’hui, et elle avait été autorisée à se reposer comme les autres devant la fenêtre. Et, comble de soulagement, Eda l’avait même emmenée pendant plusieurs heures hors du hall surpeuplé pour remettre de l’ordre dans les chambres des invités. Kristen savait qu’elle devait ce traitement de faveur à Royce. Si, hier, elle avait été trop fatiguée pour lui procurer le moindre plaisir, aujourd’hui, il n’en était pas de même. Elle comprenait à présent ce qu’il avait voulu dire en se traitant d’égoïste, et elle ne s’en formalisait pas. Elle attendait elle-même avec joie le plaisir d’une nouvelle nuit passée avec lui. Elle n’envisageait plus de lui résister. Il l’avait débarrassée de ses chaînes et avait montré à plusieurs reprises qu’il tenait à elle. Il s’améliorait. Un jour, il admettrait qu’il y avait entre eux davantage qu’une simple passion. Ce jour-là, il l’épouserait. Il libérerait aussi ses amis et elle pourrait envoyer un message à ses parents. Tout finirait bien par s’arranger. La route était peut-être difficile mais elle menait au bonheur. Kristen sourit en constatant que ce soir, deux énormes seaux d’eau avaient été apportés dans la chambre, ainsi que des linges supplémentaires et du savon en quantité. Elle en fit un usage rapide avant de se glisser toute nue sous le drap pour attendre son seigneur. Oui, il était son seigneur, à présent. Royce la rejoignit un quart d’heure plus tard. Kristen aurait été amusée d’apprendre qu’il s’était montré particulièrement distrait en bas. Alfred avait fini par avoir pitié de lui et s’était retiré prématurément afin de libérer son hôte. Elle fut, en tout cas, satisfaite de constater qu’elle ne s’était pas préparée en vain. Il était surpris et ravi de la trouver déjà dans son lit. Elle était allongée sur le côté, le visage dans le creux de la main afin de mieux le voir. Par le Ciel, il était splendide ! Depuis l’arrivée de la Cour, Royce s’habillait de façon plus luxueuse qu’à l’ordinaire. Il portait une pèlerine fermée par une boucle sur son épaule droite comme tous les autres nobles. Elle était marron gansée de soie jaune safran. La même soie décorait sa tunique couleur sable, au cou et aux poignets. Ces tons chauds rendaient ses yeux d’émeraude plus surprenants encore. Il arborait aussi une large ceinture sertie d’ambre. Le manche de sa dague était incrusté de pierreries. — Tu m’as présenté des excuses aujourd’hui, et je ne suis pas certain de les vouloir, déclara-t-il d’emblée. Surprise par une telle entrée en matière, Kristen répliqua : — Tu les as, milord. Fais-en ce que tu veux. — Alors, je te les rends. Il s’assit au bord du lit, un genou replié sous lui afin de lui faire face. Il approcha la main de la hanche de Kristen, hésita et la retira. — Je connais Eldred depuis trop longtemps. Je sais qu’il a l’esprit retors. — Je n’ai pas menti, répliqua-t-elle calmement. Je l’ai volontairement provoqué. — Mais c’est lui qui est venu te trouver. Elle sourit. — Cela, je ne peux le nier. À nouveau, la main de Royce bougea et cette fois, il la posa sur la hanche ronde de la jeune femme. — Je ne t’ai pas remerciée de ta discrétion devant Alfred. — Si, tu l’as fait, répondit-elle d’une voix caressante. Elle avait parfaitement saisi la signification de son dernier sourire avant qu’il ne s’éloigne avec Alfred. Elle le connaissait mieux qu’il ne pensait et cela l’enchantait. Il sourit et quitta le lit. Leur conversation ne durerait pas longtemps s’il restait là, si près d’elle, et il voulait conclure ce fameux marché. Ce n’était pas grand-chose. Et puisqu’elle aimait tant disposer de sa liberté de mouvements, il était certain qu’elle ne refuserait pas. Il commença à enlever sa pèlerine mais ses doigts se figèrent sur la boucle en or tandis que Kristen s’asseyait au milieu du lit. Le drap glissa jusqu’à sa taille et elle ne fit rien pour le remonter. Elle l’attendait, si parfaitement à son aise dans cette tenue qu’elle ne se rendait pas compte du trouble qu’elle provoquait en lui. Il était fasciné. Ses yeux se rivèrent sur les seins lourds et fiers. — Et ce marché, milord ? — Quoi ? Quitter du regard ces merveilleux monts pour la dévisager constitua un exploit dont il ne pensait pas être capable. À présent, il plongeait dans l’océan de ses yeux. Il se détourna, en nage. Ce pouvoir qu’elle possédait sur lui et sur son corps… Si jamais elle en prenait conscience… Dieu lui vienne en aide. Il ravala sa salive et continua à lui tourner le dos pour achever de se dévêtir. Mieux valait conclure ce marché tout de suite, car s’ils tardaient trop, ils devraient encore le remettre à demain. Il s’éclaircit la gorge. — Les problèmes que tu as eus hier soir, fit-il d’une voix si rauque qu’il la reconnut à peine, ont montré que tu ne pouvais te défendre en étant enchaînée. Je regrette, d’ailleurs, que tu aies eu besoin de le faire. Il jeta un regard par-dessus son épaule pour voir si elle l’écoutait. Elle ne s’était toujours pas recouverte. Il alla jusqu’au seau pour s’asperger le visage d’eau fraîche. — Ça ne me plaît pas de te savoir sans défense, Kristen. Bien sûr, je peux demander à mes hommes de te protéger comme je l’ai fait, mais ce n’est pas pareil. Je préfère savoir que tu es capable de t’en sortir toute seule quand je ne suis pas auprès de toi. — Tu n’as pas besoin de m’expliquer les raisons pour lesquelles tu m’as retiré ces chaînes. Sans la regarder, Royce savait qu’elle souriait. Il prit place sur une chaise pour enlever ses bottes et ses chausses. — Très bien. Je veux ta parole que tu ne tenteras pas d’attaquer mon cousin tant qu’Alfred et sa Cour seront présents. — C’est beaucoup me demander, répondit-elle avec calme. — Pense à ce que cela signifierait si tu t’en prenais volontairement à Alden alors qu’Alfred est ici. C’est un homme bon mais tu as vu toi-même comment il est forcé d’épargner ses seigneurs. Selon la loi, j’étais en droit de provoquer Eldred en duel. Alfred savait parfaitement que c’était là mon plus cher désir. Pourtant, il a renvoyé ce chien chez lui pour lui éviter ma colère. Il a besoin de tous pour vaincre les Danois. Il sera très dur envers quiconque tentera d’affaiblir son armée et de le priver d’un homme aussi valeureux qu’Alden. — Je comprends. Mais pourquoi ne veux-tu ma parole que pendant le séjour du roi ? Il répondit sans hésiter : — Quand le roi partira, les autres s’en iront avec lui et tu n’auras plus rien à craindre. — Et alors ? — Tu ne courras plus aucun danger et nous pourrons recommencer comme avant. Alors, tu promets ? Kristen resta un long moment immobile, contemplant le dos puissant de Royce avec stupeur. Puis elle se glissa hors du lit, emmenant le drap. Elle s’approcha de lui si furtivement qu’il ne l’entendit pas. Il n’eut pas le temps de réagir quand elle passa son bras autour de son cou. — Oui, je te donne ma parole que je ne toucherai pas ton cher Alden, lui murmura-t-elle à l’oreille. Quant à toi… Elle le serra de toutes ses forces. Il se débattit violemment et elle dut lâcher prise. L’homme et la chaise s’écroulèrent. Il poussa un cri étouffé puis il jura, mais elle courait déjà vers la porte. Dans le couloir, elle se rendit compte qu’elle ne pouvait descendre dans le hall dans cette tenue. Elle se précipita vers la porte la plus proche et l’ouvrit, avec la vague intention de se cacher. Kristen s’immobilisa aussitôt. Une chandelle brûlait encore près du lit et elle reconnut le roi du Wessex tandis qu’il se redressait, l’épée à la main. Ils furent aussi ahuris l’un que l’autre, mais il retrouva son sang-froid le premier. Il sourit à la vue de l’intruse. Ses longs cheveux blonds la recouvraient d’un voile d’or, tandis qu’elle tenait le drap – dans lequel elle n’avait pas eu le temps de s’enrouler – sur sa poitrine. La surprise de Kristen dura une seconde de trop. Déjà, Royce sortait de sa chambre et elle ne pouvait quand même pas s’enfermer dans celle-ci. Elle n’avait plus d’issue. Aussi fit-elle brusquement volte-face pour affronter Royce, trop affolée pour songer qu’elle montrait son corps dénudé à Alfred. Le regard meurtrier, Royce fondait sur elle. Sans un mot, il saisit la main qu’elle tendait devant elle pour le tenir à distance. Elle lâcha le drap pour le frapper de l’autre, mais il s’en empara aussi et lui serra violemment les deux poignets derrière le dos, la propulsant contre lui. — Pardonnez-moi, milord, dit Royce à son roi. Alfred rit. — Ce n’est rien… On ne s’ennuie pas chez toi, Royce. Les lèvres serrées, Royce hocha la tête, referma la porte et ramena Kristen dans sa chambre. Là, il resta immobile un instant, muet, incapable de trouver les mots qui convenaient et maîtrisant son envie de l’étrangler. Puis, il la jeta sur le lit et s’assit carrément sur elle. Lui tenant fermement les mains, il demeura ainsi un long moment, essayant de se calmer tandis qu’elle se débattait violemment. Finalement, épuisée, Kristen renonça au combat, mais ses yeux, étincelaient de rage. — Je te hais ! déclara-t-elle. Ce fut un choc pour Royce. Elle avait prononcé ces mots avec tant de hargne que quelque chose se noua en lui, dissipant quelque peu sa propre colère. Il la regarda dans les yeux. — Pourquoi ? s’étonna-t-il. — Tu t’es moqué de moi ! Tu savais ce que je pensais et tu en as profité ! — Je ne peux pas savoir ce qui se passe dans ta tête, Kristen. — Menteur ! Pour quelle autre raison serais-je venue dans ta chambre sans protester ? Tu m’as enlevé ces chaînes en m’avertissant que nous allions passer un marché, mais sans préciser que ce serait temporaire ! La bonne volonté de Kristen avait effectivement surpris Royce, mais il en avait été trop content pour s’interroger. — Tu m’as mal compris, soupira-t-il. Comment pouvais-je savoir ce que tu pensais ? Je n’avais pas l’intention de t’enlever ces chaînes pour de bon. Si cela ne m’est pas venu à l’esprit, comment pouvais-je me douter que c’était ce que tu croyais ? — C’est vrai, je vois en toi des choses qui n’y sont pas, qui n’y seront jamais ! Son amertume le piqua au vif. — Que vois-tu ? Pour l’amour du Ciel, Kristen, que veux-tu de moi ? — Je ne veux rien de toi. Je ne veux plus rien… sauf que tu me laisses seule. Il secoua lentement la tête comme s’il regrettait de ne pouvoir lui accorder cette faveur. — Je le ferais si je le pouvais. — Si tu le pouvais ? Ta volonté est-elle donc si faible, Saxon ? — Avec toi, oui. L’aveu était de taille mais Kristen était trop meurtrie pour s’en réjouir. Il reprit la parole avec une étrange douceur. — Tu ne me hais pas, Kristen. Tu es furieuse contre moi mais tu ne me hais pas. Admets-le. Il avait raison. Elle ne le haïssait toujours pas. Elle en était incapable. Mais elle refusa de lui répondre. — Très bien. Si tu ne veux pas me le dire, montre-le-moi, murmura-t-il en lui frôlant la bouche d’un baiser. Elle le lui prouva amplement
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Partie 26


l devait l’attendre. Dès que Kristen apparut dans le hall, lord Eldred se leva. Elle se dirigea vers Eda du côté de la cheminée et accepta le bol de gruau que la vieille femme lui tendit. Lord Eldred traversait la salle. Impassible, Kristen s’assit au bout de la table, vers la fenêtre, et commença à manger. Tout semblait être redevenu normal. Les serviteurs travaillaient, quelques-uns des hommes de Royce traînaient ici et là. Rien ne sortait de l’ordinaire hormis les quelques femmes réunies autour de lady Darrelle : les invitées. Kristen saisit des bouts de conversation mentionnant une chasse et se dit que c’était là que se trouvaient le roi et sa suite. Ils étaient tous absents – tous sauf lord Eldred. — Tu arrives tard à ton travail, esclave. Il s’était installé au bout de la longue table réservée aux invités, à cinq ou six mètres à peine d’elle. Deux autres femmes se trouvaient à côté d’elle. Elles le regardèrent, pas Kristen. Mais elle lui répondit. — En effet. Un long silence suivit, qu’il finit par rompre. — Je vois que ta punition a été suspendue. — On ne m’avait pas mis ces chaînes pour me punir, répliqua-t-elle d’un ton égal tout en continuant à manger. — Oui, il paraît que tu représentes une menace. J’ai même failli le croire, hier matin. Mais si tu es libre de tes mouvements, c’est que tu n’es pas si dangereuse. Elle haussa les épaules. — Lord Royce pense sans doute que d’autres que moi, ici, font peser sur lui une menace plus réelle. — Quelle menace ? Maudite Viking, regarde-moi quand je te parle ! Elle leva lentement les yeux. Il était écarlate. Un hideux rictus déformait sa bouche. La colère lui faisait perdre tout son charme. Comme s’il ne valait même pas la peine qu’elle s’intéresse à lui, Kristen l’ignora et reprit son repas. Elle ne se pressa pas pour répondre. — Mais vous, milord. Votre conduite est menaçante. Quant à moi, je suis libre à présent de me défendre par mes propres moyens. Et lord Royce sait que je suis parfaitement capable de me débrouiller seule. Lord Eldred en avait les yeux qui lui sortaient de la tête. Jamais une femme ne l’avait traité de cette façon. En général, elles se pâmaient devant lui, elles l’adoraient et étaient prêtes à tout pour recevoir ses faveurs. Celle-ci le traitait comme un chien galeux, et elle n’était qu’une esclave… Il la tuerait. Elle avait de la chance qu’ils ne soient pas seuls. — Royce t’a enchaînée, ricana-t-il, comme ces sauvages, là, dehors, qui construisent son mur. Dis-moi, barbare, t’enchaîne-t-il aussi dans son lit ? Les femmes présentes, qui ne perdaient pas un mot de la conversation, laissèrent échapper des exclamations étouffées. Mais Kristen resta de marbre. Lord Eldred avait envie de l’étrangler. Il valait mieux mettre un terme à cette scène ridicule sinon les commérages iraient bon train. Des commérages semblables à ceux qu’il avait entendus ce matin et qui concernaient Royce : à en croire les mauvaises langues, celui-ci n’avait même pas attendu d’être seul avec son esclave pour la mener dans sa chambre. Il l’avait escortée à travers le hall à la vue de tous, signifiant ainsi sa préférence pour une esclave devant le roi. Eldred aurait aimé assister à une scène aussi ahurissante. Mais il n’avait pas pris part au festin, répugnant à affronter Royce en présence d’Alfred. Alden avait clairement affirmé que Royce se vengerait. Et il était parfaitement capable de demander raison à Eldred devant toute la Cour. Chaque fois qu’un différend les opposait, Alfred donnait immanquablement raison à Royce. Eldred avait consenti trop de sacrifices afin de gagner les bonnes grâces du roi pour en perdre le bénéfice à cause d’une esclave. Mais la colère l’aveuglait. Cette femme se moquait ouvertement de lui. Elle devait payer. — Apporte-moi de la bière, esclave, ordonna-t-il. Une des autres femmes se leva. Il l’arrêta d’un geste menaçant. — Non, je veux que la Viking s’en charge. Elle le regardait enfin. Mais la satisfaction d’Eldred fut de courte durée. — Si c’est vraiment de la bière que vous désirez, milord, il vaut mieux laisser Edrea aller la chercher. Sinon, vous devrez vous servir vous-même. — Tu refuses de m’obéir ? Kristen ne put s’empêcher de sourire. — Non, milord, répondit-elle avec calme. Mais j’obéis aux ordres de lord Royce… quand l’envie m’en prend. En l’occurrence, il m’a interdit de servir les invités. Elle était allée trop loin. En un éclair, il fut sur elle, agrippant l’étoffe de sa robe, prêt à la frapper de sa main libre. Elle ne lui en laissa pas le temps et le repoussa violemment. Eldred voulut se jeter à nouveau sur elle. Une voix l’arrêta. — Ne la touchez pas, milord. Il fit volte-face et jeta un regard meurtrier à Seldon, un des serfs de Royce. Un autre homme l’accompagnait et tous deux avaient la main posée sur la garde de leur épée. — Non, personne ne s’interposera, cette fois ! gronda Eldred. Elle sera punie ! — Pas par vous. Les ordres de lord Royce sont clairs : personne ne doit toucher cette femme. À la surprise de tous, cette dernière remarque déclencha la fureur de Kristen. — Je n’ai pas besoin d’aide pour m’occuper de ce chien. Je l’aurais découpé en tranches avec ses propres armes ! Avant qu’ils n’aient pu réagir, elle avait dérobé à Eldred la dague qu’il portait à la ceinture. Par pur mépris, elle jeta le poignard sur la table où il se ficha en vibrant. Humilié, Eldred ignora l’avertissement qu’on lui avait donné et la gifla à toute volée du revers de la main. Il n’eut pas affaire à une ingrate : les mains jointes, elle lui expédia un coup terrible à la mâchoire. Il perdit l’équilibre et s’effondra à moitié sur la table. Les hommes de Royce l’aidèrent à se redresser avant de l’immobiliser. Il continua à se débattre et à hurler comme un porc qu’on égorge. Kristen entendit soudain les cris de Darrelle. Se retournant, elle la vit se ruer vers la porte du hall et se heurter à Royce. Kristen gémit. Comme si cela ne suffisait pas, il n’était pas seul : Alfred l’accompagnait. L’air féroce, Royce balaya Darrelle de son chemin. Eldred sentit qu’un élément nouveau venait de survenir, il se tourna vers l’entrée et cessa de se débattre. Les deux serfs qui le retenaient le lâchèrent. Personne n’esquissa le moindre mouvement tandis que Royce et le roi traversaient la pièce. Kristen resta impassible mais, sous ses dehors calmes, elle tremblait. Tout était de sa faute. Elle avait sciemment provoqué le seigneur. Elle avait voulu le mettre hors de lui et y était parvenue au-delà de toute espérance. Et maintenant, elle allait payer. Royce semblait prêt à lui faire subir un châtiment bien pire que les chaînes. Eldred saisit immédiatement l’occasion de prendre sa revanche. Il s’avança vers Alfred avant que Royce n’ait prononcé le moindre mot. — Milord, je demande réparation contre cette esclave. Par deux fois, elle a levé la main contre des seigneurs. Lord Randwulf doit garder le lit avec une côte cassée. C’est elle qui l’a frappé avec une chaîne. Elle a osé s’en prendre à moi et… Seldon intervint alors et se tourna vers Royce. — Il a été prévenu, milord. Nous lui avons dit que vous ne vouliez pas qu’il la touche. — Est-ce vrai, Eldred ? demanda Alfred d’un ton égal. — Elle m’avait provoqué ! — Peu m’importe, répliqua Alfred. Elle ne t’appartient pas et ce n’est pas à toi de la châtier. De plus, tu as été prévenu. C’est faire bien peu de cas de l’hospitalité qui t’est offerte ici. Je veux que tu quittes cette maison sur-le-champ. Tu ne reparaîtras à la Cour que quand on te le demandera. Eldred blêmit. Il ouvrit la bouche pour protester mais se ravisa, hocha la tête et se retira. Les poings serrés, Royce le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il ait disparu. — Je n’aurais pas agi ainsi à votre place, milord, dit-il. Alfred fut assez sage pour ne pas sourire. — Je sais. Tu aurais préféré lui enfoncer ton épée dans le ventre. Mais sois patient, mon ami. Le Wessex a besoin de chaque homme en ce moment, même ceux de son espèce. Quand la paix sera enfin nôtre, tu pourras régler ta querelle avec lui. Royce lança un regard à son roi, s’adoucit et acquiesça. Puis, il s’avança vers Kristen. Du bout des doigts, il toucha la marque rouge sur sa joue. — Tu vas bien ? Soulagée, elle crut s’évanouir à ses pieds. La rage meurtrière de Royce n’était donc pas dirigée contre elle… Aussitôt, n’ayant plus à craindre de représailles, elle retrouva sa colère. Elle pointa un doigt vengeur vers les deux hommes de Royce qui s’étaient portés à son secours. — Je n’ai pas besoin de vos chiens de garde, milord. — C’est ce que nous avons vu. Ils avaient vu ? Mal à l’aise, elle en oublia sa colère. Bon, ils avaient vu. Mais ils n’avaient pu entendre les mots qu’Eldred et elle avaient échangés. Elle glissa un regard vers les deux serfs pour voir s’ils allaient tout raconter. Ils la contemplaient eux aussi. Et Seldon lui souriait ! S’ils ne parlaient pas maintenant, ils pourraient le faire plus tard. Ainsi, Royce apprendrait qu’elle avait provoqué Eldred, qu’elle l’avait même insulté. — Je sais pourquoi vous avez cru bon de me faire surveiller par vos sbires, reprit-elle. Ce n’était pas pour me protéger car vous savez que je suis capable de me défendre seule. Ils remplacent mes chaînes, c’est ça ? Ils sont là pour veiller à ce que je ne m’enfuie pas. Est-ce ainsi que vous me faites confiance ? Royce parut soucieux. Avec Alfred qui ne perdait pas un mot de leur conversation, sa marge de manœuvre était réduite. — Tant que nous n’aurons pas passé notre marché, Viking, tu n’as pas à contester mes décisions. L’éclat de ses yeux d’émeraude était éloquent. Kristen avait oublié la présence d’Alfred. Elle glissa un regard vers le roi et découvrit qu’il semblait amusé par cette dispute entre maître et esclave. Par le Ciel ! Comment avait-elle pu être assez stupide pour défier Royce devant son roi ? Sans compter qu’elle avait effectivement oublié ce marché auquel il faisait à nouveau allusion. Elle n’était pas orgueilleuse au point de ne pas admettre ses erreurs. Elle fit un sourire hésitant à Royce. — Pardonnez-moi, milord. Ma langue me joue des tours parfois. Et je suis désolée d’être à l’origine de tels incidents. Lord Eldred voulait me provoquer et… je le voulais aussi. Nous sommes, tous les deux, parvenus à notre but mais je regrette que vous ayez dû assister à une scène aussi ridicule. Royce en resta muet de stupeur. Elle avait présenté des excuses ! Il n’arrivait pas à y croire. Le roi Alfred rejeta la tête en arrière et éclata de rire. — Dieu m’en soit témoin, Royce. Une telle honnêteté est terrifiante ! Et dire que j’ai failli être jaloux de toi ! Dieu m’en préserve, je n’aurais jamais pu l’amener à la Cour, elle est trop franche pour les intrigues et les flatteries. — Elle n’est pas à prendre, milord. Ce fut au tour de Kristen d’être ébahie par tant d’audace. Mais Alfred ne se sentit nullement offensé. En fait, il riait de plus belle. — Je vois que sa franchise est contagieuse. Je ferais bien de la tenir éloignée de mes autres seigneurs, sinon je peux faire mon deuil des compliments sur ma manière de chasser. Royce rit. — Aujourd’hui, milord, ces compliments étaient mérités. Vous avez vous-même abattu notre repas de ce soir. Ils s’éloignèrent en bavardant gaiement, non sans que Royce ait lancé un dernier et curieux regard à Kristen. Une lueur qu’elle connaissait bien brillait dans ses yeux. On aurait dit qu’il était affamé… mais pas de nourriture
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Partie 25



Le festin se poursuivit tout au long de l’après-midi, jusque tard dans la soirée. Des foyers supplémentaires avaient été disposés partout dans le hall pour rôtir les plus gros animaux : le daim que les hommes avaient rapporté de la chasse, un mouton et un jeune veau. D’autres plats étaient préparés dans la cheminée et on servait aussi des légumes frais cueillis dans les jardins du domaine. D’énormes fromages furent montés de la cave. Les tartes et autres gâteaux étaient innombrables. Kristen avait assisté à nombre de festins semblables. En Norvège, ceux-ci avaient toujours lieu pendant les longues nuits d’hiver, et elle n’avait jamais fait la cuisine en plein milieu de l’été saxon. Chez elle, en hiver, quand la chaleur devenait trop forte, on pouvait toujours ouvrir une porte pour laisser entrer un peu d’air. Ici, même avec toutes les fenêtres ouvertes, Kristen avait l’impression de cuire à petit feu, de mijoter avec les aliments. La chaleur était encore plus accablante que les jours précédents et le hall était surpeuplé. Sa nouvelle robe, munie de manches longues, lui collait à la peau. Elle était trempée de sueur. Elle avait beau être solide et en bonne santé, elle devait puiser dans ses dernières réserves. Les autres femmes s’offraient parfois quelques minutes de répit et sortaient respirer un peu. Elle ne le pouvait pas. Bien sûr, elle n’était plus enchaînée mais elle était constamment surveillée par Eda, par les autres femmes et même par quelques gardes de Royce. Bientôt, elle se rendit compte que ces hommes avaient été placés là dans cet unique but. Et elle qui s’était imaginé que Royce lui faisait totalement confiance… Sans la chaleur, Kristen n’y aurait rien trouvé à redire. Mais, dans cette fournaise, elle avait bien du mal à accepter ces précautions. La nervosité était générale parmi les servantes, et les réprimandes et les gifles abondamment distribuées par les plus âgées. Même Eda frotta les oreilles d’une malheureuse qui avait eu la mauvaise idée de s’éventer quelques secondes devant elle. Si les servantes s’épuisaient, les convives, eux, s’amusaient. Des danses eurent lieu au milieu de la pièce entre les tables. Kristen les observa avec intérêt, notant que les danses saxonnes ne différaient guère de celles de son pays. Des bardes racontèrent des histoires de dragons et de sorcières, de géants et d’elfes. Un troubadour avec une harpe chanta les prouesses de héros oubliés et d’autres, plus récents, comme le grand-père d’Alfred, le roi Egbert qui avait changé l’histoire de son pays en le libérant du joug des Merciens. Il avait vaincu à deux reprises les armées de Mercie. « Combien de ces histoires sont-elles vraies ? » se demanda Kristen avant d’apprendre que ce fameux grand-père avait aussi défait les Gallois, les Celtes du Humber et les géants de Cornouailles. Tous se régalaient de ces faits d’armes et le troubadour connut un franc succès. La journée continua ainsi. Les nobles se distrayaient et se rassasiaient de nourriture et de boisson tandis que les serviteurs œuvraient pour leur confort. À un moment, Kristen fut apostrophée par deux seigneurs qui désiraient de la bière. Eda l’avait déjà prévenue : elle ne devait pas servir à table. Et c’était aussi bien. Elle préférait nettement travailler à la cuisine plutôt que de servir des hommes et des femmes qu’elle méprisait pour la plupart. Elle ignora ces deux seigneurs jusqu’à ce qu’ils l’oublient et appellent une autre femme. On ne la remarquait pas. Du moins, le croyait-elle. Elle ne se doutait pas qu’elle était devenue le principal sujet de discussion pour tous les convives, y compris le roi. Les spéculations la concernant allaient bon train mais personne ne voulait s’abaisser à s’enquérir d’une esclave. Seul Alfred n’éprouva aucune gêne à demander à Royce de satisfaire sa curiosité. Kristen n’aurait guère apprécié leur conversation si elle l’avait entendue. Elle n’aimait déjà pas du tout les multiples commentaires qu’elle saisissait ici et là à propos des Vikings capturés. Royce était loué pour ce haut fait d’armes et pour être parvenu à obliger ces « sauvages » à travailler pour lui. Ces « sauvages » – enfermés dans leurs quartiers en raison du festin – qui étaient ses amis et ses frères… Ajoutées à la chaleur, ces remarques avaient mis Kristen à bout de nerfs. Elle était prête à exploser au moindre mot désobligeant, au moindre regard de travers. Ce regard vint de Royce lui-même. Au plus fort de la rumeur suscitée par les chants du troubadour, Kristen se dirigea délibérément vers une fenêtre pour respirer un peu. Ses gardes ne pouvaient l’apercevoir car les autres femmes qui s’agitaient autour de la table bloquaient leur champ de vision. Mais Royce la vit et elle surprit son regard courroucé. Il n’aimait pas la voir si près de la fenêtre. Qu’allait-il s’imaginer ? Qu’elle allait sauter dehors et tenter de s’échapper ? Elle n’avait donc même pas droit au plus infime répit ? C’en était trop. Elle se dressa, furieuse. Sans jamais cesser de le fixer droit dans les yeux, elle déchira d’un geste volontairement lent les deux manches de sa robe et les jeta par la fenêtre. Elle éprouva immédiatement une sensation de fraîcheur bienfaisante. Elle entendit aussi Royce éclater de rire. Ce fut ce rire qui la dissuada d’accomplir un acte plus insensé. Il riait non pour se moquer d’elle mais parce qu’il appréciait l’humour de son geste. L’irritation qu’elle avait ressentie jusque-là s’évanouit. Et elle sourit quand Eda la poussa pour l’éloigner de la fenêtre. Une heure plus tard, la fête se calmait. On débarrassait les tables et on commençait les préparatifs pour le repas du lendemain matin. Kristen doutait pourtant de pouvoir gagner son lit avant plusieurs heures. Elle se trompait. Royce se leva et vint la trouver. Sans un mot, il lui prit la main et l’entraîna vers l’escalier. Si elle n’avait été aussi épuisée, elle ne se serait certainement pas laissé faire aussi docilement. Elle savait exactement quel but il poursuivait. Il avait proclamé qu’il ferait savoir à toute la suite d’Alfred qu’elle bénéficiait de sa protection. Quel meilleur moyen pour cela que de montrer à tous qu’elle partageait son lit ? Personne n’était dupe. Il s’arrêta même au pied des marches pour l’embrasser brièvement. Étrangement, Kristen n’était pas outrée par son comportement. Si elle avait été son épouse, ils se seraient retirés ainsi. En fait, elle devinait que Royce laissait à Alden le soin de divertir le roi et sa suite parce qu’il avait par-dessus tout envie d’être avec elle. — C’est bien que tu ne m’aies pas résisté, Kristen. Il prononça ces mots en refermant la porte de sa chambre. À son expression, elle comprit qu’il la remerciait d’être entrée dans son jeu. Rompue, elle s’assit sur le lit. — Je ne vous aurais pas résisté devant tout ce monde, milord. Une ride perplexe creusa le front de Royce. — Tu ne te rends sans doute pas compte que… Elle l’interrompit d’un rire sans joie. — C’était plutôt impoli de votre part mais cela avait le mérite d’être clair. On sait maintenant à qui j’appartiens. — Cela te gêne ? — Je ne sais pas. Je suis peut-être trop épuisée pour être vraiment furieuse. Et toi, cela te gêne-t-il ? Tu aurais peut-être préféré étaler ta force et me porter ici sur ton dos, hurlante et frétillante ? — Je m’y attendais un peu, concéda-t-il. Elle secoua la tête d’un air faussement désolé. — Je ne pouvais te résister devant tous ces gens… — Et pourquoi donc ? Tu n’es pas aussi timide, d’habitude ! — J’ai été entourée d’hommes toute ma vie et je connais leur fierté. Si je t’avais affronté en public, tu ne me l’aurais jamais pardonné. D’autant que tu n’aurais peut-être pas eu le dessus. Ici, nous sommes seuls, c’est différent. Il éclata de rire. — Je pense que tu cherchais aussi à t’épargner une cuisante correction. Elle haussa les épaules avant de se laisser tomber en arrière. Allongée, les yeux mi-clos, elle observa Royce. Il retint son souffle. L’invite était claire : elle était là, devant lui, détendue, offerte. Une boule de chaleur se forma au creux de ses reins mais il ne broncha pas de peur qu’elle ne le repousse. Il avait encore à l’esprit le souvenir de la nuit précédente. Son hésitation provoqua chez elle un rire amer. — Je comprends, milord. — Et qu’est-ce que tu comprends ? s’enquit-il d’une voix où l’irritation se mêlait au désir. Elle se redressa sur les coudes. Une autre femme aurait tremblé devant lui. Kristen souriait. — Je suis en nage. Je comprends que tu ne me trouves pas très attirante. L’air manqua à nouveau à Royce. — Pas attirante ? Il avait presque crié. — Oui, fit-elle, ignorant son agitation. J’aimerais me laver mais cela implique que je redescende me montrer à tous ces gens. Ils comprendraient immédiatement que le seigneur de Wyndhurst ne couche pas avec une esclave sale. Moi aussi, j’ai ma fierté. Il la contemplait avec stupéfaction. Puis il réagit enfin et vint sur le lit, tout près d’elle. Si tu as vraiment envie d’un bain, dit-il, il y a un petit lac tout près d’ici. Une lueur brilla dans les yeux bleus de Kristen. — Tu serais prêt à m’y emmener ? — Oui. Il profita de son trouble pour lui dérober un baiser. Une nouvelle fois, elle n’eut pas la réaction qu’il attendait. — Oh, ce n’est pas juste ! marmonna-t-elle. Tu n’as pas le droit de me faire une offre aussi tentante alors que je suis incapable de bouger le petit doigt ! — Dieux du ciel ! grommela-t-il en se redressant. Tu vas me rendre fou… — Pourquoi ? Il la scruta attentivement et