Extraits

Le salon était plongé dans la pénombre, ses rideaux toujours tirés, mais des rires, des bavardages et une vive lumière matinale se déversaient par l'arche ouverte qui donne sur la cuisine. C'était un murmure joyeux, pas comme celui qu'on entend dans les soirées où tout le monde se donne du mal pour trouver des sujets de conversation et prendre du bon temps. Non, ces gens-là se connaissaient, s'appréciaient et avaient des choses à se dire.

Je posai mes sacs près de la porte. Une odeur de bacon et de pain en train de cuire flottait dans l'air.

Je fléchis légèrement les genoux pour renforcer mon équilibre avant de répondre par l'affirmative. Le monte-charge s'ébranla tel un navire qui s'éloigne du quai, faisant flageoler les jambes de ses passagers. Passée la secousse initiale, il descendit sans à-coups.

— La plupart des gens ne regardent pas vers le haut, fit remarquer le blondinet.

—La fille voulait devenir l'une d'entre nous.

—Elle avait changé d'avis, contrai-je.

La grand-mère secoua obstinément la tête.

—On ne peut pas revenir en arrière.

—C'est l'argument des types qui violent une fille avec qui ils avaient rendez-vous : « Elle avait accepté de sortir avec moi, donc, il était trop tard pour qu'elle refuse de coucher. »

Asher s'avança vers nous, et la lumière du couloir parut se prendre dans la masse dorée de ses cheveux. Il portait une robe de chambre que je connnaissais, une robe de chambre dorée presque intégralement brodée de bleu et d'argent. Seule la bordure en fourrure pale était dépourvue de motifs. Mais bon, j'imagine que ça ne se fait pas de décorer la décoration.

Un silence pesant s'installa dans la pièce après leur départ. J'ignore ce que j'aurais fini par dire si mon téléphone n'avait pas sonné à ce moment-là. Et, oui, je me précipitai pour le ramasser, mais je l'avais posé avec mes armes au pied du lit, ce qui signifiait que j'avais des kilomètres de satin noir à traverser pour l'atteindre. Asher se pencha pour le prendre et me le tendit. J'appuyai sur l'écran tactile.

Jean-Claude m'envoya des souvenirs de Belle Morte chevauchant le corps d'un homme. Elle brillait presque de l'intérieur ; sa peau n'était plus pâle comme celle d'une vampire, mais presque rosissante comme celle d'une humaine tant elle avait absorbé d'énergie. Sous elle, en revanche, son partenaire était livide.

Alors, je sus que Jean-Claude la revoyait en train de tuer une de ses Fiancées. Et je sus aussi qu'Asher et lui se dirigeaient vers nous. Mais ça ne servirait à rien : Jean-Claude n'avait pas la moindre idée de la façon dont nous pourrions sauver Nicky.

Je perçus un vampire à l'intérieur de la maison, mais comme je ne l'avais jamais rencontré, je n'aurais pas pu jurer que c'était bien celui que nous recherchions-je devais me fier à ce que me disaient mes collègues, et au fait que le lieutenant Lincoln venait juste de lui parler au téléphone. Je devais croire que nos informations étaient bonnes, parce que même si ce n'était pas moi qui allais presser la détente, le mandat d'exécution portait mon nom, et c'était ma présence ici, en tant que marshal fédéral de la branche surnaturelle, qui donnait le feu vert aux S WAT pour abattre Keith Bores.

Les deux agents qui encadraient la prisonnière regardaient droit devant eux, leur épingle de cravate en forme de croix bien visible. Dès que nous avons des raisons tangibles de craindre pour notre vie (par exemple, quand des collègues se sont déjà fait tuer par les gens que nous cherchons), nous avons le droit de porter nos objets saints de façon ostensible sans que ce soit considéré comme une tentative d'intimidation.

Mais je n'étais pas sûre que ce soit vrai. En fait, j'étais sûre du contraire. J'ai de l'affection pour Cynric, mais je ne l'aime pas de la même façon que j'aime Jean-Claude, ou Micah, ou Nathaniel, ou... Pourtant, je prononçai les mots qu'il attendait. Quand quelqu'un vous dit qu'il vous aime, vous êtes censé lui répondre pareillement. Ou peut-être suis-je simplement trop lâche pour garder un silence éloquent. Bref.

En parlant, je relâchai ma concentration sur l'étincelle de la fille et je dus fermer les yeux un moment pour l'alimenter de nouveau jusqu'à lui rendre son éclat. Les paupières closes, je percevais mieux celle de l'homme. Elle brûlait avec plus de force, comme si elle se nourrissait toute seule. De tous les vampires, il était sans doute le moins grièvement blessé.

—Foutez-moi la paix, cracha-t-il.

Je rouvris les yeux et vis de la peur sur son visage.