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Commentaires de livres appréciés par serdj

Extraits de livres appréciés par serdj

date : 26-07-2018
Nuit sur le Quarante-trois. Les presses dorment, les grosses machines aussi, les fours aussi. Dans un coin ronflent les petites machines aux boules de gomme. Des dizaines de rangées de dizaines de boules de gomme blanches bien alignées, chaque boule de gomme éclairée d'en dessous par la petite lampe de la machine. De temps en temps, une fille se lève, traîne ses semelles de bois jusqu'aux chiottes ou va plonger son quart émaillé dans le seau d'eau tiédasse. Seules, les babas font les douze heures de nuit. Et aussi les manœuvres, bien sûr, pour leur transporter la ferraille. L'Abteilung est un cube de nuit, un gros cube noir découpé dans la nuit et le silence. Dans un coin de cette nuit, les petites lumières devant les boules blanches. Et les machines qui ronflent doucement. Et les têtes rondes courbées dessus. On dirait des mères devant leur machine à coudre, des mères pauvresses profitant de ce que le gosse dort, et justement il ne dort pas, le gosse, et du fond de son lit il regarde sa mère qui coud dans la nuit, cent, deux cents mères qui cousent.
Et voilà qu'une fille lance un appel de gorge, un appel tendre et modulé jailli de sa gorge dans la nuit. L'appel monte dans la nuit, fait son chemin dans la nuit, tout seul, éperdu de passion contenue, rauque, violent, quémandeur. Et c'est si beau que le poil te dresse sur le dos.
Une autre voix sort de la nuit, s'élance et monte tout droit dans la nuit, cherche la première, la poursuit, la rejoint, l'enlace, ne la lâche plus. Elle est limpide et caressante, celle-là, elle est coquette, elle défie l'appel poignant de tigresse en rut, l'agace, le mord, se dérobe, revient, prend toute la place tandis que l'autre s'efface et la soutient, et toi tu écoutes, tu n'es qu'écoute, tu laisses tomber le chariot que tu poussais, tu écoutes.
Et, l'une après l'autre, paresseusement, les voilà toutes qui s'étirent et rejoignent le duo, y prennent sagement leur place, ou bien se lancent sur un coup de tête, comme en transes, et bousculent tout, et il faut bien que ça suive. Les placides et les échevelées, toutes chantent, et chantent, et chantent. La nuit de cambouis s'illumine, somptueuse et barbare comme un tapis d'Orient. Le Meister est sorti de sa cage, les Vorarbeiter restent plantés là, le chiffon ou l'outil au bout du bras, les deux Werkschutz de ronde s'appuient à un poteau, et sur les joues de ces Allemands coulent de grosses larmes de bonheur. Et sur les miennes, donc!
Ce sont des paysannes qui chantent, des filles qui n'ont plus rien à elles, plus rien que la joie fugace de faire ensemble quelque chose de très beau.
Quoi qu'il arrive, j'aurai connu ça, moi.
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« Tu es prête », avait-elle dit. J’étais allongée sous elle, entièrement nue, et elle était assise à califourchon sur mon ventre. Je venais de la faire jouir, et j’avais partagé son orgasme, ses sensations, ses pensées, comme si c’étaient les miennes. Elle m’avait appris à apprivoiser ce don étrange que nous avons toutes les deux, de pouvoir fusionner nos pensées comme si nous ne faisions plus qu’un. Mon cœur battait impatiemment dans l’attente de ce qu’elle allait dire, ou faire. Mais elle ne dit plus rien. Et je devinai que quelque chose d’encore plus étrange allait se produire.

« Est-ce que tu aimerais », demanda-t-elle enfin, « échanger ton corps avec moi ? »

Était-elle sérieuse ? Echanger nos corps ? Mais comment ? Je visualisai un instant avec horreur que nous retirions nos peaux comme des oripeaux, écorchées vives, accrochées puis mélangées l’une à l’autre, fusionnant puis inversant nos chairs et nos organes internes comme par quelque abominable opération chirurgicale ; la vision fugace d’un salmigondis de cartilages et d’os broyés, d’immondes glouglous de succion émanant de veines et d’artères bouillonnantes, du sifflement de centaines de nerfs cisaillés, fouettant l’air comme autant de grouillants vermiceaux furieux, cherchant désespérément à se reconnecter à leurs homologues de l’autre corps ! J’eus un haut-le cœur à cette pensée.

Mais elle rit, car elle avait naturellement partagé ma terrible vision : « Non, pas comme ça ! Il existe un moyen bien plus facile, bien plus doux. Tu vas voir. »

Elle prit ma main, la retira doucement de son pubis, et la plaça entre nous deux, devant moi et devant elle. De sa main gauche, elle saisit la base de mon index, celui qui portait l’anneau, et, lentement, elle approcha l’index de sa main droite, celui qui portait son propre anneau. « Cela pourrait te rendre un petit peu mal à l’aise, dit-elle, mais ça ne durera pas. Et ça va vaut le coup, crois-moi. Tu vas vivre une expérience extraordinaire. ».

Au nom du ciel, de quoi parlait-elle ?

Etonnée, légèrement inquiète, je plongeai mon regard dans celui de Marie, comme je savais dorénavant le faire. « Laisse-toi faire », me dit son regard. « Laisse-toi aller… en moi. » Quoi ? Mais qu’est-ce que cela voulait dire ? Et puis, Progressivement, je me forçai à me détendre. « Laisse-toi aller… », me dis-je. Ou bien était-ce elle qui me suggérait cela ? C’était elle, assurément. « Oublie tes pensées, concentre-toi sur tes émotions, sur ton amour, tu sais le faire ! ». Oui, me dis-je, ça, je savais le faire. Et, projetant mon âme vers elle, je plongeai de tout mon amour dans ses yeux si clairs.

