Extraits

J’ai jeté un coup d’œil dans la grande enveloppe pour voir si elle ne contenait pas autre chose, persuadée qu’il y avait un truc coincé dans le pli du bas : un oiseau en origami absolument magnifique fabriqué dans du papier à lettres. Noté dessus en petites majuscules, on pouvait lire :

« JE SUIS LE PETIT OISEAU ORIGAMI DE LA JOIE. JE NE SUIS PAS, JE RÉPÈTE, JE NE SUIS PAS UN JOUET ! JE SUIS LÀ POUR TE RÉCONFORTER QUAND TU ES DÉPRIMÉE, ALORS, SOURIS, PUTAIN, ESPÈCE DE DÉBILE ! »

Je n’ai pas pu m’empêcher de rire. Du Kai tout craché.

"-Gênante. D'accord, elle est gênante...

-Gênante? Non, mais tu déconnes ou quoi? C'est trop la honte, tu veux dire! Comment tu te sentirais, si on avait une vidéo de...une vidéo comme ça partout sur la toile, hein? Bien? Putain, Jem, j'ai besoin de soutien, là." Il a commencé à sangloter.

C'est dingue, les mensonges qu'on peut se raconter quand ça nous arrange.

Tous s'éclaire, subitement. J'ai vraiment été très conne sur ce coup-là. Nous avons tous été très cons.

- Oh, Jem... Tu dois rester positive, d'accord ? S'il y a une chose que j'ai apprise cette année, c'est qu'il faut toujours rester positif." Sa voix tremble, mais ne craque pas. "Tu nous as beaucoup manqué, Jem. Non, non, ne dis rien, je sais à quel point ça doit être dut pour toi. Mais je veux que tu saches que tu seras toujours la bienvenue chez nous. Je pensais ce que j'ai dit aux funérailles... Tu es comme une deuxième fille, pour moi. Donc si jamais tu as envie de parler à quelqu'un un jour - de n'importe quoi-, je serai là... et vu que ma propre fille ne me parle plus ou presque, ça me ferait vraiment plaisir d'avoir de la compagnie."

Lucas et moi nous enfuyons main dans la main, comme deux sales gosses, pour nous arrêter une ruelle plus loin, et aussitôt recommencer à nous embrasser. Je crois que nous allons le faire encore. Et que nous allons peut-être faire d'autres trucs même.

Et peut-être que je m'en fous.

- Disons que j’ai passé pas mal de temps avec de la fièvre, à vomir, et à cracher des glaires, ce genre de choses réjouissantes.

Je lui flanque un coup avec le sac rempli de déchets. « Tu as fini ? Parfait, parce que tu as gagné. On va parler d’un truc bien chiant. Comme… du temps. Ouais, parlons météo. Tu ne trouves pas qu’il a fait un temps délicieux, cette semaine ? J’aime beaucoup moins la tête de ces nuages, par contre… Qu’est-ce que tu en penses ?

Nous sommes allés chercher des glaces (qu’il a offertes) au café situé au milieu du parc. Lucas a tendu son cône vers moi en remuant ses sourcils de façon suggestive. « Tu veux goûter ?

— Peut-être plus tard », ai-je répondu de façon tout aussi suggestive. La Jem normale et réservée criait « TU TE RENDS COMPTE QUE TU PARLES DE LUI TAILLER UNE PIPE, LÀ ? » La nouvelle version de Jem a haussé les épaules, pas du tout gênée (parce que ça n’arrivera jamais). Parce qu’il fallait poser des limites, et à ce moment-là, et que ces fameuses limites se situaient très précisément au-dessus de la ceinture de Lucas.

Moi au moins, j’ai les lettres. C’est mieux que ce que la plupart des gens ont dans ces cas-là. Mais je n’en aurai bientôt plus. Le tas diminue beaucoup trop vite. Plus que quatre, et ce sera fini. Ne restera que la satisfaction de savoir que j’aurai fait quelque chose pour retrouver les responsables de sa mort. Mais ça ne me suffit pas. Pas du tout.