Extraits

Je m’arrêtai à temps avant de prononcer son prénom. Si je voulais pouvoir m’échapper, je ne devais pas dévoiler la supercherie, au risque de voir mon geôlier m’enchaîner au canapé.

Je coupai l’appel, un pauvre sourire flottant sur mes lèvres. Khamaël travaillerait certainement jusqu’au changement de garde et, grâce à son frère, je ne serais pas obligée de rester à la maison avec Larik. Je jetai un œil à la pendule de la cuisine. 18 h 15. Voilà qui me laissait le temps de m’habiller plus chaudement, même si je savais que tous les pulls du monde ne me réchaufferaient pas. D’un pas plus léger, je regagnai ma chambre et commençai à me dévêtir.

J’entrai et sursautai violemment lorsque des néons s’allumèrent d’eux-mêmes, mais ce ne fut pas ce détail qui me laissa abasourdie. Les yeux grands ouverts, je jetai un regard circulaire sur tout ce qui composait cette... Je n’aurais même pas su donner un nom à cet endroit. Le sol était tapi d’un sable blanc, chaud et fin sous mes pieds nus. Des arbres et des lianes donnaient un aspect exotique, sans compter les oiseaux qui vivaient là. J’aperçus vaguement un plumage couleur de neige avec une touche de jaune avant qu’il ne disparaisse derrière un gros rocher.

Même si je commençais à en avoir ras-le-bol de tous ces rendez-vous, je décidai d’honorer celui-là. Je ne voulais pas qu’il se croie responsable, car ce n’était pas le cas. Je ne serais pas à l’aise, mais j’irais à n’en pas douter. Il était parti pour me rendre la tâche plus facile, et je l’en remerciais infiniment. C’était très prévenant de sa part d’avoir pensé à ma sensibilité. Et cette petite mise au point me permettait de comprendre un peu mieux pourquoi je m’étais fourvoyée à ce point. En retournant dans sa chambre, il avait dû enfiler sa chemise de pyjama. Celle-là même qui m’avait mise dans l’erreur, vu qu’il ne la portait pas la veille. Celle-là même dont j’avais pris plaisir à ouvrir bouton après bouton ce matin. La douceur de sa peau sous mes paumes...

Je décidai d’entrer dans son jeu pour en terminer au plus vite. Mes parents m’avaient appris le respect de mes aînés et j’essayais de toujours leur faire honneur. Même si la situation était ridicule. Je posai donc ma main droite dans sa paume le plus calmement possible.

Dès que ma peau entra au contact de la sienne, la vieille femme tressaillit. Ses doigts se refermèrent sur les miens avec une force que je n’aurais pu imaginer vu son âge. Elle rejeta la tête en arrière. Un instant, je crus sincèrement qu’elle allait tomber dans les pommes. Mais avant que je ne puisse esquisser le moindre mouvement pour l’aider, elle se mit à parler.

Khamaël refermait la porte derrière Stephan lorsque j’entamai la descente de l’escalier. D’un même mouvement, ils levèrent la tête vers moi. L’un écarquilla les yeux, l’autre m’adressa un chaleureux sourire. L’attention que me portait Kham semblait celle d’un preux chevalier, me couvant d’un regard plein de noblesse. Je me sentais comme une princesse, face à un homme prêt à tout pour venir à son secours.

De l’autre, celle de Stephan me donnait la chair de poule. J’avais l’impression d’être un animal que l’on venait chercher pour le mener à l’abattoir. Une sensation des plus désagréables.

Elle ouvrit grands les yeux et son expression passa de furieuse à intéressée. Un petit sourire lubrique naquit sur ses lèvres fines tandis qu’elle me dévisageait. Mon Dieu, je venais de lui fournir des munitions. À présent, j’étais comme une condamnée sur le pilori. Il ne me restait plus qu’à attendre ma sentence. Il allait vraiment falloir que je me repose, je n’étais pas en pleine possession de mes moyens et encore moins en mesure de surveiller mes propos. Surtout face à une Eva qui était passée maîtresse dans l’art de les détourner.

Ma pique fit son effet. Khamaël fronça les sourcils et ouvrit la bouche, avant de la refermer dans un bruit sec. Mouché, ses lèvres s’entrouvraient et se pinçaient tour à tour, lui donnant l’expression d’un poisson rouge en manque d’oxygène. Face à son air dépité, la colère que je sentais enfler quelques secondes plus tôt s’évapora. Je tentai de réprimer un fou rire sans grand succès et finis par exploser de rire, ce qui le déconcerta encore davantage. C’était si comique de le voir ainsi. Ce mâle viril et débordant de confiance devenait tout à coup un gamin incertain à court de vocabulaire. J’avais réussi à le déstabiliser et ça me fit un plaisir fou.

Pendant qu'une musique horripilante me vrillait les tympans, je jetai un regard sur le bloc à couteaux posé sur le comptoir et reportai mon attention sur le palier de l'étage. Mon Taser était dans la veste d'été négligemment posée sur mon lit, au premier. Bon sang, j'étais vraiment fatiguée pour ne pas y avoir pensé avant. L'adrénaline m'avait offert un bon coup de boost, mais pas suffisamment pour réveiller la totalité de mes neurones toutefois. D'un geste las, je me passai une main sur le visage sans autre résultat que de raviver la plaie de mon épaule. Je sifflai de douleur entre mes dents serrées, ce n'était pas ma journée. Définitivement pas.