Nos deux anneaux se touchèrent, et il me sembla que cela faisait comme un éclair. Et brusquement, j’eus le vertige, et tout se mit à tourner autour de moi, comme si j’étais soûle. Je fermai les yeux, et j’eus l’impression de basculer en avant, de me renverser, de m’inverser. Je tentais désespérément de me rétablir, mais le vertige s’accentua, et je m’évanouis.

En reprenant mes esprits, mais encore à moitié dans les vapes, les yeux toujours fermés car la tête me tournait, je me suis retrouvée bizarrement à genoux, alors qu’avant mon malaise j’étais étendue, les jambes liées aux pieds du lit. Mais Marie me tenait toujours la main. Tendrement, je laissai ma main remonter le long de son bras, je découvris ses épaules, compris qu’elle était allongée sur le lit, à côté de moi, je me penchai sur elle, cherchai sa bouche, et je l‘embrassai. Puis J’ouvris enfin les yeux, et je sursautai. Car la femme que je venais d’embrasser, ce n’était pas Marie. C’était moi. C’était mon propre visage !

« Que… » m’écriais-je, affolée. « …Qu’est-ce qui se passe ? — N’aie pas peur, dit-elle, avec ma voix. Calme-toi. Regarde-toi. Regarde ton corps. ». Je fis ce qu’elle me demandait, et je compris. Nous avions échangé nos corps. Le corps que je contemplais en ce moment, mon corps, était celui de Marie. J’admirai sa taille si fine, ses hanches si bien proportionnées, ses seins lourds et gracieux, je sentis leur poids, de l’intérieur, celui de ma propre poitrine désormais.

« Oui, dit-elle, tu ne rêves pas ! Mais rassure-toi, ça n’est pas permanent. Il suffit que nos deux anneaux se touchent à nouveau, et nous redeviendrons comme avant. Dans l’intervalle, je crois que tu vas aimer être moi. Tu aimes ? Mon corps te plaît ? Embrasse-moi », ajouta-t-elle sans attendre ma réponse. Et je me penchai vers elle, je contemplai ce visage familier, mon propre visage, je plongeai dans ces yeux noisette qui avaient été les miens, et embrassai cette bouche si familière, surprise de découvrir son goût encore sucré de miel, la douceur de mes lèvres. Enfin je me relevai, et posais la question :

« Comment est-ce possible ? Est-ce que ce sont les anneaux ? Est-ce qu’ils sont magiques ? »

Elle secoua la tête :

« — Non », ce sont nos esprits seuls qui ont ce pouvoir. Les anneaux sont juste des catalyseurs. Ils maintiennent notre esprit cartésien à l’écart, suppriment encore plus tous nos doutes, en nous faisant croire à leur magie. Mais en réalité il n’y a aucune magie là-dedans. Juste le pouvoir de nos deux esprits. Un jour, tu comprendras que les anneaux sont inutiles, et que tu peux échanger ton âme et ton corps avec qui tu veux sans leur aide. Mais pour le moment, ton inconscient refuse cette possibilité, et tu as besoin des anneaux. Tu es une novice dans cet art étrange. Euh, sans te commander, est-ce que tu pourrais libérer mes pieds ? Je crois que je vais avoir une crampe. »

Étouffant un rire, je m’exécutai, déliai ses pieds, et la laissai s’asseoir à côté de moi. Elle passa les mains sur ses joues, dans ses nouveaux cheveux noirs : « ils sont si fins ! », puis sur ses seins « Ils sont plus petits que les miens, mais je les aime beaucoup », sur ses cuisses, et finalement carrément vers son sexe, dont elle effleura le clitoris :
« Whow ! Il est beaucoup plus sensible que le mien ».

Je regardai mon propre sexe, hésitai, et passai la main sur le mont de venus, entièrement épilé, si doux, si soyeux. C’était extraordinairement bizarre.

« La salle de bain est juste à côté, dit-elle, devinant mes pensées. Il y a un grand miroir. Si tu veux te regarder… » J’ai bondi hors du lit, je me suis ruée dans la salle de bain attenante à la chambre, et qui était bien plus grande que je ne l’avais imaginée, j’ai aperçu le miroir qui occupait presque tout un mur, et, encore toute ébahie, je me suis plantée face au reflet de Marie qui me regardait.

Je me suis penchée en avant, regardant mon reflet droit dans les yeux. C’étaient les beaux yeux clairs de Marie, mais c’était mon regard. C’était très étrange. Me reculant, j’ai admiré cette belle femme, de presque trente ans, qui avait été mon amante, l’ovale parfait de son visage, le blond vénitien de ses longs cheveux, ce corps magnifique dont j’avais été amoureuse, et qui était le mien désormais, cette grâce intemporelle, si féminine, et qui ressemblait à une peinture de Botticelli. Et maintenant, c’était moi !
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date : 31-05-2017
L’esprit humain est le résultat d’une évolution dont le but était d’amener l’humain à survivre et à se reproduire, et non à se comprendre lui-même. L’esprit n’a pas été conçu pour cela. Nous ne disposons d’aucune « sonde mentale » qui nous dirait comment nous pensons. C’est bien dommage ! Il n’empêche que rien ne nous empêche de chercher comment nous pourrions bien penser, et de confronter ces idées à la réalité. C’est ce que l’on appelle l’introspection.

Essayons de voir ce qui se passe.

