Extraits

Le vent a bien bastonné cette nuit. Les volets et les fenêtres, tout tremblait. Ça sifflait par la cheminée. On entendait la mer comme si on était dans son ventre. Pour un peu je ne serais pas étonné de trouver des paquets d'écume sur le sol du salon.

Il a fallu s'y résoudre d'une manière ou l'autre. S'accommoder à l'idée que même si nous étions détruits, morts à l'intérieur, la Terre ne s'était pas arrêtée de tourner pour autant, tout ne s'était pas effondré autour de nous. Que nous n'avions pas été immédiatement réduits en poussière et propulsés dans le noir infini de l'univers. Qu'il nous fallait continuer à respirer malgré tout. Nous nourrir. Nous lever le matin. Survivre. Jour après jour.

Les vagues sont hautes ce soir. Elles me frappent, me rouent de coups, s'abattent sur moi avec toute la brutalité nécessaire. A cet instant c'est exactement ce que j'attends d'elles. Qu'elles m'assomment. Me foutent la tête sous l'eau. Me passent au Kärcher. Me nettoient de fond en comble. Et finissent par m'effacer tout à fait. Remis à neuf, essoré, liquidé.

Elle avait laissé à Paris tous ses amis, peut-être même son mec, si elle en avait un. Sans compter sa petite vie, qu'elle aimait par-dessus tout. Son lycée. Les cafés, les cinés, les concerts, ses librairies préférées, ses boutiques favorites. Bref, Léa était furieuse et aussi longtemps qu'elle a été parmi nous elle n'a pas cessé de tirer la gueule, ses écouteurs dans les oreilles en permanence, de parler aux parents comme à des chiens, de s'enfermer dans sa chambre et de passer son temps rivée à son portable et à ses anciennes copines via WhatsApp. A l'entendre, les parents avaient gâché sa vie.

Elle était ma mère, après tout. Elle lisait en moi comme dans un livre. Du moins c’est ce qu’elle aimait croire et dire.

Il a fallu s'y résoudre d'une manière ou l'autre. S'accommoder à l'idée que même si vous étions détruits, morts à l'intérieur, la Terre ne s'était pas arrêtée de tourner pour autant, tout ne s'était pas effondré autour de nous. Que nous n'avions pas été immédiatement réduits en poussière et propulsés dans le noir infini de l'univers. Qu'il nous fallait continuer à respirer malgré tout. Nous nourrir. Nous lever le matin. Survivre. Jour après jour.

Jeff répétait qu'il était désolé, qu'il ne comprenait pas ce qui s'était passé. Il avait pris un verre avec la fille, il s'étaient embrassés, elle lui avait laissé son numéro puis il s'était frayé un chemin dans la foule pour retrouver leurs places aux premiers rangs du concert. Mais Léa n'y était plus. Il avait tellement paniqué que la fille s'était tirée. Elle n'avait pas envie d'être mêlée à ça. S'était rendue compte illico qu'elle avait pioché le mauvais numéro. Comme tant d'autres avant elle, parce qu'il était beau comme un ange, qu'il dansait comme un dieu, qu'il avait cet air innocent et doux, cette lumière dans les yeux, ce truc magnétique qui vous happait. Seulement derrière, dès qu'on grattait la surface, ce qu'on voyait apparaître c'était un type rongé de l'intérieur, en vrac total.

Mes parents ne trouvent pas ça normal. Que j’extériorise si peu. Que je me contente d’être un genre de zombie, comme shooté en permanence. Mais, normal, je ne vois pas ce qui peut l’être vu ce qu’est devenue notre vie.

Je garde les miens ouverts,à veiller sur le sommeil de ma sœur.Ma grande sœur perdue puis retrouvée ,terrorisée, brisée, honteuse,rongée de culpabilité et de colère,ma grande sœur amoureuse qui voit des ombres menaçantes partout dans la nuit.

Je lui demande si ça va même si, depuis la disparition de Léa, cette question n'a plus le moindre sens. On crève tous la bouche ouverte. Et j'ai vécu des pures scènes d'horreur. J'ai vu mes parents dans des états de douleur, de détresse, de chagrin et de peur indescriptibles. Je les ai vu hurler, pleurer, se cogner la tête contre les murs, devenir complètement hystériques ou au contraire tout à fait amorphes. Je les ai vu détruits. En pièces.