Les Poussières d'Arcadia (Intégrale)

Lancé à pleine vitesse, l’hovercraft fonçait droit sur la falaise. Il allait la percuter de plein fouet. Instinctivement, Noura ferma les yeux à l’approche de la paroi rocheuse. Elle le savait, le mur ensorcelé allait se changer en poussière au contact de l’appareil. Mais le savoir n’y changeait rien ; l’esprit humain, en alerte maximale, ne parvenait qu’à la conclusion d’une inévitable collision. Cette conduite tenait plus du suicide frontal que de l’attitude raisonnable et mesurée que l’on aurait pu attendre de la jeune femme. L’espace d’une demi-seconde, elle s’interrogea même sur l’existence d’airbags dans pareil véhicule… Puis, les sables de Mars se mirent à voler tout autour d’eux. Le tourbillon s’enroula et enveloppa l’hovercraft dans un drap de ténèbres rougeoyantes.

Ils étaient arrivés dans la cave…

Elle coupa les gaz, éteignit toutes les commandes et se tourna vers son camarade évanoui, inquiète. Derrière chaque regard qu’elle lui adressait transpirait la peur de le découvrir mort. Le petit moniteur s’affichant sur le brassard de Se Yong demeurait pourtant au vert. Les fonctions vitales étaient certes tenues en échec. A l’intérieur, chaque cellule de l’homme menait une bataille pour voir le soleil se lever une nouvelle fois. Mais la vie, même diminuée, affaiblie et meurtrie, coulait encore dans ses veines… Cela suffisait à Noura.

Elle mit un pied à terre et chercha la poignée de la portière arrière dans la pénombre. Elle l’ouvrit et saisit le chinois à bras le corps pour l’extraire du véhicule. L’homme glissa, sans même tenter de se rattraper, et tomba lourdement au sol. Devant sa maladresse, Noura jura, s’en voulut mais ne tergiversa pas. Il n’y avait plus une seconde à perdre. Il fallait atteindre les hippocampes au plus vite. Alors, elle l’empoigna à deux mains par le col et le traina comme un vulgaire poids mort. Heureusement, la faible gravité sur Mars atténuait ses efforts.

— On y est presque, souffla-t-elle dans son casque. On y est presque. Tiens bon.

Se Yong ne montra aucune réaction et son teint fantomatique ne présageait rien de bon pour les minutes à venir. Mais quelque part, sous son plastron, le cœur continuait de cogner. Il était encore un peu avec elle.

Réfléchir, vite… Décider, seule... Et choisir, sans se tromper…

Sous la pression, les pensées de la jeune femme s’emballaient, s’embrouillaient. Sa capacité de raisonnement était momentanément oblitérée.

Réfléchir. Décider. Choisir…

Elle repoussait les limites du temps, elle en avait conscience. Même si chaque hypothèse, chaque idée et chaque chemin envisagé étaient concentrés en une fraction de seconde compressée, cela restait une fraction de seconde de perdue. Pour Se Yong. Mais aussi pour ses amis pris en otages...

Devant elle, il y avait le mur d’hippocampes. Certains scintillaient, d’autres, non. Elle reconnut – ou du moins, devina – ceux qui avait été utilisés ; les gris, les faiblards, les racornis, les recroquevillés… Il y en avait déjà beaucoup. Mais ce n’était rien comparé aux constellations de créatures qui tapissaient la cavité où elle se tenait et les couloirs annexes. Guidée par une intuition larvée au fond de son estomac, plus que par son sens logique, elle s’engouffra finalement dans l’un des boyaux qui débouchait sur une seconde chambre. Si le choix lui avait d’abord semblé aléatoire, il s’avéra être gagnant. Un rien prise dans son élan, elle manqua de s’entraver dans une forme allongée au sol. Une chrysalide…