Lorsque je pense à un problème, des phrases se forment dans mon esprit. C’est que l’on peut appeler le « fil narratif » de la conscience. Mais comment ces pensées se forment-t-elles ? Il est difficile de le savoir. J’ai l’impression que la prochaine phrase se forme en un éclair, puis que les mots se précisent ensuite, et que je me la récite à moi-même pour m’en souvenir, mais la phrase était déjà là avant que je commence à la verbaliser. Il me semble que les idées viennent d’une couche plus profonde, où elles « vivent » sans être verbalisées, et que c’est seulement lorsqu’elles atteignent le « service du langage » de mon cerveau qu’elles deviennent conscientes.

Je me dis souvent qu’il existe dans mon esprit des processus cachés, que j’appelle des « petits lutins », qui sont lancés lorsque nous avons besoin de rechercher un fait précis dans notre mémoire à long terme, et qui travaillent en « tache de fond », invisibles, jusqu’à ce qu’ils aient trouvé. Il est possible que de nombreux petits lutins travaillent ainsi simultanément, et pas seulement pour trouver de nouvelles idées, mais aussi pour retrouver des faits « oubliés ». Dans ce livre, nous allons trouver des petits lutins un peu partout. N’oubliez pas les petits lutins ! Même quand vous vous reposez, ils travaillent, eux !

L’esprit possède de curieuses lacunes. Par exemple nous avons tous faits l’expérience un jour « d’avoir un nom sur le bout de la langue », mais de ne pas arriver à le retrouver. Nous savons que nous savons, mais nous ne savons pas quoi. C’est très étrange. Lorsque cela m’arrive, je dis « attend, ça va me revenir ». En général, on cherche un peu, puis comme « ça ne vient toujours pas », on passe à autre chose, et brusquement, quelques minutes plus tard (voire quelques jours !) le nom oublié s’impose à notre esprit, avec la clarté de l’évidence : « comment ai-je pu oublier ça ! ». Merci, petit lutin !

Le mathématicien Poincaré raconte ainsi qu’il a cherché pendant des mois une démonstration à un théorème difficile, puis qu’il s’est découragé et n’y a plus pensé, jusqu'à ce que la solution s’impose à lui brusquement, limpide et complète, des semaines plus tard, alors qu’il s’apprêtait à monter dans un bus ! Il semble bien que Poincaré ait fabriqué dans son esprit un petit lutin particulièrement opiniâtre !

J’ai également l’impression que je sais penser de manière non verbale. Quand j’étais enfant, J’imaginais par exemple que j’assemblais des cubes pour faire une tour ou une arche. Je les empilais dans ma tête, jugeant de leur stabilité avant de construire ma tour « pour de vrai ». Contrairement à une idée reçue, le système visuel humain ne sert pas seulement à voir : il permet aussi de fabriquer des images ou des sensations qui sont perçues comme des images. Il suffit de fermer les yeux et d’imaginer…On peut même imaginer des choses en gardant les yeux ouverts, « oubliant » temporairement ce qu’on voit pour de vrai… Et il en est de même pour le système auditif (on peut chanter dans sa tête, voire écouter toute une symphonie), etc. En d’autres termes tous nos sens peuvent fonctionner comme des décodeurs (leur fonction principale) mais aussi comme des codeurs.

Placez-vous dans le noir et fermez les yeux. Que voyez-vous ? Tout d’abord, vous percevez encore pendant quelques secondes les contours des objets brillants ou sombres qui étaient devant vous, s’estompant progressivement. Ce phénomène, l’impression rétinienne, provient comme son nom l’indique, de la rétine, qui est la première « couche » du système nerveux visuel.

La rétine calcule et garde pendant un certain temps la trace de l’intensité moyenne des différentes zones du champ visuel, et ce qu’elle transmet à la couche suivante de traitement, ce sont les différences d’intensité par rapport à cette moyenne temporelle. Notez que si nos yeux ne bougeaient pas sans arrêt, cette différence deviendrait nulle en quelques secondes, et nous n’y verrions plus rien ! C’est pour cette raison que nos yeux sont animés en permanence de micro-saccades inconscientes, mais qui font que le regard « vit ».

Puis c’est le noir. Non ! Pas seulement du noir ! Vous commencez à voir des tâches de couleur, ou bien des lignes parallèles, ou encore des textures, assez régulières, qui défilent à toute vitesse sans ordre apparent. Votre système visuel croit voir des choses. On pourrait penser que c’est un « bruit », ce qui reste quand on a ôté le signal visuel. Mais en réalité, bien que ce bruit soit effectivement présent, il ne suffit pas à expliquer entièrement ces sortes d’hallucinations visuelles.

Notre système visuel contient certes des milliers de petits décodeurs, très spécialisés, fonctionnant tous en parallèle. L’un est chargé de détecter les lignes horizontales, l’autre les lignes inclinées, un troisième repère les brusques changements d’intensité ou de couleur, etc.

Mais il contient aussi des codeurs, qui reçoivent leurs ordres d’ « en haut », (on verra plus tard ce que cela signifie), et ont pour métier de fabriquer des signaux visuels. L’un fabrique des lignes horizontales, l’autre des lignes penchées, un troisième s’occupe de « texturer » des surfaces, un peu comme fait la carte graphique d’un jeu vidéo ! Il y en a également des milliers. Certains récupèrent les signaux d’autres codeurs et les transforment, ou les mélangent.

Lorsque nous sommes dans le noir, les yeux fermés, les codeurs-générateurs de formes de base que contient notre système visuel s’en donnent à cœur joie, ils fonctionnement alors « en roue libre ».

