Comment devenir un génie ?

Pour combler la faille creusée par le dualisme entre l'homme et le monde, Chazal entreprend de multiplier les retournements et de construire des ponts par le moyen d'une «science unique d'ordre poétique», d'un «sixième sens de nature plastique», qui révèlent le tissage serré des correspondances universelles. Le monde apparaît alors comme un immense temple d'analogies dont l'homme est le pilier, car il est «le principe magique en soi dont les déclinaisons donnent les formes de la vie à l'infini». Ce que reprend cette formule superbe : «L'homme est l'universel pilier de l'universelle nature.»

Chazal pousse à la limite le système des correspondances et des synesthésies, qui a été le grand ressort poétique du XIXe siècle. Il saisit le jeu infini des correspondances en accueillant la sensation dans sa nudité, dans son essence intuitive, dans le plus concret de sa saveur, et il en impose la fulguration par l'évidence impérieuse de sa parole, par la netteté de ses définitions, par l'humour saisissant de ses formules, dont il justifie ainsi l'usage prophylactique : «Le rire est le meilleur désinfectant du foie. Ivrogne gai coupe la chopine en deux.» Ce goût des images illuminantes, des métaphores révélatoires, Chazal l'a sans doute hérité de sa familiarité avec la langue créole, qu'il n'hésite pas à pratiquer dans certains de ses articles. Il a souvent affirmé la fécondité poétique de cette langue. Dans le bref texte polémique, «Climat», placé comme en préface à Petrusmok, il condamne F «enfer tropical», qu'est l'île Maurice, où l'on «cultive la canne à sucre et les préjugés», mais il sauve le créole de cette déréliction : «Le langage du noir [= le créole] y est allégorique, délicieusement symbolique, analogique et illuminé et son folklore est sans prix.» Si l'on y prend garde, les adjectifs qu'il utilise pour définir les vertus du créole («allégorique», «symbolique», «analogique», «illuminé») sont exactement ceux que choisissent les commentateurs pour qualifier la démarche de Chazal. Le créole est la langue qui, par excellence, exalte les correspondances entre l'Homme et l'Univers. Dans le «folklore» créole mauricien, il est un genre qui a dû beaucoup retenir l'attention de Chazal : ce sont les sirandanes, devinettes fondées sur la mise en valeur de belles métaphores. Beaucoup de «pensées» de Chazal ressemblent à des sirandanes, sauf qu'elles prennent une forme assertive et non interrogative. Chazal donne immédiatement la réponse («Le nuage est un parapluie d'eau, que baleine le vent» ; «La bouche est l'anagramme des yeux ; et les yeux, celui de la bouche»), mais la question est simplement renvoyée un plus loin, par le symbolisme suspendu de ces formules.