comprit soudain qu’elle ne plaisantait pas. — Tu es vraiment si fatiguée ? Elle sourit faiblement. — J’ai bien peur que la chaleur de cette cheminée ne m’ait enlevé mes forces. J’ai l’impression d’avoir cuit toute la journée. Le travail ne me dérange pas, mais la chaleur… Elle retomba sur le lit en soupirant avant de poursuivre avec lassitude : — C’est tant mieux si tu n’as pas envie de moi maintenant. Je ne crois pas que nous y aurions pris beaucoup de plaisir, de toute manière. Il faillit protester mais se ravisa. Quelques jours plus tôt, une remarque aussi effrontée de sa part l’aurait choqué. Il commençait sans doute à s’habituer à son franc-parler, sinon à ses sautes d’humeur. — Tu as toujours envie de te laver ? — Cela me plairait beaucoup mais je refuse de descendre. J’espère que tu ne vas pas insister. Je suis à bout et une dispute… Il l’interrompit d’un geste impatient. Elle était trop épuisée pour faire l’amour avec lui mais pas assez pour ne pas envisager une dispute. Et il avait envie d’elle, même épuisée, même en sueur. Kristen ne le quittait pas des yeux. Et ce qu’elle vit lui plut. La fatigue l’empêchait peut-être de s’enflammer mais constater le désir de son partenaire lui faisait du bien, un bien immense. — Je suis à toi si tu le désires, milord. Il se crispa devant une offre aussi crue. Puis ses traits s’adoucirent. — Oui, j’en ai envie mais nous ferons ce que toi tu désires. Viens, tu vas pouvoir te laver. Elle gémit tandis qu’il lui prenait la main pour l’aider à se lever. — Royce, non. Je préfère dormir. Pour la première fois depuis qu’ils étaient entrés dans la chambre, elle prononçait son nom. Un effet de la fatigue, sans doute. Il parut amusé. Il ne l’avait jamais vue ainsi. L’épuisement avait vaincu ses défenses. — Il te suffit de rester debout quelques minutes, lui dit-il avec un sourire. Je m’occupe de tout. — Debout ? — Oui, ici. Il l’amena devant le seau d’eau placé sur sa table. Un morceau de tissu, une éponge et du savon s’y trouvaient aussi. — Ce n’est pas normal, remarqua-t-elle, intriguée. Tu te laves en bas, d’habitude. — La salle de bains est réservée à mes invités. Quand je reçois, on me monte toujours de l’eau ici. Tu n’es pas la seule à souffrir de la chaleur même si j’imagine que, pour toi, ce doit être encore pire… — Tu imagines ? Crois-moi, tu ne peux pas imaginer… — Notre climat est-il si pénible pour toi ? s’enquit-il en commençant à la déshabiller. Il ne t’a pas vraiment abattue jusqu’ici. Il regretta aussitôt cette moquerie. Elle risquait de se vexer. Elle avait d’abord besoin de repos. À sa grande surprise, elle eut une crise de fou rire. Il dut attendre qu’elle se calme pour l’entendre s’expliquer : — Tu sais, si tu n’avais pas ri quand j’ai déchiré les manches de ma robe, je crois bien que j’aurais fait une bêtise. J’étais à bout et prête à tout. Pourquoi as-tu trouvé cela aussi amusant ? À te voir, j’ai eu l’impression d’être une petite fille à qui on passe un caprice. Il grommela une vague réponse. Elle était décidément trop perspicace. Mais, en cet instant, elle n’avait plus rien d’une petite fille capricieuse. Il avait commis l’erreur de vouloir la laver lui-même. Elle était nue et visiblement toute disposée à se laisser faire. Les paupières closes, elle ne parlait plus. On aurait dit qu’elle dormait debout. Il hésita trop longtemps, se rassasiant du spectacle qu’elle offrait. — Tu n’es pas forcé de le faire, murmura-t-elle. Pour Royce, cela sonnait comme un défi. — Je sais. Il s’empara du savon, heureux qu’elle ne puisse voir ses mains trembler. Il essaya de faire vite, de ne pas regarder les endroits où se posaient ses mains. Ce n’était pas facile. Et de toute manière, cela ne changeait rien : ce qu’il ne voyait pas, il le touchait. Il avait été fou de se charger de cette tâche. Elle restait parfaitement immobile, docile, s’en remettant totalement à lui. Son épuisement était réel. Et il en était responsable. Il n’avait pas pensé une seule seconde à la charge de travail supplémentaire qui lui incomberait aujourd’hui. Ses serviteurs avaient l’habitude de ces festivités peu fréquentes, tout comme ils étaient accoutumés au climat du Wessex. Pour Kristen, tout cela était nouveau. Il utilisa l’éponge pour la rincer, laissant l’eau couler sur ses vêtements tombés à ses pieds. Elle prenait un tel plaisir à sentir l’eau fraîche ruisseler sur son corps qu’il prolongea cette opération pour son seul bonheur. Finalement, il la sécha et l’enveloppa dans le tissu avant de la reconduire vers le lit. Il la coucha en évitant de trop la toucher, s’infligeant ainsi un véritable supplice. Elle ronronna de contentement en se roulant dans les draps. Royce en avait la gorge nouée. Elle était si belle, si abandonnée… — Tu pourras dormir aussi longtemps que tu le voudras demain matin, annonça-t-il d’une voix rauque. — Tu me gâtes, milord. — Non, je suis simplement égoïste. Kristen souleva ses paupières lourdes. — Je ne comprends pas. Tu veux… — Dors. — Et toi ? Il lança un juron abominable avant de la quitter. Il ramassa ses vêtements abandonnés sur le sol pour les donner à laver. Ensuite, il irait plonger dans le lac. Un bain froid lui ferait du bien. Il ne pensait pas pouvoir trouver le sommeil dans son lit cette nuit
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Partie 24

Les femmes revinrent dans le hall, et aucune d’entre elles ne s’étonna de la relative liberté dont jouissait Kristen. Elles n’avaient, en fait, guère le temps de s’en préoccuper, trop prises par les préparatifs du festin du soir. Kristen elle-même n’avait pas une seconde de répit. Après s’être enroulé la chaîne autour de la taille pour éviter qu’elle ne racle bruyamment le sol, elle s’était aussitôt remise au travail. Moins d’une heure après, elle se retrouva à nouveau dans la même situation. Tout à coup, elle sentit quelqu’un derrière elle et deux bras se refermèrent autour de sa taille. Un moment paniquée, elle retrouva vite son aplomb et sa détermination habituels. Ils osaient à nouveau s’en prendre à elle. Et cette fois, devant Darrelle et tous les serviteurs. — Tu vas bien ? Kristen eut l’impression de se liquéfier. Royce ! C’était Royce et sa voix trahissait une réelle inquiétude. Cet homme qui lui infligeait le port des chaînes, qui, la veille encore, affirmait se moquer de ses sentiments… Cet homme la serrait à présent dans ses bras à la vue de toutes et de tous. Elle n’y comprenait plus rien. — Avez-vous perdu l’esprit, milord ? Elle se retourna pour voir s’il n’était pas pris de boisson. Cela ne semblait pas être le cas. Il fronçait les sourcils, visiblement aussi perplexe qu’elle. — Je te pose une question parfaitement sensée et tu me réponds comme à un demeuré. Non, je n’ai pas perdu l’esprit. Et toi ? — Je commence à me le demander, répondit-elle à mi-voix, gênée. Tu viens me voir ici, à cette table, alors que tu ne l’as jamais fait. Te rends-tu compte que tout le monde nous regarde ? Royce parcourut le hall du regard, croisant même un instant celui de Darrelle. Le désarroi évident de sa cousine ne le troubla pas le moins du monde. Il contempla à nouveau Kristen qu’il serrait toujours dans ses bras. — J’en ai assez de faire semblant de t’ignorer pour éviter les commérages, dit-il avec simplicité. Si Eda n’avait pas été avec toi, tout à l’heure… Personne n’aurait osé agir comme elle l’a fait. Cette fois, ils sauront tous ce que tu représentes pour moi. Si je le pouvais, je t’imprimerais mon sceau. Si les nobles d’Alfred savaient lire, je te mettrais une pancarte autour du cou. Personne ne doit plus ignorer que tu bénéficies de ma protection. Et tant mieux si je dois le prouver l’épée à la main ! Elle n’en croyait pas ses oreilles. — Pourquoi ? Je ne suis qu’une de tes esclaves… — Ne joue pas les timides, répliqua-t-il. Tu sais très bien que tu comptes beaucoup pour moi. — Jusqu’à ce que tu te lasses de moi ? — Jusque-là, oui. S’ils avaient été seuls, elle n’aurait pas laissé passer cette réponse sans réagir, mais elle était trop consciente des regards posés sur eux. Elle ne pouvait se permettre de rabrouer vertement l’homme que l’on considérait comme le seigneur et maître de ces lieux. — Je suis sûre que vous avez beaucoup à faire, milord, tout comme moi. Elle maniait le vouvoiement et le tutoiement comme le chaud et le froid. Royce ne s’y trompa pas. — Je jure que je ne te comprendrai jamais. N’importe quelle autre femme aurait couru dans mes bras en pleurant après une scène pareille. Toi, tu n’en parles même pas, tu m’accuses même d’être malade alors que je m’inquiète pour toi… Kristen sourit et, malgré elle, ce sourire se transforma en rire. — C’est donc pour ça ? Tu es inquiet à propos de ce qui est arrivé avec ces trois pantins ? — Tu n’es même pas bouleversée. — Pourquoi le serais-je ? Je n’ai pas été blessée. Son attitude était si surprenante qu’il commença à s’en irriter. Il s’était précipité pour la consoler, pour jurer de la venger et cela la laissait parfaitement indifférente. Il était prêt à embrocher Eldred et il l’aurait certainement fait si ce chien avait été présent au moment où Alden lui avait raconté ce qui s’était passé. Mais plus que sa rage, ce qui l’emportait c’était le souci qu’il s’était fait pour Kristen. Et elle s’en moquait… — Tu ne réalises pas qu’un crime a été commis, déclara-t-il avec sévérité. — Contre une esclave qui n’a aucun droit ? — Contre l’homme que tu as blessé. Elle se figea. Le bleu de ses yeux prit des reflets glacés. — Quel crime ? Celui de me défendre ? Tu oses appeler ça un crime ? — Pas moi. C’est la loi. Un esclave ne peut porter d’arme, sauf si son maître le lui ordonne. Il ne peut attaquer personne et encore moins un noble. Agresser un noble est passible d’une très grosse amende pour un homme libre. Alors, pour un esclave… — Et c’est cela qui te chagrine ? Va-t-on me pendre parce que je me suis défendue ? — Ne sois pas ridicule, femme. Je suis ton seigneur. C’est à moi qu’il appartient de payer cette amende et je le ferai volontiers. Je voulais simplement que tu te rendes compte que tout cela est très sérieux. Tu ne peux le prendre à la légère. — Je ne te dirai pas merci, répliqua-t-elle. Que tu donnes de l’argent à ce porc ne me plaît pas. Dans mon pays, ces hommes seraient déjà morts pour avoir tenté de me faire une chose pareille. — Tu ne peux pas espérer qu’il en aille de même ici, Kristen, répondit-il d’une voix plus douce. Cela ne me plaît pas non plus que cette ordure de Randwulf touche une récompense, et je veillerai à ce qu’il souffre un peu plus avant d’obtenir cet argent. Tout à coup, Kristen prit conscience que Royce n’était nullement ennuyé de payer pour elle cette amende qui devait représenter une somme importante. Il voulait surtout infliger à Randwulf une punition supplémentaire. Il voulait la venger… Elle ne connaissait personne, même parmi son propre peuple, qui soit prêt à venger un esclave. Par le sang du Christ ! Cet homme ne serait-il donc jamais cohérent ? Il la traitait comme la dernière des dernières et, l’instant d’après, la chérissait du plus tendre amour. Kristen baissa les yeux, mal à l’aise. — J’apprécie ce que vous voulez faire, milord, mais ce n’est pas nécessaire. Comme je l’ai déjà dit, je n’ai pas été… Elle ne put terminer. Deux des plus jeunes serfs se ruaient dans le hall en hurlant que le roi était arrivé. Royce se tourna vers l’entrée du hall comme s’il oubliait subitement Kristen. Ce n’était pas le cas. Il se tourna vers Eda. — Enlève-lui ces chaînes, Eda, dit-il avant de fixer Kristen. Nous devons conclure un marché, toi et moi, mais je n’ai pas le temps de t’en parler maintenant. Pour l’amour du Ciel, femme, tiens-toi bien ! Elle l’observa tandis qu’il se dirigeait rapidement vers l’entrée du hall. Elle vit lady Darrelle trottiner derrière lui et lui adresser la parole. Il la renvoya d’un geste impatient. Tous les serviteurs étaient massés aux fenêtres pour assister à l’arrivée du roi Alfred. Kristen ne bougea pas. Elle ne broncha pas non plus quand les bracelets honnis lui furent ôtés ni quand Eda déroula la chaîne qu’elle avait gardée autour de la taille. Lentement, très lentement, un sourire éclatant illumina ses traits. Royce allait passer un marché avec elle. Quel que puisse être ce marché, il accepterait sa parole en échange. Il lui faisait enfin confiance. Une douce euphorie l’envahit. Elle avait envie de crier, de hurler sa joie, et elle l’aurait sans doute fait si Eda ne l’avait surveillée du coin de l’œil. La vieille femme avait eu raison depuis le début – il suffisait d’attendre son heure… — Oui, je vois comme tu es contente, murmura Eda sans sourire. N’oublie pas ce qu’il a dit, femme. Ne fais rien qui l’oblige à te les remettre. Elle jeta les chaînes dans un coin. Kristen acquiesça d’un air absent. Elle ne pensait qu’à Royce et à ce que cette confiance nouvelle signifiait. L’espoir renaissait en elle. Elle ne s’était peut-être pas trompée en jetant son dévolu sur Royce de Wyndhurst. Il voyait toujours en elle une ennemie, mais Garrick et Brenna avaient eux aussi été des ennemis… Et cela ne les avait pas empêchés d’unir leurs vies. Des étrangers commençaient à affluer dans le hall. Toute à sa joie, Kristen était prête à partager le sentiment d’exaltation des Saxons qui accueillaient leur roi. Mais elle fut surprise par la jeunesse d’Alfred. Le roi des Saxons était bien plus jeune que Royce… Elle crut d’abord qu’elle se trompait. Ce tout jeune homme ne pouvait être celui qui avait mené les Saxons contre les terribles Danois, et qui était parvenu à leur arracher un traité de paix. Rien ne le distinguait des autres nobles qui se pressaient autour de lui. Ils étaient tous aussi bien habillés, certains même mieux que lui. Et d’autres là-bas, des hommes plus âgés, à l’apparence bien plus redoutable, auraient très bien pu être roi à sa place. Pourtant, le roi avait quelque chose de plus que les autres. Cette même autorité qu’elle avait perçue chez Royce dès le premier jour. C’était un homme rompu au commandement. Et tous les autres, des seigneurs habitués à être obéis, se montraient déférents envers lui. En dehors de sa jeunesse et du pouvoir que sa souveraineté lui donnait, Alfred de Wessex n’était pas un homme remarquable. De grande taille pour un Saxon, il avait le teint pâle et des yeux bleus très vifs. Il n’avait pas l’apparence d’un guerrier. Kristen devait apprendre par la suite qu’il était en fait un savant aux manières raffinées. Elle devait aussi découvrir qu’en dépit de son allure effacée il faisait preuve d’une énergie hors du commun. D’une redoutable efficacité dans la conduite des affaires du royaume, il possédait une volonté de fer et était fermement décidé à garder le Wessex sous domination saxonne. À l’instar des membres de sa suite, le voyage l’avait fatigué. Il accepta avec reconnaissance le calice de vin que lady Darrelle lui tendait tout en se montrant attentif aux hommes que Royce lui présentait. De nombreux invités prenaient déjà place autour des tables dressées pour le festin. Kristen éprouva un sentiment de fierté en observant Royce. Eda avait raison une fois de plus : Royce était aimé de son roi. Il n’y avait rien de formel, de protocolaire, entre eux. Ils se parlaient comme deux amis, d’égal à égal. Elle vit même d’autres hommes leur lancer des regards obliques tandis qu’Alfred éclatait de rire à une plaisanterie de Royce. Elle se demanda si celui-ci se doutait qu’il était envié par tous ces seigneurs. Pour la plupart, les nobles qui accompagnaient Alfred étaient de la même génération que leur roi : des fils cadets qui venaient à la Cour en espérant gagner les faveurs du souverain. Il y avait aussi une demi-douzaine de ladies, des épouses et des filles accompagnant leurs seigneurs. La reine était absente. Une de ces femmes éveilla la curiosité de Kristen, une très jolie dame aux cheveux de lin serrés dans un voile de perles. Elle était jeune, plantureuse, et portait une superbe robe tissée un peu trop voyante pour Kristen qui préférait la sienne, en velours vert. Et cette dame blonde dévorait des yeux le roi et Royce, partageant équitablement son attention entre les deux. Kristen détourna le regard. N’ayant jamais connu la jalousie auparavant, elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Elle savait seulement qu’elle ne supportait pas la vue de cette voluptueuse intrigante qui essayait d’attirer Royce dans ses filets. Maigre consolation : Royce était si occupé avec son roi qu’il ne remarquait rien
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Partie 23

Le plus doux des baisers la réveilla. Elle soupira et s’étira sans ouvrir les yeux. Son rêve semblait trop vrai, elle était chez elle, en Norvège, et elle nageait dans les eaux du fjord. Mais ce baiser était bien agréable. — Tu abandonnes le combat, tigresse ? Kristen sourit, sachant que Royce était assis à ses côtés dans le lit. — Non, milord. — Voilà un nouveau défi que je suis prêt à relever. — Oh ! Elle ouvrit les yeux et s’empara de l’oreiller pour le lui lancer au visage. Il fuyait déjà vers la porte. — Non, Kristen… Tu as gagné, j’abandonne. Il y a beaucoup à faire ce matin et il est déjà tard. J’ai envoyé Eda chercher tes affaires et… Il s’interrompit alors que la vieille servante faisait son apparition. — Ah, bien, reprit-il. Tu n’as qu’à lui expliquer, Eda. Il disparut. Kristen se redressa. — Que se passe-t-il ? Qu’y a-t-il de si urgent ? — Alfred arrive aujourd’hui, expliqua Eda. — Votre roi ? Eda hocha la tête. — Des cavaliers viennent de nous l’annoncer. Nous n’avons que quelques heures pour tout préparer. — Mais pourquoi vient-il ? — C’est un honneur pour nous. — Mais tu ignores la vraie raison de sa visite ? — Comment veux-tu que je la connaisse ? C’est son habitude, depuis le traité de paix, de rendre visite à ses barons pour inspecter leurs défenses, voir s’ils sont prêts et leur rappeler leurs devoirs. Il encourage les hommes à s’entraîner plus durement et ils lui obéissent. C’est la troisième fois qu’il vient à Wyndhurst depuis l’Année des Batailles. — Tu vois… Tu en savais plus que tu ne le croyais, la taquina Kristen. — Il peut y avoir d’autres raisons… On dit qu’il aime rendre visite à ses amis pour oublier pendant quelques heures la menace des Danois et les manigances de la Cour. Et lord Royce a toujours été un de ses préférés. — Comme c’est charmant, répliqua Kristen, sarcastique. Au matin, quand il n’était pas avec elle pour assaillir ses sens et ses pensées, elle retrouvait une certaine méfiance à l’égard de son « seigneur ». — Alors, reprit-elle, qu’as-tu pour moi ? Encore des vêtements trop petits ? — Non, ceux-ci ont été faits spécialement pour toi, ils devraient t’aller mieux. La robe qu’Eda lui montrait déçut Kristen, car elle était taillée dans le même tissu grossier que les hardes qu’elle portait jusque-là. — C’est Royce qui l’a fait faire ? — Non, lady Darrelle, répondit Eda. Elle te trouve indécente, elle dit que tu as les chevilles et les jambes nues et que c’est intolérable. Il semble que tu ne laisses pas indifférents certains hommes. Kristen sourit, puis elle rit avec Eda. Mais sa bonne humeur s’évanouit dès qu’elle aperçut les chaînes que la vieille servante lui tendit lorsqu’elle eut mis la robe. Elle ne broncha pas et referma elle-même les bracelets sur ses chevilles. Résister à Royce n’avait servi à rien. Et il ne servirait à rien non plus de continuer à montrer sa répugnance. Si jamais un jour elle devait être débarrassée de ses chaînes, elle en serait ravie. En attendant, mieux valait les porter car elles nourrissaient la haine qui lui permettait de résister au seigneur saxon. Le hall était presque désert quand les deux femmes y pénétrèrent. La plupart des femmes préparaient les chambres pour le roi et sa suite. Royce et ses hommes étaient partis à la chasse afin de constituer des réserves de viande. Les serfs, eux, travaillaient dehors, emmenant les chevaux aux pâturages afin de libérer de la place pour les montures des nouveaux arrivants. Certains roulaient d’énormes tonneaux de bière vers le manoir. Les deux femmes qui s’échinaient devant la cheminée s’esquivèrent dès que Kristen et Eda firent leur apparition. Kristen en fut si éberluée qu’elle ne réagit même pas quand on lui posa son autre chaîne. — Elles n’espèrent quand même pas qu’à deux, nous allons préparer le repas pour tous les invités ? Eda rit de bon cœur. — Elles reviendront avec les autres dès que lady Darrelle en aura fini avec elles en haut. Les visites royales mettent toujours milady au bord de la crise de nerfs. Elle n’arrête pas de hurler et de se lamenter. En fait, elle empêche tout le monde de travailler. Tout irait nettement mieux si elle restait au lit. — Eda ! — C’est la vérité, insista la vieille femme. Kristen dissimula un sourire tandis qu’elles s’attaquaient à leur tâche. Eda venait de révéler un nouvel aspect de sa personnalité : le sens de l’humour. Depuis qu’elle était arrivée dans ce pays, Kristen avait constaté que l’humour ne faisait guère partie des habitudes locales. Elle n’en appréciait Eda que davantage. Tout à coup, elle se rendait compte qu’elle éprouvait une réelle sympathie pour la vieille servante. Avec sa rudesse, ses conseils intempestifs et son attention bourrue, elle rappelait à Kristen la vieille Alfreda qui était aussi autoritaire qu’une mère – une mère ordinaire, pas une mère comme Brenna – mais aussi une très bonne amie. Eda retrouva vite son caractère grincheux. — C’est incroyable ! grogna-t-elle quelques secondes plus tard. Elles ne sont pas encore revenues ! Et c’est moi, une vieille femme, qui vais devoir servir ces trois-là, comme si je n’avais que ça à faire ! Kristen suivit son regard vers la porte que trois jeunes inconnus venaient de franchir. — Ce sont les messagers du roi ? — Oui, et à en croire leur apparence, ce sont des nobles. Les trois hommes riaient aux éclats. Ils enlevèrent leurs courtes pèlerines mais gardèrent leurs armes en se dirigeant tout droit vers le grand tonneau de bière au fond du hall. Eda essuya rapidement trois coupes pour les leur apporter. Quand elle revint, elle semblait encore plus préoccupée. — Je pensais bien avoir reconnu ce joli cœur. C’est lord Eldred. Non, femme, ne regarde pas, prévint-elle sèchement. Il ne doit surtout pas te voir. Peine perdue, Kristen avait déjà attiré l’attention des trois hommes. Le hall étant désert, ils avaient vaguement regardé les deux seules personnes présentes. Et il était difficile d’ignorer Kristen une fois qu’on l’avait aperçue. Elle était trop différente – trop grande, trop sculpturale et certainement beaucoup trop fière pour faire une serve ordinaire. Kristen garda les yeux baissés mais elle voulait savoir : — Lequel est-ce ? — Le blond. Il a eu l’audace de précéder le roi. Je me demande si milord Royce sait qu’il est ici. Non, c’est impossible. Jamais il ne tolérerait de le laisser seul chez lui. Suis-moi. Perplexe, Kristen se laissa entraîner au bout de la table de façon à tourner le dos à la salle. Elle n’avait pas oublié ce que la vieille servante lui avait appris au sujet de lord Eldred. C’était l’ennemi de Royce. Pourquoi osait-il s’aventurer pratiquement seul chez son ennemi ? Pour montrer qu’il ne le craignait pas ? Ou bien comptait-il sur la prochaine arrivée du roi et sur sa protection ? Eda avait évoqué une trêve entre les deux hommes, mais que valait cette trêve s’ils se haïssaient profondément ? Elle essaya de se représenter lord Eldred d’après la vision fugitive qu’elle avait eue de lui à son arrivée. Il devait être à peu près aussi grand qu’elle. Il n’était donc pas petit pour un Saxon, sauf si on le comparait à Royce. Il était sans doute un peu plus âgé que son rival mais pas aussi puissamment bâti. Il semblait pourtant en excellente condition. Et il possédait des traits extrêmement séduisants. Mais son charme la laissait indifférente car c’étaient les hommes solides comme Royce qui l’attiraient. Elle n’éprouvait à l’égard de celui-ci et de ses compagnons qu’une vague curiosité. — Tu as perdu ton pari, Randwulf. Ce n’est pas un homme déguisé en femme, mais bien une femme. Kristen laissa échapper une exclamation étranglée et fit volte-face. Ils étaient tous les trois juste derrière elle. Elle ne les avait pas entendus approcher. — C’est un pari que je suis content de perdre, répondit le brun Randwulf. Il lança une pièce d’or à Eldred sans quitter Kristen des yeux. La pièce tomba sur le sol car Eldred était lui aussi fasciné par la jeune femme. — Dis-nous, femme, pourquoi t’ont-ils enchaînée ? s’enquit Eldred. Ton crime est-il si grave ? Es-tu vraiment si dangereuse ? Ce n’était pas chose à dire devant Kristen. Elle sentit la colère monter en elle. — Je le suis. — Ouh ! J’ai peur ! s’exclama l’un d’entre eux, et tous les trois s’esclaffèrent. — Dis-nous la vérité, femme, insista Eldred. — Je suis norvégienne, répliqua-t-elle. Cela vous suffit-il ? — Par le sang du Christ, une Viking ! s’exclama le troisième homme. Je comprends l’usage des chaînes maintenant. — Dommage qu’elle ne soit pas danoise, se lamenta Randwulf. J’aurais su comment la traiter. Eldred sourit. — Tu es un sot, Randwulf. Quelle importance ? C’est une esclave, à présent. Il leva la main pour frôler la joue de Kristen. Nerveuse, elle détourna la tête. Ils l’avaient encerclée et la table derrière elle l’empêchait de fuir. De toute façon, elle ne serait pas allée loin avec la longue chaîne qui la retenait au mur. — Passez votre chemin, milords, lança-t-elle. J’ai du travail. Elle tenta un geste téméraire : elle leur tourna le dos en espérant que cela suffirait à les éloigner. Elle s’était trompée. Un corps dur se pressa contre le sien et deux mains lui saisirent les seins. La réaction de Kristen fut immédiate. Elle n’eut qu’à se retourner pour se débarrasser de son agresseur. C’était Randwulf et il tituba avec une expression de stupéfaction presque comique. — Tu as osé, femme ? balbutia-t-il en essayant de retrouver son équilibre. Tu as osé ! Kristen examina ses trois assaillants. Eldred semblait amusé mais pas les deux autres. Par le Ciel ! Si seulement elle avait eu une arme pour les tenir à distance… Mais on ne lui permettait même pas de se servir des petits couteaux de cuisine. Les autres femmes se chargeaient de découper tout ce qui devait l’être. — Je ne suis pas ici pour votre plaisir, milords, je suis une otage afin que les hommes avec qui je suis venue ne cherchent pas à s’enfuir. Royce n’apprécierait sûrement pas qu’on me fasse du mal. Elle bluffait car elle ignorait quelle serait la réaction de Royce si ces hommes la violaient. Cela pouvait très bien lui être complètement égal. Il pouvait même en être ravi car il tiendrait là une bonne excuse pour provoquer Eldred en duel. Ce dernier l’avait écoutée avec un intérêt non dissimulé. — Royce ? Pas lord Royce ? Tiens, tiens… — Elle doit lui offrir ses faveurs, ricana Randwulf. Et s’il peut l’avoir, alors nous aussi — Non ! s’écria Kristen qui ne quittait pas Eldred des yeux. Es-tu prêt à courir un tel risque ? Il te tuera ! — Tu crois ça, femme ? fit Eldred en souriant. Laisse-moi te détromper. Ton Royce ne fera rien du tout car Alfred n’aime pas que ses nobles se battent entre eux et Royce ne fait jamais rien qui déplaise à Alfred. Tout en parlant, il s’était approché, imité par ses acolytes. Elle devait les surveiller tous les trois et Eldred en profita pour la prendre par surprise. Il lui saisit les mains et les lui maintint derrière le dos, la forçant à s’écraser contre lui. Il essaya de l’embrasser mais elle se déroba. Il pensa remédier à cette situation en lui tenant les deux poignets avec une seule main. Ce fut son erreur. Elle libéra immédiatement une de ses mains et, au lieu de le gifler comme toute autre femme l’aurait fait, elle le gratifia d’un coup de poing à la mâchoire qui le fit reculer, étourdi. Elle n’eut pas le temps d’en profiter car les deux autres lui sautèrent dessus et l’empoignèrent. Eldred était furieux. Un rictus affreux tordait ses traits. — Tu vas me le payer, barbare, promit-il. J’aurai ta peau dès que j’en aurai fini avec toi ! — Assez ! Ils se tournèrent tous pour voir Alden accourir, Eda sur les talons. Kristen eut envie d’embrasser la vieille femme pour avoir amené quelqu’un… même lui. — Ne te mêle pas de ça, Alden, prévint Eldred. Elle m’a frappé. — Vraiment ? Eh bien, ça ne m’étonne pas, répliqua Alden en contournant la table pour désigner de la pointe de son épée la chaîne qui l’attachait au mur. Pourquoi crois-tu qu’on l’ait enchaînée ? Eldred se fit menaçant. — Je te préviens, Alden. Je suis décidé à l’avoir. — Oui, approuva Randwulf. Moi aussi ! — Vas-tu nous combattre tous les trois ? Eldred souriait. Alden feignit la surprise. — Moi ? Je n’en aurai pas besoin. Elle se débrouille très bien toute seule. Tu vas voir. Il me semble équitable qu’elle soit autorisée à le faire. Et il brisa l’attache de la chaîne d’un violent coup d’épée. Les trois hommes ne réagirent pas tout de suite. Ils surveillaient Alden qui se tenait à trois mètres d’eux, l’épée tirée. Randwulf fut le premier surpris. Kristen se libéra de sa poigne et ramassa la longue chaîne qui traînait par terre. Le troisième homme ne put la lâcher assez vite. Kristen lui assena un coup de chaîne sur le crâne et le propulsa vers ses amis. Elle n’était plus encerclée et elle disposait d’une arme redoutable. Ils ne pouvaient plus l’approcher sans risques. Randwulf fut assez téméraire pour essayer. Il pensait pouvoir bloquer la chaîne avec son avant-bras puis la déséquilibrer en tirant dessus. Il ne fut pas assez vif. Ayant vu son bras levé, Kristen frappa au-dessous, sur la cage thoracique. Sous la violence du coup, une côte se brisa avec un craquement sinistre. Le souffle coupé, Randwulf faillit s’évanouir et la douleur devint tellement insupportable qu’il s’effondra en hurlant. Kristen n’éprouva pas le moindre remords. Elle était prête à recommencer. Eldred fut le premier à s’en rendre compte et il fit signe à l’autre homme de reculer. Mais, nullement résigné, il se tourna vers Alden. — Ne crie pas victoire trop vite. Le roi entendra parler de cette affaire. Il nous a envoyés ici… — Pour maltraiter les esclaves de mon cousin, peut-être ? Non, je ne le pense pas. Et à ta place, Eldred, je me soucierais davantage de la réaction de Royce que de celle d’Alfred. — Elle a blessé un homme. Elle doit payer. — Mon cousin paiera l’amende. Eldred ricana et sortit pour se calmer, laissant à son compagnon le soin de s’occuper de Randwulf. Kristen resta sur ses gardes jusqu’à ce qu’ils aient tous quitté le hall. Puis elle fit face à Alden. La chaîne pendait entre ses mains mais elle ne la lâchait pas. Il la fixa droit dans les yeux, devinant ses pensées. — Tu le ferais ? demanda-t-il avec une étrange douceur. Alors que je viens de t’aider ? — Je n’ai pas demandé ton aide. — Mais elle t’était nécessaire. Elle finit par hocher la tête. — Très bien, pour cette fois… Elle laissa tomber la chaîne, montrant qu’elle ne l’attaquerait pas. — Mais ce que tu as fait à mon frère, reprit-elle, je ne pourrai jamais l’oublier. Alden soupira. — Je le sais et j’en suis désolé. Kristen lui tourna le dos
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Partie 22