Puis finalement votre esprit finit par reconnaître vaguement une image familière dans tout ce fatras aléatoire, il s’y « accroche », impose aux codeurs-générateurs de donner des détails sur cette image, et vous commencez alors à « voir » une scène complète, peut être issue d’un souvenir, peut-être entièrement nouvelle.

Il est fort possible que cette faculté que nous avons de fabriquer pour nous-mêmes des impressions visuelles soit nécessaire au « décodage » de scènes ou d’objets complexes : lorsque l’œil ne sait pas ce qu’il voit, il fabrique des images et des textures, et les compare à ce qu’il voit pour arriver à détecter des coïncidences.

Mais en fait cette imagerie mentale sert aussi un autre but : elle permet la formation et la manipulation des concepts.

L’esprit possède une capacité merveilleuse d’associer des concepts totalement différents en un tout qui nous semble cohérent. Essayez de penser à un « citron rouge » : Votre esprit fabrique aussitôt une image de ce nouveau concept, non ? Mais ce que vous « voyez », c’est un citron dont la surface est de couleur rouge, et non une tâche rouge uniforme en forme de citron, ce qui s’accorderait pourtant tout autant avec la définition d’un « citron rouge ».

Mais lorsque je vous dis « une tache rouge en forme de citron », cette fois vous la voyez en 2D parce que le mot « tache » implique une surface plane.

Il est également fascinant de remarquer que lorsque je visualise mentalement une tâche rouge en forme de citron, je la vois sur un fond blanc. Vous aussi ? N’est-ce pas étrange, alors que « citron » devrait « activer » le concept de couleur jaune et « rouge » celui de couleur rouge, qu’une troisième couleur, le blanc, soit en fait sélectionnée par « notre système de visualisation interne » pour servir de fond à la tache rouge ? Un mécanisme probable est que les mots « tâche en forme de » nous font penser à un dessin, et un dessin est généralement exécuté sur une feuille blanche.

L’esprit préfère créer des représentations tridimensionnelles plutôt que des représentations planes. Nous sommes conçus pour vivre dans un monde en trois dimensions. Lorsque nous « voyons » une scène, ou un objet par exemple une table et des chaises, nous ne nous contentons pas d’analyser l’image reçue par nos deux yeux. Nous concevons simultanément une représentation 3D des objets, que nous pouvons même déplacer mentalement. Nous pouvons imaginer de mettre les chaises sur la table et nous « voyons » immédiatement le résultat.

Lorsque nous nous déplaçons dans une pièce, ou simplement lorsque nous tournons la tête, nos yeux voient des choses très différentes, mais nous n’imaginons pas que c’est la pièce qui change, mais bel et bien que c’est notre point de vue qui change par rapport à la position d’objets 3D que notre esprit « voit » immobiles !
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Le yacht luxueux fend la mer comme un fier laboureur qui tracerait un sillon profond et linéaire, audacieux et entreprenant, intrépide et résolu, dans sa confiture d’abricot, avant de l’étaler fermement sur sa tartine du matin : la trajectoire décidée de celui qui sait ce qu’il veut, ce qu’il va faire de cette journée et le temps qu’il fera demain. Mais Ethan Elridge, le propriétaire du navire, est loin d’afficher cette certitude tranquille. Il pense à ce qu’il vient de faire, et cette pensée lui donne des sueurs froides. Distraitement, il écoute Cathy qui lui parle :
– Tu sais, Ethan, j’en ai un peu marre de cette vie de patachon. Quand on n’est pas sur le bateau, on passe d’un hôtel quatre étoiles à l’autre aux quatre coins du monde, ou même d’un hôtel cinq étoiles à l’autre aux cinq coins du monde. Mais est-ce que c’est la vraie vie ça ? Est-ce que tu ne crois pas qu’on devrait arrêter tout ça ? Devenir pauvres, ou au moins normaux, et s’occuper d’Hélène ? J’ai l’impression que Daniel ne s’occupe pas bien d’elle. Il ne pense qu’à son travail. Ça fait déjà deux mois que je ne l’ai pas vue. Elle me manque. Dire qu’elle a déjà huit ans. C’est pas croyable ce que le temps passe vite. Tu ne crois pas qu’on devrait demander à Daniel de nous la renvoyer, même s’il lui reste un mois encore en principe ? Ethan, tu m’écoutes ?
– Mmmh ? Oh oui bien sûr. Je t’écoute.
– Et alors ?
– Et alors quoi ?
– Tu ne m’as pas écouté, Ethan. Je t’ai posé une question.
Ethan vida d’un trait le verre de champagne qu’il tenait à a la main.
– Ethan ?
– Excuse-moi. J’étais ailleurs. Je crois que je suis fatigué. Pardonne-moi. Tu veux reposer ta question ?


