Extraits

Baptiste n’est plus là et c’est définitif.

Elle pense à Léon. Maman danse comme une pauvre folle au fond d’une cave au beau milieu de la nuit. Elle se giflerait.

Alors, elle se lève, en furie, récupère sa veste et son sac aux vestiaires, sort en trombe de la boîte comme on remonte à la surface pour respirer.

Quitte à sombrer dans l’insomnie, autant sortir de cette cage de solitude et danser, danser, danser.

Pour Lola, plus rien ne compte. Juste cette frénésie à mimer son mal-être, ici et maintenant. Là, sur la piste de danse, comme si plus rien n’existait, juste l’urgence chevillée au corps.

Le nœud dans son ventre semble se faire la malle

La drôle de fille qui lui fait face ne semble pas vouloir s’arrêter de sourire. Appuyée nonchalamment au chambranle de la porte, elle donne l’impression d’attendre justement que Martine sorte ce qu’elle a sur le cœur. La vieille dame décide donc de ne pas se priver. Ça lui servira de répétition lorsqu’elle aura l’occasion de dire ses quatre vérités à la principale intéressée.

Il n’y en pas trente-six dans l’immeuble. Non, mais vraiment, quelle saleté !

Cette fille est un poison. Qui risque de s’étendre sur tous les habitants des lieux si on n’y prend pas garde.

En plus d’avoir la cuisse légère, car c’est bien de ça qu’il est question, la nouvelle habitante met la tranquillité des habitants en danger en faisant venir des psychopathes en puissance au sein de leur quartier tranquille. De potentiels détraqués qu’elle laisse aller et venir à deux pas de sa porte d’entrée.

Martine bouillonne de colère et d’indignation. Hélas, pour le moment, elle ne peut que ronger son frein, car elle sait que la coupable est absente. La matinée est entamée et elle est déjà partie travailler en tirant son bruyant gamin par la main. Ils sont toujours en retard, ces deux-là. Comme si elle ne pouvait pas mettre le réveil quinze minutes plus tôt…

Lorsque Clarisse sonne à l’interphone, Lola est en train de se nourrir de pâtes crues.

Elle s’est lamentablement vautrée sur le canapé du salon, le paquet de coquillettes entre les mains, et les avale comme du pop-corn devant une téléréalité inepte.

Elle contemple sans les voir un type bodybuildé, bronzage parfait et dents blanches presque surnaturelles, qui déclare sa flamme à une nana dont le postérieur semble défier les lois de la gravité, en ponctuant chacune de ses phrases par un « frère » tonitruant. Lola est en train de se demander comment la nana à l’écran peut avoir un fessier aussi disproportionné et faire une taille 36 en même temps. Et surtout, comment peut-elle réellement s’appeler Chamina ?

« Mais frère, je t’aime, Chamina, C’est ça que tu comprends pas. Et je n’ai couché avec ta sœur que parce qu’elle me faisait pitié, frère… »

— Papa a pensé à mettre tes lunettes dans le cartable ?

Elle s’était adressée à Léon pour la forme. À l’expression du visage de Baptiste, elle a compris que non, il n’y avait évidemment pas pensé. Il ne fallait pas qu’elle soit mesquine. Elle ne devait pas laisser paraître son agacement grandissant. Honteusement, elle voulait se montrer sous son meilleur jour à son ex, comme pour lui faire regretter d’avoir renoncé à mourir auprès d’une femme aussi compréhensive et détendue qu’elle. Piètre victoire d’un ego en lambeaux.

Ils repartent souvent dépités qu’elle n’ait même pas jeté un coup d’œil à leurs reliques. Les plus intrépides se permettent même une réflexion sur l’utilité d’afficher sur la devanture « achat » alors même qu’elle semble bien n’en avoir rien à faire. En une phrase bien placée, Martine arrive à chaque fois à refroidir leurs velléités de rébellion et les invite, d’un ton glacial, à vite débarrasser le plancher. S’ils ne sont pas contents, ils n’ont qu’à aller se faire cuire un œuf chez Joué Club.

Y a pas à dire, elle sait y faire pour une bonne publicité, Martine.

Paul-Henry est toujours tiré à quatre épingles. Toujours bien mis.

Plus personne n’utilise cette expression, il le sait, et pourtant elle lui reste en mémoire. C’est ce que sa défunte mère lui répétait en permanence depuis sa plus tendre enfance.

— Un homme doit être bien mis, Paul-Henry. Nous ne sommes pas des animaux. Et quelqu’un de notre statut se doit d’être toujours bien mis.

Paul-Henry est chic. Chic et choc.

Quand elle était petite fille, il était entré dans sa vie, à pas de loup, sans s’imposer. Il ne voulait pas déranger. Il ne voulait pas forcer les portes. Avec délicatesse, il avait franchi les différents paliers qui menaient vers l’enfant secrète qu’elle était alors. Il s’était intéressé à elle, non pas comme la plupart des adultes, avec un but en tête. Non, Max avait pris le temps de l’apprivoiser. D’apprendre qui elle était. Sans chercher à être apprécié à tout prix. Jusqu’à ce que, jour après jour, il lui devienne indispensable.

Le premier con venu, anobli de quatre ou cinq abonnés, se voit doté d’une parole, d’une légitimité venue de nulle part qui lui donne le droit de claironner son petit avis sur tous les toits, comme un gamin qui fait un caprice mais que personne n’écoute. Une sorte de brouhaha ininterrompu où chacun tente de tirer la couverture à soi.

Une chose en particulier qui la fascine au plus haut point, c’est la régularité avec laquelle la mort rend les gens formidables. Toutes ces nécrologies de stars oubliées depuis des lustres qui reprennent vie aux yeux de la Toile, le jour de leur mort. Du jour au lendemain, les voilà qui manquent à la Terre entière alors que de leur vivant, elles n’intéressaient plus personne depuis des décennies.