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Des tribus aux instincts impérieux s’agglutinent pour former une grande puissance ; vient le moment où, résignées et branlantes, elles soupirent après un rôle subalterne. Quand on n’envahit plus, on consent à être envahi. Le drame d’Annibal fut de naître trop tôt ; quelques siècles plus tard, il eût trouvé les portes de Rome ouvertes. L’Empire était vacant, comme l’Europe de nos jours
Afficher en entierInstincts vacillants, croyances avariées, marottes et radotages. Partout des conquérants à la retraite, des rentiers de l’héroïsme, en face de jeunes Alaric qui guettent les Rome et les Athènes, partout des paradoxes de lymphatiques. Autrefois les boutades de salon traversaient les pays, déroutaient la sottise ou l’affinaient. L’Europe, coquette et intraitable, était dans la fleur de l’âge ; — décrépite aujourd’hui, elle n’excite plus personne. Des barbares cependant attendent d’en hériter les dentelles et s’irritent de sa longue agonie
Afficher en entierHeureux ces moines qui, vers la fin du Moyen Age, couraient de ville en ville annoncer la fin du monde ! Leurs prophéties tardaient-elles à s’accomplir ? Qu’importe ! Ils pouvaient se déchaîner, donner libre carrière à leurs effarements, s’en décharger sur les foules ; — thérapeutique illusoire dans un âge comme le nôtre où la panique, entrée dans les mœurs, a perdu ses vertus
Afficher en entierQu’ils s’encombrent encore d’une passion pour la fidélité et d’une détestable répugnance à trahir, on ne peut plus rien espérer d’eux, sinon leur ruine. Pour corriger leurs mérites, pour remédier à leur profondeur, il faut les convertir au Midi et leur inoculer le virus de la farce. Si Napoléon avait occupé l’Allemagne avec des Marseillais, la face du monde eût été tout autre
Afficher en entierPourra-t-on méridionaliser les peuples graves ? L’avenir de l’Europe est suspendu à cette question. Si les Allemands se remettent à travailler comme naguère, l’Occident est perdu ; de même si les Russes ne retrouvent pas leur vieille amour de la paresse. Il faudrait développer chez les uns et les autres le goût du farniente, de l’apathie et de la sieste, leur faire miroiter les délices de l’avachissement et de la versatilité. ... À moins de nous résigner aux solutions que la Prusse, ou la Sibérie, infligerait à notre dilettantisme
Afficher en entierNotre mal étant le mal de l’histoire, de l’éclipse de l’histoire, force nous est de renchérir sur le mot de Valéry, d’en aggraver la portée : nous savons maintenant que la civilisation est mortelle, que nous galopons vers des horizons d’apoplexie, vers les miracles du pire, vers l’âge d’or de l’effroi
Afficher en entierÀ l’âge où, par inexpérience, on prend goût à la philosophie, je décidai de faire une thèse comme tout le monde. Quel sujet choisir ? J’en voulais un à la fois rebattu et insolite. Lorsque je crus l’avoir trouvé, je me hâtai de le communiquer à mon maître. — Que penseriez-vous d’une Théorie générale des larmes ? Je me sens de taille à y travailler. — C’est possible, me dit-il, mais vous aurez fort à faire pour trouver une bibliographie. — Qu’à cela ne tienne. L’Histoire tout entière m’appuiera de son autorité, lui répondis-je d’un ton d’impertinence et de triomphe
Afficher en entierMais ses ennemis il les tire de soi, comme les vices qu’il dénonce. S’acharne-t-il contre les faibles ? il fait de l’introspection ; et quand il attaque la décadence, il décrit son état. Toutes ses haines se portent indirectement contre lui-même. Ses défaillances, il les proclame et les érige en idéal ; s’il s’exècre, le christianisme ou le socialisme en pâtit. Son diagnostic du nihilisme est irréfutable : c’est qu’il est lui-même nihiliste, et qu’il l’avoue. Pamphlétaire amoureux de ses adversaires, il n’aurait pu se supporter s’il n’avait combattu avec soi, contre soi, s’il n’avait placé ses misères ailleurs, dans les autres : il s’est vengé sur eux de ce qu’il était. Ayant pratiqué la psychologie en héros, il propose, aux passionnés d’Inextricable, une diversité d’impasses
Afficher en entierJeune encore, on s’essaie à la philosophie, moins pour y chercher une vision qu’un stimulant ; on s’acharne sur les idées, on devine le délire qui les a produites, on rêve de l’imiter et de l’exagérer. L’adolescence se complaît à la jonglerie des altitudes ; dans un penseur, elle aime le saltimbanque ; dans Nietzsche, nous aimions Zarathoustra, ses poses, sa clownerie mystique, vraie foire des cimes... Son idolâtrie de la force relève moins d’un snobisme évolutionniste que d’une tension intérieure qu’il a projeté au-dehors, d’une ivresse qui interprète le devenir, et l’accepte. Une image fausse de la vie et de l’histoire devait en résulter. Mais il fallait passer par là, par l’orgie philosophique, par le culte de la vitalité. Ceux qui s’y sont refusés ne connaîtront jamais le retombement, l’antipode et les grimaces de ce culte ; ils resteront fermés aux sources de la déception
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