Quand Royce arriva, Kristen n’avait toujours pas bougé. Les genoux rassemblés sous elle, elle était prête à bondir en cas de besoin. Il ne semblait pas furieux… pas encore. Mais il n’était pas ravi non plus. Sortant de son bain, il portait une tunique blanche à manches longues, et une sorte de robe ouverte devant, bordée d’un large galon de soie verte et qui descendait jusqu’à ses pieds. Le vert et le blanc mettaient en valeur sa chevelure sombre et son teint bronzé. Il était superbe mais elle n’en avait cure. Il continuait à se moquer d’elle, et ce petit jeu avait assez duré. — Eda m’a expliqué les raisons de ta présence ici. Je veux savoir pourquoi tu t’es crue dispensée de porter tes chaînes alors que je ne t’ai rien dit de tel. La voix de Kristen s’éleva, calme et assurée. — C’est simple, Saxon. Tu sais pourquoi j’ai refusé de partager ton lit pendant une semaine entière. Malgré cela, tu m’as prise avec toi, hier soir. J’ai été assez stupide pour croire que tu avais changé d’avis et que tu ne voulais plus m’imposer ces chaînes. — C’est vrai, répliqua-t-il, tu as été stupide de croire une chose pareille. Je t’ai déjà expliqué pourquoi tu dois rester enchaînée. Je t’ai aussi proposé d’autres choix. Le calme de Kristen s’envola. — Je crache sur tes propositions ! Je porterai tes maudites chaînes, mais je ne veux plus de toi. Je ne supporterai pas de te faire l’amour la nuit et d’être enchaînée le jour. Il s’approcha d’elle. Craintive, elle se leva, mais il ne la toucha pas. — Je te croyais plus forte… — Je ne suis pas sans courage, milord. Mon père a été capturé et emprisonné dans sa jeunesse. Ma mère a dû endurer l’esclavage, elle aussi. Je suis ce que mes parents ont fait de moi et je ne serais pas digne d’eux si je ne pouvais supporter ma condition actuelle. Pour moi, il s’agit d’une punition méritée pour leur avoir désobéi et être partie avec mon frère. Je suis capable de le supporter, Royce. Mais il y a des limites à ce que je suis prête à subir sans me battre. Ne t’occupe plus de moi désormais, et je ne te causerai aucun problème. — Je ne peux pas, déclara-t-il, sincère. Et toi non plus, tu ne le veux pas, Kristen. — Je ne veux plus rien avoir à faire avec toi. Il serra les lèvres et des turbulences étranges apparurent dans le vert de ses yeux. — Comment peux-tu dire une chose pareille après hier soir ? — C’est ainsi. — Menteuse ! Tu as encore envie de moi, je te le prouverai. Elle le regarda avec mépris. — L’obstination est mon plus grand défaut. Il me vient de ma mère. Un jour, elle a refusé de parler à mon père en raison d’une dispute. Elle ne lui a pas adressé la parole pendant un mois entier. Et pourtant, ils s’aiment avec passion. J’ai peut-être encore envie de toi, Royce. Je suis attirée par toi et cela, je ne peux le changer. Mais je ne l’admettrai jamais et si tu me possèdes, ce sera contre ma volonté car, en m’enchaînant, tu me montres que je ne suis rien pour toi, que tu n’éprouves aucun sentiment à mon égard. J’ai besoin d’autre chose de l’homme auquel je me donne. Le désir seul ne suffit pas. — Ainsi, tu nous refuses à tous deux ce plaisir ? Kristen ferma les yeux. Qu’avait-elle espéré ? Qu’il lui dise qu’il tenait à elle ? qu’il éprouvait des sentiments très forts pour elle ? Quelle folie… Elle ouvrit les yeux. Il n’avait pas bougé. Mais, à présent, un muscle tressaillait sur sa joue. Il serrait les poings et ses yeux étaient deux fentes vertes. Il était enfin en colère. Tant mieux ! Voilà au moins quelque chose qu’ils avaient en commun. — Réponds-moi, femme ! — Oui, milord. Je refuse ce plaisir. — Diablesse ! Tu as parlé. Maintenant, tu vas m’écouter. Je te prendrai quand j’en aurai envie, que cela te plaise ou non. J’ai été clément jusqu’ici, mais j’ai eu tort et je ne commets jamais deux fois la même erreur. Tu as cru… j’ai voulu te laisser croire que tu avais le choix. C’est faux, Kristen, tu n’as pas le choix. Tu m’appartiens. Ta vie, ton corps, ton âme, tout m’appartient. — Jamais ! Tu me possèdes, c’est vrai, car tu peux me tuer, me vendre, me violer ou faire de moi ce qu’il te plaira. Mais il n’en sera pas toujours ainsi. Si je suis vendue, si je m’échappe ou si je meurs, tu ne posséderas plus rien. Quant à t’appartenir ! Tu ferais mieux d’y réfléchir à deux fois. À moins que je ne le veuille, ce mot ne signifie rien. Pour t’appartenir, il faudrait que je t’aime vraiment. Il faudrait que je veuille ne jamais te quitter… — Je ne te demande pas ton amour, déclara-t-il méchamment. — Tant mieux ! rétorqua-t-elle sur le même ton. Parce que je ne te le donnerai pas. Tu parles de choix. Oui, que tu me possèdes dépend uniquement de toi. Que je sois prête à m’offrir à toi ne dépend que de moi. Et cela, je ne le veux pas, Saxon. — Tu veux donc me résister ? — Oui. — Tu as déjà appris à tes dépens que cela ne sert à rien. — Non, ce que j’ai appris, c’est qu’il est facile de te manipuler en te défiant, admit-elle avant de poursuivre, l’air railleur : Tu ne sais pas encore comment je peux me défendre. Hier soir, tu n’as rien fait que je ne voulais que tu fasses. Car j’avais envie de toi. Mais si tu tentes de me forcer maintenant, je me battrai pour de bon. Et je te jure que tu n’en tireras aucun plaisir. Elle ne le vit pas bouger. D’un geste vif comme l’éclair, il s’était emparé de son bras et la traînait vers la porte. Elle le laissa faire jusqu’à ce qu’ils soient dans le couloir. Là, brusquement, elle se libéra. Elle l’entendit jurer tandis qu’elle fuyait. Il la plaqua violemment au sol avant qu’elle n’atteigne l’escalier. Il pesa sur elle de tout son poids. Elle attendit encore qu’une opportunité s’offre à elle. Dès qu’il se souleva un peu, elle lui expédia son coude dans les côtes et roula sur le côté. Elle tenta de le frapper à nouveau d’un coup de pied mais il saisit sa jambe au vol, la tordit d’un coup sec en arrière. Il lui prit la main et, l’instant d’après, il la mettait sur ses épaules. Il eut quelques problèmes à se redresser tandis qu’elle se débattait violemment, mais il y parvint et se dirigea vers sa chambre. Kristen ne s’avouait nullement vaincue. Jetée en travers de ses épaules, elle empoigna ses cheveux longs et les tira si violemment en arrière qu’un homme moins puissant en aurait eu le cou brisé. Royce perdit l’équilibre et se cogna contre le mur. Kristen cria en se sentant tomber. Elle atterrit sur les fesses. Mais elle ne lâcha pas les cheveux de Royce, le forçant à s’agenouiller près d’elle. Avec un cri de rage, il lui fit lâcher prise en lui tordant le poignet derrière le dos. Elle crut qu’il lui brisait le bras. Il ne cherchait, en fait, qu’à l’obliger à se lever. Ce qu’elle fit vivement. Il la maintenait devant lui, l’obligeant à avancer en lui imprimant de douloureuses torsions du bras. Il la conduisit ainsi jusqu’à sa chambre. Dès qu’ils en eurent franchi le seuil, il la poussa violemment. Kristen trébucha, se redressa et fit volte-face. Calmement, il ferma la porte. Tout aussi calmement, il dépassa la jeune femme et lança la clé par la fenêtre ouverte. Un frisson glacé parcourut Kristen. Il ne se jeta pas immédiatement sur elle. La pièce était bien éclairée et il semblait froidement déterminé. Il la jaugeait, mais il ne venait toujours pas. Il se dirigea vers le lit. Là, à l’aide de sa dague, il commença à découper de fines bandes de tissu dans la couverture. Elle ne comprenait pas où il voulait en venir. Elle se disait qu’il était sûrement devenu fou car cette couverture était une véritable œuvre d’art, tissée dans une laine très fine et brodée de fils de couleurs différentes. Après avoir découpé quatre longs morceaux, Royce s’arrêta. Il attacha l’un des morceaux à l’un des quatre montants du lit puis se dirigea vers le suivant. Kristen se figea. Elle crut que son cœur s’arrêtait car elle ne voyait qu’une seule raison à un tel comportement. Avec un hurlement de désespoir, elle courut jusqu’au mur couvert d’armes et décrocha une lourde épée. Il était fou ! — Repose-la, Kristen. Comment pouvait-il être aussi calme quand il avait l’intention de la torturer ? Elle lui fit face. — Non ! Tu devras me tuer ! Je ne te laisserai jamais me torturer ! Il secoua la tête avant d’achever sa besogne. Il attacha le troisième bout de tissu, puis le quatrième. Il ne la regardait même pas, se concentrant sur ce qu’il faisait. Elle ne le quittait pas des yeux et vit un sourire cruel étirer ses lèvres. Cette vision lui rendit son sang-froid. L’épée était lourde, beaucoup plus lourde que toutes celles avec lesquelles elle s’était entraînée. Tout à coup, elle se rendit compte qu’elle avait laissé passer sa chance. Elle aurait dû en prendre une plus légère, et attaquer Royce plutôt que de rester là à le regarder sans rien faire. Royce rengaina sa dague dans son fourreau. Les mains nues, il vint vers Kristen. Il disposait d’un ample choix d’armes dans la panoplie mais pour se servir, il devait d’abord l’écarter. Elle ne lui en laisserait pas l’occasion. Gardant la pointe de l’épée assez bas, elle était prête à la relever brusquement pour piquer vers sa cible. Mais Royce s’arrêta à distance, de façon qu’elle soit obligée de bouger pour l’atteindre. — Dis-moi, Kristen. Toutes les Norvégiennes sont-elles aussi bien entraînées au maniement des armes ? — Non. — Mais je sais que toi, tu l’as été car tu as prouvé à deux reprises ton habileté au détriment de mon cousin. C’est ton père qui t’a entraînée, je suppose ? Ou peut-être ton frère Selig ? Bien sûr, il n’était pas si fort que cela sinon… Elle poussa un hurlement de rage et leva l’épée au-dessus de sa tête pour l’abattre violemment. Elle lui aurait tranché l’épaule s’il n’avait fait un bond sur le côté. Mais, au lieu de reculer, il s’était approché d’elle. Son poing frappa le poignet de Kristen avant qu’elle n’ait eu le temps de manœuvrer à nouveau son arme pesante. L’épée tomba bruyamment sur le sol. Kristen se sentit retournée. Tout à coup, il se trouvait derrière elle et lui maintenait les deux bras dans une étreinte irrésistible. Elle avait beau se débattre de toutes ses forces, elle ne parvenait pas à se libérer. — Petite idiote. Personne ne t’a appris à ignorer les commentaires de ton adversaire ? Pour toute réponse, elle lui envoya un coup de talon dans le tibia mais ses fines sandales ne lui infligèrent qu’une douleur minime. Il la jeta sur le lit avant de se laisser tomber sur elle, l’immobilisant sous son poids. Il attendit qu’elle libère une de ses mains pour s’en emparer. Kristen gémit sourdement lorsqu’il noua un morceau de tissu autour de son poignet. Il avait lié le poignet gauche au montant droit. Elle se retourna mais son poing ne rencontra que le vide. Dédaignant la deuxième main, il s’occupa des jambes. Il lui fut facile d’en attacher une en immobilisant l’autre sous son genou. Kristen avait envie de pleurer mais la rage l’emportait encore. — Après, tu feras bien de me tuer, Saxon, sinon je t’enverrai en enfer ! Royce ne prit même pas la peine de lui répondre. Il se leva et la contempla : elle avait les deux jambes écartées, les deux pieds solidement attachés aux montants du lit. Il s’approcha du dernier coin encore inutilisé. Kristen ne le quittait pas des yeux, gardant son bras droit pressé contre elle. Quand il se pencha pour le saisir, son poing jaillit. Il ne fut pas assez vif et elle éprouva une immense satisfaction en voyant la lèvre de Royce éclater. Du sang perla. Il n’était plus aussi fier, à présent. Il s’empara de son bras libre d’un geste rageur et l’immobilisa dans un nœud douloureux. Puis il se redressa et essuya le sang sur sa bouche du revers de la main. Il triomphait. Elle ferma les yeux. Cela avait été trop facile. Et maintenant, il allait la fouetter, ou la punir d’une manière ou d’une autre. Elle sentit un contact glacé contre sa peau. Il découpait sa tunique avec sa dague. Kristen garda les yeux fermés. Elle ne crierait pas quand la douleur commencerait, elle ne pleurerait pas et elle ne le supplierait pas. Elle ne lui donnerait pas cette joie. — Ouvre les yeux, Kristen. Elle refusa. Elle sentit le lit s’affaisser. Il venait de s’asseoir à ses côtés. Finalement, comme il ne disait et ne faisait toujours rien, elle s’énerva et regarda. Son regard était plongé dans le sien. Puis, délibérément, ses yeux quittèrent son visage pour caresser tout son corps. Une sensation de chaleur s’éveilla au plus profond d’elle-même. Elle était totalement impuissante. Elle pouvait à peine plier les genoux. Ses bras n’étaient pas complètement étirés et elle était néanmoins surprise de constater que cette position n’était pas réellement inconfortable. Ses liens ne lui mordaient pas les chairs à moins qu’elle ne force dessus. C’était l’incapacité dans laquelle elle se trouvait de se défendre qui la rendait si misérable. Et aussi le fait de ne pas savoir comment il allait la torturer. — Tu t’es trompée. Elle le dévisagea, perplexe. — Comment ça ? — Tu jurais que je n’aurais aucun plaisir si tu me résistais. Je t’assure que c’est un réel plaisir de te voir comme ça. Dieu lui vienne en aide ! Cet homme allait prendre plaisir à l’humilier… — Sors ton fouet et qu’on en finisse, Saxon ! Il sourit. — Ah ! oui, tu as parlé de torture. Tu fais bien de me le rappeler. Il s’empara de sa longue natte et l’examina avec une grande attention. — Tu ne vas quand même pas me fouetter avec ça ? s’exclama-t-elle, incrédule. — Bonne idée, fit-il en souriant. Il lissa la natte dorée entre ses mains. — Peut-être comme… ça, ajouta-t-il. L’extrémité de la natte formait comme un pinceau entre ses doigts et il s’en servit pour effleurer le bout d’un de ses seins. Le sang afflua dans le mamelon qui se dressa. Kristen en eut la chair de poule. La réponse involontaire de son corps ne passa pas inaperçue aux yeux de Royce dont le sourire s’élargit. Le pinceau frôla négligemment la vallée qui séparait les seins avant de brosser doucement l’autre mamelon. Royce se doutait-il de ce qu’il était en train de lui infliger ? Jusqu’ici, Kristen avait eu peur. Cette peur se transformait à présent en excitation. Elle était à la merci d’un homme qui savait parfaitement comment la satisfaire. Elle n’avait pas envisagé une telle torture… — Tu… tu ne vas pas me frapper ? — Pourquoi sembles-tu si surprise ? demanda-t-il doucement en promenant son pinceau improvisé sur son ventre. J’aime trop ta peau, tu crois vraiment que je voudrais lui infliger des marques disgracieuses ? — Tu étais furieux… — Avec raison. Tu viens de faire de moi un menteur. J’ai juré à ton ami Thorolf, aujourd’hui même, que je n’ai pas eu à te forcer pour t’amener dans mon lit. Et tu viens de m’obliger à le faire. — Tu lui as dit… Oh ! Royce haussa les épaules. — Il se faisait du souci pour toi et voulait s’assurer que je n’usais pas de mes privilèges pour profiter de ta personne. — Et maintenant ? — Oui, maintenant c’est vrai. Mais tu as admis toi-même qu’hier soir, je n’ai rien pris que tu n’étais disposée à m’offrir. — Fallait-il que tu dises cela à Thorolf ? — Tu aurais préféré qu’il se ronge d’inquiétude pour toi ? — J’aurais préféré qu’il ne s’imagine pas que… — Que tu me trouves à ton goût ? — Que le diable t’emporte, Saxon ! Tu ne me plais pas. Elle poussa alors un petit cri de surprise : il venait de l’embrasser sur le ventre. — Non, arrête ! Du bout de la langue, il dessina les contours de son nombril. — Tu résistes toujours, tigresse ? Mais comme tu ne peux pas m’en empêcher, peut-être vas-tu me supplier ? — Non ! Il se redressa et ses mains s’étalèrent sur son ventre pour entamer une lente ascension vers ses seins. — C’est bien ce que je pensais. Tu n’as pas vraiment envie que j’arrête. Ses doigts s’enroulaient autour de ses seins. Elle s’entendit insister d’une voix défaillante. — Non. Je… je ne supplierai ja… jamais. Il pinça les mamelons durcis avant de leur infliger un plus tendre traitement. Il continua à provoquer alternativement douleur et plaisir sur cette zone particulièrement sensible. Elle avait envie de hurler. C’était insupportable. Elle ne pouvait plus faire semblant de ne rien éprouver. Son cœur battait la chamade, le sang affluait dans ses veines. Une chaleur merveilleuse se répandait en elle. Royce était fasciné par le spectacle qu’elle lui offrait, avec ses yeux d’un bleu limpide comme deux fentes obliques et ses dents qui mordillaient sa lèvre inférieure. Il s’interdit de lui embrasser les lèvres de crainte qu’elle ne le morde. Mais ses mains quittèrent enfin ses seins pour maintenir son visage tandis qu’il l’embrassait partout sauf sur la bouche. À l’oreille, il l’implora : — Dis-moi que tu me veux, Kristen. — Ja… mais. Il se redressa pour l’examiner. Il n’avait jamais vu de femme aussi proche de l’extase. Il secoua la tête en souriant. — Tu es têtue, ma douce tigresse, mais moi aussi… Et je te promets que tu vas m’implorer. Il se leva et gagna l’extrémité du lit. Là, très lentement, les yeux posés sur son corps offert, il commença à se déshabiller. Le regard de Royce sur elle procurait à Kristen les mêmes sensations que ses caresses. Elle ferma à nouveau les yeux et essaya de se calmer, en vain. L’idée de ce qui allait venir l’excitait trop. Elle n’eut pas à attendre longtemps. Elle sentit les mains de Royce sur ses chevilles. Elle refusa de le regarder. Lentement, les mains remontèrent à l’intérieur de ses jambes – non, elle ne regarderait pas –, dépassèrent ses genoux, plus lentement encore, frôlèrent ses cuisses, plus haut… Il s’arrêta, hésita. Kristen retint son souffle, certaine que son cœur allait exploser. Puis les doigts changèrent de direction, enveloppèrent ses hanches avant de redescendre vers les genoux. Elle commençait à respirer plus librement quand ses maudits doigts entamèrent une nouvelle ascension. Encore et encore, il recommença cette lancinante exploration, s’approchant chaque fois plus près de son intimité mais ne la touchant jamais, lui laissant croire qu’il allait enfin le faire, le lui faisant espérer. Elle était submergée de sensations délicieuses. — Regarde-moi, Kristen. Elle secoua follement la tête. — Kristen. Elle rejeta le menton en arrière afin de ne pas le voir accroupi entre ses jambes. Tout à coup, il glissa ses bras sous ses hanches et la souleva. Elle sentit ses joues frôler l’intérieur de ses cuisses. — Et maintenant, as-tu envie de moi, Kristen ? Elle ne répondit pas. Il la souleva encore un peu et elle sentit son souffle sur… Dieu lui vienne en aide… Ô Seigneur ! Sa langue toucha le petit bouton rose qui contrôlait sa passion et il n’en fallut pas davantage. Kristen explosa avec violence. Elle hurla le nom de Royce. Elle se cambra, exigeant le contact de sa langue. Elle l’aurait serré contre elle si elle avait pu. Mais il ne lui refusa pas ce qu’elle demandait. Un bonheur suprême la dévora. Royce n’en avait pas fini avec elle. Elle n’eut pas le temps de retrouver ses esprits que, déjà, il entamait un nouvel assaut. Et elle n’avait plus la volonté de lui résister. Elle était trop heureuse, trop éberluée par ce qu’il venait de lui faire. Rien que d’y penser, elle en était à nouveau bouleversée. Il était sur elle à présent. Ses lèvres traçaient des sillons brûlants sur sa peau. Mais il ne voulait pas la pénétrer, il refusait de s’abandonner tout de suite à sa propre rage. Il se redressa. — Tu me veux, souffla-t-il contre ses lèvres. Dis-le. — Non. Il lui mordilla les lèvres. — Tu préfères que je te laisse maintenant ? Elle aurait l’impression de mourir s’il mettait cette menace à exécution. Mais le pouvait-il ? Non, c’était impossible. Elle resta silencieuse, les yeux emplis d’un mélange de fierté obstinée et de désir. Il gémit, acceptant la défaite. Mais ce n’était rien en comparaison de ce qu’il éprouva quand il plongea en elle, la conduisant avec lui au sommet d’une nouvelle jouissance. Kristen revint à la réalité pour découvrir que Royce lui enlevait ses liens. Quand il eut terminé, il la serra dans ses bras et se rallongea. Elle se nicha contre lui. Elle ne lui résisterait plus à présent, il s’en rendait compte et en profitait. — Tu savais que je ne t’aurais pas quittée, murmura-t-il d’un ton accusateur. — Oui, je le savais. Somnolente, Kristen sourit
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Partie 21 Kristen s’étira langoureusement. Elle sourit au rouge-gorge perché sur le rebord de la fenêtre dont le chant joyeux l’avait éveillée. Il s’envola dès qu’elle se leva. Elle était seule. Elle se demanda si la porte était verrouillée et alla le vérifier. Elle ne l’était pas. Elle sourit à nouveau. Oui, les changements avaient commencé. Royce allait enfin lui donner sa confiance. Elle devrait veiller à ne surtout pas le décevoir. Ses vêtements gisaient toujours là où Royce les avait laissé tomber la veille. Elle s’habilla rapidement puis remit un peu d’ordre dans la chambre en fredonnant un chant celte que sa mère lui avait appris. — Ainsi, tu connais d’autres langues que la nôtre ? Kristen jeta un regard vers le seuil. Elle accueillit Eda avec un large sourire. — Oui, plusieurs. — Eh bien, arrange-toi pour que milord Royce ne t’entende pas utiliser celle-là, car la plupart des Celtes sont nos ennemis. — La plupart ? — Certains vivent paisiblement ici dans le Wessex aux côtés des Saxons, tout comme ceux qui se trouvent dans le Devon et même dans le Dorset. Mais les Celtes qui occupent les côtes à l’Ouest sont nos ennemis… Ils se sont ligués avec les Danois. — Et les Gallois qui vivent au Nord-Ouest ? s’enquit Kristen en pensant à sa mère. — Des ennemis, eux aussi, même s’ils sont trop loin d’ici pour nous causer du tort. La dernière fois que j’ai entendu parler d’eux c’était il y a bien des années quand ils ont attaqué la Mercie. Le roi Ethelwulf, le père d’Alfred, s’est porté au secours des Merciens. Il a conduit son armée vers le nord et vaincu les Gallois. Mais les autres, ceux de Cornouailles, continuent à lancer des raids contre nous. Il y a à peine deux jours, une bande de pillards a tenté de nous voler du bétail. Lord Royce a retrouvé les bêtes mais il a pourchassé les voleurs en vain pendant toute la nuit. Ils lui ont échappé. Alors, crois-moi, il n’aimera pas t’entendre utiliser cette langue. Kristen souriait de plus en plus béatement, au point de se mettre à rire de façon incontrôlable. Voilà donc pourquoi Royce n’était pas venu la voir l’autre soir… Et dire qu’elle s’était imaginé qu’il passait la nuit dans les bras d’une autre femme ! — Ta bonne humeur me surprend, grommela la vieille servante. — Tu ne comprendrais pas, Eda. Mais je suis désolée que Royce n’ait pu rattraper ces voleurs. J’ignorais que les Celtes étaient vos ennemis. Eda haussa les épaules. — Bah ! Ce ne sont pas les seuls. Il y a même quelques seigneurs saxons qui ne nous aiment guère et l’un d’entre eux en particulier. Rien ne ferait plus plaisir à lord Eldred que de voir milord Royce mort. Ils se détestent depuis qu’ils se sont rencontrés à la Cour. — Sais-tu pourquoi ? — Oui. Lord Eldred est jaloux de l’amitié qui unit le roi à lord Royce. Cette amitié a commencé avant qu’Alfred soit couronné. Ils chassaient et participaient aux joutes ensemble. La plupart des fils cadets demeurent à la Cour et milord y est resté jusqu’à la mort de son père et celle de son frère. À présent, il s’y rend rarement et uniquement quand Alfred le demande. En raison de la menace que font peser les Danois sur le royaume, Alfred a prié milord et lord Eldred de mettre leur rancœur de côté. — Sage décision. Royce a suffisamment de problèmes avec les Danois pour ne pas, en plus, devoir protéger ses arrières. — Qu’est-ce que cela peut te faire ? La plupart des seigneurs, quand ils meurent, accordent la liberté à leurs esclaves. — Je veux ma liberté, Eda, mais pas de cette manière, répliqua Kristen. La vieille femme eut l’air mi-surprise, mi-satisfaite par cette réponse. — Bon, viens maintenant. Milord a dit de te laisser dormir mais il n’a pas dit de te laisser folâtrer toute la journée. Tu as déjà manqué un repas. Kristen sourit et se dirigea vers la porte. Eda contemplait les chaînes qui traînaient dans un coin de la pièce. Kristen surprit son regard. — Laisse-les, Eda. Je ne les porte plus. — C’est ce qu’il t’a dit ? — Non, mais… Eda ramassa les chaînes. — Jusqu’à ce qu’on me dise le contraire, tu devras les porter. — Non, je te dis qu’il ne veut plus. Tu n’as qu’à le lui demander. — Es-tu devenue folle, Viking ? Je n’oserai jamais l’importuner pour un détail aussi mineur. Kristen prit l’air menaçant. Eda leva la main en signe d’apaisement. — Kristen, reprit-elle, ne me rends pas les choses pénibles. S’il est prêt à te faire confiance désormais, il me le dira. Ne peux-tu attendre un peu ? Non ! avait-elle envie de hurler – mais à quoi bon ? Dans quelques minutes – au pire dans quelques heures si Royce était déjà parti – elle le verrait et il corrigerait cet oubli. Elle pouvait bien attendre jusque-là même si cela ne lui plaisait guère. Elle dut attendre beaucoup plus longtemps que prévu car il resta absent toute la journée. Eda apprit de la bouche de Udele, la gouvernante de Meghan, qu’il avait emmené l’enfant faire du cheval. Meghan revint en début d’après-midi, les joues roses et tout excitée. Mais Royce ne l’accompagnait pas. Eda remarqua qu’il était rare de le voir prendre sur son temps pour distraire sa sœur. Et à voir l’air enjoué de Meghan, celle-ci avait beaucoup apprécié leur promenade. Si Kristen avait été surprise qu’il manifeste tant d’attention envers sa petite sœur, elle commençait aussi à s’impatienter. Son impatience se transforma bientôt en irritation, laquelle se mua en ressentiment. En fait, elle se retrouvait dans la même disposition d’esprit que la semaine précédente quand il l’avait forcée à remettre ses fers. Se trompait-elle ? Pouvait-il se montrer si tendre au lit et n’éprouver aucun remords à la voir enchaînée ? Royce fit son apparition dans le hall à la fin du dîner. Kristen l’examina avec avidité tandis qu’il traversait la salle à grandes enjambées. Quand leurs regards se croisèrent, il lui sourit et la colère de Kristen s’évanouit comme par enchantement. Dieu lui en était témoin, ce Saxon possédait un charme irrésistible. Darrelle réclama son attention et Kristen reprit sa besogne. Elle avait tort de s’angoisser. Il n’était pas méchant mais simplement distrait. Dès qu’il s’apercevrait qu’elle était encore enchaînée, il ferait amende honorable et viendrait la libérer. Dès la fin du repas, alors que chacun se préparait pour la nuit, Royce vint la trouver. Il avait mangé à satiété, partagé quelques bières avec ses hommes et attendait qu’on ait fini de chauffer l’eau de son bain. Il s’arrêta près d’elle et contempla l’énorme boule de pâte à pain qu’elle préparait pour le lendemain matin. — Comment s’est passée ta journée, femme ? Il évitait de la regarder et elle en conclut qu’il était gêné par la présence des autres. — Bien, milord. — Ta nuit sera bien meilleure. Il avait fait cette promesse d’une voix rauque qui la fit frissonner. Puis, il se dirigea vers la salle de bains. Elle le contempla, incrédule. Il n’avait pas pu ne pas remarquer les chaînes qui lui serraient les chevilles. Il était impossible qu’il n’ait pas vu la longue chaîne qui la reliait au mur : elle traînait par terre et les femmes se plaignaient car elles ne cessaient de trébucher dessus. Une rage folle s’empara d’elle. Elle en tremblait. Que Dieu crève ses yeux verts ! Partager son lit alors qu’il ne lui accordait pas sa confiance la rabaissait au rang d’une putain. — Je te l’ai déjà dit, il est encore trop tôt pour lui. Il ne peut pas te faire déjà confiance. Attends ton heure. Eda se tenait derrière elle. Kristen ne prit pas la peine de se retourner pour répondre. Les mains jointes pour réprimer ses tremblements, elle parvint à contrôler ses émotions. Sa rage se mua en mépris. — Si j’attends encore, j’aurai les chevilles en miettes et je l’aurai bien mérité pour avoir pactisé avec l’ennemi. Ces blessures seront ma pénitence. — Ta pénitence ? Que le Ciel m’en soit témoin, tu parles comme une chrétienne. Tes prêtres offrent-ils eux aussi leur pénitence à vos dieux ? Kristen préféra ne pas répondre. — Il n’y a plus de travail, Eda ? demanda-t-elle froidement. — Non. Eda la débarrassa de la chaîne qui l’attachait au mur. Elle retira aussi les bracelets afin de lui permettre de monter l’escalier plus facilement. Elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver de la compassion pour la Viking. — Allons-y, dit-elle, sachant que Kristen la suivrait. C’est ce qu’elle fit car, sans armes et sans un plan cohérent, il était inutile de tenter de s’enfuir. Mais, comme la semaine précédente, Kristen s’arrêta devant la porte de sa chambre tandis qu’Eda continuait vers celle de Royce. En pénétrant dans sa cellule, Kristen se figea : la pièce avait été entièrement vidée. Elle sentit Eda derrière elle. — Qu’est-ce que ça signifie ? — Milord ne m’a rien dit à propos de la chaîne, Kristen, mais il a bien précisé que le seul lit dont tu disposes maintenant, c’est le sien. Kristen éclata de rire. — Vraiment ? C’est ce qu’on va voir. Je préfère encore dormir par terre ici que dans son lit. — Il va être furieux. — Et alors ? Eda la quitta pour aller informer Royce. Kristen ne broncha pas. Puis elle entendit le verrou claquer. Elle avait vaguement espéré qu’Eda l’oublierait car, tandis que Royce prenait son bain en bas, elle aurait eu tout le temps de se glisser dans sa chambre pour y dérober une arme, même si l’usage qu’elle aurait pu en faire ne lui apparaissait pas encore clairement. Elle s’assit dans le coin de la pièce le plus éloigné de la porte, et attendit
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Partie 20