Ethan était claqué. Deux jours auparavant, Alors que le yacht était amarré dans le port de Newport, Rhode Island, il avait prétexté un rendez-vous d’affaire pour s’éclipser. Il avait fait un signe de la main à Cathy, était monté dans un taxi limousine pour l’aéroport de Providence, la capitale de l’état le plus petit de l’union, et de là, il avait pris le premier avion pour las Vegas, tremblant d’excitation. C’était sa dernière chance. Il s’était rendu au Wynn, le plus luxueux casino de la ville, et il avait acheté pour six millions de dollars de jetons et plaques. Tout ce qui lui restait. C’est hallucinant comment l’argent part vite quand on est riche, pensait-il. Il avait suffi de huit ans pour réduire ma fortune à ces minables six millions pathétiques.
Le premier soir, il n’avait rien joué. Mais le montant de sa transaction l’avait illico classé dans la catégorie des flambeurs de haut vol et lui avait valu le traitement super VIP. Il en avait un peu profité, s’amusant au peu aux dépends de l’hôtel, et buvant beaucoup trop pour jouer.
Mais le second soir, il était prêt. Il s’était décidé. Le poker ? Mmh. C’était une possibilité mais Ethan était trop transparent. Les pros voyaient trop bien à travers lui. Il avait déjà essayé une ou deux fois dans les années passées, et ne s’en était jamais remis. Le Blackjack, alors ? Un jeu de pro. Et vu le montant de la mise on ne pouvait jamais savoir si les cartes étaient marquées. Bien que le Wynn fût au-dessus de tous soupçons, Ethan n’avait pas envie de parier six millions là-dessus. Il fallait un jeu simple, direct. La roulette.
Il descendit au pit numéro un, sourit au croupier qui était une croupière, ouvrit un sac de voyage et en sortit toutes ses plaques qu’il posa tranquillement sur « Odd » (impair). Autant tout miser en une seule fois. Le montant de la mise fit ouvrir des grands yeux à l’employée, qui appela le directeur, qui confirma que c’était bien son argent. Entre-temps, la vue de la pile de soixante plaques dorées à cent mille dollars l’unité avait attiré une foule de curieux qui faisaient cercle autour de la table de jeu. Une dizaine de vigiles surgirent de nulle part pour les tenir à distance.
La croupière lança la boule, Ethan ferma les yeux, le cœur battant, tandis que la bille argentée spiralait lentement puis rebondissait follement de case en case. Il comprenait les joueurs. Rien, absolument rien ne pouvait provoquer autant de frissons, pas même le sexe, les sports extrêmes, le crack, la coke, l’héro, les déhanchés d’Ursula Andress, Hale Berry, Uma Thurman et la Schroumpfette réunis. C’était mieux même que Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band , The Wall, Made in Japan, MTV unplugged, et The Köln concert. Mieux qu’une tartine au Nutella-beurre. Encore plus fort que le requiem de Verdi. Il ouvrit les yeux au moment où la bille ralentissait pour se loger dans... Dix-sept, noir, impair ! Félicitation, monsieur !
Il y eut un tonnerre d’applaudissements. Ethan respira un grand coup.


Dans l’avion qui le ramenait à Providence, Ethan ouvrit les yeux et réalisa ce qu’il venait de faire. Requiem de Verdi mon cul ! C’était celui de Mozart qu’il venait de jouer. Sa dernière page. Le Lacrimosa. Ce morceau qui lui arrachait toujours le cœur et dont Mozart n’avait pu écrire que huit mesures avant de mourir. La suite avait été écrite en secret par l’un de ses élèves, Süssmayr, à la demande de la veuve de Mozart, Constance, pour des raison bien terre à terre, mais que l’on peut comprendre, puisque si le Requiem n’avait pas été terminé elle aurait dû rendre l’avance de paiement qu’elle avait déjà reçu et n’aurait pas touché le solde. Et ainsi l’œuvre la plus émouvante, la plus triste et peut-être la plus belle de Mozart avait été achevée par un autre. Il semblait à Ethan qu’il en était à la huitième mesure de sa partition. Ses yeux se remplirent de larmes. Il n’aurait pas dû rejouer ses gains. Il n’aurait pas dû.
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date : 31-05-2017
Vingt-cinq Septembre, onze heures trente.

