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Pour avoir nos soins, déjeuner, changer de chaîne, se lever, s'habiller, se coucher, couper la viande, se servir de l'eau, attraper un truc dans le placard, fumer, on doit attendre notre tour.
Quand tu n'es pas autonome, tu passes plus de temps à attendre qu'à faire les choses.
Un bon patient sait patienter.
Afficher en entier"Plus jamais dorénavant je ne jugerai une personne handicapée à la vue seule de son physique."
Afficher en entier"Quand tu es dépendant des autres pour le moindre geste, il faut être pote avec la grande aiguille de l'horloge. La patience est un art qui s'apprend patiemment."
Afficher en entierJe suis dans un très bon cycle, motivant, avec des progrès visibles. Ce qui n'est pas du tout le cas d'Eddy. Ça rend la cohabitation difficile, je me sens presque coupable d'avoir la chance d’être debout. Comme nous n'avons pas les mêmes horaires de rééducation, on ne se croise jamais en salle de kiné et il ne sait pas que je commence à marcher. Je n'ose pas le lui dire et ne remonte jamais les béquilles dans la chambre. Il a fini par l'apprendre un jour en captant une discussion entre Farid et moi. Sa seule question a été : " On t'a donné des béquilles ?"
Je lui ai répondu que oui et plus jamais on n'a abordé le sujet.
Comment partager ça avec lui ? Eddy traverse une période abominable. En plus de ne bénéficier d'aucune amélioration physique, il a chopé une eschare aux fesses. Il est donc alité en permanence sur le ventre ou, au mieux, sur le coté. Mais, à force de ne pas bouger et malgré les piqûres d'anticoagulants, il a en plus hérité d'une phlébite à la jambe, c'est-à-dire un caillot de sang qui peut s'avérer très dangereux s'il se déplace et se rapproche des poumons. C'est la "totale", la galerie complète des galères d'une personne paralysée. Moralement, Eddy est au bout du rouleau, il a même demandé à sa copine de ne plus amener leur enfant.
Une fin d'après-midi, je rentre dans notre chambre après une séance de kiné, Eddy est à plat ventre sur un brancard à coté de son lit, il commence à faire sombre dehors, et la chambre n'est éclairée que par la lumière de la télévision. Evidemment, Eddy ne la regarde pas, il a la tête dans les bras et son gros bombers posé sur le dos. Il ne dort pas. Pour la première fois, je l'entends pleurer.
J'essaie une minute de me mettre à sa place : une obligation de rester sur le ventre nuit et jour, une interdiction de s'asseoir, une eschare, une phlébite, une tétraplégie presque totale avec pas la moindre chance à l'horizon de retrouver une once de mobilité, une incapacité à s'occuper de son fils qui, lui, grandit à vue d’œil.
Je pense que jamais je n'ai côtoyé d'aussi près une tristesse si profonde et une situation si désespérée.
Eddy m'a forcément entendu rentrer mais je n'ai pas osé allumer la lumière, je n'ai pas touché à la télé ni tenté la moindre phrase de réconfort. Il n'existe aucune phrase refuge à la hauteur de sa peine.
Il n'y a rien, ce soir, pour le consoler.
Afficher en entierPersonne dans ce bateau ne sait vraiment quand ce voyage s'arrêtera et jusqu'où il va nous mener.
Afficher en entierMais, au-delà de ces lourds enseignements et de ces grandes considérations, ce qui me reste surtout de cette période, ce sont les visages et les regards que j'ai croisé dans ce centre. Ce sont les souvenirs de ces êtres qui, à l'heure où j'écris ces lignes, continuent chaque jour de mener un combat qu'ils n'ont jamais l'impression de gagner.
Afficher en entierSi cette épreuve m'a fait grandir et progresser, c'est surtout grâce aux rencontrent qu'elle m'aura offertes.
Afficher en entierIls sont les parfaits témoins des coups de crasse et des injustices de l’existence. Je les verrai toujours comme des icônes de courage, mais pas un courage de héros, non, un courage subi, forcé, imposé par l’envie de vivre.
Afficher en entierMon kiné, c’est l’opposé de ça. Il te dit ce qu’il te fait et il explique pourquoi. C’est super-agréable de se sentir autre chose qu’un cas médical face à une blouse blanche. Et puis, c’est très pédagogique. Avec François, j’ai révisé mon anatomie et j’ai beaucoup appris en neurologie.
Afficher en entierIl m’avait dévisagé, mais n’avait aucunement éprouvé le besoin de me dire bonjour. Au lieu de ça, il avait ouvert mon dossier médical posé sur le brancard et s’était mis à crier juste au-dessus de moi : « Il est à qui, ce tétra, là ? »
Je me souviens que je ne savais pas encore ce que ça voulait dire « tétra » mais j’avais bien compris que ce cher docteur, au tact inégalable, parlait de moi.
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