Le jour se levait à peine quand Royce fut réveillé par un de ses hommes. Une bagarre avait éclaté parmi les prisonniers. Ils avaient été ramenés à la raison mais Thorolf voulait lui parler. Royce renvoya le garde. Si les troubles étaient terminés, il n’y avait pas urgence. Mais il ne pouvait pas non plus tergiverser. Il soupira en contemplant sa compagne. À la lumière rose de l’aube qui pénétrait dans la chambre, il voyait ses formes épanouies. Kristen dormait. Les voix ne l’avaient nullement dérangée. Pas étonnant, se dit Royce. Il l’avait tenue éveillée pendant la majeure partie de la nuit… En fait, elle n’avait pas du tout eu envie de dormir. Il sourit en se remémorant leurs ébats, un peu surpris de ne pas être lui-même fatigué. Elle était allongée sur le côté, les mains entre les jambes comme si elle avait froid. Une habitude acquise sans doute au cours des rudes hivers de Norvège. Sa chevelure s’étalait, en désordre, comme une mare d’or. Il éprouvait une joie sourde et exaltante à la contempler ainsi sans qu’elle le sache. Elle était la première femme qu’il pouvait observer dans son sommeil. Il quittait toujours Corliss après leurs tristes rencontres. Quant aux autres, aux amours passagères, il préférait ne pas s’endormir avec elles. Pourquoi en allait-il différemment avec cette Viking ? Il se rendait compte qu’il aimait lui faire l’amour et aussi partager les moments qui suivaient avec elle. Pourquoi ? Pourquoi elle ? Il la méprisait toujours. Elle et ses semblables lui avaient infligé les pires tourments. C’était une femme mais elle avait reçu la même éducation que les hommes qui étaient venus ici pour tuer et spolier son peuple. Elle était une Viking, une païenne, une abomination pour tout vrai chrétien. Il n’aurait pas dû céder aussi facilement à l’attirance qu’elle exerçait sur lui. La faiblesse dont il avait fait preuve le déconcertait, et plus encore maintenant qu’elle avait affirmé une volonté plus indomptable encore que la sienne. Elle avait toujours eu envie de lui. Ce qui s’était passé cette nuit le démontrait. Pourtant, elle l’avait repoussé pendant une semaine entière et aurait sans doute continué s’il ne l’avait forcée. Royce fit la grimace. Inutile de se fustiger. Le mal était fait. La posséder une fois n’avait pas suffi. Il avait toujours envie d’elle et plus que jamais. Même en cet instant, il la désirait. Il ne la réveillait pas parce qu’il savait qu’ils feraient à nouveau l’amour plus tard. Malgré tout, il ne résista pas à la tentation de la toucher une dernière fois avant de quitter le lit. Il glissa la main entre ses seins qui frissonnèrent à peine. Il en pressa un gentiment avec sa paume. Kristen sourit dans son sommeil. Et Royce sourit à son tour. « La journée va être merveilleuse », décida-t-il en s’habillant. Même la perspective de problèmes avec les prisonniers n’ébranlait pas sa bonne humeur. Il les trouva dans la cour, réunis devant la hutte construite à leur intention. Waite ne les avait pas emmenés travailler, attendant la visite de Royce. Celui-ci s’approcha de Thorolf et remarqua aussitôt son air préoccupé. D’un signe de tête, Royce lui ordonna d’entrer dans la hutte où ils pourraient discuter sans être dérangés. — On m’a dit que vous vous êtes battus entre vous, ce matin, Thorolf. Tu veux m’en parler ? Thorolf eut un geste de la main comme pour balayer cet incident mineur. — Oh ! ça ? Ça, rien. Bjarni fâcher Ohthere avec plaisanterie… Il s’arrêta et reprit, très sérieux : — Mais souci… vrai souci : Kristen et toi, milord. Royce resta pensif, se demandant s’il apprendrait jamais ce qui s’était passé entre les Vikings ce matin. — Dois-je comprendre que tu n’as pas aimé toi non plus les plaisanteries de Bjarni ? — Trop longtemps Kristen nous quitter. J’ai besoin parler à elle… s’il te plaît. Royce se raidit, sachant ce qu’il avait dû en coûter à cet intrépide Viking pour prononcer ces trois derniers mots. Cela éveillait en lui des soupçons. Il avait souvent vu cet homme protéger Kristen à l’époque où on la prenait encore pour un garçon. Il prétendait n’être que son ami. Et s’il était plus que cela ? — Depuis quand la connais-tu, Thorolf ? — Depuis toujours. Voisins chez nous. Quand enfants, nager, courir, cheval, chasser ensemble. Ma sœur Tyra et Kristen, amies. Très amies. — Ainsi, c’est l’amie de ta sœur et on dirait que tu te sens responsable d’elle. Pourquoi ? Thorolf resta muet. — Est-ce parce que son frère est mort ? reprit Royce. Ou est-elle pour toi plus qu’une amie ? — Parler moins vite, Saxon. Ou amener Kristen parler pour toi. — C’est très malin de ta part, mais elle ne viendra pas. Elle est parfaitement installée chez moi et il est inutile de lui rappeler votre triste sort. Elle ne te dira rien que je ne puisse te dire moi-même. Elle va bien et on ne la maltraite pas. Ne te fais pas de souci pour elle. — Besoin entendre elle le dire. Royce secoua la tête. — Si c’est tout ce dont tu voulais me parler… Il se dirigea-vers la porte. — Saxon ! s’exclama Thorolf avec colère. Pas toucher Kristen. Royce fit volte-face et le contempla avec incrédulité. — Tu oses me dire ce que je dois ou ne dois pas faire ? — Oui. Il éclata de rire. — Quelle arrogance ! Tu ne l’as peut-être pas encore remarqué, mais tu n’es pas en position de me donner des ordres, Thorolf. — Vas-tu épouser elle ? — Ah ! ça suffit, Viking ! s’impatienta Royce. C’est une esclave, pas une invitée. Son sort dépend de toi et de tes camarades, comme je te l’ai déjà dit. Mais rassure-toi. Elle n’a pas été blessée, ni forcée à agir contre sa volonté. — Alors, toi pas toucher encore ? Cette fois, Royce ne répondit pas. Thorolf en tira ses propres conclusions et son tempérament de Viking fit le reste. Royce ne s’était pas attendu à cette attaque. Il n’avait pas prévu qu’un homme plus petit et moins fort que lui se risquerait à l’agresser. Tout à coup, il se retrouva au sol, la gorge serrée dans une étreinte mortelle. Il faillit être étranglé avant d’avoir eu le temps d’enfoncer sa dague de trois bons centimètres dans le ventre de Thorolf. — Lâche-moi, vite, commanda Royce. Thorolf lui obéit et recula, une main sur son flanc ensanglanté. Il était toujours furieux mais, à présent, pour une autre raison : il avait échoué dans sa tentative. Royce était tout aussi exaspéré. — Qu’espérais-tu en tentant un acte aussi stupide ? s’enquit-il. — Après, toi plus toucher Kristen. — En me tuant ? Oui, je ne l’aurais plus touchée mais tu n’aurais pas été là pour t’en vanter. — Pas tuer, insista Thorolf. Autres moyens pour toi plus toucher Kristen. Jamais. Royce le contempla avec perplexité jusqu’à ce que Thorolf mime ses intentions avec éloquence. — Oui, grogna Royce. Tu as raison. Je veillerai à l’avenir à ne pas rester à portée de tes mains. Je m’aime bien comme je suis, entier. Il se redressa en secouant la tête. — Jeune idiot, poursuivit-il, je t’ai dit que Kristen n’avait pas été forcée. Tu ne m’as pas cru ? La seule chose dont elle se plaint, c’est de devoir porter ses chaînes. Thorolf lui jeta un regard incendiaire. — Toi mentir ! Beaucoup vouloir Kristen. Beaucoup ! Elle refuser tous. — Vraiment ? Alors, j’imagine que j’ai eu de la chance, remarqua Royce sèchement. — Si toi dire vrai, Saxon, tu dois épouser. Royce soupira devant une telle absurdité. — J’ai déjà une fiancée, Thorolf, mais même sans cela, je n’épouserais jamais une païenne, encore moins une Viking ou une esclave. Et Kristen est tout cela. De plus, elle m’appartient déjà. Donne-moi une seule bonne raison pour laquelle je l’épouserais. — Bjarni pas tort. Kristen peut-être aimer toi. Alors, oui. Mais sans marier, pas aimer longtemps. Elle choisir toi, Saxon. Toi te conduire avec honneur ou perdre Kristen. — Je ne peux pas perdre ce que je possède déjà, répliqua Royce. Et, préférant ne pas fouiller davantage les tréfonds de l’âme viking, il sortit de la hutte. Thorolf le suivit des yeux tandis qu’il traversait la cour. Ainsi, Bjarni avait raison… Il disait avoir observé Kristen quand elle était encore parmi eux et il prétendait n’avoir jamais vu de femme aussi amoureuse. Kristen avait enfin fait son choix. Et c’était un mauvais choix. Solitaire et recluse, elle n’avait pas d’amis auprès d’elle pour le lui dire. Le Saxon ne l’honorerait jamais. C’était un homme puissant et elle une esclave. En homme libre qui possédait bon nombre d’esclaves lui-même, Thorolf comprenait le raisonnement du Saxon. Mais Kristen n’était pas née esclave. Et si elle décidait de se révolter, elle le ferait avec toute sa rage, avec toute sa détermination. Cela pouvait être extrêmement dangereux pour le Saxon et pour elle-même. Thorolf se demanda pourquoi il avait pris la peine de prévenir le Saxon. En tant que chrétienne, elle répugnait à utiliser la violence. Mais elle était aussi une Viking et la fierté et l’audace des gens du Nord coulaient dans ses veines. « Si seulement, elle était moins téméraire ! » pensa Thorolf. Si elle se retournait contre son maître, elle risquait de le payer très cher
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Partie 19
 Qu’as-tu fait à mon cousin, femme, pour qu’il soit de si mauvaise humeur ? Kristen accorda à peine un regard à Alden. C’était la première fois qu’il venait la voir depuis qu’elle l’avait attaqué et il se tenait prudemment de l’autre côté de la table. Elle se serait volontiers passée de sa présence. — Je ne suis pas responsable de ses humeurs. Alden sourit. — Non ? Pourtant, à voir comment il te dévore des yeux, on jurerait du contraire. — Va-t’en, Saxon, rétorqua-t-elle en lui jetant un regard noir. Toi et moi n’avons rien à nous dire. — Tu veux toujours me tuer ? — Si je le veux ? C’est mon devoir. Il soupira. — Dommage que nous ne puissions être amis. J’aurais pu te donner quelques bons conseils à propos de mon cousin… Il semble que tu ne te débrouilles pas très bien avec lui. — Je n’ai pas besoin de tes conseils ! s’exclama-t-elle. Et je n’ai pas à me débrouiller avec lui. Je ne veux rien avoir à faire avec lui ! — Si tu le dis… mais j’ai aussi vu comment toi, tu le regardes. Une vraie biche pleine d’amour… — Maudit sois-tu ! le coupa-t-elle avec fureur. C’est Loki qui t’a fait. Va-t’en avant que je ne te lance ce pain à la figure ! Alden s’éloigna. Kristen tortura avec colère la pâte à pain qu’elle pétrissait. Comment cet homme osait-il se moquer d’elle ? On aurait dit qu’il ne prenait pas au sérieux ses menaces de mort. Dans ce cas, il se trompait lourdement. Elle n’avait que faire de son aimable nature et peu lui importait que, grâce à son intervention, ses amis et elle aient eu la vie sauve. Il possédait aussi un charme espiègle et un sourire qui lui rappelaient son frère Eric, mais cela ne changait rien. Elle le tuerait… dès qu’elle en aurait l’occasion. Elle rejeta avec colère sa longue natte dans son dos. C’était le plein été. La chaleur était accablante. En Norvège, elle serait à présent en train de nager avec Tyra ou bien de galoper sur le dos de Torden pour sentir le vent du nord sur son visage. Elle ne serait certainement pas enchaînée à une cheminée où le feu brûlait toute la journée. Mais les regrets étaient inutiles, ils ne servaient qu’à alourdir sa peine. Cela faisait un peu plus d’un mois que leur navire avait touché ce funeste rivage. Thorolf et les autres charriaient toujours d’énormes blocs de pierre pour le compte de ces Saxons. Il lui arrivait parfois de les apercevoir par les fenêtres ouvertes. Mais eux ne pouvaient la voir, recluse comme elle l’était au fond du hall. Kristen savait qu’ils devaient s’inquiéter à son sujet, surtout Thorolf et Ohthere. Pourquoi n’avaient-ils pas encore fui ? Était-ce à cause d’elle qu’ils n’avaient pas mis leur plan à exécution ? Non, il était plus probable que Royce et ses maudites précautions rendissent toute évasion impossible. Elle avait envisagé de demander à Royce la permission d’aller les voir mais Alden avait raison. Depuis une semaine, depuis qu’elle refusait de partager sa couche, Royce était d’une humeur massacrante et, dans ces conditions, il était inconcevable de lui présenter la moindre requête. Même envers ses hommes, il se montrait dur et cassant. Les serviteurs et Meghan se gardaient bien de l’approcher ou d’attirer son attention d’une manière ou d’une autre. Était-ce vraiment de la faute de Kristen ? Elle se le demandait… Elle ne possédait sûrement pas une telle influence sur lui. Bien sûr, il venait chaque soir lui demander de passer la nuit avec lui et, chaque soir, elle refusait. Cela devait commencer à se savoir. Alden n’était pas sourd – il avait sans doute entendu Royce vociférer devant sa chambre au cours des nuits précédentes. Royce n’avait certainement pas parlé d’elle avec son cousin. Pourquoi l’aurait-il fait ? Elle n’était qu’une esclave dont il s’était entiché. Jamais il n’admettrait qu’une esclave l’avait séduit, surtout une Viking, la race qu’il haïssait le plus au monde. Quant à Eda, elle n’ignorait rien de leur situation, mais elle était trop loyale envers Royce pour raconter quoi que ce soit à quiconque. Kristen, quant à elle, était étonnée que Royce continue à quémander ses faveurs malgré les refus répétés auxquels il se heurtait. Bien sûr, sa bonne grâce disparaissait et il devenait de plus en plus irritable. Mais il faisait tout de même preuve d’une patience incongrue. En fait, Kristen s’attendait plus ou moins à ce qu’il utilise la manière forte. Mais il ne le faisait pas. Et cela provoquait chez elle un étrange sentiment de frustration. Elle avait toujours envie de lui. Maintenant qu’elle avait enfin connu l’amour, elle ne l’en désirait que davantage. Seule sa fierté l’empêchait de le lui avouer. Cette nuit-là, elle attendit avec anxiété sa visite. Il ne vint pas. Du coup, elle l’imagina en train de prendre son plaisir avec une autre et tenta de se convaincre que cela lui était égal. Elle aurait été mieux disposée le lendemain matin si elle avait su comment il avait passé la nuit. Les heures qui suivirent lui parurent incroyablement longues. Elle était certaine que Royce ne viendrait plus jamais, qu’il en avait fini avec elle. Ne pas le voir de la journée ne fit que renforcer cette impression. Malgré cela, le soir venu, dans sa chambre, Kristen l’attendit encore après qu’Eda lui eut retiré ses chaînes. Elle resta assise sur sa paillasse à martyriser ses guenilles, espérant le voir entrer. Elle ne voulait pas que Royce l’abandonne, mais qu’il vienne et qu’il l’oblige à se donner à lui. Pourquoi ne le faisait-il pas ? Après une longue attente, elle finit par se résigner et se déshabilla. Depuis une semaine, elle dormait tout habillée car Royce passait la voir chaque soir. C’était désormais inutile. Il ne viendrait pas. Elle ne dormait pas quand la porte s’ouvrit. Une torche dans le couloir découpait la silhouette massive de l’intrus. Immédiatement, des picotements parcoururent le corps de Kristen. Une joie folle l’envahit. Il était venu ! Il ne l’avait pas oubliée… Il s’immobilisa au bord de la paillasse, le visage fermé, sans prononcer le moindre mot. Elle brisa le silence. — Êtes-vous prêt à m’enlever ces chaînes, milord ? — Non. — Même si je jure sur la tête de ma mère que je ne chercherai pas à fuir ? — Non, car pour ce que j’en sais, il est possible que tu détestes ta mère ou même qu’elle soit déjà morte. Kristen réprima sa rage. Elle se redressa sur les coudes, laissant la couverture glisser et découvrir ses seins. Ce n’était pas très noble de sa part mais elle en avait assez de cette situation. Elle mit suffisamment de colère dans sa voix pour lui laisser croire qu’elle ne s’était pas rendu compte de ce qu’elle faisait. — Il se trouve que j’aime énormément ma mère et qu’elle est bien vivante. Elle doit être folle d’inquiétude à mon sujet. Vous pensez sans doute qu’une femme n’a pas le sens de l’honneur ? Ou bien est-ce simplement parce que je suis une Viking ? Malgré lui, ses yeux avaient glissé jusqu’à sa poitrine frémissante. Il se ressaisit et la dévisagea. — Des mots, rien que des mots. Les actes en disent plus long et les tiens ne plaident pas en ta faveur. — Pourquoi ? Parce que je veux tuer votre cousin ? Ou parce que je ne réponds pas dès que vous sifflez ? Du poing, il se frappa la paume de la main. Elle venait de marquer un point. Elle avait enfin réussi à provoquer une réaction de sa part, même si ce n’était pas exactement celle qu’elle aurait désirée. — Par le Ciel ! jura-t-il, excédé. Ton audace est inouïe ! Je vois que je perds mon temps. Tu refuses simplement de comprendre. — Je comprends, Royce, répliqua-t-elle d’un ton raisonnable. Et j’étais prête à faire la moitié du chemin. — C’est faux ! Tu veux que ce soit moi qui fasse tout le chemin. — Non, je t’ai offert ma parole et c’est un grand prix que je paie car j’ai autant envie de rentrer chez moi que de rester ici. — Comment te faire confiance ? Je te connais à peine. Et j’ai du mal à croire que tu aies réellement envie de rester ici où tu es privée de tout, où tu ne seras jamais qu’une esclave. — Quelle perspicacité, Saxon, se moqua Kristen. Pour quelle raison, en effet, voudrais-je rester ici ? Sûrement pas pour toi, en tout cas. — Moi ? s’étrangla-t-il. Tu veux me faire croire que tu tiens à moi alors que tu me repousses tous les soirs ? À moins que tu ne sois enfin décidée à m’accompagner, Kristen ? — M’enlèveras-tu ces chaînes ? — Par tous les saints… Il ne termina pas et tourna les talons. Il quitta la pièce sans un mot. Kristen avait envie de hurler. — Tu acceptes la défaite trop facilement, Saxon ! cria-t-elle, dépitée. La porte se rouvrit aussitôt. Elle tressaillit. — T’ai-je bien entendue, femme ? s’enquit Royce d’une voix glaciale. Il laissa la porte ouverte et se dirigea lentement vers elle. Kristen serra la couverture sur son cou. Elle hésita à se lever car elle se sentait trop vulnérable, ainsi à ses pieds, mais elle ne voulait pas montrer le moindre signe de crainte. Elle le fixa droit dans les yeux. — Que crois-tu avoir entendu ? Il ne broncha pas mais son impassibilité avait quelque chose de menaçant. — Un défi. Et quand on lance un défi, on doit être capable d’en supporter les conséquences. — C’est-à-dire ? Il se pencha et, d’un seul geste, lui arracha la couverture des mains. Une fraction de seconde plus tard, il la chevauchait, lui tenant la tête à deux mains pour l’embrasser. À l’instant où leurs bouches allaient se toucher, Kristen se cabra si violemment qu’il roula sur le côté. Elle savait que seule la surprise lui avait permis de réussir ce coup-là, mais elle en tira immédiatement profit en bondissant vers la porte. Une main la saisit par la cheville. Kristen tomba, se retourna et, frappant Royce de son pied libre, réussit à se dégager. Mais il se redressait déjà et elle sut qu’elle n’aurait pas le temps d’atteindre la porte. Elle se leva avec lui, reculant doucement, les bras repliés devant elle comme un lutteur, pour le tenir à distance. Il effectua un mouvement tournant pour l’obliger à s’éloigner de la porte. Dès qu’il eut bloqué sa seule issue, il s’immobilisa. — Retourne sur ton lit, Kristen. C’était un ordre. Elle secoua farouchement la tête, reculant encore jusqu’à ce que le mur l’arrête. La fuite n’était plus possible mais elle ne désirait pas vraiment s’enfuir. Il allait finalement lui imposer sa volonté et même si elle était bien décidée à ne pas le laisser vaincre facilement, elle désirait qu’il remporte cette victoire – ou du moins qu’il croie l’avoir remportée. Son cœur s’affola quand elle le vit enlever sa ceinture et arracher sa tunique. Il jeta ses vêtements avec colère. Il était vraiment furieux et là résidait le danger. Il pouvait la blesser par mégarde. Sa force était si terrifiante qu’il était capable de la briser comme une noix entre ses bras. N’allait-il pas la battre pour la soumettre, comme le feraient la plupart des hommes ? Mais elle connaissait les risques en se lançant dans cette folle entreprise. Il ne bougea pas tout de suite, mais il la contempla. La lumière de la torche dans le couloir n’éclairait que la moitié de son corps, laissant l’autre dans l’ombre. Si elle n’avait pas été nue elle aussi, il aurait sans doute fini par se calmer. Kristen fit un pas de côté, évitant le coin de la pièce où elle aurait été irrémédiablement prise au piège. Elle s’aperçut trop tard que c’était ce qu’il voulait : la forcer à retourner vers le lit ; il manœuvrait habilement, l’empêchant de gagner la porte. Elle choisit encore une fois la solution inattendue. Les mains jointes, elle frappa Royce comme elle avait frappé Alden. Le coup avait étourdi son cousin. Mais Royce ne lui tournait pas le dos et ce fut Kristen qui eut la surprise de se sentir saisie. Il ne chercha pas à arrêter son coup mais, au contraire, y ajouta sa propre force en se baissant. Irrésistiblement entraînée, Kristen se sentit soulevée de terre. Il la chargea sur son dos. Il n’avait que deux pas à faire pour atteindre la paillasse. Il l’y laissa tomber comme un vulgaire sac. Le souffle coupé, Kristen en fut à moitié assommée. Royce ne lui laissa pas le temps de récupérer : il se plaça entre ses jambes et la pénétra avant qu’elle puisse tenter quoi que ce soit. Elle poussa une exclamation outragée et tenta en vain de le repousser de ses deux mains. — Abandonne, tigresse, lui gronda-t-il à l’oreille. Tu es vaincue. Elle se cabra pour le repousser, sans succès. En fait, cela ne servit qu’à le faire plonger plus profondément en elle. Elle cria à nouveau mais cette fois, à cause du plaisir qu’elle éprouvait de le sentir en elle. Il émit lui aussi un râle très semblable. — Ah ! femme, je retire ce que j’ai dit, murmura-t-il, la voix rauque. Bats-toi autant que tu veux. Kristen faillit rire devant cette supplique passionnée. Elle n’en eut pas le temps, car il posa la bouche sur la sienne en un fervent baiser. Elle lui offrit encore une faible résistance en essayant de se détourner mais finalement, elle déposa les armes, acceptant son baiser et le lui rendant. Il n’était plus furieux et elle s’en réjouissait car elle n’aurait pas supporté la moindre brutalité de sa part. Elle joignit les mains derrière son cou pour mieux le serrer contre elle. Il commença alors un délicieux mouvement circulaire, soulevant les hanches sans se retirer complètement pour fouiller de la façon la plus érotique l’entrée de sa caverne intime. Kristen atteignit l’orgasme presque aussitôt. Il fut d’une violence inouïe. Elle se tordit, s’arc-bouta, parvenant même à soulever Royce. Puis, il s’effondra sur elle de tout son poids, décuplant encore son plaisir. Elle gémit. Son corps était parcouru de longs frémissements incontrôlables, elle avait l’impression que son ventre avait fondu sous l’effet du merveilleux liquide qui se répandait en elle. Ce fut avec regret qu’elle revint à la réalité. Il était comme un poids mort sur elle mais cela ne la gênait pas. La tête tournée sur le côté, il respirait avec difficulté. Elle lui caressa rêveusement les cheveux, jouant avec ses boucles. Elle avait envie de rester ainsi jusqu’à la fin des temps. Jamais, elle n’avait connu une telle sensation de paix. Que pouvait-il penser d’elle et de son comportement si versatile ? Considérant la façon dont les hommes tiraient fierté de leurs prouesses sexuelles, il devait sans doute s’attribuer le mérite de sa capitulation… Kristen s’en moquait, tant qu’il ne devinait pas qu’elle l’avait manœuvré afin d’obtenir ce qu’elle désirait. Elle jouait à présent avec les muscles de ses épaules, sentant sous ses doigts la pulsation frénétique d’une veine. Il se redressa pour la contempler. Elle lui rendit son regard, essayant de deviner ses pensées, mais son expression restait totalement indéchiffrable. En fait, il l’examinait comme s’il cherchait lui aussi à entrevoir ses pensées. S’il avait su… Elle sourit. — Tu n’es donc pas furieuse contre moi ? — Bien sûr que si. Royce rit comme un gamin. — Tu souris toujours quand tu es furieuse ? — Pas toujours. Elle avait dit cela avec sérieux. Il hocha le menton. Il ne s’habituait pas à la façon qu’elle avait de toujours plaisanter. — Je suppose que je devrais te demander pardon, offrit-il. — Oui, tu le devrais. Pas question pour lui de s’excuser. Elle l’avait défié. Il n’aurait peut-être pas dû se comporter de la sorte mais elle avait fait plus que l’accepter – et elle avait pris sa part de plaisir… Il voulut se redresser pour la libérer de son poids, mais leurs ventres se collèrent encore plus intimement. Il était toujours en elle et Kristen ferma les yeux, savourant cette sensation. L’observant, Royce retint son souffle. — Bon sang, tu le fais exprès ? murmura-t-il d’une voix étranglée. Elle ouvrit très vite les paupières. — Quoi ? Elle ignorait sincèrement ce qu’elle avait fait, cette fois. — Quand tu es comme ça… Tu as le même air que quand nous… — Comment le sais-tu ? Tu m’observes ? — Oui. Cela intrigua Kristen. — Je n’y avais pas pensé. Je te regarderai, moi aussi, la prochaine fois que je ferai l’amour. — Plonger dans des yeux comme les tiens à un moment pareil, ça va me rendre fou, prédit-il. Un sourire étira les lèvres sensuelles de Kristen. — Ne vous faites aucun souci, milord. Je ne pense pas que ce sera avec vous. — J’espère que tu plaisantes, femme, répliqua-t-il en faisant mine de l’étrangler gentiment. Tu risques gros. Je ne te permets pas de prendre un autre amant. Tant que j’aurai envie de toi, tu me seras fidèle. Elle haussa un sourcil moqueur. — Vraiment ? Il ne lui répondit pas mais la força à se lever avec lui. Il ramassa leurs vêtements et se dirigea vers la porte. Kristen se sentit alors rougir en constatant que celle-ci était restée ouverte. N’importe qui aurait pu les voir faire l’amour. L’amour. Elle aimait ce mot. Il était son amant. Il y aurait des changements maintenant. Et il ne le regretterait pas. Elle lui prouverait son amour. Dès qu’ils eurent franchi le seuil de la chambre de Royce, celui-ci se tourna vers elle et la souleva dans ses bras. — Maintenant, tu vas payer pour m’avoir repoussé si longtemps. Tu ne dormiras pas de la nuit. — Est-ce un défi, milord ? ronronna Kristen. Elle espérait que c’était plutôt une promesse
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Partie 18 Kristen observait Royce endormi. C’était un luxe que de rester allongée là, à ses côtés, car elle aurait dû être debout depuis longtemps déjà. D’ordinaire, Eda la réveillait bien plus tôt. La vieille servante devait déjà être à l’ouvrage en bas. Et Kristen n’était pas naïve au point de croire que parce qu’elle avait partagé le lit du seigneur, elle serait dispensée de travail. Elle soupira. Elle n’avait aucune envie de le quitter mais elle voulait aller chercher ses vêtements dans la salle de bains avant que trop de gens ne soient présents dans le hall. Elle se glissa hors du lit et enfila le hideux morceau de laine grise. Puis, ramassant la robe de velours vert qui gisait toujours sur le sol, elle la caressa de la joue avant de la poser délicatement sur le coffre de Royce. Il ne lui permettrait pas de porter ses propres robes. Ils avaient fait l’amour et recommenceraient sûrement mais, pour lui, elle restait une esclave – une femme qui ne portait pas de robe de velours. — Kristen ? La main sur la porte, elle se retourna. Elle avait dû le réveiller. Assis au bord du lit, nu, la chevelure ébouriffée, il bâillait. Kristen ne put réprimer un tendre sourire. — Oui, milord ? — Tu serais partie sans me réveiller ? — Je pensais que vous n’aviez pas envie de vous lever si tôt. — Viens ici. Elle hésita puis obéit. S’il avait envie de refaire l’amour, elle n’y voyait aucune objection. Il n’existait pas de plus agréable façon de commencer la journée. Quand elle arriva devant lui, il lui prit les mains et les serra légèrement. Mais ce ne fut pas du désir qu’elle lut dans ses yeux. — Où allais-tu ? — En bas, travailler. — Alors, tu oublies quelque chose. — Non, je… Elle se tut en comprenant à quoi il faisait allusion. — Mets-les, Kristen. Elle essaya de se libérer mais il l’en empêcha en lui serrant les mains comme dans un étau. Elle secoua la tête, hébétée. — Tu veux que je porte ces chaînes après… Comment peux-tu être aussi cruel ? — Je sais que tu ne les aimes pas et j’en suis désolé, répondit-il avec douceur. S’il existait un autre moyen de m’assurer que tu ne t’enfuiras pas, je l’utiliserais aussitôt. Mais il n’y en a pas. Trop d’esclaves se sont échappés pour rejoindre les armées danoises au Nord. Je sais que c’est ce que tu veux faire, pour retourner chez toi. Elle l’entendait à peine. — Les autres le veulent, mais pas moi. — Une fois libre, tu pourrais les aider. — Si je te disais que je ne le ferai pas, que je ne quitterai pas la maison ? — Tu ne peux espérer que je te croie. — Pourquoi pas ? s’exclama-t-elle avec colère. Tu m’as bien crue quand j’ai dit que je ne te tuerais pas. Alors, pourquoi pas maintenant ? — C’est exactement cela, fit-il d’un ton impatient. Si tu tentes quelque chose contre moi, je peux t’en empêcher, mais je ne veux pas courir le risque de te perdre. — Tu ne prends pas ces précautions avec tes autres esclaves ? — Ils sont nés esclaves, descendants de Bretons que nous avons vaincus depuis des siècles. Wyndhurst est leur foyer. Toi, tu as été capturée, tu as perdu ta liberté. Tu n’as aucune raison de vouloir rester ici. Aucune raison ? Par le sang du Christ, était-il aveugle au point de ne pas voir qu’elle ne voulait pas le quitter ? Mais il se trompait s’il croyait qu’elle allait accepter son sort. Pas question d’être à nouveau enchaînée et de continuer à partager son lit. — Très bien, milord, dit-elle, glaciale. Vous pouvez me lâcher. Je porterai ces fers. Il la lâcha mais fronça les sourcils en la voyant se diriger avec raideur vers la table et refermer les bracelets de fer autour de ses chevilles. — Tu peux t’éviter de porter l’autre chaîne, Kristen, si tu me promets de ne plus attaquer mon cousin. S’attendait-il à des remerciements ? « Maudit soit-il, pensa-t-elle, il n’a pas idée du mal qu’il me fait. » Se redressant de toute sa hauteur, elle déclara avec amertume : — J’aurais promis de ne pas m’enfuir mais cela, je ne peux pas. — Mon affection pour lui ne compte pas à tes yeux ? — J’aimais beaucoup mon frère. — Alors, tu porteras aussi l’autre chaîne jusqu’à ce qu’Alden soit complètement guéri et en état de se défendre. Si tu n’étais pas aussi forte, cette précaution ne serait pas nécessaire. — Je ne regrette pas ma force. Elle m’est utile quand j’en ai besoin, répondit-elle. Est-ce tout, milord ? — Oui, va-t’en. Elle le quitta sans un regard. La colère de Royce monta rapidement. Au nom du Ciel, qu’attendait-elle de lui ? Qu’il lui fasse confiance ? Elle devait pourtant comprendre que c’était impossible ! Il ne devait pas seulement penser à lui-même mais aussi à ceux dont il était responsable, à tous les habitants de Wyndhurst. Elle pouvait trop facilement venir en aide aux amis de son frère. Et ceux-ci libres, comment pourrait-elle empêcher le massacre qui s’ensuivrait inévitablement ? Garder en captivité un si grand nombre de Vikings posait un problème. Ils constituaient une véritable petite armée. Royce regrettait de ne pas les avoir tués comme il l’avait d’abord décidé. Il n’y aurait plus de problème à présent. Et il n’aurait pas non plus connu Kristen. La pensée qu’elle aurait pu être tuée sur son ordre lui fit l’effet d’une douche glacée. « Son ressentiment ne durera pas, pensa-t-il. Elle est assez intelligente pour comprendre que, jusqu’à ce que je puisse lui faire confiance, ces précautions sont inévitables… »     La logique n’était d’aucun secours à Kristen. Seules les émotions la gouvernaient. Elle se sentait blessée et trahie. Ce jour-là, elle n’adressa la parole à personne. Elle rongeait son frein, perdue dans ses pensées, entretenant sa rancune et sa colère. Et elle était d’une humeur noire quand, le soir venu, Eda l’escorta au premier étage. La vieille servante passa devant la chambre de la prisonnière pour se diriger vers celle de Royce, mais Kristen ne la suivit pas. Elle claqua la porte de sa chambre derrière elle. Quelques secondes plus tard, Eda faisait son apparition. — Qu’est-ce que cela signifie ? Tu as bien vu que je continuais… — Et alors ? fit Kristen, l’air mauvais, en s’allongeant sur sa paillasse. — Il m’a ordonné de t’amener à lui. — Et alors ? répéta-t-elle. Eda soupira. — Ne fais pas ta forte tête, Kristen. On ne peut le contrarier. — C’est ce que tu crois. Et c’est ce qu’il croit, lui aussi. Vous apprendrez tous les deux que c’est possible. Tu n’as pas besoin de m’enlever mes chaînes, Eda. Ferme la porte et va-t’en. Et elle se tourna vers le mur. Elle ne vit pas la vieille femme secouer la tête et elle n’entendit pas non plus le claquement du verrou. Ramenant les genoux vers sa poitrine, elle tira si violemment sur la chaîne que les fers lui arrachèrent la peau. Elle laissa échapper un cri avant de marteler sa couche de ses poings dans un dérisoire effort pour se libérer de sa frustration. Elle ne réussit qu’à se blesser davantage. Elle était parfaitement immobile, les yeux tournés vers le mur, quand Royce fit son entrée quelques instants plus tard. Il s’arrêta au bord de son lit de fortune. Il n’avait pas vu cette chambre depuis que des esclaves l’avaient préparée. Tout le mobilier en avait été enlevé à l’exception d’un matelas bourré de paille. C’était lugubre, il n’y avait même pas une chandelle. — Pourquoi ne viens-tu pas avec moi, Kristen ? — Je suis fatiguée. — Et encore en colère ? Elle ne répondit pas. Royce s’agenouilla et lui toucha l’épaule. — Assieds-toi que je t’enlève ces chaînes. Elle se retourna pour le regarder mais ne s’assit pas. — Si tu les enlèves, tu ne me les remets plus. Sinon, laisse-les-moi. — Ne sois pas aussi têtue, bon sang. Et accepte ce qu’on t’offre. — Traite-moi comme un animal, si tu veux, mais sois au moins cohérent. — Tu acceptais cet arrangement avant, remarqua-t-il. — C’était avant. — Je vois. Tu t’attendais à ce que tout change parce que tu as couché avec moi, c’est ça ? Elle ne lui répondit pas, détournant les yeux, mais il lui saisit le menton et la força à le regarder. — Réponds-moi, Kristen ! — Oui ! cria-t-elle, amère et blessée. Je ne t’aurais pas traité avec une telle cruauté si les rôles avaient été inversés. Je ne comprends pas comment tu peux me faire cela. — Je sais que tu comprends pourquoi il doit en être ainsi, Kristen. Ça ne te plaît pas mais à moi non plus. — Comment le saurais-je ? Tu es le maître ici. Ce qu’on me fait subir, on me l’impose sur ton ordre. Il commençait à perdre patience. Il se leva en la fixant d’un air agacé. — Très bien, je vais te dire quelles autres possibilités tu as puisque ces chaînes te répugnent. On peut t’enfermer – dans ma chambre, pourquoi pas ? – mais tu ne pourras en sortir. Je n’ai guère de temps à te consacrer au cours de la journée, tu seras donc seule la plupart du temps. Sauf la nuit. Préfères-tu cela ? — Autant m’enfermer dans une cellule ! — Nous n’en avons pas ici. Je t’offre ma propre chambre, plutôt que celle-ci. Je te donne le choix. — Il n’y a pas de choix, milord, répliqua-t-elle. Seulement encore plus de privation. Vous parliez d’alternative… Offrez-m’en une que je puisse accepter. — Il y a une autre chose que je pourrais faire pour te permettre de circuler librement à Wyndhurst : tuer tous tes amis. — Comment ? Il la toisa. — Je ne pourrai te faire confiance que quand ils ne seront plus ici. Tant qu’ils resteront, la menace existe pour les miens de se faire massacrer si, par malheur, les prisonniers s’échappent. Par tes propres moyens, tu ne pourrais aller bien loin si tu t’enfuyais. Je te retrouverais sans mal. — Tu plaisantes ? — Non. — Tu sais très bien que je ne peux payer un tel prix pour ma liberté. Comment oses-tu seulement évoquer cette monstruosité ? Pourrais-tu vraiment assassiner des hommes sans défense ? — Ces hommes sont mes ennemis, Kristen. Ils me tueraient, s’ils en avaient l’occasion, et sans hésiter. Ce n’est pas moi qui les ai fait venir ici… et je ne voulais pas les garder non plus. C’est Alden qui m’a convaincu de ne pas les supprimer en disant qu’ils pouvaient nous être utiles. — Alors, tue-moi aussi, Saxon ! Je suis avec eux ! — Oui, tu es mon ennemie, toi aussi, répliqua-t-il calmement. Mais ça me plaît de t’avoir près de moi. Maintenant, montre-moi ces chaînes que je te les enlève pour la nuit. À moins que tu ne préfères les garder… Elle le fixa droit dans les yeux en gardant ses pieds sous elle. — J’ai envie de te faire l’amour, Kristen, murmura-t-il d’une voix heurtée. Je suppose que tu vas me repousser parce que tu es furieuse, mais je te le demande quand même… Veux-tu venir dans mon lit ? — Non, parvint-elle à répondre malgré la boule qui lui serrait soudain la gorge. — Je pourrais insister. — Tu verras alors comment je me bats, Saxon. — J’espère que ta colère ne durera pas, femme, dit-il, maussade, avant de quitter la pièce