Lorsque l’automne déferle sur la France, rafraîchissant d’un coup l’air estival et peignant les arbres d’un camaïeu d’or et de brun, il existe une ville qui semble échapper miraculeusement à cette transformation progressive. Dans cette ville, l’été indien s’installe et, parfois jusqu’au cœur d’octobre, c’est une saison merveilleuse.
Toulouse, car c’est d’elle qu’il s’agit, semble se réveiller de la torpeur étouffante de l’été, et partout ses rues s’animent et déploient leurs charmes, arpentées par des badauds insouciants, des vélos pressés, des garçons de cafés occupés à servir en terrasses de belles femmes en jupe courtes qui devisent gaîment.
Nous sommes le vingt-cinq septembre, et il fait très beau.
Au 23, boulevard de l’embouchure, le commissariat central, qui porte en grand l’inscription « hôtel de police » sur son fronton gris, est un long bâtiment moderne de quatre étages, évidemment peint en rose pâle, couleur semble-t-il obligatoire à Toulouse, séparé du canal éponyme par une vaste esplanade.
C’est là le domaine où travaille le commissaire Romain Drouet, qui vient de rentrer de vacances à la mer, et il aurait bien voulu profiter de toute cette douceur qui s’attarde derrière les fenêtres de son bureau rectangulaire et gris. Car il a du travail par-dessus la tête. Vissé à son bureau, la tête devant son ordinateur, il soupira devant la montagne d’emails et de rapports à lire, et d’instructions à donner, dont le nombre ne semblait pas diminuer bien qu’il y travaillât depuis huit heures du matin. Et comme si cela ne suffisait pas, il était sans cesse dérangé.
– Oui, dit-il, comme on frappait une fois de plus à sa porte, qui s’ouvrit pour laisser entrer le brigadier-chef Leroy, de la division « voie publique ».
– Commissaire, on a reçu un appel signalant un meurtre.
Drouet leva la tête, ennuyé. Un pressentiment lui dit qu’il n’allait pas pouvoir finir de lire ses emails aujourd’hui.
– L’appel a été passé par une femme. Elle a juste dit « Je vous appelle pour signaler un meurtre. Prévenez le commissaire Drouet. C’est au 6 bis, rue Pharaon. » Et elle a raccroché.
– Envoyez une patrouille sur place.
– C’est déjà fait. Elle est en route.
– Bien. D’où provenait cet appel ?
– D’un téléphone fixe. A la même adresse.
– Vous l’avez enregistré ?
Question de pure forme. Tous les appels au « 17 » sont enregistrés. Mais cela laissait au commissaire le temps de réfléchir. Comment la femme qui avait appelé connaissait-elle son nom ? Le nom des flics ne circule pas sur la voie publique ! Si ce n’était pas une plaisanterie, cette affaire avait un côté bizarre.
– Dès que la patrouille arrivera sur place, je veux qu’ils m’appellent.
– Bien, commissaire, dit Leroy avant de ressortir.
Il décrocha son téléphone, appela le standard, et demanda à écouter l’enregistrement de l’appel. La voix de la correspondante lui disait vaguement quelque chose. Mais impossible de se souvenir de qui précisément.
Il avait à peine raccroché que son téléphone sonna.
– Commissaire ? Gardien Villemont, je suis sur les lieux. C’est une vieille maison, de trois étages, apparemment elle ne compte qu’un seul logement. La porte n’était pas fermée à clef, alors on est entré avec mon collègue. La maison à l’air vide. A l’étage, il y un salon, et il y a une tâche de sang par terre. Mais pas de corps.
– Pas de cadavre ?
– On n’a pas tout fouillé, commissaire.
– OK. Visitez la maison, cherchez, ne touchez à rien surtout.
Une impulsion subite lui fit ajouter :
– J’arrive.
Il était rare qu’un commissaire s’occupe personnellement d’une affaire, surtout dans un commissariat aussi important que celui de Toulouse. Mais il n’avait plus envie de se replonger dans ses dossiers. Et puis, la femme qui avait appelé l’avait mentionné personnellement.
Un quart d’heure plus tard, pestant contre les embouteillages toulousains, il entrait à son tour dans la maison. La rue Pharaon se situe dans le centre de Toulouse, entre la Cathédrale Saint-Etienne et les allées Jules Gesdes, elle donne sur la place des Salins. C’était l’un plus vieux quartiers de la ville, et la bâtisse de brique rose, bien entretenue, semblait avoir plus de trois siècles.
Il monta un large escalier de bois sculpté, pour se retrouver dans un salon assez spartiate, meublé seulement d’un bureau, d’un fauteuil, d’une armoire adossée à un mur, et d’un immense canapé de cuir. Pas de table, pas de télé, pas de chaîne hi-fi, pas de fioritures, à l’exception d’un tableau mural représentant un nu féminin de facture assez classique. Assez incongru dans un angle, un trépied supportait un gros caméscope professionnel. Quelqu’un tournait des films ici, et probablement pas du genre à montrer aux enfants, pensa-t-il.
L’agent Villemont l’attendait avec l’un de ses collègues en uniforme. Ils saluèrent le commissaire en touchant leur casquette.
– On a fouillé la maison, dit Villemont. Il n’y a plus personne. Mais il y a quand même ça, et ça.
Il désigna la tâche de sang sur le parquet, puis une bouteille de champagne qui avait roulé dans un coin. Drouet s’approcha, se baissa en prenant garde à ne rien toucher. Il semblait y avoir des traces de sang sur la bouteille.
– Et aussi ça, dit l’autre gardien de la paix.
A moitié cachées sous le bureau, il avait deux assiettes posées par terre. Elles contenaient toutes deux les restes d’une sorte de pâté à moitié entamé. Drouet se releva, regarda autour de lui. Posés sur le bureau, il y avait un téléphone fixe et une sorte de petite clochette. En y regardant de plus près, le bureau, relativement poussiéreux, portait encore la trace récente d’un ordinateur portable qui avait disparu.
Drouet mit des gants pour ne pas laisser d’empreintes, et ouvrit l’armoire. Elle contenait uniquement des vêtements de femme, de tous styles, des plus classiques aux plus vulgaires.
« Résumons-nous », pensa-t-il à voix haute. « Quelqu’un a vraisemblablement été tué ici, ou bien seulement assommé, avec cette bouteille. Pas de corps cependant. L’attaquant, ou l’attaquante, puisque c’est une femme qui a appelé le « 17 », a probablement fui après avoir passé son appel, en emportant l’ordinateur qui se trouvait sur le bureau. Ce pourrait être le mobile, mais… »
Les deux policiers restaient silencieux, écoutant le monologue du commissaire.
– Les autres pièces ? Demanda-t-il soudain.
– En bas, c’est la cuisine. En haut, il y a deux chambres.
– Je veux les voir.
Suivi des deux gardiens, il monta au second étage, et découvrit deux grandes chambres meublées chacune d’un grand lit double. Dans les deux chambres, les lits étaient défaits, visiblement occupés récemment. Si la première chambre était d’aspect assez spartiate, les murs de la seconde étaient couverts de posters érotiques genre sado-maso, assez stylisés d’ailleurs si l’on pouvait dire. Une chose l’intrigua. Dans toute la maison, il n’y avait pas l’ombre d’un papier, et extrêmement peu d’objets personnels. C’était étrange. Les gens qui habitent une maison ont toujours des papiers rangés quelque part, des objets qui traînent un peu partout. Le ou la propriétaire de la maison devait habiter ailleurs, et se servir de cette maison uniquement pour des motifs qui n’avaient rien à voir avec l’habitation.
– Redescendons à la cuisine, dit-il.
Il n’y avait pas grand-chose dans la cuisine, sommairement équipée, à part une boîte de pâté vide et ouverte posée sur le plan de travail. Portant toujours ses gants, il ouvrit le réfrigérateur américain d’un modèle luxueux, pour découvrir qu’il contenait un grand nombre de bouteilles de champagne.
Les placards contenaient d’ailleurs essentiellement des verres et des bouteilles d’alcool divers.
Drouet retira ses gants, prit son téléphone portable, et passa un appel.
– Commissaire Drouet, dit-il. Envoyez la police scientifique faire des prélèvements au 6 bis rue Pharaon. Sang, empreintes, ADN, tout ça.
– Ils ne vont pas tarder, dit-il aux deux policiers. Vous les attendez ici. Qu’ils me tiennent au courant. Moi je rentre à la boutique.
La boutique, c’était le commissariat. De retour à son bureau, il appela l’un des brigadiers enquêteurs, de la division « investigations » et lui demanda de rassembler tous les éléments qu’il pouvait trouver sur le propriétaire de la maison. « Et mettez une planque devant cette maison. Jour et nuit. Je veux être prévenu dès que quelqu’un entre ou sort », ajouta-t-il.
Une heure plus tard, il avait un premier rapport de la police scientifique. Il lui confirma que c’était bien du sang humain, récent, qui se trouvait sur le sol du salon. Ils avaient faits des prélèvements. Il y avait un grand nombre d’empreintes partout dans la maison, mais beaucoup semblaient avoir été effacées. La caméra dans le salon n’avait pas de carte mémoire. Impossible d’en tirer quelque chose. Les enquêteurs avaient retrouvé quelques cheveux pour les prélèvements d’ADN. Il y avait aussi des traces de sperme dans le lit de la seconde chambre. Cela prendrait du temps d’analyser tout cela. Pas avant le lendemain matin, lui dit son correspondant.
Pensivement, il se leva, regarda par la fenêtre le canal de l’embouchure et ses platanes centenaires. Le soir tombait, la lumière était magnifique. Les promeneurs allaient et venaient le long des berges. L’un d’eux, peut-être, était un assassin.
Il prit un feutre et écrivit une liste de questions sur le tableau blanc qui ornait l’un des murs du bureau, à la manière d’une « mind map » :
« Qui est la femme qui a téléphoné au commissariat ? »
« Si c’est elle l’assassin, pourquoi avoir prévenu la police ?
« Comment connaissait-elle mon nom ? »
« Qui est la victime ? » «
« Est-ce le propriétaire de la maison ? »
« Est-il mort ?»
« Si oui, pourquoi avoir enlevé le cadavre ? »
« Si non, où est la victime ? »
« Pourquoi avoir pris l’ordinateur portable ? »
« Que se passait-t-il dans cette maison ? »
« Quel est le mobile ? »

