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Ne lui ressemble pas trop, Kaloo. Ne te persuade pas que tu hais alors que tu ne veux qu’aimer. Et, écoute-moi. Je me fiche qui tu veux aimer. Même s’il s’agit de lui. Mais ne t’avise pas de te fourvoyer comme ta mère l’a fait. Ne t’en avise pas, ma fille !
Afficher en entierLa fillette était assise dans l’obscurité, au frais, ses genoux osseux bien serrés ramenés sous le menton. Les yeux clos, elle respirait profondément, comme endormie. Pourtant, elle ne s’était jamais sentie plus éveillée. Autour d’elle, dans l’ombre, une accumulation de tonneaux, de barils, de bouteilles poussiéreuses. Ils contenaient la bière forte de Lenan, des plaines de l’ouest, la Fumée de dragon des montagnes d’Argent, et aussi de nombreux rouges millésimés de Saltigos. Mais tous ces alcools n’auraient pu la griser plus qu’elle ne l’était déjà. Quelque chose bourgeonnait en elle, se débattant comme un papillon au sortir du cocon. C’était sûrement son jour et son heure, car sa chance gonflait, bouillonnait et la suppliait de la canaliser. Elle en était convaincue.
— Petit Coucou, tu es là ?
Le bruit sourd de la porte du cellier qu’on ouvrait, suivi des pas lourds de Daril… La fillette entendait sa mère adoptive respirer avec peine, malgré son nez généreux.
— Petit Coucou ! Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Nos marins, c’est maintenant qu’ils veulent leur bière, pas la semaine prochaine ! La marée ne va pas les attendre ! Kaloo !
L’enfant essaya d’ignorer les bruits familiers de la taverne, de se pelotonner dans sa petite bulle mais elle finit par y renoncer. Elle se releva en soupirant. La sensation insaisissable qu’elle avait éprouvée venait de disparaître comme une bulle de savon qui éclate au-dessus de la lessive. Kaloo sortit de sa cachette, chassant les toiles d’araignée prises dans ses cheveux. Elle tenait un pichet de bière. Mais en constatant l’absence de mousse, Daril ne put retenir un geste exaspéré : elle alla en rajouter au tonneau.
— Et qu’est-ce que tu as bien pu faire pendant tout ce temps ?
— Je suis désolée, Daril. Je voulais me dépêcher mais ici, dans le noir, la fraîcheur et le silence, une sensation a grandi et enflé en moi, comme la marée montante.
— Tu as mal au ventre ? Bois une tisane, ça guérit tout, répliqua sa belle-mère en repartant vers l’escalier.
— Daril ! Ce n’est pas ce que je voulais dire !
Kaloo, dégoûtée, peinait à trouver ses mots. Le pied sur une marche, Daril se retourna, un peu agacée.
— Tu parlais de quoi, alors ?
— Je crois que j’ai senti ma chance. Vous m’avez trouvée pendant le mois des Prairies. Si j’avais deux mois à ce moment-là, j’ai dû naître pendant le mois des Bourgeons. Mon anniversaire tombe peut-être aujourd’hui, à cette heure-ci. Ça continue à… remuer en moi.
Kaloo agitait la main, incapable de décrire ce qu’elle éprouvait. Daril lui sourit affectueusement, d’un air compréhensif.
— Mon petit Coucou… Il n’y a pas beaucoup de différence entre un minuscule nourrisson de quatre mois, et un gros bébé d’un mois. Et puis tu étais si maigre et si faible quand le marin t’a ramenée… Ce qui t’arrive, c’est autre chose. Ce que tu ressens, ce n’est pas ton jour de chance, mais les années qui passent. Tu auras bientôt tes règles et tu vas commencer à changer. La brindille va devenir une femme, ajouta-t-elle avec un regard critique. Il faudrait peut-être que tu songes à grignoter du Sans-Souci ! Les filles pensent toujours qu’elles sont trop jeunes pour que ça leur arrive, jusqu’au moment où la nature les rattrape ! Tu sais où je le range ; dans un bocal, avec les autres herbes. Tu n’as qu’à te servir. Il vaut mieux prévenir que guérir.
Kaloo fulminait en silence au pied des marches et laissa libre cours à ses sarcasmes quand Daril claqua la porte derrière elle.
— Les règles ! Elle m’en parle depuis mes dix ans, que j’aille bien ou mal.
Afficher en entier-Je vois, il s'agit d'obtenir des renseignements.
-Oui. Agissez au mieux, votre Grâce. Vous savez comment exercer vos talents. Pardon, votre séduction devrais-je dire...
-Pourquoi se sert-on uniquement de mon corps ? soupira-t-elle. Quand rencontrerai-je un homme qui me désirera pour mon argent ?
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