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Partie 17
Un souffle de vent, le premier de la journée, s’engouffra par la fenêtre ouverte. Les flammes des chandelles tremblèrent puis s’éteignirent toutes d’un coup. Royce se leva pour aller chercher de la lumière dans le hall et Kristen frissonna en se retrouvant seule dans le lit. La brise frôla sa peau moite. Elle était prête à dormir. Pas lui. Elle se retourna de façon à pouvoir le regarder quitter la chambre. Un rayon de lune dispensait une lumière argentée. À quoi pensait-il maintenant et que ressentait-il ? Il ne devait pas être encore bien furieux car il l’avait longuement serrée dans ses bras après qu’ils avaient eu fini de refaire l’amour. Ils avaient recommencé à s’aimer aussitôt après la première fois. Kristen était à peine revenue sur terre, émerveillée par cette première expérience, qu’un nouveau tourbillon de passion les emportait. Elle sourit. Elle comprenait à présent pourquoi ses parents passaient tant de temps dans leur chambre. Brenna avait bien essayé de lui expliquer à quoi cela ressemblait mais il n’existait pas de mots pour décrire une si incroyable béatitude. Royce revint, protégeant de sa main ouverte la flamme d’une bougie. Il était tard. Il n’avait même pas pris la peine de s’habiller en quittant la pièce. Sa nudité ne le troublait nullement. Mais elle troublait Kristen. Elle n’était pas gênée mais simplement perplexe en constatant que son propre désir se réveillait déjà. Le corps de Royce était une sculpture parfaite, depuis les jambes puissantes jusqu’aux épaules incroyablement larges. Une toison de poils sombres s’étalait sur sa poitrine et venait mourir en un léger filet entre les deux colonnes de ses abdominaux. Il n’était pas mince comme son cousin mais athlétique. Kristen savait qu’elle ne se lasserait jamais de le contempler. Il ralluma les chandelles placées sur le mur, au-dessus du lit, puis s’assit à ses côtés. Il ne se recoucha pas immédiatement. Kristen le caressa, ses doigts jouant le long du dos jusqu’à la courbe des hanches. Quand il se retourna pour la dévisager avec une expression indéchiffrable, elle s’arrêta. — Pourquoi t’arrêtes-tu ? — Je ne sais pas si tu as envie que je te touche ou non, admit-elle avec franchise. Je viens d’une famille où l’on s’embrasse beaucoup. Nous avons l’habitude de montrer notre amour en nous touchant. Mais si tu n’y es pas habitué, tu vas me trouver impudique. — Je te trouve déjà impudique, répliqua-t-il d’un ton léger en s’allongeant à ses côtés, une joue sur la main afin de pouvoir la contempler à son aise. Dieu m’en soit témoin, je n’ai jamais connu de femme comme toi. Tu es sans honte… libre. J’aimerais pouvoir t’aimer en retour, te rendre ce que tu me donnes. Kristen ferma les yeux pour lui cacher le regret et la tristesse que ces mots lui causaient. Il n’avait pas besoin de lui répéter qu’il ne pouvait l’aimer. Il aurait pu se taire et lui laisser encore un peu d’espoir. Mais sa fierté naturelle reprit le dessus. — Pourquoi parlez-vous d’amour ? À ce vouvoiement subit, il se raidit et serra les dents. — Si j’ai bien compris, répliqua-t-il sèchement, tu n’as pas dit que tu m’aimais, n’est-ce pas ? — Non, je ne l’ai pas dit. J’aime beaucoup votre corps, milord, mais c’est tout. — Très bien. Pour une vierge, tu montres de belles dispositions. Tu pourrais faire une bonne putain. Kristen en eut le souffle coupé. Comment osait-il ? — Traite-moi de putain encore une fois, Saxon, et je t’arrache les yeux ! Cela le fit sourire. — Il est un peu tard pour protester. Tu t’es trop vantée. — Non, je n’ai jamais dit que j’étais une putain. C’est toi qui l’as affirmé. — Tu ne l’as jamais nié. — Tu sais très bien pourquoi. — Non, je ne le sais pas, rétorqua-t-il. Mais je suis très curieux de l’apprendre. — Alors rappelle-toi ce que tu m’as dit dans cette chambre. Tu as dit que tu me violerais si j’étais vierge. J’avais envie de toi, mais pas de cette manière. Il lui souriait puis son sourire s’élargit et se transforma en fou rire. — Bon sang, tu as pris au sérieux ce que je disais sous l’emprise de la colère ? Kristen lui jeta un regard noir. — Es-tu en train de prétendre que tu ne m’aurais pas violée même si tu avais su ? — Non, car, en vérité, si tu m’avais résisté ce soir, je t’aurais prise de force. Tu aurais appelé cela un viol mais moi, je n’aurais fait que prendre ce qui m’appartenait de droit. — Ce n’est pas de cela que je parle, Saxon, répliqua-t-elle avec impatience. Je sais que tu crois avoir le droit de m’utiliser comme bon te semble et nous pourrons en discuter une autre fois. Ce que je… — Discuter de quoi ? — Laisse-moi terminer. M’aurais-tu, oui ou non, prise de force dans l’unique but de te venger ? — Non, Kristen, pas comme ça, murmura-t-il avec tendresse en effaçant du bout du doigt une ride soucieuse sur le front de la jeune femme. C’est ce que tu craignais ? — Oui. — On dirait que nous nous sommes trompés l’un et l’autre. Je te désirais mais je ne voulais pas te toucher car je pensais que tu étais une putain. — Et une Viking, lui rappela-t-elle. — Oui, mais cela avait de moins en moins d’importance. J’étais écœuré en pensant à la façon dont tu te servais de ton corps. Elle lui prit la main et la pressa contre sa joue. — Est-ce que je t’écœure encore maintenant que tu sais comment je me sers de mon corps ? Il savait qu’elle se moquait gentiment de lui mais il n’était guère habitué à ce genre de plaisanterie. Il se rallongea, s’éloignant volontairement d’elle. — Qui es-tu, Kristen ? — Tu tiens à le savoir, n’est-ce pas ? — Cette robe t’appartient ? J’avais raison ? — Oui, elle est à moi, soupira-t-elle. — Je sais que tu n’as pas eu d’époux, cela signifie donc que ta famille est riche. — Mon père l’est. Vas-tu lui demander une rançon ? — Non, répondit-il en roulant sur le côté pour mieux la voir. — Sage décision, milord, car il t’obligerait à m’épouser. — Par le sang du Diable ! Que dis-tu là ? Épouser une Viking ? — On dirait que c’est pour toi un sort pire que la mort. — Pour moi, cela le serait ! — Pour cette insulte, Saxon, je veillerai à ce que tu m’épouses ! — Tu es folle. — Tu crois ça ? Je suis aussi la fille de l’homme qui te tuera quand il viendra me chercher ! Elle regretta ces mots dès qu’ils eurent franchi sa bouche mais plus encore quand Royce se jeta sur elle avec fureur. Par le Ciel, ils ne cessaient de se déchirer avec des mots. — Es-tu en train de me dire que d’autres Vikings vont venir ici ? Il était glacial, tout à coup, et elle ne pouvait l’en blâmer. Il avait été de si joyeuse humeur jusque-là… Elle décida de dire la vérité. — Non, Royce, c’est peu probable. Mon père n’aurait jamais donné son autorisation à une telle expédition. Les hommes ne lui ont rien dit. C’est un marchand. Il croyait que son navire se rendait dans les villes de l’Est pour faire du troc. Il n’a aucun moyen de savoir que nous sommes venus ici. — Alors pourquoi m’as-tu menacé ? Elle retint un sourire. — Tu devrais suivre tes propres conseils et ne pas toujours croire ce que je dis quand je suis en colère. Il grommela un vague juron avant de demander : — Tu dis que le bateau lui appartenait. C’était donc ton frère Selig qui le commandait ? — Je ne t’ai pas dit qu’il était mon frère, fit-elle, suspicieuse. Comment le sais-tu ? — Par Meghan. Mais pourquoi voulais-tu me le cacher ? — Je me disais que tu aurais trouvé bizarre que je sois une putain sur un drakkar commandé par mon propre frère. — Cela m’a paru bizarre mais je ne connais pas les mœurs de ton peuple… J’ignore si vous possédez un quelconque sens moral. Kristen n’aurait su dire pourquoi cette remarque l’offensait. — Nous possédons un sens moral tout à fait semblable au tien, Saxon. Il restait perplexe. — Pourquoi étais-tu sur ce bateau ? — Pourquoi faut-il que tu poses tant de questions ? — Je suis curieux, c’est tout. Tu cherches peut-être encore à me cacher quelque chose ? Elle eut un reniflement de mépris. Elle lui avait caché certaines choses jusque-là, parce qu’elle avait de bonnes raisons de le faire. Quant à lui, il était normal qu’il se montre curieux, surtout maintenant. Mais fallait-il satisfaire sa curiosité ? Pourquoi le ferait-elle ? Pour qu’il en apprenne davantage sur son compte ? Pour qu’il dispose de nouveaux moyens de pression sur elle ? Il ne le méritait pas. Mais elle ne voulait pas non plus qu’il se méfie. Que penserait-il s’il savait qu’elle s’était embarquée avec son frère pour trouver un mari ? Elle avait effectivement rencontré un homme… Le seul qui ne l’épouserait jamais. — J’avais de nombreuses raisons d’être à bord mais elles n’ont aucune importance, répondit-elle calmement. Le fait est que je suis partie sans permission. Je me suis cachée dans la cale pendant trois jours. — Tu voulais prendre part à un raid ? s’enquit-il, incrédule. — Ne sois pas ridicule. Je t’ai déjà dit que personne ne savait que ce bateau venait ici. Et moi moins que les autres. Mon frère a piqué une crise de rage quand il m’a découverte à bord. Il m’aurait bien ramenée chez nous s’il n’avait craint que je ne révèle à mon père ce que ses amis et lui comptaient faire. — Bien sûr, tu as été bouleversée d’apprendre qu’ils allaient piller un monastère saxon ? Il ricanait et cela la rendit furieuse. — Tu es chrétien, et pour toi, le saccage d’un monastère est une abomination. Mais ne t’attends pas à ce que des hommes aux croyances différentes considèrent cet endroit comme sacré. Ces hommes-là n’avaient jamais pris part à un raid jusque-là, à la différence de leurs pères. Ils ont grandi en entendant sans cesse chanter leurs exploits, en rêvant des richesses qui les attendaient dans d’autres pays. Ils savaient que les Danois convoitent votre île, qu’ils en occupent déjà une bonne partie. Ils voulaient simplement une part du butin avant que les Danois ne s’emparent de tout. — Et cela excuse les actes que ton frère avait l’intention de commettre ? Après tout, tuer ces chrétiens avant les Danois n’était pas bien grave… Ils se seraient fait massacrer, de toute manière, alors quelle importance que ce soient des Norvégiens ou des Danois qui s’en chargent ? Son amertume la toucha car elle avait éprouvé les mêmes sentiments en apprenant le but de leur voyage. — Mon frère ne voulait rien me dire parce que…, peu importe… C’est Thorolf qui m’a appris tout ce que je viens de te dire et cela uniquement quand nous nous sommes retrouvés enchaînés dans ta cour, là en bas. Je ne les défends pas mais je les comprends. — Vous aviez oublié une toute petite chose, fit-il remarquer, glacial. Nous autres, Saxons, n’abandonnerons jamais ce qui nous appartient. Ni aux Danois… ni à quiconque. — La moitié de mes amis sont morts pour l’avoir appris trop tard, répondit-elle tout aussi froidement. — Ton frère est mort par sa propre faute, Kristen. — Et tu crois que cela va me consoler ? cria-t-elle. — Non, je suppose que non. Ils restèrent silencieux tous les deux. Kristen ressentit alors une étrange et dérangeante sensation : elle aurait voulu que Royce la réconforte. Mais elle savait que cela lui était impossible. Elle se glissa jusqu’au bord du lit et s’assit. La main de Royce l’arrêta aussitôt. — Que fais-tu ? demanda-t-il. Il n’était pas brutal mais simplement curieux. Elle regarda les doigts qui la retenaient, puis leva les yeux vers lui. — Je retourne dans ma chambre. — Pourquoi ? — J’en ai assez de répondre à vos questions, milord, soupira-t-elle. Je suis fatiguée. — Alors, dors. — Vous voulez que je reste avec vous ? s’étonna-t-elle. Il l’attira doucement contre lui. Kristen en était abasourdie. — Il y a plein d’armes ici. Vous n’avez pas peur que je vous tue dans votre sommeil ? — Le feras-tu ? — Non, mais je pourrais m’enfuir, dit-elle. Vous n’avez pas verrouillé votre porte. — Si tu en avais vraiment l’intention, tu ne m’en parlerais pas. Repose-toi, Kristen. Ne t’en fais pas, je n’ai pas perdu l’esprit. J’ai posté un garde dans le couloir. Elle poussa une exclamation. — Tu savais depuis le début que j’allais passer la nuit ici ? Sans s’en rendre compte, elle le tutoyait à nouveau. — Non, mais j’avais envisagé toutes les possibilités. Maintenant, calme-toi… si c’est bien dormir que tu veux. Elle serra les lèvres, vexée. Mais sa mauvaise humeur ne dura pas. Il voulait qu’elle reste avec lui, il avait usé de son corps à satiété mais il tenait quand même à la garder auprès de lui. Cette constatation était très agréable… si agréable qu’elle s’endormit le sourire aux lèvres. Dans les bras de Royce
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Partie 16
La journée de travail était terminée et Kristen ne demandait plus qu’une chose : s’allonger enfin sur sa paillasse. La chaleur étouffante l’avait épuisée, d’autant qu’avec sa nouvelle chaîne, elle ne pouvait s’éloigner des flammes de la cheminée. Elle eut envie d’embrasser Eda quand celle-ci vint enfin la libérer. La vieille servante la boudait toujours en raison de la violence verbale dont elle avait fait preuve à son égard. Kristen lui avait présenté ses excuses un peu plus tard, au cours de la même journée, mais cela n’avait pas suffi à l’apaiser. Et sa mauvaise humeur s’ajoutait aux tourments de Kristen car, sans Eda, la seule avec qui elle pouvait communiquer, elle était plus solitaire que jamais. Eda annonça sèchement à Kristen qu’elle devait prendre un bain. Malgré son état de fatigue, il ne vint pas à l’idée de la jeune Viking de protester. Ce n’était que son second bain depuis son arrivée ici. Darrelle se baignait souvent, tout comme Royce, mais pour les serviteurs, il en allait différemment. Habituée à la propreté, Kristen se contentait difficilement du petit récipient d’eau qu’on lui offrait chaque jour pour se débarbouiller. L’idée de se laver la mit de bonne humeur. Elle n’aurait pas droit à un long bain car les autres domestiques attendaient leur tour pour utiliser la même eau. Elle était, toutefois, la première à passer dans la baignoire, ce qui faisait toute la différence. Aujourd’hui, l’eau était chaude et propre et seule Eda resta avec elle dans la salle de bains. Tandis que Kristen se baignait et se lavait rapidement les cheveux, Eda rinça son unique tenue et lui fournit en échange un morceau de laine assez grossière pour passer la nuit tandis que ses affaires séchaient. C’était un grand rectangle de tissu gris dans lequel on avait simplement percé un trou pour y passer la tête. Avec un bout de corde autour de la taille en guise de ceinture, cela ressemblait vaguement à une robe. Kristen se sentait nue dans cet accoutrement mais elle ne protesta pas car elle pensait aller directement se coucher. Mais elle se trompait. Au premier étage, devant la porte de sa chambre, Eda la poussa en avant et l’engagea à continuer jusqu’au bout du couloir, vers celle du seigneur et maître des lieux. Contrariée, Kristen eut un mouvement de recul. — Pourquoi ? demanda-t-elle tandis qu’Eda frappait à la porte. La vieille servante haussa les épaules. — Je fais ce qu’on me dit de faire. On n’a pas besoin de me donner de motifs. — Il veut me voir ? — Il m’a dit de t’amener ici. C’est ce que je fais. Eda ouvrit la porte et attendit que Kristen passe devant elle. Kristen hésita à peine. Elle n’avait pas peur même si elle ne voyait pas pour quelle raison on la faisait venir ici de nuit. Si Royce avait voulu l’interroger, il aurait très bien pu le faire en bas, au cours de la journée. Elle pénétra dans la chambre. Eda ne lui avait pas remis les fers. Comme la fois précédente où elle l’avait amenée ici après le bain, la servante les plaça sur la table de Royce avant de quitter la chambre en refermant soigneusement la porte derrière elle. Il se tenait près d’une des fenêtres ouvertes, face à elle. Elle connaissait cette pièce, aussi ne prit-elle pas le temps de la détailler et préféra-t-elle fixer Royce droit dans les yeux, attendant une explication. Elle n’était que trop consciente de sa misérable tenue. Si la ceinture se relâchait, elle serait pratiquement nue. Elle n’avait aucune envie de se retrouver en si simple appareil devant cet homme. Quelques jours auparavant, elle aurait envisagé avec plaisir une telle éventualité. À présent, elle n’était pas certaine de vouloir exacerber son désir. Elle avait toujours envie de lui. Mais elle commençait à se dire que ce ne serait peut-être pas une si bonne idée d’obtenir ce dont elle avait envie. — On m’a signalé que les vêtements qu’on t’a donnés ne te vont pas très bien. C’était bien la dernière chose à laquelle elle s’attendait. Il s’inquiétait de ses vêtements… — Vous venez de le remarquer ? Royce ne parut pas apprécier ses sarcasmes. — Il y a une robe sur mon lit. Essaie-la pour voir si elle te va. — Maintenant ? — Oui. — Vous me laissez seule ou vous voulez regarder ? Les traits de Royce se durcirent de nouveau. Elle maniait l’ironie avec beaucoup trop de facilité. Bien sûr, une femme pareille n’éprouvait aucune gêne à se mettre nue devant des hommes. — Je n’ai aucune envie de te regarder enlever ta robe, femme. Je te tournerai le dos. « Couard », se dit-elle. — Comme c’est noble de votre part, rétorqua-t-elle. Elle se détourna pour aller chercher le vêtement et, tout à coup, se pétrifia. Sa robe préférée était étalée sur le lit. Elle aurait reconnu entre mille ce velours vert et cette ceinture de perles. C’était la seule robe que sa mère, qui détestait coudre, lui eût jamais faite. Voilà pourquoi elle l’aimait tant. Brenna avait passé de longues heures, l’année dernière, sur son ouvrage afin d’offrir un splendide cadeau à sa fille pour le solstice d’hiver. — Qu’attends-tu ? Kristen jeta un regard par-dessus son épaule. Il ne lui tournait pas le dos. Bien au contraire, il n’avait cessé de l’observer. C’était un piège. Il se doutait que cette robe lui appartenait. Et aucune prostituée au monde ne possédait une robe pareille. — Qu’est-ce que ça veut dire ? demanda-t-elle. — Quoi donc ? Elle lui fit face. — Pourquoi désirez-vous me voir essayer une telle robe, milord ? — Je t’ai déjà dit pourquoi. — Oui, vous voulez savoir si elle me va. Mais si elle me va, me la donnerez-vous ? Je ne le pense pas. Alors, à quoi cela servirait-il ? — Tu n’as pas à connaître mes raisons. — Dites cela à vos esclaves ! s’emporta-t-elle. Ils sont nés esclaves. Vous oubliez qui je suis ! — Non ! cria-t-il à son tour. Et c’est bien pour savoir qui tu es que je veux que tu mettes cette robe. Elle feignit la surprise mais elle était furieuse d’avoir confirmé ses soupçons. — En quoi cela vous apprendra-t-il qui je suis ? — Elle est à toi, n’est-ce pas ? Elle avait envie de le maudire, mais elle se força à sourire. — Vous croyez une telle bêtise ? Bientôt, vous allez dire que je suis vierge. — Tu l’es ? — Voulez-vous vous en assurer vous-même, milord ? demanda-t-elle, provocante. De tout cœur, elle priait pour qu’il ne s’aperçoive pas qu’elle bluffait. Une fois déjà, elle l’avait rendu furieux en se montrant délurée. Si elle pouvait à nouveau le faire tomber dans le piège… En tout cas, il semblait au bord de la crise d’apoplexie. — Allons, milord, reprit-elle, comment pouvez-vous imaginer qu’une fille comme moi possède une robe pareille ? C’est un vêtement de princesse. — Ou bien celle qu’un riche protecteur offre à sa putain, rétorqua-t-il. Elle lui offrit son plus beau sourire. — Tu me flattes, Saxon. Vraiment, tu me flattes, répliqua-t-elle avec insolence. Mais je t’assure que si j’avais eu un amant aussi prospère, je ne l’aurais jamais quitté pour m’embarquer à l’aventure. — Bon, tu affirmes que cette robe n’est pas à toi. Très bien. Maintenant, fais-moi plaisir et mets-la quand même. — Je ne la mettrai pas. — Pourquoi ? — Je ne veux pas sentir ce magnifique velours contre ma peau pour remettre ensuite les guenilles dont vous avez eu la gentillesse de me pourvoir. Ce serait trop cruel. Royce sourit. C’était la première fois qu’elle le voyait sourire et elle devait convenir que ce spectacle lui plaisait. — Tu sais te servir des mots, barbare. Tu as toujours réponse à tout. Mais tu oublies que ce n’est pas toi qui décides. Tu n’as pas le choix. Tu dois faire ce qu’on t’ordonne de faire. Que cela te semble cruel ou non. Me suis-je bien fait comprendre ? — Oui. — Alors, mets la robe. Il était vraiment décidé à la voir dans cette robe… Et dès qu’elle l’aurait mise, il verrait qu’elle lui allait parfaitement, comme une seconde peau. Il saurait alors qu’elle lui appartenait. Il comprendrait qu’elle lui avait menti. S’il lui avait demandé si elle était vierge, c’était qu’il se doutait déjà qu’elle ne faisait pas le plus vieux métier du monde. Et il comptait bien en avoir la preuve avant qu’elle ne quitte cette chambre. Il avait pourtant tort sur un point. Il existait une alternative. Elle pouvait mettre la robe et endurer sa cruauté et sa vengeance : il la violerait par principe, simplement parce qu’elle était vierge. Mais elle pouvait aussi le séduire, l’inciter à lui faire l’amour avec passion parce qu’il la désirait sincèrement… autant qu’elle le désirait. D’une façon ou d’une autre, elle savait que l’heure avait sonné : elle allait perdre son innocence cette nuit. Et le choix était simple. Elle ne pourrait pas supporter que sa première rencontre avec un homme soit un souvenir qu’elle maudirait toute sa vie. Royce était attiré par elle, même s’il ne voulait pas le reconnaître. Elle avait envie de lui. Cette nuit pouvait être très belle. Il ne fallait pas qu’il en soit autrement. — Tu vas me faire attendre encore longtemps ? s’enquit-il. — Toute la nuit, milord, répondit-elle d’une voix douce. Ne comptez pas sur moi pour mettre cette robe. Il fut sur elle en trois pas furieux. — Tu oses me défier ! Elle leva vers lui de grands yeux innocents. — Et cela vous étonne, milord ? Nous autres, les Vikings, sommes réputés pour notre bravoure. Vous-même m’avez qualifiée d’audacieuse. Et je le suis. Si vous voulez me voir dans cette robe, milord, il faudra me la mettre vous-même. — Tu penses que je ne le ferai pas ? — Non, vous ne le ferez pas. C’était un défi qu’il était forcé de relever. D’un geste brusque, il lui arracha sa ceinture avant de lui enlever sa tunique qu’il jeta à terre. Il évita de contempler sa nudité. Pendant une longue minute, ses yeux restèrent rivés aux siens. Puis il lui tourna le dos pour aller prendre la robe sur le lit. Mais quand il se retourna à nouveau vers elle, il ne put ignorer plus longtemps ce corps nu. S’il avait gardé les yeux fixés sur son visage, il serait sans doute parvenu à se contrôler. Mais là, c’était impossible. Il était figé sur place, subjugué. Elle se tenait debout, fière et sans honte, sans chercher à lui dissimuler son corps. Et la splendeur qu’il avait sous les yeux était encore plus formidable que ce qu’il avait imaginé jusque-là. Sa beauté majestueuse lui coupait le souffle. Il vint à elle. La robe de velours oubliée glissa entre ses doigts et tomba sur le sol. Ses mains se posèrent sur les joues de Kristen et il se pencha pour goûter le nectar de ses lèvres. D’abord, il ne fit que savourer lentement, presque timidement. Puis son baiser se fit plus exigeant, plus féroce. En ces premiers instants de folie, il était bien incapable de remarquer si Kristen lui résistait. Elle ne résistait pas. Elle lui rendait son baiser dans un total abandon. Au fond d’elle-même, elle craignait qu’il ne s’arrête comme la première fois. Crainte inutile. Royce n’était pas en état d’arrêter quoi que ce soit. Il l’ignorait mais il avait perdu son combat contre l’attirance qu’elle exerçait sur lui. Il ne se maîtrisait plus et, pour une fois, ne s’en souciait pas. Seule la passion le gouvernait, un tumulte amoureux qui ne cesserait qu’après les avoir tous deux ravagés. Kristen gémit quand sa bouche l’abandonna mais l’instant d’après, elle se sentait soulevée dans ses bras. Elle éprouva un vague sentiment de panique. Elle n’avait pas été portée ainsi depuis son enfance. Elle avait grandi trop vite pour que son père continue longtemps à la porter dans son lit. Mais son poids ne parut guère gêner Royce. Il la garda ainsi, solide et nullement pressé de se décharger de son précieux fardeau, pour mieux l’embrasser à nouveau. Les bras de Kristen s’envolèrent autour de son cou et leurs lèvres se nouèrent farouchement tandis qu’il se dirigeait vers le lit. Il la déposa très lentement afin de pouvoir continuer à l’embrasser. Bientôt, ils furent allongés côte à côte. Cela ne suffisait pas à Kristen. Elle roula sur elle-même pour se serrer contre lui, pour sentir la moindre parcelle de son corps. Mais cela ne lui suffisait toujours pas. Les vêtements de Royce constituaient un obstacle entre leurs peaux. Il se rendait à peine compte de ce qu’elle faisait. Il ne cessait de l’embrasser. Tout à coup, il se sentit repoussé en arrière. Des doigts impatients saisirent sa boucle de ceinture et, grimpant sur lui, Kristen le chevaucha. À travers un brouillard, il vit qu’elle lui arrachait sa tunique et il se souleva pour lui faciliter la tâche. Il n’eut pas le temps de s’étonner qu’une femme le déshabille. Il était fasciné par la vision qu’elle lui offrait, ainsi assise sur lui. Les seins parfaitement ronds de Kristen se lançaient en avant et ses mains obéirent, capturant deux monts de douceur. Le son qu’elle laissa échapper lui fit lever les yeux vers son visage. Dans le bleu si profond de ses yeux, il vit couler une mer en fusion et eut envie de s’y noyer. Il était submergé par un océan brûlant. Elle ne baissa pas le regard tandis qu’elle s’acharnait sur sa culotte qu’elle fit glisser le long de ses cuisses avec une rapidité inattendue. Elle fixa ce qu’elle venait de découvrir, l’instrument de sa puissance déjà tendu vers elle. Une telle impudeur le mettait à l’agonie. Kristen le contemplait avec ce qui ressemblait à de la joie, puis ses doigts s’emparèrent de son membre. C’était plus qu’il n’en pouvait supporter. Avec un gémissement rauque, il se redressa vivement, la saisit par les épaules et la cloua sur le lit. Il s’assit pour achever de se déshabiller. Kristen ne pouvait rester inactive. Elle se redressa, ses seins s’écrasèrent contre son dos, ses mains enlacèrent sa poitrine pour venir jouer avec ses mamelons. Royce ne s’était jamais déshabillé aussi vite. À l’instant où il se débarrassait de ses derniers vêtements, il fit volte-face et l’embrassa avec rage. Il la repoussa et la força à rester allongée. La vue de son corps offert lui fit serrer les dents. Il entama une longue et méticuleuse exploration. Ses yeux suivaient ses mains afin de se rassasier de la moindre parcelle d’une peau plus douce que le velours. Pour Royce, c’était un formidable délice. Pour Kristen, c’était bien mieux. Les sensations affluaient en elle, si merveilleuses, si nombreuses que chaque fois, elle pensait ne pas pouvoir en supporter davantage. Et chaque fois, elle se trompait. Il n’y avait pas de limite à ce bonheur. Elle brûlait. Son corps se tordait, se cambrait, se lançait contre les mains de Royce. Les doigts glissèrent à l’intérieur de ses cuisses. Kristen crut devenir folle. Un fluide de plaisir se répandit en elle, la soulageant et la faisant hurler en même temps. Ce cri surprit Royce qui ne le comprenait pas. Il s’arrêta. Il ne voulait en aucune façon lui faire mal. Pas maintenant. Kristen regarda la grande main remonter doucement le long de son ventre, elle vit les doigts frôler son nombril puis elle leva les yeux vers lui. Il la contemplait. Il se pencha pour l’embrasser, cette fois très tendrement, comme pour lui dire que tout allait bien, qu’il ne voulait pas lui faire mal. Il la traitait avec sollicitude alors qu’il croyait avoir affaire à une putain. Elle en fut bouleversée. Un sentiment nouveau prit naissance en elle. Elle lui parla avec son corps. Ses mains volèrent jusqu’à lui, l’encourageant à se coucher sur elle. Elle écarta les jambes pour le recevoir. Elle savait ce qu’il allait faire mais elle ignorait ce qu’elle ressentirait. Elle voulait savoir et elle voulait le savoir maintenant. Royce n’eut pas besoin d’encouragements supplémentaires. Avec toutes les autres femmes qu’il avait connues, il devait veiller à ne pas leur faire mal, à ne pas les écraser. Il était tellement plus grand et plus lourd qu’elles… Mais cette femme-là possédait un corps qui épousait le sien à merveille. Il ne craignait pas de lui briser les os, elle le serrait contre elle comme si elle avait besoin de sentir tout son poids sur elle. Il la pénétra. Tout doucement, s’émerveillant d’être capable de prolonger ce moment dont il avait tant rêvé. Il s’émerveilla aussi de la douceur et de la chaleur de ce merveilleux fourreau. Puis l’obstacle se présenta et tout son être se rebella en prenant conscience de sa signification. Kristen s’était préparée à ce moment de vérité. Les genoux levés, les pieds bien à plat sur le lit, elle rassembla ses forces. Elle n’allait pas le laisser arrêter maintenant. À l’instant où elle le sentit se raidir et prendre appui sur les coudes pour la regarder, elle agrippa ses fesses et se jeta de toutes ses forces contre lui. Dans la position dans laquelle il se trouvait, Royce ne put l’empêcher de parvenir à ses fins. Il fut entièrement enveloppé avant même de s’être rendu compte de ce qui se passait. Mais il put apercevoir l’expression de sa partenaire, les yeux fermés, le visage crispé par la douleur. Il n’y eut pas de cri, seulement un petit hoquet. Puis ses traits s’apaisèrent très vite et ses paupières se soulevèrent. Elle le regarda. Il ne parvint pas à dominer sa colère. — Et tu comptes aussi finir toute seule ? — Seulement si tu le veux. Il gémit devant une telle réponse avant d’éclater de rire. Puis il se laissa tomber sur elle, la serrant dans ses bras et lui faisant l’amour comme si sa vie en dépendait. Le moment était mal choisi pour essayer de comprendre son comportement. Un incendie les consumait tous les deux
