Commentaire de Cameron10

Cette lecture a été très originale et intéressante à plusieurs niveaux. Tout d'abord, j'ai adoré le concept de télé-réalité avec des criminels condamnés à mort qui s'affrontent pour être graciés. Le jeu étant mené par une Voix de l'Ombre, difficile de louper le clin d'œil à Secret Story mais aussi la critique sous-jacente de ce type d'émission et de ses dérives. L'engouement massif du public est parfaitement plausible, que ce soit leur passion pour les tourments des captifs ou pour les prisonniers eux-mêmes ; après tout, de nombreuses personnes de nos jours sont obsédées par des personnalités qu'elles connaissent uniquement via leur écran et qui véhiculent des modèles de stupidité, de dépravation et de chirurgie esthétique bien douteux. Alors de là à imaginer une fascination semblable pour des psychopathes, il n'y a qu'un pas et il est vite franchi. D'ailleurs, le lecteur lui-même ne tombe-t-il pas dans le piège puisqu'il fait preuve lui aussi d'une obsession morbide en appréciant la lecture de ce roman narré par un tueur en série ?

En effet, John, personnage principal et narrateur à la première personne, est un tueur en série sociopathe, misogyne et sadique. Et il l'assume totalement, allant jusqu'à nous révéler ses crimes passés et nous confier ses pulsions meurtrières. Ajoutons à cela un égo surdimensionné, une condescendance et un mépris constant ainsi que des tendances mégalomaniaques, et il est clair que nous avons affaire au summum de l'anti-héros dans toute sa splendeur. Sauf que John, ancien psychiatre, est parfaitement lucide et maître dans l'art de manipuler son entourage et montrer uniquement ce qu'il désire. Ainsi, même le lecteur qui - contrairement aux téléspectateurs fictifs - a accès à ses plus noires pensées développe une forme de sympathie pour ce personnage d'une intelligence extrême, capable de discernement et d'une franchise désarmante dans son auto-analyse. J'y ai vu un certain écho à un épisode de Black Mirror où l'on s'attache à une jeune femme amnésique persécutée qui est en réalité un monstre.

Néanmoins, John a des failles et c'est peut-être pour cette raison qu'il est si facile d'éprouver une certaine empathie pour lui (sans aller jusqu'à l'attachement tout de même). Persuadé d'être supérieur à tous et de cerner ses compagnons grâce à ses talents de psychiatre, il se fait pourtant duper à plusieurs reprises et se retrouve peu à peu à la merci de ce jeu plus machiavélique que lui. Ce qui donne envie de le voir s'en sortir alors qu'objectivement il vaudrait mieux qu'il retourne dans le couloir de la mort. Et même dans la dernière ligne droite, lorsqu'une révélation inattendue vient semer le doute sur la lucidité du personnage, je n'ai pu m'empêcher de le croire jusqu'à la fin... alors que toutes les réponses sont à portée de main et plutôt évidentes lorsqu'on est plongé dans la tête d'un psychiatre qui passe son temps à analyser la psychologie meurtrière de ses comparses ! Seulement, le personnage est tellement charismatique et transparent qu'on a envie de croire tout ce qu'il nous dit.

En parlant de révélations, si j'ai été prise au dépourvu par les épreuves du sang de John et Aileen, en revanche, j'ai vu venir l'identité de la Voix ainsi que la duperie mais je n'en ai pas été trop déçue car d'une part j'étais plutôt satisfaite que les choses se soient déroulées ainsi, d'autre part ce n'était pas le point d'intérêt principal du roman - plutôt sa dimension psychologique et critique. Mon véritable regret est que le côté fantastique n'ait pas été davantage travaillé, l'autrice ayant fait le choix d'amorcer cet aspect mais sans en jouer jusqu'au bout ; d'ailleurs, certaines choses de ce côté restent inexpliquées. Cela contribue tout de même à instaurer une atmosphère oppressante et angoissante dans ce décor en huis clos digne d'un film d'horreur, ce qui ne pouvait que me plaire. J'ai donc beaucoup aimé ce livre et l'expérience de lecture assez inédite qu'il propose.