Extraits

- Je m'en occupe, répéta Thea d'un ton buté.

- Tu tiens tant que ça à lui ?

- Oui...Je crois que c'est mon âme sœur. Mais...

Tu es prête à tout sacrifier ?

- Je ne veux pas causer sa mort, ni provoquer une guerre entre les Herman et le reste du Night World. Et si je dois renoncer à lui, autant que ce soit moi qui m'en charge, que je m'assure qu'il est heureux avec quelqu'un d'autre qui l'aime vraiment.

- Heureusement que tu m'as jeté cette eau.

- Oui.

Même si l'élixir n'avait pas fonctionné, il avait au moins détourné l'attention d'Eric ou distrait Blaise, ou autre chose, n'importe quoi d'autre...Il fallait que Thea vérifie si elle ne venait pas de découvrir une formule susceptible de briser les puissants sorts de sa cousine...

- Oui, insista-t-il parce que la situation devenait un peu spéciale.

Je cherchais un moyen de lui dire qu'elle n'avait aucune chance, mais rien ne venait. Et au moment où je me suis aperçu qu'il allait bien falloir le lui annoncer, quitte à la vexer, tu nous as arrosés.

Thea s'arrêta net, leva les yeux sur lui.

Il ne riait pas du tout.

- Enfin...je crois qu'elle était quand même vexée. Sinon, elle ne serait pas repartie aussi furieuse. Euh...et toi, tu ne m'en veux pas, au moins ? Thea ?

Elle reprit sa marche.

- Ça veut dire que tu n'as jamais eu l’intention de la suivre ? Même pas un tout petit peu ?

Cette fois, ce fut lui qui s'arrêta:

- Pourquoi veux tu que je la suive, alors que je suis avec toi ? Je te l'ai pourtant déjà dit.

Alors nous sommes bel et bien des âmes sœurs. Ou alors, il est têtu comme une bourrique. En tout cas, je ferais mieux de ne rien dire à Blaise. Si elle découvre qu'elle a échoué lamentablement, elle voudra d'autant plus le tuer.

Les cygnes gardent leur partenaires pour la vie...et lorsqu'ils le rencontrent, ils le savent. C'est exactement ce qui s'est passé dans le désert. On s'est reconnus; comme si on voyait nos âmes. Une fois qu'on a vu l'âme de quelqu'un, on lui reste attaché à jamais. Oui, lui répondit la petite voix, et ça porte un nom dans le Night World. Le principe des âmes sœurs.

La joue contre celle d'Eric, elle n'avait jamais rien ressenti d'aussi fabuleux; cette peau ferme et douce, cette impression de totale sécurité, cette assurance d'être aimée. Elle aurait voulu que ce moment ne cesse jamais. Une paix bienfaisante l'envahissait, comme une onde fraîche sous le soleil. Ils étaient comme deux oiseaux qui s'abriterait chacun sous l'aile de l'autre.

En le regardant plier la couverture, elle perçut une voix intérieur lui vanter ses mérites comme s'il venait de gagner un jeu téléviser: voici un garçon doué de toutes les qualités, tendre mais solide, courageux, profondément perspicace, timide mais doué d'un étonnant sens de l'humour, honnête, aimant les animaux...

Un humain.

- Je t'ai d'abord demandé si tu voulais le garder, insista celle-ci. Et tu as dit que non. Alors maintenant, tu changes d'avis ? Tu vas t'amuser avec lui ?

Thea contemplait toujours la boule qu'elle venait de former avec les serviettes. Que dire ? Je ne peux pas parce que j'ai peur ? Je ne peux pas parce qu'il s'est produit quelque chose entre lui et moi ce matin, et je ne sais pas ce que c'était ? Je ne peux pas parce que si j'éprouve ces sentiments, je pourrais me mettre hors la loi, et d'une façon bien pire encore que si je révélais notre existence à un humains...en commettant la plus grave des infractions, autrement dit, tomber amoureuse...