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Partie 15
Royce attendait qu’Alden lance les dés à son tour. La chaleur était accablante. Ils avaient pris place autour d’une petite table devant une fenêtre ouverte dans le vain espoir de sentir un souffle d’air. La plupart des gardes de Royce s’étaient assemblés autour d’un grand tonneau de bière alors que l’après-midi n’était pas encore terminé. Ils avaient passé la matinée à s’entraîner durement au métier des armes mais la canicule les avait peu à peu ramenés dans le hall. Aujourd’hui, on ne s’occupait que des tâches les plus nécessaires. C’était la première fois depuis l’arrivée des Vikings qu’Alden s’aventurait dans le hall. Deux jours s’étaient écoulés depuis sa deuxième et mortifiante rencontre avec Kristen. L’une des blessures qu’elle lui avait infligées était plus grave qu’il ne l’avait cru tout d’abord. Il avait perdu beaucoup de sang avant de se résoudre à appeler Eartha à son chevet. Il avait dû rester de nouveau couché. Maigre consolation : Eartha n’avait rien dit à Darrelle et il avait ainsi pu échapper aux jérémiades de sa sœur. Quand Royce avait vu l’état de son cousin et la profondeur de la plaie qui lui ouvrait la poitrine, il avait été furieux. Il avait immédiatement fait installer une nouvelle chaîne pour la prisonnière. Celle-ci, assez longue, avait été scellée dans le mur près de la cheminée et s’enroulait autour de la première chaîne de Kristen qui était à présent retenue comme un chien à sa niche. Elle pouvait tout juste atteindre la grande table où elle accomplissait la plupart de ses besognes. Sa colère envolée, Royce avait aussitôt regretté cette nouvelle humiliation. Il savait qu’elle détestait ces chaînes et il osait à peine la regarder. Il ne voulait pas la voir ainsi, il ne voulait pas voir la haine sur son visage. En fait, Royce ne savait plus quoi faire de Kristen. Il était aux prises avec un dilemme entièrement nouveau pour lui et dont il ne pouvait parler à personne. Malgré toute la confiance et la complicité qui les unissaient, il répugnait à avouer à son cousin le trouble que la barbare provoquait en lui. Il ne cessait de penser à elle. Même dans son sommeil, il ne parvenait pas à lui échapper car elle avait envahi ses rêves. Elle ne ressemblait à aucune des femmes qu’il avait connues. Elle ne pleurait jamais, ne se plaignait pas. Pas une seule fois, elle n’avait paru avoir peur de lui. Elle haïssait ses chaînes mais n’avait rien fait pour qu’on les lui enlève. Elle ne l’avait jamais supplié. Elle n’attendait ni pitié, ni commisération. En fait, elle n’avait rien demandé – sinon lui. Il avait failli en devenir fou. Il l’avait accusée de tenter de le séduire, de l’ensorceler. En vérité, il était comme envoûté depuis le jour où, débarrassée de la boue qui la camouflait, elle s’était révélée à lui dans toute sa splendeur. Aucune autre femme n’avait suscité un tel désir en lui. Pas même Rhona qu’il avait profondément aimée. Un simple regard vers la Viking et son sang se mettait à bouillir. Il voulait se convaincre qu’elle était une sorcière ou peut-être une prêtresse viking dotée de pouvoirs surnaturels par ses dieux. Voilà qui expliquerait comment il pouvait, en même temps, éprouver du dégoût et du désir pour elle. Elle suscitait en lui des émotions qu’il ne comprenait pas. Il était gêné de la voir souffrir, et il n’aimait pas qu’elle soit une putain alors que cela n’aurait dû avoir aucune importance pour lui. Il frisait la crise de nerfs en évoquant tous les hommes qui avaient abusé d’elle. Aussi essayait-il de ne pas y penser. Mais découvrir à présent que l’un de ces hommes comptait plus que les autres, qu’il comptait tellement qu’elle voulait venger sa mort, le mettait à l’agonie. Il avait demandé à Thorolf qui était ce Selig. Mais le Viking avait fait semblant de ne pas comprendre. À l’évidence, il refuserait de lui apprendre quoi que ce soit et Royce n’avait pas insisté. Kristen avait raison : il ne saurait que ce qu’elle voudrait bien lui dire. — Si tu ne veux plus jouer, Royce, tu n’as qu’à le dire. — Quoi ? — Joue ! Royce lança les dés. — Je pensais, marmonna-t-il. — Tu penses beaucoup depuis quelque temps. Bien sûr, c’est normal avec tout ce qui se passe. Et, comme si cela ne suffisait pas, voilà le roi qui décide de nous rendre visite. Tu sais quand il arrive ? — Il viendra quand il viendra, grogna Royce. Ce n’est pas très important. — Non ? Alors, qu’est-ce qui est important ? Les prisonniers, peut-être ? — Hein ? — Hein ? répéta Alden en s’esclaffant. Allons, Royce, pourquoi m’avoir caché qu’elle était aussi belle ? — Elle a déjà essayé de te tuer à deux reprises. Comment peux-tu rire ? — Elle a ses raisons, j’imagine… mais quoi qu’il en soit, qui peut haïr ou mépriser une femme aussi belle ? — Moi. — Toi ? Pourquoi ? Tu ne la tiens quand même pas pour responsable des exactions commises par les Danois ? Elle n’est pas danoise. — Tu oublies que ses compagnons sont venus ici pour piller et tuer. Heureusement que tu les as arrêtés à temps. Une petite voix les interrompit. — Ils ne venaient pas ici. Royce et Alden se tournèrent avec un bel ensemble vers Meghan qui avait assisté à leur partie de dés. Ils ne s’étaient même pas rendu compte de sa présence. Royce fronça les sourcils mais il se radoucit dès qu’il vit sa sœur baisser craintivement les yeux. — Pourquoi dis-tu cela, petite sœur ? Elle risqua un regard prudent vers lui puis s’approcha après avoir constaté qu’il n’était pas en colère. — C’est Kristen qui me l’a dit. Elle dit qu’ils voulaient simplement voler des choses au monastère de Jurro. — Quand lui as-tu parlé ? — Le lendemain du jour où on l’a amenée dans la maison. — Elle ne t’a rien dit d’autre, Meghan ? — Oh ! si ! Elle m’a parlé de sa famille. Elle a dit que son père est encore plus grand que toi et qu’il a un caractère épouvantable, lui aussi. Elle s’arrêta en se rendant compte de l’énormité qu’elle venait de laisser échapper. — Je ne voulais pas… — Mais si, mais si, ma chérie. C’est exactement ce que tu voulais dire : ton frère possède un sale caractère, la taquina gentiment Alden en la prenant sur ses genoux. Royce lui sourit pour lui montrer qu’il n’était pas vexé. — Continue, petite sœur. Que t’a-t-elle dit d’autre ? — Tu ne dévoiles pas de secrets, au moins, Meghan ? — Alden ! gronda Royce. — Oh ! oh ! impatient, on dirait ? railla celui-ci. Meghan les surprit alors tous les deux. — Pourquoi l’as-tu fait enchaîner au mur, Royce ? — Parce qu’elle veut tuer notre cher Alden et qu’il n’est pas encore suffisamment rétabli pour pouvoir se défendre. Ce n’est qu’une mesure de protection. Meghan dévisagea Alden avec des yeux ronds. — Pourquoi veut-elle te tuer ? — Oui, pourquoi ? gémit-il d’un ton moqueur. Je suis un garçon si sympathique ! — Tu as dû mal comprendre, insista Meghan, elle ne veut sûrement pas te tuer. — Si, ma chérie, elle le veut vraiment, affirma Alden. D’après elle, j’ai tué quelqu’un qui s’appelle Selig et elle veut venger sa mort. — Tu as tué Selig ? s’exclama Meghan. Oh ! Alden, pourquoi as-tu fait une chose pareille ? Elle doit te haïr très fort… Royce se pencha par-dessus la table pour prendre sa petite sœur par le bras. — Sais-tu qui était ce Selig, Meghan ? demanda-t-il avec douceur. — Oui, bien sûr, elle me l’a dit. Mais elle était bouleversée. Je venais de lui apprendre que Jurro avait été détruit par les Danois. Elle a dit que Selig et les autres étaient morts pour rien. Elle m’a fait peur. Elle a frappé la table de toutes ses forces puis elle l’a renversée. Mais je crois que c’était à cause de la tristesse. Avant, elle était très gentille avec moi. — Oui, elle sait se montrer très gentille quand ça l’arrange, maugréa Royce qui n’oubliait pas pour autant ce qu’il voulait savoir. Qui était Selig, Meghan ? — Alden ne le lui a pas demandé ? — Meghan ! Elle pâlit et répondit vivement. — C’était son frère, Royce. Elle a dit qu’il était son frère. Malgré le choc que lui causait cette révélation, Royce remarqua l’angoisse de sa petite sœur et se maudit d’avoir élevé la voix. — Meghan, ma chérie, je ne suis pas en colère contre toi. — C’est vrai ? Tu ne m’en veux pas de lui avoir parlé ? — Non, la rassura-t-il. Et si tu allais voir les trésors que Darrelle a trouvés ? On a rapporté une partie de la cargaison du bateau viking. Elle m’a dit qu’il y avait de très beaux tissus pour faire de nouvelles robes pour elle et pour toi. Meghan se précipita joyeusement à l’autre bout de la grande salle où plusieurs femmes étaient rassemblées. Royce se renfonça dans son siège et jeta un coup d’œil à Alden. Son cousin n’était pas moins surpris que lui. — Un frère ! s’exclama Royce. Que faisait son frère parmi ces hommes ? Comment pouvait-il supporter de la voir se vendre à ces barbares ? — Et si nous nous étions trompés ? suggéra Alden. Et si elle n’était pas une putain ? — Non, répliqua Royce, l’air sinistre. Elle a dit qu’elle en était une. Alden haussa les épaules. — Ils ont peut-être une manière différente de voir les choses. Que savons-nous d’eux ? Peut-être que pour eux, il est normal qu’une femme se donne à plusieurs hommes. Qui peut dire si toutes leurs femmes ne sont pas des putains ? Royce se souvint que Kristen lui avait affirmé ne pas connaître de putains. Mais il n’en souffla mot car Darrelle venait de les rejoindre. — Royce, regarde ça ! s’exclama-t-elle, tout excitée, en lui montrant la robe qu’elle venait de trouver. As-tu déjà vu un velours aussi beau ? Il doit sûrement venir d’Orient. Il jeta un vague coup d’œil à la robe vert sombre qu’elle agitait sous ses yeux. Puis elle la tint devant elle. C’était une robe très luxueuse, sans manches et pourvue d’un immense décolleté en V gansé de pierres précieuses. Une triple rangée de perles serrait la taille, et la boucle qui fermait cette ceinture était en or massif. — Il y en a une autre, reprit Darrelle. Et les chaussures qui vont avec, et puis aussi des bracelets en or et un collier d’ambre. Vas-tu les donner à Corliss, Royce ? Elle en sera sûrement ravie. Elles sont si magnifiques ! Sinon, je serais bien contente de les garder. Bien sûr, il faudra retoucher les robes, leur ajouter des manches, mais il n’y aura pas de problème car on pourra utiliser le tissu qu’on enlèvera en bas. Ces robes sont si longues ! C’est à croire que toutes ces Norvégiennes sont des géantes ! Royce loucha vers le bas de la robe qui traînait par terre, aux pieds de Darrelle. — Fais-les porter dans ma chambre. — Tu ne veux pas que je les fasse retoucher ? s’enquit Darrelle, déçue. — Non, pas pour l’instant. Et comme sa cousine les quittait, le regard de Royce vola du côté de la cheminée, là où se trouvait Kristen. Elle dominait toutes les autres femmes autour d’elle d’une bonne tête et même davantage. Son corps superbe était toujours recouvert par les mêmes guenilles trop étroites et trop courtes pour elle. — À quoi penses-tu, cousin ? s’enquit Alden qui avait suivi son regard. — À ces robes. Je suis certain qu’elles appartiennent à ma belle esclave, répliqua Royce sans quitter Kristen des yeux. — Tu n’y penses pas ! railla Alden. Une femme ordinaire ne posséderait pas de si beaux vêtements. La reine Ealhswith elle-même n’a jamais porté un velours aussi somptueux. Rien que les perles valent une fortune. Royce, toujours songeur, se tourna vers son cousin. — Je sais que cela semble insensé, mais j’en aurai le cœur net avant cette nuit. — Comment ? Lui demander si ces robes lui appartiennent ne servira à rien. Elle répondra oui, que ce soit vrai ou non. Aucune femme ne peut résister à de telles merveilles. — C’est ce qu’on verra. La rage sourde avec laquelle il avait prononcé ces mots n’augurait rien de bon. Alden éprouva un peu de pitié pour la Viking. Il n’osait imaginer les moyens que son cousin allait employer pour lui arracher la vérité
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Partie 14

Le lendemain matin, Kristen était d’humeur maussade. Elle s’était montrée honnête avec le Saxon. Elle lui avait avoué ses sentiments à son égard et n’avait reçu en échange que son hypocrisie. Il avait envie d’elle, c’était évident, mais il refusait cette évidence. Il l’avait repoussée. Pire, il l’avait injuriée. Et comme si cela ne suffisait pas, Eda avait assisté à toute la scène et avait cru bon de la commenter : — Ne le provoque plus, barbare, avait-elle marmonné avec colère. S’il te fait partager son lit, tu le regretteras car tu ne seras jamais rien de plus qu’une esclave pour lui. Elle avait sans doute raison et c’était bien cela qui faisait enrager Kristen. Pouvait-elle sacrifier son innocence à un homme qui ne l’aimerait jamais ? Jusqu’ici, elle avait été convaincue de pouvoir se faire aimer de lui mais, maintenant, elle avait des doutes. Et elle n’aimait pas cela. Ces doutes la déprimaient et minaient sa confiance en elle-même et en l’avenir. Comme tous les matins, elles nettoyaient les chambres à coucher et s’occupaient à présent de celle de Royce. La veille encore, Kristen éprouvait une réelle excitation en regardant le lit. Aujourd’hui, elle n’avait qu’une envie : mettre ces draps en pièces. Elle frappa l’oreiller avec une telle violence que quelques plumes s’envolèrent. — D’un extrême à l’autre, remarqua Eda en secouant la tête. Ne pense plus à lui. — Laisse-moi tranquille, la prévint Kristen. Tu as dit ce que tu avais à dire, hier soir. — Apparemment, je ne me suis pas fait assez bien comprendre. Si tu cherches à lui faire du mal, à le blesser d’une manière ou d’une autre, tu ferais bien d’y renoncer. — Le blesser ? s’emporta Kristen. Si je blesse quelqu’un, femme, ce sera toi si tu n’arrêtes pas de me faire la morale. Eda recula, craintive. Elle se montrait de plus en plus tolérante envers Kristen qui n’avait jamais fait preuve de la moindre hostilité à son égard. Elle commençait à apprécier cette grande fille simple, oubliant qu’elle appartenait à une race qui ne vivait que de pillages et de destructions. Sa négligence était telle qu’elle se retrouvait seule avec elle dans cette chambre. Et elle était soudain consciente, en observant la grande Viking, que, malgré ses chaînes, Kristen n’aurait aucun mal à se saisir d’elle pour la jeter par la fenêtre. Eda recula vers la porte en marmonnant de plus en plus fort à mesure qu’elle s’éloignait de Kristen. — Menacer une vieille femme, hein ? Et alors que j’ai empêché les autres d’abuser de toi ! Tu n’as qu’à finir seule. Et tu ferais bien de changer d’attitude, barbare, sinon je te fais enfermer pour le reste de la journée et tu seras privée de repas. Et ne traîne pas ou j’envoie quelqu’un pour te frictionner les côtes. On verra si tu arrives à jeter un homme par la fenêtre aussi facilement. Cette dernière remarque sibylline laissa Kristen perplexe, mais elle ne s’y attarda pas. C’était la première fois qu’elle se retrouvait seule dans une pièce non surveillée. Et c’était la chambre de Royce… En un rien de temps, elle pouvait tout détruire, tout casser. Personne n’était là pour l’en empêcher. Il la punirait sûrement mais elle accueillerait la douleur avec soulagement car, après, viendrait la haine. Elle avait besoin de le haïr, elle devait le haïr et, pour l’instant, elle n’y arrivait pas. L’idée était tentante mais la possibilité de trouver une hache – la seule arme qui lui permettrait de se libérer – était plus tentante encore. Elle avait trop perdu de temps à penser au Saxon alors qu’elle aurait dû chercher des moyens de s’enfuir. Une hache briserait ses chaînes, défoncerait les volets de bois qui étaient, chaque nuit, fermés dans sa chambre. Avec la couverture et ses propres vêtements noués, elle pourrait confectionner une corde suffisamment longue pour descendre par la fenêtre. Cette même hache pourrait libérer Thorolf et les autres. Si seulement elle en trouvait une, elle pourrait la cacher dans sa propre chambre avant de redescendre, et ce soir… Il n’y avait pas une seule hache parmi la panoplie d’armes suspendues au mur. Kristen se dirigea vers le coffre situé au pied du lit de Royce. Prenant soin de ne rien y bouleverser, elle le fouilla mais n’y trouva que des vêtements. Elle se dirigea alors vers le petit coffre situé entre les deux fenêtres. Il était fermé par une grosse serrure en fonte. Elle retourna au mur d’armes. Il y avait quelques épées anciennes, certaines richement incrustées d’argent et même une dans un fourreau d’or pur. Des javelots, un arc de chasse, une lourde masse et des douzaines de dagues de toute sorte… Elle envisagea de dérober un poignard mais y renonça : l’emplacement vide serait immédiatement remarqué. Néanmoins, elle pouvait forcer la serrure du coffre. Elle s’empara de la plus petite dague et s’agenouilla devant le coffre. La serrure ne ressemblait à aucune de celles qu’elle connaissait. En fait, elle n’y trouva pas de trou pour insérer une clé. — Il n’est pas fermé, tu sais. Ce n’est qu’un ornement. Ce verrou ne sert à rien. Vas-y, soulève le couvercle et constate-le par toi-même. Mon cousin n’a pas besoin d’enfermer ses biens. Il sait que personne ne le volera ici. La voix lui était inconnue. Lentement, avec crainte, Kristen se retourna. Sa crainte disparut à l’instant où ses yeux se posèrent sur le visage de l’inconnu. Elle le connaissait. Elle connaissait ce regard d’un bleu très clair, cette silhouette… Elle n’oublierait jamais la vision de cet homme une épée à la main et Selig, devant lui, qui s’effondrait. — Toi ! siffla-t-elle. Tu devrais être mort ! Il ne parut pas l’entendre. Il l’examinait de la tête aux pieds avec stupeur. — Eh bien, la description que Royce m’a faite de toi ne te rend pas justice. Kristen ne l’écoutait pas non plus. Elle aurait voulu se jeter immédiatement sur lui mais, malgré sa rage, elle ne pouvait oublier les chaînes qui l’empêchaient de bouger librement. Elle entama une lente manœuvre d’approche. La chaîne traînant sur le sol attira l’attention de l’homme. Il grimaça en voyant les bracelets de fer qui lui serraient les chevilles. Sa compassion évidente n’eut aucun effet sur Kristen. Elle continuait à avancer vers lui en cachant la dague qu’elle tenait fermement. Elle parla pour le forcer à la regarder dans les yeux. — Je te croyais mort. — Oh ! mais je me porte beaucoup mieux. Tu es très… Elle frappa à la gorge. Ses réflexes n’étaient pas aussi émoussés qu’elle le croyait, mais au lieu de l’atteindre à la carotide, la dague effleura la main de l’homme qui dévia la trajectoire de la lame. Une mince traînée de sang apparut sur la paume. Elle la vit tout en sautant de côté pour retrouver son équilibre. Dans le même mouvement, elle frappa de nouveau vers le cou. Il lui saisit le bras de la main gauche. Mais elle avait mis tout son poids dans l’attaque et il ne parvint qu’à ralentir le coup. Du sang jaillit à nouveau. L’homme était mince pour sa taille et loin d’être aussi puissant que Royce. Il n’était pas encore complètement rétabli, tandis que la soif de vengeance décuplait les forces de Kristen. Il ne pouvait la maintenir uniquement avec sa main gauche. Elle sentit sa prise glisser et elle en profita pour piquer de nouveau. Cette fois, la lame s’enfonça dans sa poitrine. Il se servit de ses deux mains pour maintenir le bras de Kristen et l’empêcher de lui lacérer les chairs. Il parvint à se libérer. — Par le Christ, barbare, arrête ! — Pas avant que tu ne sois mort, chien de Saxon ! De sa main libre, elle lui tira les cheveux pour lui faire perdre l’équilibre. Mais il s’était déjà tourné, emprisonnant le bras armé dans une clé douloureuse. Elle hurla de rage en sentant ses doigts s’ouvrir et laisser échapper la dague. Il commit alors l’erreur de la relâcher. Avant qu’il ne se soit retourné, elle l’avait frappé sur la nuque, utilisant ses deux mains nouées comme une masse. Le coup l’expédia dans le couloir où il s’écrasa contre le mur opposé. La dague était tombée sur le sol à mi-distance entre eux. Kristen bondit, oubliant la chaîne, et elle perdit l’équilibre. Alden se jeta alors sur elle et ils s’effondrèrent ensemble dans la chambre. Si Kristen avait été une frêle jeune femme, cette chute aurait signifié la fin du combat. Alden, lui, le croyait terminé. Il était sur elle, l’écrasant de tout son poids et lui emprisonnant les poignets au-dessus de la tête. — Pourquoi ? demanda-t-il. Royce dit que tu n’as attaqué personne. Pourquoi moi ? — Tu as tué Selig ! Je le vengerai ! Elle le fit rouler sur le côté tout en prononçant ces mots. L’instant d’après, elle avait repris le dessus et lui saisissait le crâne à pleines mains. Elle eut le temps de l’écraser deux fois contre le sol avant que des bras puissants ne la soulèvent du sol. Kristen se débattit jusqu’à ce que les bras se referment en une étreinte d’ours menaçant de la broyer. Une voix lui gronda à l’oreille : — Assez ! Oh ! non… Pas lui ! Elle pouvait se battre contre n’importe qui mais pas contre lui. Elle baissa les yeux vers l’homme qui se relevait avec peine. Encore quelques secondes et elle l’aurait suffisamment étourdi pour avoir le temps d’aller chercher une arme sur le mur. Elle aurait enfin pu accomplir son devoir. Pourquoi avait-il fallu que le Saxon apparaisse à cet instant précis ? — Au nom du Ciel, Alden, que faisais-tu ? s’enquit Royce. — Moi ? répliqua son cousin en grimaçant. Regarde-moi ! Ai-je l’air de faire quoi que ce soit ? — Non, et je veux savoir pourquoi. Si tu me dis qu’une femme t’a battu deux fois, je crois… — N’exagère pas, Royce. Je suis aussi faible qu’un bébé et elle n’a rien d’une frêle adolescente. Essaie de lutter avec elle et on verra comment tu t’en sors. — Ce n’est qu’une femme, maugréa Royce avec mépris. Et là-dessus, il repoussa négligemment Kristen. Son intention avait été de la projeter à travers la pièce, mais elle broncha à peine. Elle fit volte-face pour le défier du regard. — Qu’une femme, hein ? fit Alden. Eh bien, cette femme sait drôlement bien se servir d’une arme. Tu peux me croire. De toute manière, tu n’as pas de souci à te faire. C’est après moi, et après moi seulement qu’elle en a. — Pourquoi ? — Demande-le-lui. Royce se tourna vers Kristen. — Pourquoi ? répéta-t-il. Elle croisa les bras, refusant de répondre. Royce n’avait jamais été d’une grande patience. Il se tourna vers Alden. — Que t’a-t-elle dit ? — Que j’ai tué un dénommé Selig. Elle veut le venger. — Un amant, sans doute. — Pas un amant ! cria Kristen. — Alors, qui était-ce ? — Tu ne le sauras jamais, Saxon. — Par le Ciel, tu vas me le dire ! s’emporta Royce en l’empoignant brutalement. — Tu crois ça ? ricana-t-elle. Et comment vas-tu me forcer à te le dire ? Tu vas me battre ? Me torturer ? Vas-y ! Je ne te dirai que ce que j’aurai envie de te dire et rien de plus. Et tu ne m’entendras pas non plus te supplier, Saxon, alors tu peux aussi bien me tuer tout de suite et qu’on en finisse. — Descends dans le hall ! gronda Royce. Elle quitta la pièce d’une démarche rendue incertaine par les chaînes mais avec la fierté d’une reine. Royce continua à fixer la porte quelques secondes après son départ. Puis il se retourna vers Alden qui grimaçait toujours. — Non, Royce, ne crie pas, s’il te plaît. J’entends déjà Darrelle quand elle verra tout ce sang. — Alors, va te soigner tout seul et ne parle de cet incident à personne. Tu n’es pas sérieusement blessé, quand même ? — Je commençais à me demander si tu t’en souciais. Non, ce ne sont que quelques coupures… Mais, bon sang, elle a failli me trancher la gorge. Elle se bat comme un démon et elle s’est jetée sur moi sans prévenir. — Va te soigner, Alden, fit Royce, l’air écœuré. — J’en ai bien l’intention. Inutile que ma chère sœur voie ce gâchis. — Alden ? — Oui ? Il s’arrêta sur le seuil. — Ne t’approche pas d’elle. Alden sourit. — Ne crains rien. Je n’ai pas envie de me retrouver une nouvelle fois aux prises avec cette tigresse
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Partie 13
Quatre chariots quittaient la cour : deux d’entre eux remplis de prisonniers et le troisième d’hommes en armes, tandis que le dernier était vide. Ces chariots reviendraient plus tard, tous chargés des blocs de pierre arrachés aux ruines romaines. Si un caprice du destin n’avait pas incité le seigneur de ces lieux à croire qu’elle était leur chef, Kristen aurait été à présent avec ses amis. Et elle aurait pu s’enfuir avec eux. Elle ne voyait que neuf gardes pour seize Vikings. C’était dérisoire. Et c’était le signe qu’ils attendaient tous : ils allaient donc tenter leur chance aujourd’hui. Quant à elle, elle resterait ici, abandonnée à son sort et à la vengeance des Saxons. Elle leur avait dit de ne pas se soucier d’elle, que le seigneur saxon ne la tuerait pas. Elle s’était efforcée de les convaincre de penser d’abord à eux-mêmes et à leur propre salut car elle savait que s’ils tentaient de la libérer, ils perdraient toutes leurs chances de réussir leur évasion. Et maintenant, ils partaient sans elle. Debout devant la cheminée du hall, Kristen eut un petit pincement au cœur en voyant par la fenêtre disparaître ses compagnons. Elle avait passé une nuit atroce sur une paillasse, dans une petite chambre. Le confort y était bien plus grand que dans la cour, mais elle s’y sentait plus malheureuse parce que solitaire. Le malheur est plus facile à supporter quand il est partagé. Les tâches qu’on lui avait assignées n’étaient pas trop pénibles. Elle avait toujours accompli sa part de travail dans la maison, chez elle. En hiver, à l’époque des grands froids et des tempêtes, on ne demandait pas aux serviteurs de quitter leurs quartiers chauffés près des écuries. C’était alors Kristen et sa mère qui s’occupaient du ménage et de la cuisine. En fait, Kristen se montrait bien plus travailleuse que sa mère. Brenna n’avait jamais aimé le « travail de bonne femme », comme elle l’appelait, rappelant sans cesse qu’elle se considérait comme un garçon manqué et qu’on ne demandait pas aux garçons de s’acquitter de ces besognes. Mais Kristen ne partageait pas ces préjugés et elle accomplissait volontiers ce « travail de bonne femme ». Ce qu’elle ne supportait pas, ici, à Wyndhurst, c’étaient les ordres brefs que lui jetaient sans cesse les serviteurs. — Est-ce que cela fait très mal ? Kristen se retourna. Une petite fille venait de s’asseoir au bout de la longue table sur laquelle elle avait servi le petit déjeuner. C’était une belle enfant, avec un joli petit visage tout rose et propre et deux nattes auburn recourbées au-dessus de ses épaules. Comme elle fixait Kristen de ses grands yeux verts, celle-ci présuma que la question s’adressait à elle. — Qu’est-ce qui fait mal ? — Tes pieds. Ils saignent. Kristen baissa les yeux. Du sang coulait de sa cheville gauche. Elle avait été stupide de refuser obstinément de se protéger. C’était puéril et complètement ridicule de sa part. Elle ne l’avait fait que pour éveiller chez le seigneur saxon un hypothétique sentiment de culpabilité, et n’avait réussi qu’à se blesser davantage. Quant à lui, cela ne lui faisait apparemment ni chaud ni froid. Après tout, c’était lui qui avait ordonné qu’on l’enchaîne. Elle regarda de nouveau la petite fille qui la contemplait toujours. — Non, assura Kristen avec un sourire, ça ne fait pas mal. — Vraiment ? Tu ne sens pas la douleur ? — Bien sûr que si. Mais, pour être franche, j’ai tant d’autres problèmes en tête, que je ne fais guère attention à une petite douleur tout en bas. Elle montrait ses pieds. La petite fille pouffa. — Ça ne fait pas un drôle d’effet d’être si grande ? — Non. — Mais tu es plus grande qu’un homme et… Le rire de Kristen l’interrompit. — En Norvège, la plupart des hommes sont plus grands que moi. — Oh ! oui, les Vikings sont tous très grands. Kristen sourit. — Quel est ton nom, petite fille ? — Meghan. — Il fait si beau. Comment se fait-il que tu ne sois pas dehors à chasser les papillons ou à cueillir des fleurs, ou bien à chercher des nids d’oiseau ? C’est ce que je faisais à ton âge. Ne serait-ce pas plus drôle que de rester assise dans ce hall ? — Je ne quitte jamais Wyndhurst. — Pourquoi ? C’est dangereux ? L’enfant contempla ses mains posées sur la table devant elle. — Ce n’est pas dangereux mais je n’aime pas sortir seule. — Mais il y a d’autres enfants ici. — Ils ne jouent pas avec moi. Kristen fut émue par la tristesse avec laquelle Meghan avait dit cela. Ce fut Eda, qui venait d’arriver, qui donna la réponse à la question qu’elle ne posa pas. — Les autres enfants ont peur de jouer avec la sœur de milord. D’ailleurs, toi non plus, tu ne devrais pas lui parler, lui siffla-t-elle à l’oreille. Kristen adressa un regard glacial à la femme. — Jusqu’à ce qu’on me l’interdise, je parlerai à qui je veux. — Vraiment, barbare ? rétorqua Eda. Alors, ne t’étonne pas s’il te l’interdit tout de suite. Il n’a pas l’air très content. Kristen n’eut pas le temps de se demander ce qu’elle voulait dire. Une poigne cruelle lui meurtrit l’épaule et l’obligea à se retourner pour faire face à un Saxon enragé. Royce ne pensait pas à sa sœur car il n’avait même pas remarqué sa présence dans le hall. Quand il avait pénétré dans la vaste pièce, ses yeux avaient immédiatement été attirés par la blonde chevelure devant la cheminée. Il n’avait pas revu Kristen depuis qu’elle avait quitté sa chambre, la veille. Il avait pris son dîner dans la chambre d’Alden, évitant délibérément le hall et la Viking. Tandis qu’elle lui tournait le dos, il l’avait observée de la tête aux pieds. La vue du large filet de sang qui s’écoulait sous l’anneau de fer avait déclenché sa colère. — Tu te trompes ! Ce n’est pas en t’infligeant de telles blessures que tu te feras retirer tes chaînes ! — Je n’y pensais même pas, répliqua-t-elle. — Alors, explique-toi ! Je t’ai ordonné de te protéger avec des chiffons. — J’ai oublié de les demander, mentit-elle avant d’ajouter d’un ton bravache : On m’a traînée ici avant le lever du soleil et mise au travail immédiatement. J’avoue que je dormais à moitié et que je ne pensais plus à ces chaînes qui font partie de ma chair maintenant. De furieux, il devint perplexe. À l’évidence, il se demandait s’il devait la croire ou non. Cette perplexité réjouit Kristen qui s’esclaffa, accroissant du même coup le trouble du seigneur saxon. — Ah ! milord, vous pensiez sans doute que je désirais éveiller votre sympathie ? Soyez assuré que je ne suis pas stupide au point de vous croire capable de tels sentiments. Il rougit de colère puis devint livide. Elle crut qu’il allait la frapper. Elle venait de se moquer de lui et de l’insulter. Apparemment, il n’était guère habitué à ce genre de comportement de la part d’une femme. Il se tourna vers Eda avec une expression terrifiante. — Occupe-toi de son pied tout de suite et veille à ce qu’elle n’oublie plus de se prémunir contre les blessures. Après un dernier regard furieux à Kristen, il s’éloigna. Eda le suivit tout en grommelant qu’elle avait suffisamment de travail pour ne pas, en plus, dorloter une barbare à moitié folle qui n’avait qu’une préoccupation : faire enrager son seigneur. Kristen sourit, ignorant la vieille femme. Au bout du compte, ce Saxon n’était pas si différent des autres hommes qu’elle connaissait. — Comment oses-tu rire alors qu’il est si en colère contre toi ? Kristen avait oublié Meghan. Elle se tourna vers elle et vit ses grands yeux verts emplis de stupéfaction et d’effroi. — Il n’était pas si en colère que cela. — Tu n’avais vraiment pas peur, même un tout petit peu ? — J’aurais dû ? — Moi, j’avais peur. Kristen fronça les sourcils. — Eda dit qu’il est ton frère. Tu n’as quand même pas peur de ton frère ? — Non… enfin, quelquefois… — Il te bat ? Meghan parut surprise par cette question. — Oh ! non, il ne m’a jamais battue. — Alors, pourquoi as-tu peur de lui ? — Il pourrait me battre. Il est si grand et il a l’air si méchant quand il est en colère ! Kristen rit avec gentillesse. — Ma pauvre petite, la plupart des hommes ont l’air méchant quand ils sont en colère, mais cela ne veut pas dire qu’ils le soient vraiment. Et ton frère est grand, c’est vrai, mais mon père est bien plus grand encore – enfin, un petit peu plus, en fait – et il a très mauvais caractère, lui aussi. Pourtant, il n’y a pas d’homme plus gentil, et personne n’aime sa famille autant que lui. Mes frères ont un drôle de caractère, eux aussi, mais tu sais ce que je fais quand ils me disputent avec cet air méchant ? — Quoi ? — Je crie plus fort qu’eux. — Et ils sont plus grands que toi ? — Oui, même le plus jeune qui a à peine quatorze ans m’a déjà dépassée. Et il va encore grandir. Et toi, tu n’as pas d’autre famille, à part ton frère ? — J’avais un autre frère, mais je ne me souviens pas de lui. Il est mort avec mon père quand les autres Vikings sont venus, il y a cinq ans. Kristen grimaça. Par le sang du Christ, le Saxon avait de bonnes raisons de les haïr, elle et les siens. Pas étonnant qu’il ait voulu tous les tuer. Elle ne comprenait pas pourquoi il avait changé d’avis… — Je suis désolée, Meghan, dit-elle avec douceur. Ton peuple a beaucoup souffert à cause de nous. — C’étaient des Danois, ces Vikings. — Cela ne fait pas une grande différence. Nous aussi, nous sommes venus ici pour razzier et piller. Mais nous n’avions rien contre vous, si cela peut te consoler. — Tu veux dire que tes amis n’auraient pas attaqué Wyndhurst ? — Non, ils avaient des vues sur un monastère, plus loin à l’intérieur des terres. Quelle ironie ! — Jurro ? — Oui. — Mais il a été détruit par les Danois il y a cinq ans et on ne l’a jamais reconstruit. — Ô Seigneur ! gémit Kristen. Selig et tous les autres sont morts pour rien… — Selig était ton ami ? demanda Meghan, hésitante. — Mon ami. Oui, mon ami… et mon frère, répondit Kristen d’une voix brisée. — Tu as perdu ton frère dans la forêt ? — Oui… oui… oui ! Le poing de Kristen s’abattit sur la table et comme cela ne suffit pas à la soulager, elle la renversa carrément. Elle se dirigeait vers la sortie quand Eda la rattrapa. — Ne fais pas ça, barbare, la prévint-elle. Tu seras punie. — Ça m’est égal ! — Pas sûr. J’ai entendu ce que tu as dit à la petite. Je ne voulais pas écouter mais j’ai entendu. Je suis désolée pour la perte que tu as subie, et je t’assure que jamais je n’aurais pensé pouvoir dire une chose pareille à un membre de ta race. Mais te faire du mal ne servira à rien, cela ne les fera pas revenir. Retourne là-bas et remets tout en ordre. Personne n’a besoin de savoir que c’est toi qui as fait ça. Kristen s’immobilisa pour examiner la vieille femme. Finalement, elle hocha la tête et retourna vers la table. Elle soupira et constata l’étendue des dégâts. Meghan avait disparu et, fort heureusement, il n’y avait personne d’autre dans le hall. — L’enfant ? Eda fit la moue. — Elle a eu peur quand tu es devenue violente. Elle y réfléchira à deux fois avant de revenir te parler…
