Commentaires de livres faits par Fluti
Extraits de livres par Fluti
Commentaires de livres appréciés par Fluti
Extraits de livres appréciés par Fluti
Elle n’arrive toujours pas à l’appeler « Marion ». On lui a dit que ça viendrait, que c’était normal avec le premier, ça fait toujours drôle, il faut du temps pour s’habituer…
Elle ne sortait pas avec elle. Elle la laissait dans son couffin et elle partait en ville, toute seule. Les commerçants continuaient de lui demander « c’est pour quand ? », et elle jouait le jeu. Elle reculait la date. On lui accordait encore des faveurs. Elle ne faisait toujours pas la queue chez le boucher.
Se pouvait-elle qu’elle l’ait oubliée ?
Le vertige qui s’était emparé de Marion dans les jours qui avaient suivi son arrivée recommençait de plus belle. Elle sentait son corps se vider d’un coup, et se tenait à l’écart pour que personne ne remarque qu’elle tremblait ou claquait des dents. Elle savait qu’on ne pouvait rien attendre de bon de la part des enfants gâtés. Elle devait taire sa douleur. Elle ne devait pas dire que sa mère lui manquait. Et encore moins qu’elle l’avait oubliée. Ça la protégeait des moqueries et ça protégeait sa mère qu’on aurait vite fait de prendre pour une folle – fallait-il être folle pour oublier d’écrire à sa fille !
— « Christine » c’est pour les autres. Elle, elle veut qu’on l’appelle comme ça parce qu’elle dit qu’on l’a toujours appelée comme ça dans sa vie. « Maman », elle dit que c’est tout nouveau pour elle. En plus, on n’est que deux à l’appeler comme ça, c’est tout, alors ça lui fait bizarre de changer de nom, elle dit qu’elle a pas l’habitude.
— Moi j’aimerais bien être une maman pour qu’on m’appelle « maman »…
— Oui, mais elle, elle dit qu’une maman ça s’appelle toujours « maman » et que c’est pas bien original. Quand on dit « Maman ! » dans la rue, tout le monde se retourne !
Bon chien Cerberus à troys testes...
De moy, pauvre, je veuil parler....
Cette petite fille a cinq ans ; de quelques pas, elle vient de s'écarter de ses parents qui bavardent, assis dans le cabinet de travail, sa pièce préférée dans la demeure familiale. Pendant que sa mère fabrique elle-même les chaussures que porteront ses cinq enfants et que son père s'offre un moment de détente après sa dure journée d'enseignant au lycée de la rue Nowolipki, l'enfant s'approche d'une grande armoire vitrée. Sur les étagères sont disposés des instruments étranges, beaux mystérieusement, des instruments de verre ou de cuivre, de bois dense et vernis, qui étincellent. Un jour que son père l'avait surprise dans cette contemplation, il lui avait expliqué, négligemment :
- Ce sont des appareils de physique...
Le mot, pour elle, est resté obscur. Mais pas l'attrait irrésistible de ces objets porteurs d'une puissance encore indéfinie, celle de la Science, qui allait faire la vocation de toute sa vie. Cette vocation, comme le don accordé par les fées, Marya Sklodowska l'a trouvée dans son berceau à Varsovie où elle naît en 1867, la dernière d'une famille nombreuse.
À l'époque, chez les Sklodowski, on l'appelle Mania. Son père, Wladyslaw Sklodowski, est professeur de physique et sous-inspecteur d'un lycée où il bénéficie d'un logement de fonction. Sa mère, issue d'une famille de petite noblesse ruinée, a dirigé une institution religieuse. Elle a été professeur, elle aussi, musicienne à ses heures ; elle est tendre et très pieuse. Mais la tuberculose* qui l'affaiblit progressivement jette une menace perpétuelle sur la gaieté de la tribu. Par crainte de la contagion, elle s'interdit d'embrasser ses enfants, et la prière du soir s'accompagne toujours de ces mots : «Mon Dieu, rendez la santé à notre mère.» Un voeu qui ne sera pas exaucé. Seul survivra le souvenir du courage souriant de cette mère.