Extraits

Alors que je déverrouille ma porte, réalisant que la pauvre Vyi est plantée dans le couloir depuis un bail, je relève la tête avec un sourire, tout en lançant :

- Déso…

Ma voix se bloque quelque part dans ma gorge.

Oh.

Merde.

Merde de merde !

Sur mon seuil il n’y a aucune fille. À la place, c’est un gars. Et pas n’importe lequel, je le connais parfaitement : il fait partie des beaux gosses du campus qui font parler d’eux. C’est simple, je suis en bio, lui en économie, et je sais quand même qui il est.

Merde.

MERDE DE…

Je tourne en boucle.

Il faut dire que sa tenue n’aide pas. Il porte un jean moulant, un T-shirt noir et un Perfecto dessus. Le genre qui ne tient pas vraiment chaud en décembre, même si le style lui va… à mort. Plus sexy, ça devrait être interdit.

Ivy Hamerick me regarde, souriant. Il a les cheveux en bataille, des gouttes d’eau s’attardent dans ses mèches brunes dont une, particulièrement longue, retombe devant ses yeux. Il doit pleuvoir dehors.

Je ne rêve pas. C’est bien lui, Ivy. LE Ivy dont toutes les nanas rêvent. Le type à choper du campus quoi…

Puis je me ressaisis enfin : le manque de sommeil fait vraiment des ravages sur le cerveau, j’en ai la preuve.

- Salut, tu… cherches quelqu’un ? Quelque chose, peut-être ?

Ivy me dévisage, surpris, et recule même, vérifiant le numéro de ma porte. Mon cœur rate un battement. Oh... mon... DIEU !

- Euh ?

Il se tait puis se racle la gorge.

- Je devais… retrouver Der22 pour un marathon… films. Pas pour courir, hein.

J’ai envie de pleurer. Le mec du campus qui ferait fantasmer n’importe qui est donc bien… Vyi… Puis, là, je percute – quand je parle des dégâts causés par les nuits blanches ! Vyi ? Comme Ivy dans un autre ordre ? Tu aurais pu y penser, « Der », le verlan de Red.

- Ce n’est pas ici.

Ma réponse a fusé presque malgré moi. Je regrette aussitôt tout en me traitant de con mentalement : c’est le plus sûr enfin ! Ce mec est un fêtard notoire. Il est hétéro, et j’ai eu un vague crush sur lui en première année avant de réaliser que ce n’était pas sain pour moi… et de mettre plusieurs mois à réussir à arrêter cette obsession, que j’ai fini par soigner avec Tim, ce qui s’est terminé en catastrophe. BREF ! Lui dire qu’il a mal compris est le plus prudent…

Ivy ne réagit pas tout de suite, finalement je le vois faire un geste et tordre son bras vers l’arrière, mes yeux piquent automatiquement vers le bas pour épier ses mouvements – et non reluquer le bas de son torse que le T-shirt, légèrement soulevé, a dévoilé. Absolument pas. PAS MON STYLE.

Mais quand il me plante sous le nez un portable dernier cri qui fait passer le mien pour un pauvre rebut de l’après-guerre – je suis ce genre de personne un tout petit peu portée sur l’exagération, mais vraiment à peine –, à l’écran s’affiche mon dernier message. Et le numéro de ma chambre.

- Je…

Je ne vais pas tarder à bégayer. Si je dis que la personne a écrit le mauvais numéro, qu’est-ce que je risque ? Pourtant, je lis dans le regard d’Ivy en face de moi qu’il ne me croira pas une minute. Mais, honnêtement, ça me semble presque dangereux ce plan : quel hétéro voudrait mater des rom-coms la veille du réveillon ? Ma réaction instinctive serait : aucun. Je pensais sincèrement qu’une fille répondrait… d’où ma méprise. Puis je réalise qu’aucun de ses messages n’indiquait explicitement son sexe et les phrases utilisées étaient neutres…

EH MERDE !

Mais quel C-O-N ! Les miens non plus ne devaient pas dire clairement que j’étais un mec ! Voilà le problème. Il devait chercher une nana sympa un peu déprimée et seule à se taper avant d’aller se goinfrer de dinde !

Enfin rassuré – même si c’est la lose, je préfère savoir à quoi m’en tenir –, je le dévisage, m’attendant à le voir se barrer ou exprimer de la déception, quelle qu’en soit la forme, sauf que non : il reste parfaitement impassible.

- Je peux entrer ?

Pourquoi ? Je suis à deux doigts de le lui demander, mais me ressaisis à temps : ça va faire un peu flag de lui sortir que j’ai capté son petit manège comme ça.

- Je… oui, bien sûr.

- Fais-le.

- Des anges dans la neige ? je relève, pas sûr qu’il soit sérieux.

Il hausse les épaules.

- Qui t’en empêche ?

Vu comme ça…

« Je ne sais pas ce qui a pu se passer, le glissement qui existe est inexplicable. Mais je suis là. Avec Ivy. La position PLS va-t-elle attirer l’attention sur moi ? J’ai un doute. »

Ma voix est enrouée. Je me racle la gorge, je vérifie ma tenue; je suis frileux, donc j'ai l'air de traîner en jogging quand, en fait, c'est comme ça que je pionce. Dormir à poil n'est pas trop mon truc, et ça doit avoir un lien avec mon corps plutôt tout maigre. Le sport ne fait pas partie de ma religion. Il y a des choses comme ça que j'ai tentées, et qui ne me conviennent pas, j'ai donc abandonné. Dans le même genre, il y a aussi être hétéro, au hasard. Ou les fruits de mer: ça me rend malade systématiquement.

Pourquoi ? Je suis à deux doigts de le lui demander, mais me ressaisis à temps : ça va faire un peu flag de lui sortir que j’ai capté son petit manège comme ça.

Amicalement ? Je ne pense pas avoir vu une seule personne signer comme ça… depuis ma grande-tante. Bizarre. Je relis plusieurs fois le message.

Alors que je m’étais fait une raison, j’ai maintenant envie de convaincre Vyi que oui, j’ai bon goût en matière de films et ne ferais jamais de spoils !