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Partie 12
Le point de vue de Kristen sur son aventure – sur le désastre qu’elle continuait à nommer aventure – se modifia radicalement dès qu’elle franchit le seuil du manoir de Wyndhurst. Elle ne devait plus se soucier de tenir sa langue ou de cacher sa natte. À présent, elle était confrontée au problème qu’elle avait voulu éviter : comment les Saxons allaient-ils traiter une femme viking ? Le seigneur des lieux avait laissé entendre qu’elle n’offrait aucun intérêt pour ses hommes. Elle était trop grande, trop masculine. C’était son opinion et elle pouvait comprendre qu’un homme hésite à faire l’amour à une femme plus grande que lui, de peur de se sentir inférieur, moins dominateur. Tant mieux. Cela la mettait à l’abri des attentions des Saxons – tous de petite taille – qu’elle avait vus jusque-là. Tous, hormis celui qu’elle espérait tuer un jour, et le maître du domaine lui-même. Kristen éprouvait des sentiments mêlés à l’égard de lord Royce. Elle l’avait peu vu au cours de cette première semaine de captivité. Quand il était venu jeter un coup d’œil aux prisonniers, elle avait surtout cherché à ne pas attirer son attention, évitant de croiser son regard. Mais elle ne pouvait oublier la première fois qu’elle l’avait vu, beau comme un jeune dieu, si droit et fier sur son destrier, n’hésitant pas à défier seize hommes solides et hostiles en traversant leur cercle d’une démarche méprisante. Cet homme ne connaissait pas la peur. Aujourd’hui encore, lord Royce s’était glissé au milieu des Vikings pour leur arracher Kristen, et ceux-ci n’avaient pu réagir en le voyant s’avancer parmi eux sans armes. Kristen ne pouvait s’empêcher de l’admirer. Elle avait toujours aimé observer un beau corps d’homme et les muscles qui roulaient sous la peau pendant l’effort. Et Brenna lui avait appris à ne pas en avoir honte. Celle-ci s’était encore gentiment moquée d’elle, au cours de la fête du départ, alors qu’elle admirait deux de ses amis s’opposant au bras de fer. Oui, un corps solide et puissant était un régal pour les yeux. Et le seigneur saxon ne possédait pas seulement un beau corps, mais un visage aux traits magnifiques. Si Kristen était sincère, elle devait bien reconnaître qu’elle le trouvait splendide. Mais elle n’avait aucune envie que la réciproque fût vraie. Il haïssait trop les Vikings, pour que faire l’amour avec lui soit une expérience agréable. Heureusement, il avait affirmé qu’elle ne présentait aucun intérêt à ses yeux. Aussi longtemps qu’il ne la désirerait pas, elle serait tranquille. Séparée des autres, elle avait toujours le même but : ne pas créer de problèmes jusqu’à ce que l’occasion de fuir se présente. Les femmes l’avaient frottée avec une rage vengeresse comme si elles cherchaient à lui arracher la peau. Elle l’avait supporté justement pour ne pas provoquer de nouveau drame. Les vêtements qu’on lui donna étaient ridiculement petits. Kristen était mince pour sa taille mais en comparaison des femmes de ce pays, elle était immense. Les manches de la robe blanche étaient trop étroites pour ses poignets, et une discussion s’engagea pour savoir ce qu’il fallait faire. Kristen résolut le problème en arrachant les manches à l’épaule. Ses propres robes d’été étaient sans manches et il faisait très chaud ici. Les femmes ne parurent pas apprécier son initiative mais elles se gardèrent bien de formuler la moindre objection. La robe, censée lui cacher les pieds, s’arrêtait bien au-dessus des chevilles de Kristen. Mais heureusement que sur elle, ce vêtement était informe car il n’en dissimulait que mieux les courbes de son corps. On emporta ses bottes et on lui donna une paire de sandales mieux adaptées pour la vie à l’intérieur de la maison. Elles auraient été parfaites si on ne lui avait pas remis les anneaux de fer aux chevilles. Les chaussures ne montaient pas assez pour protéger la peau du contact du métal. Décidée à ne pas accepter cela sans lutter, elle protesta. La plus âgée, Eda, préféra sagement laisser une plus haute autorité décider et, emportant les anneaux et les chaînes, elle précéda Kristen et les deux autres femmes qui l’escortaient au premier étage. Kristen était nerveuse à l’idée de revoir lord Royce. Elle ne pensait pas qu’il la trouverait à son goût dans ce ridicule déguisement, mais une infime possibilité existait, maintenant qu’elle était propre et coiffée. Assis à une petite table, il aiguisait une longue épée à double tranchant quand Eda poussa Kristen dans la pièce. Sans expliquer pourquoi la prisonnière ne portait pas ses chaînes, elle se contenta de les poser sur la table avant de partir, laissant Kristen debout au milieu de la pièce. C’était une chambre vaste et dépouillée. Il y avait là un lit très bas, un coffre, une petite table et quatre chaises. En face de la porte, entre les deux fenêtres, un autre coffre fermé par une serrure semblait servir de banc. Une autre fenêtre à côté du lit donnait sur la cour. Il n’y avait aucune décoration sur les murs et pas de tapis sur le sol. Seul un des murs était couvert par un assortiment d’armes. Elle ne l’avait pas encore regardé. Elle attendait qu’il lui adresse la parole. Mais elle avait déjà tout examiné dans la pièce – Kristen n’était pas femme à garder les yeux timidement baissés vers le sol –, et le silence s’éternisait. Elle commença par ses bottes puis remonta lentement le long de son corps jusqu’à ce que leurs yeux se rencontrent. Elle éprouva un choc : il n’y avait aucune haine dans le regard de Royce. Seulement de la surprise. — Qui es-tu ? demanda-t-il. La question semblait lui avoir été arrachée par sa propre stupéfaction. À quoi pouvait-il donc penser ? — Que voulez-vous savoir ? Mon nom est Kristen, cela vous suffit-il ? À la façon dont il se leva, elle comprit qu’il n’avait pas entendu un seul mot. Il ne s’était pas encore remis de son étonnement mais celui-ci était mêlé à un autre sentiment qu’elle ne sut définir. Il s’arrêta à quelques centimètres seulement d’elle, leva la main et, de ses doigts, suivit les contours de ses lèvres sensuelles. — Tant de beauté si bien cachée, dit-il. Craintive, Kristen recula. — Vous avez dit que je suis trop grande pour vous. — C’était avant. Elle gémit intérieurement. Oui, c’était bien le désir qui faisait briller les yeux verts du Saxon tandis qu’il la détaillait une nouvelle fois des pieds à la tête. Elle ne se faisait aucune illusion : elle n’était pas de taille à lutter contre lui. Il portait une tunique à manches longues aujourd’hui, et les puissants muscles dont elle gardait un souvenir si précis gonflaient l’étoffe de façon impressionnante. Il avait des mains capables de la broyer. Et rien ne pourrait l’empêcher de faire d’elle ce qu’il voudrait car elle était son ennemie et son esclave. — Vous aurez du mal à me violer, je vous préviens, gronda-t-elle d’une voix sourde. Il la fixa encore, le vert de ses yeux soudain assombri. — Te violer ? C’est une plaisanterie ! Tu crois que je vais m’abaisser à violer une putain viking ? Kristen n’avait jamais subi une telle injure. Une réplique cinglante lui brûla les lèvres mais elle la retint au dernier moment. Elle comprenait pourquoi il était arrivé à cette conclusion. Comment expliquer autrement qu’elle navigue avec un équipage entièrement composé d’hommes ? Il était retourné s’asseoir et ne la regardait plus. Il semblait lutter contre sa propre colère. Elle se demanda fugitivement pourquoi il éprouvait une haine si farouche des Vikings. — Auriez-vous autant de scrupules si j’étais une vierge viking ? Elle devait savoir. — Avoir une vierge viking à ma merci ne serait que justice. J’userais d’elle exactement comme vos amis usent des femmes saxonnes. — C’est la première fois que nous abordons vos côtes. — D’autres de chez vous sont déjà venus ! C’était donc cela. Des Vikings avaient razzié cet endroit. Quel être cher avait-il perdu pour être aussi amer ? Il ne voulait pas toucher une putain parce que ses ennemis l’avaient déjà souillée, mais il était prêt à assouvir sa haine sur une vierge innocente uniquement parce qu’elle était viking. Quelle ironie… Elle resterait intacte parce qu’il la prenait pour une putain. De stupeur, elle faillit éclater de rire. Mais si c’était le seul moyen dont elle disposait pour se protéger… Comment une putain se serait-elle conduite ? — Vous vouliez me questionner ? lui rappela-t-elle. Tout danger écarté, elle retrouvait son aplomb. — Oui. Que sais-tu des Danois ? — Ils apprécient votre pays, proposa-t-elle sans pouvoir s’empêcher de sourire. — Tu trouves ça amusant ? demanda-t-il brutalement. — Non, je suis désolée, fit-elle, contrite mais en continuant à sourire. Je ne sais pas grand-chose d’eux. Nous venons d’un pays différent du leur. Les seuls Danois que j’aie connus étaient des marchands comme… comme beaucoup des gens de mon peuple. Elle devait se montrer plus prudente. S’il apprenait que son père était un marchand, il trouverait bizarre qu’elle soit obligée de vivre de ses charmes. Mieux valait le laisser penser qu’elle n’avait aucune famille. Les pensées de Royce avaient suivi le même cours. — Pourquoi une femme comme toi doit-elle se vendre pour survivre ? — Quelle importance ? Il parut hésiter puis finit par hausser les épaules. Il garda le silence quelques instants, assis tandis qu’elle était debout devant lui à côté de trois chaises vides. Elle avait travaillé toute la matinée, subi le fouet, pris un bain qui avait été un véritable supplice et maintenant, elle devait rester debout pour cet interrogatoire. Loki, le prince des démons, devait bien rire. Elle s’assit en tailleur sur le sol. — Bon sang ! femme, tu n’as donc aucune manière ? — Moi ? Et vous, qui me laissez debout alors que vous êtes assis… — Tu n’as peut-être pas encore compris que ton statut est inférieur à celui du plus misérable de mes serfs. — Ainsi, ce misérable serf peut s’asseoir et moi pas ? C’est cela que vous voulez me faire comprendre ? Je suis si vile que je ne puis espérer la plus minime des courtoisies ? — Exactement. Qu’espérait-elle ? Qu’il présente des excuses à son esclave ? Elle se redressa en riant. — Très bien, Saxon. Une Norvégienne est capable d’endurer bien pire que cela. Cela eut le don d’irriter Royce davantage. Il bondit sur ses pieds comme s’il allait se jeter sur elle. Mais, au dernier moment, il lui tourna le dos. Il était en proie à un cruel dilemme. Dès l’instant où elle avait franchi la porte de sa chambre, il avait éprouvé une formidable attirance pour cette femme si fière. Pourtant, elle le dégoûtait. Il la haïssait, elle et tous ceux de sa race. Mais dès qu’il posait les yeux sur elle, il avait envie de la toucher. Et quand il l’avait fait, il avait senti une peau aussi douce que la soie. Elle était trop belle pour être vraie et Royce s’en voulait de la désirer. Il s’en voulait surtout de lui avoir laissé entrevoir son désir. Il avait cherché à l’humilier, à la rabaisser, mais surtout pour se rappeler à lui-même ce qu’elle était. Elle se vendait à n’importe qui. Elle avait sans nul doute couché avec tous les hommes du bateau. C’était une putain viking. Il n’existait pas de femmes d’une pire espèce. Mais elle ne le craignait pas et c’était là le problème. Elle aurait dû trembler devant lui. Une autre aurait depuis longtemps fondu en larmes et demandé grâce. Mais celle-ci se montrait insolente et se riait de sa colère. — Je devrais peut-être partir. Royce fit volte-face, les yeux brillant de fureur. — Tu ne quitteras pas cette maison, femme. — Je ne parlais que de cette chambre… Il semble que vous ne supportiez pas ma présence. — Oui, tu peux partir… Après avoir remis ceci. Il ramassa les chaînes sur la table et les lui lança. Par réflexe, elle les attrapa au vol. La chaîne s’enroula autour de son poignet et l’un des lourds anneaux de fer heurta son bras – elle grimaça. Entre ses mains, ces chaînes auraient pu constituer une arme redoutable, mais elle n’y pensa pas. Elle les contempla, l’air écœuré. — Vous voulez que je les remette ? Il hocha sèchement la tête. — Oui. Ainsi, tu n’oublieras pas que tu n’es qu’une esclave. Méprisante, elle le défia du regard. — Je ne me faisais aucune illusion mais vous devrez me les mettre vous-même. Elle laissa tomber les chaînes par terre. — Tu n’as qu’à passer les anneaux, femme, fit-il, se méprenant sur le sens de son refus. — Fais-le toi-même, Saxon. Les yeux de Royce n’étaient plus que des fentes, tout à coup. Une telle témérité méritait un châtiment immédiat. Mais il se doutait qu’il faudrait plus qu’une simple bastonnade pour la briser. Il ramassa les chaînes, s’agenouilla lentement devant elle et lui passa les anneaux autour des chevilles. Kristen ne broncha pas et le laissa faire, fixant l’épaisse crinière de cheveux châtains à quelques centimètres de ses mains. Quel dommage qu’ils aient été ennemis. Elle aurait aimé rencontrer cet homme dans d’autres circonstances. Il leva les yeux, se méprit à nouveau sur ses pensées et regretta la cruauté d’un tel traitement. — Où sont tes bottes ? — La vieille femme, Eda, a dit qu’elles ne convenaient pas pour travailler dans la maison. — Alors, tu devras mettre des chiffons sous le fer pour éviter de t’écorcher. — Quelle différence, milord ? Ce n’est que ma peau et je ne vaux même pas le plus misérable de tes serfs. Il se redressa en fronçant les sourcils. — Je ne souhaite pas te maltraiter, Kristen. Qu’il se souvienne de son nom la surprit. Il n’avait cessé de l’appeler « femme » depuis le début. Mais elle était de nouveau enchaînée. — Oh ! ainsi, je mérite au moins les mêmes attentions qu’une de tes bêtes ? Il entra dans son jeu. — Oui, tu seras traitée comme elles. Ni mieux ni plus mal. Elle hocha la tête. De sa vie, elle ne s’était sentie aussi humiliée mais elle aurait préféré mourir plutôt que de le lui montrer. Elle se détourna, prête à partir. Il la retint par le bras. Malgré elle, elle remarqua la chaleur de sa main. Il ne la lâcha pas tant qu’elle ne le regarda pas de nouveau. — Je ne peux pas te laisser dormir dans le hall avec les autres serviteurs, il faudrait qu’un garde te surveille en permanence. Tu auras donc une chambre dans laquelle on t’enfermera. Ainsi, tu n’auras pas à… Il s’interrompit avant de conclure : — Tu pourras dormir sans porter les chaînes. Je donnerai les clés à Eda pour qu’elle te les enlève chaque soir. Kristen ne le remercia pas. Elle lui tourna le dos et quitta la chambre en mettant dans sa démarche titubante toute la fierté dont elle était capable. Elle méritait tout cela. Elle le méritait pour avoir défié ses parents, pour s’être lancée sans réfléchir dans cette stupide et tragique aventure. Tout à coup, elle se sentait complètement perdue, solitaire. Selig aurait su quoi faire s’il avait été là. Il lui aurait donné de l’espoir avant qu’on ne la sépare des autres. Mais Selig était mort. Ô Seigneur… Selig ! Elle s’abandonna à son chagrin pour la première fois dès que plus personne ne put la voir. Elle le fit calmement, pleurant sur place et sans bruit entre la chambre de Royce et l’escalier. Les larmes ruisselèrent sur ses joues. C’était un luxe qu’elle ne se permettrait plus
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Partie 11
La demeure du Saxon étonna Kristen qui s’y sentit aussi dépaysée que peu à sa place. Le hall était plus vaste que celui de la maison de ses parents. Chez elle, ce hall était entièrement clos, ce qui donnait l’impression de vivre dans une immense caverne, et l’hiver, il y régnait un tel froid que la famille préférait se réunir dans la petite pièce où l’on faisait la cuisine. Ici, rien de semblable – le hall était le cœur du manoir, l’endroit où toutes les activités étaient rassemblées et où tous les habitants du domaine se retrouvaient. Au fond de la salle, un grand escalier montait à l’étage supérieur. Plusieurs portes s’ouvraient ici ou là, et le plafond était très, très haut. L’espace réservé à la cuisine n’était pas séparé du reste de la salle. Un immense foyer couvrait la moitié de la longueur du mur du fond à côté de l’escalier. Une autre cheminée de pierre, presque aussi grande, occupait le centre du mur de droite mais elle était inutilisée, ce qui était compréhensible tant la chaleur était accablante. Le sol était recouvert de lattes de bois et résonnait sous ses pas, ce qui semblait indiquer l’existence d’une cave. Un mince tapis carré – identique à ceux que Garrick avait rapportés d’Orient – recouvrait le parquet devant deux grandes baies vitrées, là où étaient disposés chaises et tabourets autour de métiers à broder et à tisser. Un coin apparemment réservé aux femmes, et trois d’entre elles y œuvraient quand Kristen entra. Les fenêtres et les portes ouvertes laissaient entrer le soleil et une brise tiède. En face du coin des femmes, mais à l’autre extrémité de la salle, se trouvait un gros tonneau de bière, des chaises, des bancs et des tables où étaient posés différents jeux. Il y avait aussi un établi couvert d’outils et une longue table encombrée d’armes, d’outils et de quelques bols de bois ayant beaucoup servi. Debout devant l’établi, un homme recouvrait la poignée d’un fouet de fines lanières de cuir. En le voyant, Kristen grimaça : la douleur qui lui brûlait le dos se fit plus cuisante. Les sept femmes présentes dans le hall s’étaient figées quand la Viking était entrée, conduite par Waite. Dans cette tenue d’homme à moitié déchirée, avec sa haute taille, Kristen avait l’impression d’être une sorte de monstre de foire. Elles portaient toutes des robes à manches longues qui traînaient jusqu’à terre alors qu’elle avait les bras et le dos nus. Elles étaient propres tandis qu’elle était couverte de sueur, de boue séchée et de sang. Une femme, plus richement vêtue que les autres, quitta son siège et interpella Waite. Sa robe bleu ciel brodée de fils d’or révélait une taille très fine. Ses cheveux auburn étaient tirés en un impeccable chignon, et ses yeux étaient d’un bleu très clair, très brillant, comme ceux de l’homme que Kristen avait voulu tuer. Elle aurait pu être très jolie si elle n’avait eu l’air aussi pincé. Kristen se dit qu’il s’agissait sans doute de la maîtresse des lieux. Cela ne la surprit guère. Le seigneur saxon avait une jolie femme. Elle aurait envié cette dame qui avait épousé un homme aussi séduisant, si ce même homme ne l’avait retenue prisonnière. — Comment osez-vous amener cet homme ici ? demanda la femme à Waite en traversant la pièce vers eux. — Milady, c’est une femme, et lord Royce a ordonné qu’on lui donne un bain. — Une femme ? s’étrangla-t-elle en examinant Kristen de la tête aux pieds. C’est impossible ! Waite montra la longue natte de la prisonnière. — Lord Royce l’a fait fouetter. C’est ce qui a révélé la supercherie. Brutalement, il força Kristen à se retourner avant d’ajouter : — Ce n’est pas le dos d’un homme. — Une peau blanche et une longue natte ne prouvent pas que c’est une femme. Waite gloussa. — Milord s’en est assuré d’une autre façon et vous n’aurez bientôt plus aucun doute. Milord a demandé que ce soient les femmes qui lui donnent son bain. La lady eut l’air écœuré. — Et qu’allons-nous faire d’elle après ce bain ? Waite haussa les épaules. — Mettez-la au travail où bon vous semble, milady. Elle doit rester dans la maison. — À quoi Royce peut-il bien penser ? gémit la femme. Garder une barbare dans notre propre maison ! — Je crois qu’il veut se servir d’elle comme… — Sans doute, déclara-t-elle avec mépris, comme ces Vikings devaient se servir d’elle. — Peut-être ça aussi, admit Waite, placide. Mais il veut surtout l’utiliser comme otage. Un soupir exaspéré accueillit cette information. — Très bien. Qu’on aille chercher la clé de ses chaînes puisqu’elle doit être lavée. Mais qu’on l’emmène d’abord à la salle de bains et laissez deux hommes avec elle jusqu’à ce que j’aie expliqué à mes femmes leur nouvelle tâche. Elles n’aimeront pas cela plus que moi. Waite appela deux hommes qui conduisirent Kristen dans une petite salle de bains située sous l’escalier. Une autre porte donnait à l’arrière sur la cour afin que l’on tire directement l’eau d’un puits. Le baquet en bois qui occupait le centre de la pièce était juste assez grand pour une personne. Les Saxons ne partageaient donc pas leur bain, constata Kristen. Les deux hommes qui l’accompagnaient ne devaient pas être des soldats mais des serviteurs. Ils étaient de petite taille et l’observaient avec crainte comme s’ils savaient qu’ils auraient bien du mal à la retenir si l’envie lui prenait de partir. Mais Kristen n’avait aucune envie de partir. Elle attendait ce bain avec une réelle impatience. Depuis son arrivée ici, elle n’avait cessé de se maculer de boue afin de dissimuler ses traits. Cela avait constitué un vrai test d’endurance. Elle aurait probablement supplié le Saxon de lui accorder ce bain s’il n’y avait pas pensé lui-même. On lui enleva ses chaînes, et elle s’assit sur un banc pour enlever ses bottes et inspecter l’état de ses chevilles. La peau était irritée mais pas écorchée. Elle guérirait vite si on la dispensait du port de ces anneaux de fer. Tandis qu’elle démêlait sa natte, un certain nombre de jeunes garçons entreprirent de remplir le baquet d’eau froide. Ils ne semblaient nullement disposés à la réchauffer mais elle s’en moquait, habituée qu’elle était à nager dans les eaux glacées du fjord. Quand cinq femmes firent leur entrée dans la petite pièce, sans compter la lady qui resta sur le seuil, Kristen commença à éprouver de l’agacement et se dressa. — Je peux très bien me laver toute seule, milady. — Et moi qui croyais que tu ne me comprenais pas. — Je comprends parfaitement. Je dois me laver. Je le ferai avec joie mais je n’ai pas besoin d’un public. — Alors, tu n’as rien compris. Les ordres de Royce sont formels : les femmes doivent te laver, et il en sera ainsi. Kristen n’était pas femme à prendre ombrage d’un détail aussi mineur. Elle haussa les épaules, acceptant cette situation mais attendant que les hommes soient renvoyés. Ils ne le furent pas. Et les servantes se pressèrent autour d’elle pour la déshabiller. Elle les repoussa avec une telle détermination que deux d’entre elles tombèrent en piaillant. — Écoutez, milady… Je permettrai à vos femmes de me laver mais pas devant ces hommes. Kristen dut crier pour couvrir les braillements des femmes. — Comment oses-tu ? Ce n’est pas à toi de me dire ce que tu permets ou non. Je ne te laisserai pas seule avec des femmes sans défense. Kristen eut envie de rire. Elles étaient cinq, six en comptant la lady, et elles avaient peur d’une femme seule ! Après tout, pourquoi ne pas en profiter ? Elle pointa un doigt vers les deux hommes qui roulaient les yeux à l’idée de devoir la mater. — Ce sont eux qui auront besoin de protection s’ils ne partent pas. De colère, la lady bafouilla des ordres incompréhensibles. Kristen souleva le banc sur lequel elle s’était assise un peu plus tôt, et le lança sur les hommes. Royce, qui pénétrait dans le hall, entendit des cris et des hurlements. Puis il vit un de ses serviteurs littéralement catapulté hors de la salle de bains. L’autre le suivit de près et vint s’écrouler sur son collègue. Quand Royce parvint à la porte de la pièce, l’ambiance s’était considérablement calmée même si Darrelle continuait à bredouiller des sons incohérents. — Que se passe-t-il ici ? — Elle ne veut pas prendre son bain ! — Expliquez-lui pourquoi, milady, parvint à dire Kristen. Elle était clouée au sol par quatre femmes. Elles l’avaient saisie par-derrière juste après qu’elle eut expédié le deuxième homme hors de la pièce. Elles étaient parvenues à la faire tomber et s’étaient aussitôt couchées sur elle pour l’empêcher de se redresser. Kristen avait du mal à respirer avec deux femmes installées sur sa poitrine et sur son ventre. — Bon sang, Darrelle ! s’emporta Royce. Je te confie une tâche simple et tu en fais un désastre ! — C’est elle qui a commencé ! protesta Darrelle. Elle ne voulait pas se laisser déshabiller. Elle vit avec une bande de barbares et elle fait la timide devant deux serfs. — Mes ordres étaient que des femmes la baignent, je n’ai pas parlé d’hommes. — Mais c’est une Viking, Royce ! Tu n’espères quand même pas que nous allons rester seules avec elle. — Dieu du Ciel, ce n’est qu’une femme ! — Elle ne ressemble pas à une femme. Elle n’agit pas comme une femme. Elle a attaqué ces deux couards avec un banc, et tu veux nous laisser seules avec elle ? — Lâchez-la ! ordonna-t-il aux servantes. Il souleva Kristen par le col pour la remettre sur ses pieds. — Si tu me crées encore un problème, femme, c’est moi qui m’occuperai de toi. Je t’assure que tu le regretteras. — Je veux prendre ce bain ! J’en ai envie ! — Eh bien, prends-le, fit-il avant de se tourner vers la plus vieille des femmes présentes. Eda, amène-la dans ma chambre quand vous aurez terminé. — Royce ! protesta Darrelle. — Quoi ? — Tu ne peux pas la… la… — J’ai simplement l’intention de lui poser quelques questions, Darrelle, et cela ne te regarde pas. Maintenant, va t’occuper de tes affaires. Elles n’ont pas besoin de toi pour lui frotter le dos. Darrelle, les joues enflammées, quitta la pièce sans lui accorder un regard. Royce n’était pas d’humeur à lui courir après pour un problème aussi ridicule : un bain ! Un simple bain ! Alden l’attendait dans sa chambre. Il n’avait pas bougé et se tenait toujours devant la fenêtre. — Tu as tout vu ? s’enquit Royce. — Oui, mais je n’ai rien entendu, répondit son cousin avant de demander, curieux : Dis-moi, je ne me suis pas trompé ? J’ai bien vu un corps de femme quand tu lui as arraché sa tunique ? — Ce gamin a deux jolis seins, en effet. Alden s’esclaffa devant la mine déconfite de Royce, avant de retrouver son sérieux en comprenant les implications de cette découverte. — J’étais déjà mortifié de m’être fait embrocher par un gamin, mais par une femme… — Console-toi, elle vient d’expédier deux serfs hors de la salle de bains. Ce n’est pas une femme ordinaire. — C’est vrai qu’elle est très grande pour une femme. En tout cas, elle s’est bien moquée de nous jusqu’à présent. Mais pourquoi diable ont-ils emmené une femme avec eux pour un raid ? Alden haussa les épaules. — Il n’y a pas trente réponses à cette question. Pour assouvir leurs besoins sur le bateau. Elle n’a pas immédiatement pris part au combat. J’imagine qu’ils ont dû la laisser à bord, et, quand elle les a vus en difficulté, elle a voulu les aider… Après tout, si tous les Vikings mouraient, elle restait seule ici. Je comprends mieux pourquoi elle s’est battue comme une furie. — Oui. Elle était même prête à supporter le fouet plutôt que de révéler son sexe. Elle prétend qu’elle a voulu éviter de se faire violer par les Saxons… Royce éclata d’un rire cynique avant de conclure : — Un homme est un homme. Pour une putain, quelle différence entre un Viking et un Saxon ? — Ce doit être une forme de loyauté : elle répugne à coucher avec les ennemis de sa race. — Peut-être. En tout cas, je comprends pourquoi ils tenaient tant à ce que nous ne sachions pas qu’elle est une femme. Ils auraient bientôt été enfermés seuls avec elle, la nuit. Mais je me demande ce qu’ils peuvent trouver à une femme aussi gigantesque…
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Partie 10
