Contes et légendes d'île-de-France

SUR les trois échines de trois bourricots, elles sont trois paysannes, chacune assise à croupetons au milieu du dos de sa bête, et chacune aussi ayant, en pendant sur le flanc gauche de la selle, deux grands paniers de vannerie remplis à craquer.

Car ces trois paysannes vont au marché de Montargis, et sont parties de leurs trois fermes dès potron-minet afin d’arriver juste à l’ouverture des ventes et profiter du peu de concurrence, vu l’heure matinale, et du désir qu’ont les citadins de faire leurs provisions avec plus de tranquillité.

Or, par chance, elles ne sont point rivales, chacune ayant son chargement particulier : beurre, œufs, laitages et fromages pour l’aînée, la plus riche, maîtresse Haude, de la ferme des Trois-Épis, qui porte allègrement une robuste trentaine pleinement épanouie ; légumes variés pour la plus jeune, Aline, la fille aînée de la ferme des Douillettes, dans toute la fleur de ses dix-huit ans, dont les yeux bleus clairs sont grands ouverts et actifs pour la chasse au mari que la bachelette espère bien voir un jour sur sa route et conquérir par la grâce de ses jeunes charmes ; cargaison bruyante et caquetante de poulets et canards, fort protestataires contre leur internement et transport en captivité, pour la toute jeune épousée de vingt-quatre ans, Gervaise, de la ferme des Peupliers.

Trio de beautés rustiques et fort différentes, si différentes en tout que ces amies intimes n’ont jamais motifs ni de se jalouser, ni de se contredire en rien : la première brune, la deuxième blonde et la troisième rousse. La marchande d’œufs n’enlèvera pas de clients à la vendeuse de légumes, qui n’ôtera pas un amateur à la chalande de volailles. Bien au contraire, elles ont pris coutume de s’installer côte à côte au marché, de manière à se passer mutuellement, de l’une à l’autre, les citadines, qui trouvent ainsi à faire leurs acquisitions diverses en quatre pas.