Extraits

Chapitre 7 :

Ethan

«... Elle doit avoir mon âge, mais semble à des années-lumière de mon état d'esprit actuel.

— Je pense que ça ne va pas être possible.

— De quoi ?

— Ça.

Elle montre tout à tour la maison et elle. Je pige enfin.

— Vous ne voulez pas de mon offre ?

Elle se pince les lèvres, mal à l'aise, et je comprends alors qu'elle veut le job. Mais elle ne veut pas de moi. Pour une raison que j'ignore, je choisis d'insister.

— Écoutez... Vous m'avez dit que vous aviez réellement besoin de ce boulot. je suis prêt à vous prendre à l'essai, alors... Je ne vois pas pourquoi vous ne voulez pas au moins essayer.

— Je...

Je la sens indécise, perdue, et à cet instant, j'éprouve le besoin de l'aider. Du mieux que je peux. Rares sont les personnes qui ont suscité pareils sentiments et rares sont les émotions positives qui me traversent en ce moment. Alors, juste pour ça, je reste figé devant elle, un fin sourire courant sur mes lèvres. Je n'ai pas dit mon dernier mot...»

Chapitre 4 :

Ethan

« … Je me vois donc mal l’aborder en lui révélant que je la surveillais de ma fenêtre. Alors qu’aucune excuse valable ne s’est forgée dans mon esprit, je croise son regard surpris. Ses yeux s’écarquillent complètement lorsqu’elle prend conscience que je ne passe pas juste sur le chemin, mais que je me dirige vers elle. Je lui offre alors un sourire timide, tentant de me rendre moins grand que je ne le suis, afin d’essayer de ne pas l’apeurer. À cet instant, face à son visage pâle, je n’ai jamais autant détesté mon corps taillé pour la guerre.

*

Lucile

Lorsque le voisin arrive à ma hauteur, je cesse complètement de respirer et le dévisage, les bras ballants et les yeux ronds comme des soucoupes. J’oublie totalement mes conserves tombées par terre. J’oublie mes courses à ranger rapidement dans le congélateur. J’oublie tout ce qui n’est pas cette montagne de muscles s’avançant ver moi...»

Avant, j’étais heureux de revenir dans cette petite maison de campagne, niché en plein cœur de la France. Le voisinage a toujours su m’apporter le calme dont j’avais besoin. Lorsque je revenais, bien souvent, Élo et moi allions manger chez les Durand, qui voyaient en moi le héros du pays. En apprenant ça, Hell avait passé quinze minutes à se foutre de leur gueule. Et de la mienne au passage. Mais je suis habitué à son tact légendaire et à son humour plus que douteux. Après tout, nous nous côtoyons régulièrement. C’est le seul soldat que je m’entête à appeler quand je suis chez moi. Comme si j’avais besoin de garder continuellement le contact avec une personne de mon autre vie. Et disons que j’ai bien choisi mon gars, car Hell est le genre d’homme que rien n’ébranle. Même mes démons intérieurs n’ont pas réussi à le faire sortir de son flegme habituel.

Mais il n’est pas le seul dans cette situation. Après ce drame, chaque membre de mon unité a reçu le même commandement. Interdit de caserne. Interdit de mission. Et obligé de consulter un psy au moins une fois par semaine. Je ne fais pas exception à la règle, sauf que mon bilan n’est pas terminé. L’état-major souhaite encore me voir parmi eux parce qu’ils sont à la recherche de réponses. D’une quelconque explication pour ce véritable fiasco. Mais ils veulent quelque chose qu’ils n’auront jamais. Pas faute de leur avoir répété plusieurs fois. Mon mentor, le général Bravel, m’a souvent pris à part durant ces dernières semaines, en quête de confidences, de secrets. Il me connaît pourtant. Il sait que son protégé a le caractère buté d’une mule. Nous avons convenu que nous ne révélerons rien, et il en sera ainsi. Car si quelqu’un balance, nous tombons tous.

Elle savait que la guerre me dégommait et qu’à chaque retour de mission j’étais chaque fois un peu plus détruit, chaque fois un peu plus mal. Chaque fois un peu plus dépossédé de mon âme. Ça a été la mission de trop pour elle. Elle a juste cessé de se battre pour moi, et je ne lui en veux même pas.

Elle avait bien compris ce qui se tramait tout là-bas, au fond de ma tête. Elle savait que si je ne rentrais pas immédiatement à la maison, lors des retours de mission, ce n’était pas pour la tromper. Juste pour ne pas la voir tout de suite. Je ne pouvais tout simplement pas la regarder en face, car je n’arrivais pas à croiser mon propre regard dans un miroir. Elle voyait ce que mon fichu métier me coûtait. Mon âme. Ma vie.

Je ne pensais pas revenir un jour dans ce vieux patelin. Je ne pensais vraiment pas devoir remettre les pieds dans cette putain de baraque, mais c’est tout ce qu’elle m’a laissé, après le divorce. J’ai tellement de mal à y croire et, pourtant, tout est écrit. Tout est là, devant moi, posé sur le tableau de bord de ma jeep. Un divorce dont je ne voulais pas. Qui n’a pas de sens. Élodie comptait pour moi. Tellement que j’ai tout arrêté pour elle et me suis repris en main. Cette fille a été la lumière au fond du tunnel, me permettant à nouveau de respirer. J’avais l’impression de vivre un rêve éveillé, une histoire d’amour que l’on retrouve uniquement dans les films. Seulement, toutes ces romances à l’eau de rose ne racontent pas la suite des aventures des deux amants. Il n’y a jamais de tome deux, et pour cause ! Il serait bien trop triste, bien trop réaliste. Les deux amoureux, qui ont réussi à affronter tous les obstacles les séparant, se prendraient brusquement une grande claque en pleine gueule en découvrant les petits détails de la vie, qui nous éloignent tous un jour l’un de l’autre.