Une vieille femme vint soigner leurs blessures. Elle était échevelée et sale. Sa robe informe, qu’elle portait sans ceinture, lui donnait l’air d’un sac ambulant. Elle se nommait Eartha et semblait n’avoir peur de rien. Elle déambulait sans la moindre crainte parmi ces gaillards et gardait une démarche bien assurée pour son grand âge. À la voir, Kristen éprouvait un sentiment mêlé d’amusement et de gêne. Eartha ne prenait pas de gants avec les Vikings : elle bousculait ces hommes auprès desquels elle semblait une naine, se moquant de leurs grognements ou de leurs jurons. Mais Kristen savait que, tôt ou tard, elle voudrait voir sa prétendue blessure à la tête… et qu’elle ne pourrait pas le lui permettre. Il régnait une chaleur à laquelle Kristen et ses compagnons ne parvenaient pas à s’habituer. La plupart des hommes avaient considérablement allégé leurs tenues, déchirant leurs culottes et arrachant les manches de leurs chemises. Kristen ne pouvait en faire autant et cela l’irritait. Eartha en termina avec Ivarr et, se tournant vers la jeune fille, elle lui demanda d’un geste de lui montrer où elle souffrait. Son bandage couvert de sang était suffisamment éloquent. Kristen se contenta de secouer la tête. Eartha voulut défaire le pansement. Kristen recula mais Eartha avança. Quand elle voulut à nouveau enlever le bandage, Kristen bondit sur ses pieds, dominant la petite femme de toute sa hauteur en espérant que cela suffirait à la dissuader. Eartha était têtue. Kristen dut lui emprisonner fermement les poignets pour l’empêcher de lui toucher la tête. Elle sentit alors la pointe d’une épée contre son flanc. Plusieurs autres Vikings se dressèrent à leur tour et le garde, venu aider Eartha, recula. Intimidé, il appela aussitôt à l’aide. Kristen jura silencieusement en voyant la catastrophe qu’elle avait déclenchée bien malgré elle. Sept Saxons accouraient, l’épée à la main. Elle maudit Eartha et son obstination mais la lâcha. Thorolf se plaça entre la vieille femme et Kristen. Heureusement, les Saxons s’arrêtèrent en constatant qu’Eartha n’était plus menacée. — Qu’y a-t-il ? demanda Hunfrith. — Le jeune garçon ne veut pas que je le soigne, expliqua la guérisseuse. Hunfrith se tourna vers Thorolf. — Guérir. Le laisser seul, dit celui-ci. Hunfrith grommela un juron avant de lancer un regard noir à Eartha qui avait provoqué un tel chambardement pour si peu. — S’il est capable de sauter comme il l’a fait, c’est qu’il n’a pas besoin de tes soins, vieille bonne femme. — Il faut changer son bandage, insista Eartha, il est plein de sang. — Laisse-le, je te dis. Occupe-toi de ceux qui veulent être soignés. Oublie les autres. Et, se tournant vers Thorolf, Hunfrith ajouta : — Préviens ton ami ! Il ne doit plus jamais porter les mains sur elle. Il n’avait visiblement aucune envie de créer un incident alors que tant de Vikings étaient prêts à prendre la défense du garçon. Eartha, quant à elle, se retira en grommelant que ce garçon se comportait un peu trop comme une fille… Un des Saxons commenta cette réaction en affirmant que c’était sans doute pour cela que les Vikings l’avaient emmené avec eux. Sous l’insulte, les joues de Kristen se colorèrent vivement. Thorolf le remarqua et haussa un sourcil interrogateur. Elle secoua la tête et rougit plus violemment encore. Comme il était rare de voir Kristen embarrassée, il voulut savoir ce qui se passait. Elle le repoussa violemment et lui tourna le dos. C’est alors que, jetant un regard vers la demeure, elle remarqua qu’un homme les observait depuis une fenêtre du premier étage. Son visage était dans l’ombre, mais elle éprouva un réel malaise en se rendant compte que les gardes n’étaient pas les seuls à les surveiller. Jusqu’à présent, quand elle se concertait avec Thorolf et les autres prisonniers, elle veillait à ne pas être remarquée par les Saxons qui étaient dans la cour. Dorénavant, ils devraient tous être plus prudents. On les nourrit après le départ d’Eartha et on leur rendit leurs bottes. Ils ne pouvaient les mettre à cause des chaînes qui leur emprisonnaient les chevilles. On remédia à cette situation dans l’après-midi : un forgeron vint les voir. Il remplaça la longue chaîne qui les liait les uns aux autres par un nouveau dispositif. Chaque prisonnier fut muni d’une chaîne ridiculement courte reliant les chevilles et d’un anneau supplémentaire à l’autre pied, anneau dans lequel on glissa une chaîne moins longue que la précédente. Le cercle que les Vikings formaient autour du poteau fut ainsi considérablement rétréci. Leur liberté de mouvement était encore restreinte. Cette chaîne serait sûrement retirée tous les matins quand ils iraient travailler, et remise le soir. Kristen était écœurée par ces nouvelles dispositions. La chaîne qui leur entravait les chevilles ne leur permettrait pas de marcher normalement. Avant qu’ils ne s’y habituent, ils trébucheraient et tomberaient maintes fois. C’était une humiliation supplémentaire que leur infligeaient les Saxons. Comme les autres, elle avait récupéré ses bottes, mais sans leurs garnitures de fourrure. Au moins empêchaient-elles un peu que les anneaux qui lui serraient les chevilles ne lui meurtrissent la peau. Ces anneaux étaient étroits – pour elle, on avait dû chercher des anneaux spéciaux beaucoup moins larges que pour les autres – et ils ne tarderaient pas à crever le cuir de ses bottes. Il plut abondamment cette nuit-là. Sous ce déluge, les prisonniers qui dormaient au milieu de la cour furent vite trempés. Pour Kristen, cette situation était encore plus pénible que pour ses compagnons car elle redoutait que cette eau ne lave son pansement. Finalement, Thorolf l’abrita sous ses propres bras. Pour ce faire, il dut se coucher partiellement sur elle. Le bandage resta sec mais ils ne dormirent pas. Depuis sa fenêtre, Royce contemplait la scène. Il vit le garçon protester et tenter de repousser Thorolf, puis celui-ci claquer les fesses du gamin et lui crier quelque chose à l’oreille avant de l’entourer de ses bras et de l’installer sous lui. Après cela, ils ne bougèrent plus. Les gardes se serraient dans leur abri contre la pluie. Le reste de la cour, devenu une véritable mare de boue, était tranquille. — Qui est celui qui a attaqué Eartha ? Royce baissa un regard absent vers Darrelle. Elle l’avait rejoint après avoir rangé les pièces d’ivoire du jeu qu’ils venaient d’utiliser. — Le Viking ne l’a pas attaquée. Il ne voulait pas qu’elle le soigne, c’est tout. — Mais elle a dit… — J’ai tout vu, Darrelle. Cette vieille femme exagère. — S’il lève la main sur moi, j’espère que tu ne le prendras pas aussi légèrement, marmonna-t-elle. — Sûrement pas, répliqua-t-il en souriant. — Lequel est-ce ? — Tu ne peux pas le voir pour l’instant. — Alden a dit que c’est un jeune garçon qui l’a blessé. Est-ce le même ? — Oui, c’est le plus jeune de tous. — Tu aurais dû le faire fouetter. Il a levé la main sur Eartha. — Ils étaient tous prêts à se battre pour lui. Cela n’aurait servi qu’à augmenter le nombre des blessés. — C’est vrai qu’ils ne pourront pas bâtir notre mur s’ils sont blessés… Le mur est plus important. Nous devons d’abord penser aux Danois. — Je vois qu’Alden est parvenu à te convaincre qu’ils nous sont utiles ? — Tu voulais tous les tuer, lui rappela-t-elle. Il a réfléchi, lui. Il a compris qu’ils nous seraient plus utiles vivants que morts. — Tu ne vas pas veiller ton frère ? Indignée, Darrelle pinça les lèvres. — Tu pourrais aussi bien me dire de partir. — J’ai du savoir-vivre, répliqua-t-il en la poussant doucement vers la porte.     Debout devant sa fenêtre, Royce observait les Vikings au travail. Il n’avait pas encore accepté leur présence à Wyndhurst et il était inquiet dès qu’il ne les avait plus sous les yeux. À la différence d’Alden et de Lyman, il n’était pas vraiment convaincu de l’utilité de ces prisonniers, pas plus que de celle du mur, d’ailleurs. Quand le moment serait venu, ils iraient combattre les Danois dans le Nord, près des frontières du royaume de Wessex. Ainsi, les Danois n’auraient-ils même pas l’occasion de pousser aussi loin au Sud et d’attaquer Wyndhurst. Mais puisque le roi Alfred désirait que ses nobles fortifient leurs domaines, et comme ils disposaient de l’ample réserve de pierre des ruines romaines pas très loin, il n’avait pu s’opposer à la construction de cette muraille. En moins d’une semaine, les Vikings avaient déjà utilisé toutes les pierres que les serfs avaient mis des mois à transporter. — Meghan me dit que c’est devenu une nouvelle habitude pour toi, cousin. Royce fit volte-face. Alden se tenait sur le seuil de la porte. — Tu devrais être au lit, non ? Alden poussa un gémissement. — Tu ne vas pas t’y mettre, toi aussi. Je suis suffisamment dorloté par ma sœur et les autres. Royce sourit tandis que son cousin s’approchait lentement de la fenêtre. — Je suis content que tu sois là, avoua-t-il. Tout seul, je n’arrête pas de remâcher le passé. Je ne peux m’empêcher de penser qu’ils vont tenter quelque chose. Ils sont presque tous guéris, à présent. Ils soulèvent ces pierres comme si de rien n’était. Alden se pencha par l’ouverture et siffla doucement. — Alors, c’est vrai… Il faut déjà aller chercher d’autres pierres. — Oui, admit Royce. À deux, ils soulèvent des blocs que cinq serfs n’arrivaient pas à manipuler. Et en une semaine, ils ont utilisé tout notre stock alors que les serfs n’ont même pas encore fini de construire l’abri que je leur destine. Il faudra attendre encore plusieurs jours avant de pouvoir les enfermer la nuit. Et pendant ce temps, il faut toujours autant d’hommes pour les surveiller. — Tu te fais trop de souci, Royce. Que veux-tu qu’ils fassent, enchaînés comme ils le sont ? — Il suffit d’une bonne hache pour briser ces chaînes, cousin. Un seul d’entre eux pourrait tuer à mains nues deux de nos hommes avant qu’un troisième n’ait le temps de dégainer son épée. Et ces idiots continuent à rester trop près d’eux. Je les ai pourtant prévenus… Si les Vikings sont décidés à s’échapper, et je ne doute pas qu’ils le soient, ils ne tarderont pas à courir leur chance et nos pertes seront lourdes. — Brûle leur navire et annonce-leur que la fuite par la mer est impossible, suggéra Alden. — Je m’étonne que personne ne t’ait dit que c’était déjà fait. — Tu as donc besoin d’un moyen de pression sur eux, répliqua Alden. — Oui, mais lequel ? — Tu pourrais les séparer de leur chef. S’ils sont persuadés que tu le tuerais au premier signe de révolte, cela devrait… — Non, Alden. J’y ai déjà pensé mais ils disent que celui qui les a conduits ici est mort. C’est le navire de son père que j’ai fait brûler. Ils ont choisi un nouveau chef parmi eux, et ils en choisiront un autre si je le prends comme otage. Alden fronça les sourcils d’un air pensif. — Ils prétendent qu’il est mort ? Et si ce n’était pas vrai ? — Quoi ? s’exclama Royce. — S’il était là, parmi eux ? Pourquoi te le diraient-ils au risque d’en faire une victime désignée ? — Par le Ciel, je n’y ai pas pensé… Royce réfléchit quelques secondes avant de secouer la tête. — Non, reprit-il, je n’y crois pas. Le seul autour de qui ils se rassemblent, c’est le garçon. Ils le protègent comme si c’était un bébé. Au début, il avait cru que le gamin était le frère de Thorolf, ce qui aurait expliqué pourquoi celui-ci veillait sur lui avec tant d’abnégation. Mais dès qu’ils avaient commencé à bâtir la muraille, tous les autres s’étaient mis, eux aussi, à protéger le garçon, empêchant les gardes de le brusquer, le soulageant des pierres les plus lourdes, le poussant vers les blocs les plus légers. Chaque fois qu’il tombait, deux d’entre eux au moins se précipitaient pour l’aider à se relever. C’était pourtant le plus sale de la bande : il n’utilisait jamais l’eau qui était mise à leur disposition pour se laver. — Et si c’était lui, leur chef ? suggéra Alden en examinant le garçon en question, assis au pied du mur à demi dressé tandis que les dernières pierres étaient mises en place sous les ordres de Lyman. — Tu as encore de la fièvre, cousin. Ce n’est qu’un gamin. Il n’a même pas de poil au menton. C’est vrai. Ils sont tous très jeunes mais celui-là est presque un enfant. — Si c’est son père qui a fourni l’embarcation, ils sont bien obligés d’obéir à celui qu’il a choisi pour commander ? Royce se rembrunit. Après tout, son propre roi était bien plus jeune que lui. Depuis l’âge de seize ans, Alfred assumait les plus hautes responsabilités… Ce gamin n’était même pas sorti de l’adolescence, il n’avait aucune expérience. Pourtant, c’était cet adolescent sans expérience qui avait blessé Alden, et ce dernier était un guerrier aussi aguerri que Royce. Et maintenant qu’il y pensait, tous les Vikings cessaient immédiatement toute activité dès que l’attention se portait sur le garçon, comme s’ils se tenaient prêts à bondir à son secours. — Il est grand temps que j’aie une nouvelle discussion avec Thorolf, annonça Royce. — Lequel est-ce ? — Là, celui qui vient d’appeler le garçon. C’est le seul qui comprenne plus ou moins notre langue. — Lyman en a fini avec eux pour aujourd’hui, remarqua Alden. — Oui. Demain, il les amène aux ruines pour leur faire rapporter des pierres. Ce qui signifie que je vais devoir affecter la moitié de mes hommes à leur surveillance. Ils observèrent pendant quelques instants les gardes qui rassemblaient les prisonniers pour les pousser autour du poteau. Royce allait quitter la pièce quand un cri d’Alden le retint. — Je crois que nous avons un petit problème… Royce fit volte-face. Un des Vikings était tombé et Hunfrith lui ordonnait de se relever à grands coups de pied. Il n’eut pas besoin de se demander de quel prisonnier il s’agissait car tout le groupe s’était figé. Thorolf cria quelque chose à Hunfrith. Le gamin en profita pour faucher le pied d’appui du Saxon. Celui-ci atterrit lourdement sur les fesses. Le garçon se redressa en se frottant les mains tandis que les Vikings rugissaient de rire en reprenant leur chemin. — J’ai prévenu cet imbécile de les laisser tranquilles, siffla Royce entre ses dents serrées. Il a eu de la chance qu’ils ne s’emparent pas de son arme quand il était à terre. — Par tous les saints du ciel ! s’écria Alden. Il va attaquer le garçon ! Royce avait vu lui aussi Hunfrith lever son épée, et il était déjà dans l’escalier. Malheureusement, quand il arriva dans la cour, le mal était fait. Un des gardes avait appelé à l’aide et les archers encerclaient les prisonniers à bonne distance. Ohthere, gardé en joue par trois soldats, tenait Hunfrith dans une étreinte d’ours et semblait parfaitement capable de lui briser les os. Pour l’instant, du moins, le Viking ne forçait pas. Thorolf parlait calmement à Ohthere. Du garçon, il n’y avait plus aucune trace jusqu’à ce que Royce le remarque finalement en train d’observer la scène par-dessus l’épaule d’un de ses compagnons. Il avait été repoussé au centre de leur groupe. — Dis-lui de relâcher mon homme, Thorolf, ou je devrai le tuer. Royce prononça ces mots très lentement afin que le Viking comprenne. Il fixait Ohthere qui lui rendait son regard sans la moindre émotion. — Dis-le-lui tout de suite, Thorolf. — J’ai dit, cousin Ohthere, pas attaquer, expliqua Thorolf. Les yeux de Royce se tournèrent vers lui. — Il est le cousin du garçon ? — Oui. — Et toi, qui es-tu pour le garçon ? — Ami. — Le garçon est-il votre chef ? Cette question prit Thorolf de court. Il se tourna vers ses amis pour la leur répéter. Quelques-uns éclatèrent de rire, ce qui eut au moins pour effet d’apaiser la tension. Ohthere gloussa lui aussi, et lâcha Hunfrith qui, tremblant, s’écroula à ses pieds. Royce le saisit par les revers de sa tunique et le projeta loin des Vikings. L’épée d’Hunfrith gisait sur le sol entre Royce et Ohthere. Royce la ramassa aussi, laissant la pointe baissée vers le sol. — Nous avons un problème, Thorolf, dit-il calmement. Je ne peux pas permettre que mes hommes soient attaqués. — Hunfrith attaque. — Oui, je sais, concéda Royce. Je crois que sa dignité était en jeu. — Fait tomber exprès… méritait coup, rétorqua Thorolf avec colère. Royce eut besoin de quelques instants pour digérer cette information. — S’il a vraiment fait tomber le garçon, il méritait peut-être ce qui lui est arrivé. Mais le garçon devient une source d’ennui. Il n’en vaut pas la peine. — Non. — Non ? Peut-être que si je le séparais de vous autres et lui donnais des tâches plus faciles… — Non ! Une lueur sombre passa dans les yeux verts de Royce. — Appelle le garçon. Laissons-le décider. — Muet. — C’est ce qu’on m’a dit. Mais il te comprend, n’est-ce pas ? Je t’ai souvent vu lui parler. Appelle-le, Thorolf. Cette fois, le blond Thorolf fit semblant de ne pas avoir compris et se tut. Royce décida d’en profiter et de prendre les autres par surprise avant qu’il ne puisse les avertir. Il fit ce que personne n’avait osé avant lui : il s’engouffra au beau milieu des Vikings, écartant ceux qui se trouvaient sur son chemin. Et attrapant le garçon par l’épaule, il l’entraîna hors du groupe. Ohthere se précipita mais s’immobilisa quand la lame de l’épée de Royce se posa sur la gorge du garçon. Royce fixait Thorolf droit dans les yeux. — Je crois que tu m’as menti à propos de celui-là, Viking. Dis-moi qui il est ! Thorolf ne dit rien. Les gardes s’étaient avancés et un long javelot l’empêchait d’approcher Royce. D’autres tenaient le groupe à distance. — Tu veux que je te délie la langue ? Thorolf ne répondait toujours pas. Perdant patience, Royce traîna le garçon vers le poteau qui se dressait au milieu de la cour. Empêtré dans ses chaînes, le gamin chuta lourdement. Royce le souleva par le col tout en aboyant des ordres à ses hommes. Arrivé au poteau, il y colla le visage du garçon, lui noua une corde, apportée par l’un des gardes, autour des poignets et l’attacha au poteau. Reculant d’un pas, Royce se tourna vers Thorolf – toujours obstinément silencieux, une flamme meurtrière dans les yeux. Royce se plaça devant le garçon de façon à le cacher à la vue de ses compagnons. Tirant sa dague de sa ceinture, il coupa l’épaisse veste de fourrure. La tunique de cuir qu’il attaqua ensuite était si serrée qu’il sut qu’il entamait le dos du gamin tandis qu’il la tranchait du haut en bas le long de la colonne vertébrale. Il n’entendit pas un murmure de protestation. Il écarta les pans de la tunique déchirée. Une peau douce et blanche apparut, laissant Royce perplexe. Il n’y avait pas là de muscles épais capables d’endurer la morsure du fouet. Et il avait effectivement entaillé les tendres chairs du garçon. Un mince trait écarlate courait des omoplates jusqu’aux reins. Il allait faire fouetter un enfant si… Thorolf ne lui disait pas la vérité. Il s’écarta afin que tous puissent voir ce qu’il avait fait. — Non ! cria Thorolf. Et repoussant le javelot, il se jeta sur Royce. Ohthere arracha un javelot des mains d’un autre garde et l’utilisa pour assommer deux hommes, défiant ceux qui s’approchaient de le lui enlever tandis qu’il se glissait vers le poteau. Royce cria pour attirer leur attention et ils se figèrent en voyant sa dague pressée contre la peau blanche. — La vérité, Thorolf. — Personne ! Un garçon ! Waite leva le fouet. Thorolf hurla. — Non ! Il voulut ajouter quelque chose mais comme le garçon secouait violemment la tête de droite à gauche, il se tut. Ceci fit enrager Royce. Même muet, ce garçon savait se faire obéir. — Tu as eu tort, cracha Royce en contournant sa victime afin de la dévisager tout en surveillant du coin de l’œil le groupe de Vikings. C’est toi qui vas souffrir, pas lui. Tu ne peux pas parler mais lui me dira que c’est toi qui les commandes. C’est évident. Je veux me l’entendre dire. Il n’attendait pas une réponse d’un muet, pas plus qu’il ne pensait que le garçon comprenait ses paroles. Il était furieux qu’ils l’obligent à commettre un tel acte. Et sa fureur grandit encore quand les yeux bleus du garçon se levèrent vers lui une fraction de seconde. « Que le diable l’emporte ! » jura Royce silencieusement. C’était là une réaction de femme. En fait, beaucoup de choses dans ce garçon faisaient penser à une femme. S’il n’avait su que c’était impossible, il lui aurait arraché cette tunique pour vérifier cette impression. Mais non, c’était impossible. Beaucoup d’adolescents possédaient une peau de velours et de longs cils soyeux jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge d’homme. Royce adressa un signe du menton à Waite. La langue de cuir zébra l’air et un murmure s’échappa des lèvres du garçon. On n’entendait aucun bruit dans la cour. Thorolf restait silencieux mais tous les muscles de son corps étaient visiblement tendus. Royce hocha à nouveau la tête. Cette fois, le grand corps mince s’écrasa contre le poteau et fut rejeté en arrière. La tunique de cuir ouverte commença à glisser sur les épaules. Le garçon se pressa à nouveau contre le poteau pour la retenir mais pas avant qu’un morceau de tissu blanc ne s’échappe. Royce ramassa le bout de tissu qui ressemblait à un bandage. Il ne vit aucune trace de sang. Il y avait un nœud à un bout tout près de l’endroit qu’il avait tranché en découpant la tunique. Deux ronds se dessinaient sur le tissu comme s’il avait été utilisé pour… — Non, c’est impossible ! Mais il vit ce visage baissé. Sa main jaillit et arracha la tunique. Royce en eut le souffle coupé puis il poussa un abominable juron. Son autre main enleva le bandage qui recouvrait la tête et il poussa un autre juron tandis qu’une longue natte de cheveux dorés se déroulait. Un gémissement pitoyable s’éleva du rang des prisonniers mais elle ne proféra pas un son. Il n’y avait pas une larme dans ses yeux tandis qu’elle le fixait d’un regard étincelant. Quelle sorte de femme était-elle donc pour ne pas avoir peur du fouet ? Ne savait-elle pas qu’il n’aurait jamais fait fouetter une femme ? Il trancha les liens qui lui entravaient les poignets et elle releva aussitôt sa tunique pour recouvrir sa poitrine. Dès qu’elle eut terminé, il la prit par la main et la traîna vers Thorolf pétrifié. — Un garçon, hein ? Un garçon ! Et tu m’as laissé la fouetter ! Pour cacher quoi ? Qu’elle était une femme ? Pourquoi ? demanda Royce au comble de la fureur. — Pour me protéger, répondit Kristen. Le regard de Royce vola jusqu’à elle, mais elle ne broncha pas devant sa rage. — Et pas muette non plus ! Et elle comprend notre langue, elle aussi ! Par le Ciel, tu vas me dire pourquoi tu n’as pas ouvert la bouche pour t’éviter le fouet ! — Pour ne pas me faire violer par les Saxons, répondit-elle simplement. Il éclata de rire. Un rire cruel. — Tu es trop grande pour mes hommes ! Tu n’as rien qu’ils puissent désirer. Tu ne t’en étais pas rendu compte, barbare ? C’était la colère qui provoquait ces paroles mais elles faisaient mal quand même. — Que vas-tu faire de moi, maintenant ? osa-t-elle demander. Royce aurait préféré qu’elle n’ignorât pas ses insultes. — Tu serviras dans la maison, dorénavant. Si tu te tiens correctement, tu n’auras rien à craindre. Dans le cas contraire… Tu me comprends ? — Oui. — Alors, explique ça à tes amis. Kristen regarda Thorolf et Ohthere. — Il veut faire de moi une otage dans sa maison afin d’avoir un moyen de pression sur vous. Il ne faut pas que cela change vos décisions. Vous devez me promettre que si l’occasion se présente, vous vous enfuirez. Si un seul d’entre vous parvient chez nous, alors il pourra avertir mon père qui viendra me chercher. — Il te tuera si nous nous échappons. — Il est furieux d’avoir ordonné qu’on fouette une femme. Il ne me tuera pas. Ohthere hocha sagement la tête. — Alors, nous irons chez les Danois du Nord si la chance nous sourit. Un de leurs drakkars filera sûrement jusqu’en Norvège. — Bien. Et j’essaierai de vous faire savoir comment je vais. Ne vous faites pas de souci pour moi. — Assez ! aboya Royce en la poussant vers Waite. Amène-la à l’intérieur et que les femmes lui donnent un bain. Tandis qu’elle s’éloignait, il fixa les marques rougeâtres qui lui barraient le dos, le sang qui coulait. Il se retourna vers Thorolf. — Je sais qu’elle t’en a dit plus que ce que je lui avais ordonné. Je peux te promettre ceci : si vous essayez de vous enfuir ou de blesser un de mes hommes, je ne la tuerai pas. Mais je lui ferai regretter de ne pas être morte. Et tu peux me croire, je ne fais jamais de menaces en l’air
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Partie 9
Royce observa sa sœur qui traversait le hall en courant pour jeter un regard furtif par la porte ouverte. Elle se retourna en fronçant les sourcils et repartit à toutes jambes vers l’escalier. Il l’appela avant qu’elle ne l’atteigne. Elle s’immobilisa puis vint lentement vers la table où il prenait son petit déjeuner. Elle avait déjà mangé dans sa chambre avec sa servante, Udele. Toujours furieuse, Darrelle avait refusé de s’asseoir en compagnie de Royce, ce matin, mais elle surveillait la scène du coin de l’œil tout en soignant un blessé. Meghan hésitait à rejoindre son formidable frère. S’il existait une chose qui broyait le cœur de Royce, c’était bien la crainte qu’il inspirait à sa jeune sœur. Il en était l’unique responsable. Au cours de l’année qui avait suivi le raid des Vikings et la disparition de tant d’êtres chers, il s’était conduit de façon déplorable. Meghan, trop jeune pour comprendre les affres qu’il traversait, avait commencé à avoir peur de lui et de ses colères. Dès qu’il s’était aperçu de ce qui se passait, Royce lui avait manifesté la plus grande tendresse mais la peur de la petite fille n’avait jamais complètement disparu. Meghan était une enfant timide que ces événements avaient bouleversée. Des craintes de toute sorte s’étaient développées en elle. Et elle avait peur des étrangers, de l’obscurité, des voix trop fortes… Royce se le reprochait. Il savait qu’elle l’aimait. Dès qu’elle éprouvait le besoin de se sentir protégée, c’était derrière lui qu’elle venait aussitôt se cacher. Mais elle le redoutait aussi, comme si elle croyait à tout instant qu’il allait la punir. — Tu as peur de sortir ? lui demanda-t-il gentiment quand elle fut enfin près de lui, les yeux baissés. — Non, je voulais voir les Vikings. Udele dit que ce sont tous des hommes très méchants. Mais ils sont blessés et ils ont surtout l’air malheureux. Elle risqua un regard vers lui et se détendit en voyant qu’il lui souriait. — Tu crois que les hommes méchants ne peuvent pas être malheureux, eux aussi ? — Ils n’ont pas l’air si méchants. Il y en a même un qui m’a souri… Et ils sont si jeunes, Royce. Des gens si jeunes peuvent-ils vraiment être méchants ? Est-ce qu’il ne faut pas vivre longtemps dans le péché pour être vraiment mauvais ? — Ces hommes ne croient pas en Dieu. Leurs péchés ne peuvent être rachetés. C’est pour cela que leur âge ne compte pas. — Udele dit qu’ils ont beaucoup de dieux et que c’est pour ça, aussi, qu’ils sont mauvais. — Non, ce sont des païens qui offrent des sacrifices à leurs dieux. As-tu peur d’eux ? — Oui, admit-elle. Poussé par une impulsion, il lui demanda : — À ton avis, que dois-je faire d’eux, Meghan ? — Fais-les partir. — Ils pourraient revenir nous faire du mal. Je ne peux pas le permettre. — Alors, rends-les chrétiens. Royce sourit devant une si simple solution. — Seul notre bon abbé peut faire cela, pas moi. — Alors, que vas-tu faire d’eux ? Udele dit que tu vas les tuer. Meghan avait frémi en prononçant ces mots. — Udele parle trop, murmura Royce, l’air sévère. Meghan baissa à nouveau les yeux. — Je lui ai dit que tu ne le feras pas parce qu’ils ne se battent plus et que tu ne tueras jamais un homme qui ne peut pas se défendre. — Parfois, il est nécessaire de… Il s’interrompit en secouant la tête. — Peu importe, mon cœur. Et si nous leur faisions construire le mur ? — Tu veux dire qu’ils travailleraient pour nous ? — Oh, je pense qu’ils accepteront cette offre si on sait comment la leur présenter. — Ils n’auront pas le choix… — Les prisonniers ont rarement le choix. Et n’oublie pas que s’ils avaient gagné, ils t’auraient ramenée dans leur pays pour faire de toi une esclave. On doit les traiter comme ils l’auraient fait pour nous. Il se redressa. Cette discussion avec Meghan lui avait été utile : il venait de prendre sa décision. — Encore un mot, ajouta-t-il à l’intention de la petite fille. Tant qu’ils seront là, ne t’en approche pas. Ils sont dangereux, même si tu n’en as pas l’impression. Tu dois me donner ta parole, Meghan. Meghan hocha sa petite tête d’un air timide et regarda son frère quitter le hall. À peine eut-il disparu qu’elle se rua dans l’escalier pour annoncer à la vieille femme maussade qui lui servait de gouvernante que les Vikings n’allaient pas mourir.     Le soleil brillait, haut dans le ciel, tandis que le seigneur de ces lieux traversait la cour vers les prisonniers. Comme les autres, Kristen avait attendu ce moment en ruminant ses regrets : elle ne reverrait plus ses parents, elle n’aurait pas de mari, ni d’enfants, elle ne jouirait plus de la lumière du jour, ni de la saveur de l’eau fraîche… Elle était bien décidée à mourir bravement, mais elle n’avait pas envie de mourir. Royce ignora les deux gardes qui s’avançaient vers lui. Le petit Saxon Hunfrith avait été relevé au milieu de la nuit, mais il était revenu au matin pour décrire aux Vikings les tortures qu’ils allaient subir. Il se précipita vers Thorolf à qui il flanqua un grand coup de pied. — Debout ! Milord Royce va te parler, Viking ! annonça-t-il, l’air important. Kristen pinça Thorolf pour l’inciter à se lever mais il ne broncha pas. Il était accroupi, prêt, comme tous ses compagnons, à se jeter sur les Saxons si ceux-ci tentaient de les séparer afin de les soumettre à la torture. Le regard vert du seigneur saxon était sombre tandis qu’il se dirigeait vers les prisonniers. À la différence de la veille, son expression était indéchiffrable. Bien sûr, à la lueur du jour, leur état déplorable devenait évident et il devait sûrement penser qu’ils ne constituaient pas une menace sinon il ne se serait sûrement pas autant approché. Pourtant, Kristen avait l’impression qu’il les défiait. « Ce Saxon n’a pas peur », se dit-elle, tandis que le regard vert glissait sur elle avant de la fixer. Elle baissa aussitôt la tête. Pourquoi, parmi tous les Vikings, s’attardait-il sur elle ? Avait-il deviné son déguisement ? Elle ne releva les yeux que lorsqu’il parla, et son malaise ne fit alors que croître. Elle ne s’était pas rendu compte qu’enchaînée à Thorolf elle était dans une position délicate. Elle se glissa derrière le large dos de son ami pour se mettre à l’abri de ce regard trop perçant. Le Saxon dévisagea Thorolf. — On m’a dit que tu parles notre langue. — Un peu. — Qui est votre chef ? — Il est mort. — Le navire lui appartenait ? — À son père. — Ton nom ! — Thorolf Eiriksson. — Désigne-moi votre nouveau chef, Thorolf. Je sais que vous l’avez déjà choisi. Au lieu de répondre immédiatement, Thorolf demanda : — Parlez lentement. Royce fronça les sourcils, impatient. — Votre nouveau chef. Qui est-ce ? Thorolf cria dans sa langue maternelle : — Ohthere, lève-toi et fais-toi connaître au Saxon ! Kristen vit son cousin se dresser, l’air hésitant car il n’avait rien compris de la discussion entre Thorolf et le chef des Saxons. Il se trouvait à l’opposé du cercle par rapport à elle mais il s’était débrouillé pour venir la voir au cours de la nuit, traînant trois hommes avec lui. Il avait perdu ses deux frères au cours du combat et, tout comme Kristen, il ne montrait pas sa peine. Étant le plus vieux parmi eux et le cousin de Selig, il était logiquement considéré comme leur nouveau chef. — Son nom ? s’enquit Royce en détaillant Ohthere des pieds à la tête. — Ohthere Haardrad, répondit Thorolf. — Très bien. Dis à Ohthere Haardrad qu’on m’a convaincu de me montrer clément. Je ne peux pas vous relâcher mais je vous nourrirai si vous êtes prêts à me servir. Un mur de pierre doit être élevé autour de ce manoir. Si vous choisissez de ne pas travailler, vous n’aurez rien à manger. C’est aussi simple que ça. Plutôt que de demander au Saxon de répéter cette longue tirade plus lentement, Thorolf dit en montrant ses camarades : — Parler… entre nous. Royce hocha la tête. — C’est cela, concertez-vous. Thorolf demanda aux hommes de se regrouper. Ils en profitèrent pour dissimuler Kristen au milieu d’eux. — Par le poing de Thor ! s’exclama Thorolf. Qu’est-ce qu’il a dit ? Elle souriait. — Il ne va pas nous tuer. Il veut que nous construisions un mur. — Non ! Je ne donnerai pas ma sueur à ce bâtard ! — Alors, tu crèveras de faim, rétorqua Kristen. Il a posé ses conditions. Nous travaillons et, en échange, il nous donne à manger. — Comme des esclaves ! — Ne soyez pas idiots, siffla-t-elle. Cela nous permettra de gagner du temps pour préparer notre évasion. — Oui, et pour guérir, approuva Ohthere. Dis-lui que nous acceptons, Thorolf. Qu’il ne se doute pas que certains d’entre nous n’acceptent pas ses conditions. Thorolf lui obéit puis demanda à Royce : — Les chaînes ? — Vous les gardez. Je ne suis pas assez idiot pour vous faire confiance. Un lent sourire étira les lèvres de Thorolf qui hochait la tête. Le Saxon était sage, mais il ignorait encore de quoi étaient capables des Vikings en bonne santé, nourris et décidé
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