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À l’époque dont nous parlons il se trouvait également au monastère de Mariabronn deux figures originales : un vieillard et un jeune homme… Parmi la foule des frères qui remplissaient les promenoirs, les chapelles et les salles de classe, il en était deux dont tous connaissaient l’existence et vers qui tous tournaient leurs regards. Il y avait l’abbé Daniel, le vieillard, et l’élève Narcisse, le jeune homme qui venait de commencer son noviciat et que, contrairement à toutes les traditions, en raison de ses dons exceptionnels, on employait déjà comme professeur, surtout en grec. De tous deux, l’abbé et le novice, on faisait grand cas dans la maison, on les observait, ils suscitaient la curiosité, l’admiration, l’envie – et on en médisait aussi en secret.
Afficher en entierDevant l’arc en plein cintre supporté par des colonnes doubles qui donne accès au couvent de Mariabronn, un châtaignier, fils esseulé du Midi, apporté là jadis par un pèlerin revenu de Rome, dressait tout au bord du chemin son tronc puissant. Sa couronne arrondie s’étendait au-dessus de la route en un geste de tendresse et respirait dans le vent comme une poitrine qui s’enfle. Au printemps, alors que tout, autour de lui, était déjà verdoyant et que les noyers du cloître avaient eux-mêmes revêtu leur jeune feuillage rougeâtre, ses feuilles se faisaient attendre longtemps encore. Puis, à l’époque des nuits les plus courtes, il dressait hors des touffes de feuilles, comme de pâles rayons blancs et verts, son étrange floraison. À ses senteurs âcres et fortes les souvenirs se levaient, les coeurs se serraient. En octobre, la cueillette des fruits et la vendange étaient déjà terminées quand, de sa couronne jaunissante, tombaient dans le vent d’automne ses châtaignes hérissées de piquants qui ne mûrissaient pas chaque année. Les gamins du couvent se battaient pour les ramasser et l’adjoint du prieur, le père Grégoire, originaire du pays latin, les faisait griller au feu de sa cheminée. Au-dessus de l’entrée du monastère il laissait lentement onduler sa ramure, le bel arbre étranger au coeur plein de tendresse, cet hôte un peu frileux venu d’un autre climat, que des liens mystérieux apparentaient aux sveltes colonnettes de grès accouplées au portail, à la parure fleurissant aux cintres des fenêtres, aux corniches et aux piliers ; chéri des Français et des Latins, cet étranger que les gens du pays considéraient bouche bée.
Afficher en entierEt il y a encore une chose qui m'a frappée, je l'ai découverte une nuit où je devais me rendre utile auprès d'une femme en couches : c'est que la suprême douleur et la suprême volupté s'expriment tout à fait de la même manière.
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