Extraits

Mais comment faire, alors que je naissais autant qu'elle? J'étais sa mère et elle était la mienne. Je naissais à elle, je naissais au monde par elle, elle m'avait accouché et j'en étais douloureuse, bouleversée, cabossée. Je naissais de la naissance de ma fille.

Que vaut l’amitié si elle n’est présente ni au moment des malheurs ni au miment des bonheurs ? Pourquoi est-ce dans ces moments extrêmes de la vie où l’on a le plus besoin d’eux que nos amis nous abandonnent ? Que vaut l’amitié si elle n’est pas pour ces instants-là ? Que vaut la vie si l’amour n’existe pas et si l’amitié est un leurre ?

"Je voyais ma mère tous les jours. Mais je ne voyais plus mes amis. Ceux qui étaient célibataires avaient perdu tout intérêt pour moi. Ils en avaient assez de me voir l'air hagard, ou en train de m'occuper de Léa. (...) Que vaut l'amitié si elle n'est présente ni au moment des malheurs ni au moment des bonheurs? Pourquoi est-ce dans ces moments extrêmes de la vie ou l'on a le plus besoin d'eux que nos amis nous abandonnent? Que vaut l'amitié si elle n'est pas pour ces instants-là? Que vaut la vie si l'amour n'existe pas et si l'amitié est un leurre?"

"Je sais déjà qu'il y a l'avant et l'après. Lui, d'avoir vu ce qu'il n'aurait pas dû voir. Moi, dans la honte de la nudité absolue de l'accouchement. Lui, dans l'horreur de la révélation du mystère de la vie."

"J'avais peur. Je n'avais pas la fibre maternelle. Je n'avais jamais fantasmé d'être enceinte. Je ne l'avais jamais imaginé. Je ne m'étais jamais intéressée aux bébés; quant aux enfants, je ne les aimais pas particulièrement. Tout ce qui avait trait au monde de l'enfance, je le trouvais bête et ennuyeux. Même quand j'étais enfant moi-même, je n'avais qu'une hâte: en sortir le plus vite possible. Comment allais-je faire?"

"Dans un carton, il y avait mes vingt ans et je les regardai sans nostalgie. J'étais alors beaucoup trop angoissée pour être heureuse. J'étais encore un bébé sous la coupe de sa mère. J'écoutais tout ce qu'elle disait, sans regard critique. Je ne faisais aucun choix, dans ma vie qui était sous l'empire de la culpabilité. Sur les photos d'adolescence, je traînais mon mal de vivre. Grosse, avec mes lunettes rondes absurdes je n'osais sourire de peur de montrer mon appareil dentaire. Je ressemblais à un bébé avec des joues et des yeux tristes. A trente ans, comme j'avais changé. J'étais dans une forme olympique, musclée, amincie. Bien maquillée, bien coiffée, bien dans ma peau. La femme qui s'est enfin trouvée, qui savait ce qu'elle voulait et ne voulait pas, qui ne subissait plus sa vie, mais la décidait."

"Le bébé est une invention de la modernité, il a surgi avec les couches et le savon spécial bébé. Il est devenu force économique en même temps que force psychologique. Une femme peut tout à fait s'accomplir sans avoir d'enfant: l'instinct maternel est un mythe moderne."

"Je n'avais plus d'ambition personnelle, je n'en avais plus le temps, ma vie ne m'appartenait plus. Je n'étais plus qu'un creux, un vide, un néant. Désormais, j'étais mère."

"Il y a l'amour des premiers temps, et il y a l'amour de la maturité, celui d'après, celui auquel personne ne songe, et pourtant, l'amour de la première rencontre n'est qu'une niaiserie à côté de l'amour conjugal. On sait bien ce que c'est que d'être amoureux, de vivre dans un monde vaporeux et irréel, transporté par la passion, mais qu'est-ce que vivre avec une femme? Qu'est-ce que prendre femme? Et connaître une femme, après qu'on l'a vue donner naissance à un enfant. Si l'amour, ce n'est que les caresses du commencement, alors l'amour ne m'intéresse pas. Si l'amour dure l'espace d'un baiser, si l'amour meurt, alors cela ne me concerne pas, si l'amour consiste à tomber amoureux, à vivre quelques mois de bonheur absolu, alors cela ne me dit rien d'aimer. Si l'amour c'est aimer plusieurs fois, plusieurs hommes, plusieurs corps, alors je ne veux plus qu'on m'en parle. Si l'amour c'est sentir son coeur palpiter seulement lorsqu'on croit qu'on va perdre son amour, alors cela ne me suffit pas. Et même si l'amour évolue, je veux croire qu'il existe. Sinon il m'importe peu de vivre."

"Tout ce que j'avais appris, loin de m'aider, m'isolait: encerclée par les concepts, j'étais incapable de faire survivre mon couple. J'avais fait toutes ces études, j'avais lu tous ces livres pour rien: pour me retrouver désarconnée devant un petit d'homme. Je savais tout, je connaissais les pages les plus absconses de Hegel, Kant ou Leibniz, mais face à la vie, j'étais démunie. Je n'arrivais pas à savoir la chose la plus élémentaire et la plus importante: comment sauver mon amour?

Je n'arrivais pas à sortir de ma haine, mon désespoir, mon manque, ma rage d'être seule, de ce que notre histoire se termine comme toutes les autres, que notre histoire se termine."