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A l'horizon de cette foule, il n'y avait pas un char visible, pas un seul véhicule militaire. Et pas le moindre hélico dans le ciel brûlant de midi. J'ai murmuré :
- Mais où ils sont ?
- Qui ça? a craché Max
- L'armée. Avant-hier encore...
Ça l'a fait rire. Une de ses incisives était ébréchée, de tout près la peau de son visage se révélait tachetée de vilaines traces rougeâtres, de l’eczéma, ou alors un prurit dû à une hygiène sommaire. Et moi, depuis combien de temps ne m'étais-je pas lavé? Par contagion, je me suis gratté la joue.
- L'armée, c'est nous. C'est toi, c'est moi. Qu'est-ce que tu crois? Que nos braves soldats de métier vont encore risquer un poil de cul pour notre gueule? Les derniers se sont tirés, mon pote.
- Mais où ?
- Est-ce que je sais ? Protéger les endroits stratégiques, je suppose. Les centrales nucléaires, les aéroports, le bunker où se planquent nos élu, s'il en reste. Et à supposer qu'ils n'aient pas eu le cerveau bouffé. Remarque, la différence que ça ferai... Et puis, tu veux que je te dise? Je m'en bats les nuts. On arrivera bien à se démerder tout seuls. Ce ne sont que des morts, après tout !
J'ai eu l'intuition que, dans d'autres circonstances, il aurait pu dire :
- Ce ne sont que des bougnoules, après tout...
Mon mauvais esprit, sans doute.
Afficher en entierJe plaisante. Ou j'essaye. Parce qu'ils ne pensent pas, évidemment. Comment un mort pourrait-il penser ? C'est le cerveau qui fond en premier. Quand on leur ouvre la tête - C'est une chose que j'ai entendu dire avant de le voir à la télé, mais sans l'expérimenter personnellement, cela va de soi - quand on leur fend la tête, on ne découvre qu'une cavité béante, un bol d'os au fond duquel stagne un peu de liquide gluant. Ou seulement un rien de poudre friable. Parce que le cerveau, c'est du moins ce qu'on a cru pendant quelque temps, ne se reforme jamais.
Afficher en entierD'abord à peine visible, une ombre qui flotte, une silhouette de brume suspendue dans l'air. Mais, vite, en quelques minutes le plus souvent, on le voit se condenser. On le voit reprendre chair, ou un semblant de chair racornie, accrochée à l'armature de son squelette reformé. Les plus récents portent encore des vêtements à divers degrés de décrépitude ou de loques. Les anciens, cent ans ou plus, bien plus parfois, vont nus : écorchés couleur de bois mort, ils s'ébranlent pesamment, étonnés semble-t-il de cette nouvelle position verticale à laquelle ils ne sont plus habitués.
Afficher en entierIls sortent de partout, maintenant. Pas seulement de la terre des cimetières, mais tout aussi bien d'un vieux mur de pierre, d'un tumulus, de la paroi d'un bâtiment qu'on voit se gondoler, se craqueler, avant de libérer ce qu'il contenait : une substance éthérée, demeurée longtemps, très longtemps dans le calcaire, le granit, l'humus, et transportée avec sa gaine minérale devenue remblai, terrassement, brique, mortier, ciment ayant servi à élever un bâtiment. Ils sortent. Une portion de mur qui devient floue, un papier peint qui se boursouffle, un pan de béton qui pèle soudain, un coin de butte qui s'effrite - et en voilà un de plus qui paraît. Un de plus qui s'est… libéré.
Afficher en entierDécapiter un mort, c'est couper une fleur desséchée, rien de plus. Alors pourquoi se gêner ? Surtout si on y prend un certain plaisir...
Afficher en entierNous sommes heureux. Enfin je crois - et à condition de faire abstraction des malheurs du monde. Mais ça, on y arrive assez bien, la plupart du temps.
Afficher en entierJe suis bien placé pour savoir que les morts ne s'en vont jamais tout à fait, qu'ils ne sont jamais bien loin. On marche dessus, pour ainsi dire.
Afficher en entierDes morts, il y en a partout. Les guerres en ont laissé des tombereaux à diverses profondeurs sous les champs, les forêts, les villes.
Afficher en entierIl y a plus de morts que de rats, ou même de fourmis.
Afficher en entierQuelle preuve avons-nous de la réalité de la création de l'univers ? Simplement que nous existons.
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