Décidément, cela faisait beaucoup de questions. « Je n’aime pas ça. », pensa-t-il. « Ça ressemble au début d’une série policière américaine, pas à une véritable enquête. » Et il y avait quelque chose d’encore plus bizarre. Quelque chose qui aurait dû lui sauter aux yeux. Mais il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus.
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date : 31-05-2017
La lune est maintenant presque au zénith. Un léger vent commence à se lever, balayant la nuit, apportant un air frais qui me fait frissonner.

Lentement, je reviens vers notre campement, où Cathy dort toujours. Ce que nous faisons est complètement illégal, bien sur. Le camping sauvage est strictement interdit dans tous les parcs nationaux américains. Mais qui aurait l'idée de nous chercher, ici, à trente bornes du plus proche patelin ? De plus, dès l'aube j'avais l'intention de tout replier, ranger le matériel dans la vieille Dodge que nous avions louée à Las Vegas. Ensuite, nous passerions la journée à sillonner le désert, à contempler le miracle annoncé de la floraison prochaine, avant de mettre le cap sur Phœnix, où un avion devait nous ramener à Toulouse via Dallas.

Soudain un coup de vent me fait vaciller, soulevant d’un coup la poussière du désert. Presque au même moment, j’entends un sifflement bref, et un caillou éclate à coté de moi avec un « ping » sonore. Mon taux d’adrénaline augmente d’un coup de deux mille pour cent. Danger. D’instinct, je me jette à terre, avant même que mon petit cerveau n’en donne l’ordre conscient. Mais cela me sauve la vie sans doute car presque aussitôt j’entends à nouveau le bruit d’un projectile qui vient me frôler les oreilles. Dix mètres plus loin, un petit rocher éclate sous l’impact.

Et brusquement la peur, une peur atroce, viscérale, absolue, s’insinue en moi, me submerge et me paralyse. Il paraît qu’un jeune adulte a vu en moyenne sept mille meurtres à la télévision, un fait sans précédent dans l’histoire humaine. La violence, on devrait être habitué. Mais servir de cible à de vraies balles, c’est autre chose ! Je tremble de tous mes membres. Panique. Que faire ? Je me souviens soudain des paroles de la litanie contre la peur, dans le Dune de Franck Herbert, chef d’œuvre incontesté de la science-fiction contemporaine : Je ne connaîtrais pas la peur car la peur tue l’esprit. La peur est la petite mort qui conduit à l’oblitération totale. J’affronterais ma peur. Je lui permettrais de passer à travers moi, au dedans de moi. Et lorsque je tournerais mon œil intérieur sur son passage, il n’y aura plus que moi. Rien que moi. Je respire un grand coup. Ça marche ! Je retrouve l’usage de mes membres et, plus important encore, mon libre arbitre.