- Quoi?

- Je ne sais pas à quoi tu joues. Mais arrêtes immédiate- ment.

Il la fixait sans avoir l'air de s'excuser, pas plus que de l'implorer. Il parlait d'un ton sec.

D'un seul coup, Thea eut l'impression qu'elle s'était trompée sur toute la ligne et en eut la chair de poule.

Elle ne sut que balbutier:

- Je... Qu'est-ce que tu racontes?

- Tu le sais très bien.

Elle fit non de la tête.

Il haussa les épaules, l'air de dire " tu l'auras voulu ".

- Ton petit jeu, là, à vouloir me jeter dans les bras de Pilar. Arrête ça! Vis-à-vis d'elle, c'est dégueulasse. Elle croit que je me fiche d'elle, alors que je n'ai juste pas envie de sortir avec elle. C'est toi que j'aime. Si tu veux te débarrasser de moi, tu n'as qu'à le dire au lieu d'essayer de me refiler à quelqu'un d'autre.

En écoutant ce discours, Thea avait l'impression de flotter à un mètre du sol. Le ciel du désert semblait trop clair, trop éblouissant. Tandis que son cerveau courait dans tous les sens, comme Madame Curie dans sa nouvelle cage, elle parvint à balbutier:

- Qu'est-ce que... j'ai à voir là-dedans... si tu préfères Pilar?

Eric chercha des yeux un endroit où s'assoir, trouva un rocher, , contempla ses mains un long moment sans rien dire. Finalement, il leva sur Thea un regard impuissant:

- Arrête, tu veux? Ne me prends pas pour un débile mental!

OH!

- Oh!

NE TE BLOQUE PAS, se dit-elle encore. TU L'AS DEJA BLUFFE UNE FOIS. TU AS REUSSI A LUI FAIRE CROIRE QU'IL N'AVAIT PAS ETE MORDU PAR UN SERPENT; PAR LA tERRE, TU PEUX LUI FAIRE CHANGER D'IDEE!

- Eric... on est tous un peu stressés en ce moment...

- Ca va, épargne-moi ton baratin! Tu charmes les serpents, tu lis dans la cervelle des cochons d'Inde. Tu guéris d'un geste les morsures de serpents à sonnette. Tu t'introduis dans l'esprit des gens. Tu fabriques des sachets d'herbes magiques, et ta folle de cousine est la déesse Aphrodite... J'en passe, et des meilleures.

Thea s'assit près de lui sur un autre rocher. Elle respirait lourdement et c'était à peu près la seule chose dont elle ait conscience pour le moment.

- J'ai l'impression, continua Eric, que tu es en fait une descendante de cette chère Hécate, la reine des sorcières. Je me trompe?

- Pourquoi? Tu croix avoir gagné une prix?

Elle n'arrivait pas à réfléchir davantage, juste à bafouiller de lamentables paroles.

Il commença par sourire, d'un sourire triste, le premier qu'elle eut pourtant vu de la journée, et qui eut tôt fait de disparaître.

- C'est donc vrai? insista-t-il.

- Tu crois que les gens désirent ce qu'ils peuvent obtenir? Franchement?

- Je... je ne sais pas.

Blaise posa le menton sur ces genoux.

- Dès qu'une chose arrive à notre portée, on ne la désire plus vraiment. Il reste toujours des choses dont on a envie et qu'on ne peut atteindre... et c'est peut-être mieux comme ça.

Thea se rendit dans l'atelier.

Assise à la table, ses écouteurs sur les oreilles, Blaise chantonnait à voix basse en dessinant.

Elle avait toujours été douée pour créer de jolis bijoux, la plupart du temps en s'inspirant de modèles anciens. Elle élaborait des colliers d'abeilles et de papillons, de fleurs en spirale, de serpents, de dauphins bondissants.

C'était vivant, gai...magique

<<Jamais il n'a été aussi dangereux d'aimer.>>