— Imbécile ! Crie Ahmed à son complice, cent mètres plus loin. Tu l’as raté !
— C’est à cause de ce coup de vent, chef, je ne pouvais pas prévoir…
— Tais-toi, idiot ! Tire encore, et souviens toi, seulement sur lui, ne tue pas la fille ! Allez, tire !
— Je ne peux pas, chef, il est derrière elle, maintenant !
— Shit !

Mais de cela évidemment je ne sais rien. Très vite, je rampe vers Catherine endormie, et la secoue comme un prunier :

— Réveille-toi ! Réveille-toi ! On nous tire dessus !
— Que… Quoi ?

Encore ensommeillée, elle finit par réaliser ce que je lui dis. Très vite, je la mets au courant, ajoutant qu’à mon avis il s’agit probablement de rôdeurs qui en veulent à notre portefeuille. Les cons, s’ils savaient ! On doit avoir cent dollars en poche, tout est resté à l’hôtel, à Las Vegas. Quoi qu’il en soit, Cathy émerge enfin, et ses yeux sont remplis d’effroi maintenant. Mais elle a récupéré son sens pratique :

— Le quatre-quatre ! Il faut se tirer de là ! Crie-t-elle.

Bonne idée. Le véhicule est à peine à dix mètres de nous. Moitié rampant, moitié baissés, nous l’atteignons en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, moi côté conducteur, elle côté passager. Et soudain un autre caillou éclate à moins de trois centimètres de ma main, qu’un éclat blesse légèrement. Par pur réflexe de panique, je bondis comme un ressort, je saute dans la Dodge et je mets le contact. Heureusement que la clef était restée en place ! De l’autre coté Cathy hésite, visiblement terrifiée. Me baissant, je lui tends la main pour la hisser. Comme dans un film au ralenti, en seul mouvement, je vois le pare-brise éclater alors en mille miettes, je tire Cathy à coté de moi, et j’embraye, pied au plancher. La voiture démarre dans un nuage de poussière. Je conduis tout droit, au jugé, n’osant allumer les lumières. J’ai le temps de me demander comment diable le tireur avait pu nous viser à la seule clarté de la lune à son premier quartier, avant que Cathy ne me rappelle à l’ordre :

— Ralentis ! Tu vas nous tuer !

Elle a raison, naturellement. Du reste, nous sommes suffisamment, loin, maintenant, je pense. Je lève le pied, commençant à me détendre un peu (tout est relatif). Je regarde autour de moi, cherchant quelle direction prendre. Il ne s’agit pas de se perdre dans cet immense désert ! La route de Las Vegas doit être sur la gauche… Mais soudain ce que je vois dans le rétroviseur me fait dresser les cheveux sur la tête : derrière nous, deux phares trouent la nuit !

Damned ! Comme se serait exclamé le lieutenant Blueberry, dans l’une de mes séries BD préférées. Qu’aurait-il fait dans la même galère ? Naturellement, il aurait éperonné son cheval et aurait détalé à bride abattue. Ou bien, il se serait caché dans une anfractuosité, attendant que les poursuivants passent pour leur loger deux pruneaux de son six coups dans la cervelle. Sauf que je ne suis pas Blueberry, moi. Et en plus, nous ne sommes pas armés. Gosh !

Cathy a vu, elle aussi. Elle se serre contre moi. Les mots sont inutiles. J’allume les phares à mon tour, puisqu’il semble que nos suiveurs ne nous lâcheront pas, et je remets la gomme. Nous sommes secoués comme un prunier, la vieille Dodge n’en pouvant plus d’encaisser les cailloux et les ornières de ce désert. J’évite au jugé les flaques de boue, reliefs dérisoires du déluge de la veille. Il ne s’agit pas de s’embourber ! Mais les deux phares sont toujours là, menaçants, collants comme des sangsues. Je tente de mon mieux de maîtriser les folles embardées de notre véhicule en folie, d’éviter les pièges multiples du désert. Mon royaume pour une route, une piste, n’importe quoi d’autre que ces tas de sable boueux parsemé de roches et de pierres traîtresses ! Si j’avais eu le temps, j’aurais remarqué à l’Est les prémisses bleuissants d’une nouvelle aube évanescente, j’aurais observé avec ravissement la lente montée du soleil rougeoyant qui s’annonce, j’aurais pris la main de mon amour et nous nous serions délectés ensemble de toute cette beauté sauvage. J’aurais aussi remarqué les deux falaises ocre blanc et rouge qui nous encadrent et se resserrent autour de nous… Mais je ne vois que ce que les deux pinceaux de mes phares chétifs veulent bien condescendre à éclairer, dévoilant au dernier moment tel monticule ou flaque qu’il me faut éviter par pur réflexe. Derrière nous, les phares menaçants de nos suiveurs semblent plus lointains (ou bien c’est une illusion due à mon désir ardent qu’ils soient plus lointains !), mais ils ne nous lâchent pas. Je commence à me demander s’il s’agit bien de maraudeurs, ou si Al Sayaddin ne serait pas derrière tout ça… (C’est vrai que je ne vous ai pas encore parlé de celui là, mais chaque chose en son temps !)

— Je crois que c’est un cul de sac ! S’écrie soudain Cathy.

Je ralentis brusquement, et tente de regarder les alentours. C’est vrai que nous avons l’air de rouler dans ce qui ressemble de plus en plus à une gorge qui va en se rétrécissant. La poisse ! Voilà qu’en plus, nous n’avons pas de chance. J’ai à peine le temps de formuler cette pensée déprimante que, flosh, splach, sproutch, la Dodge se vautre admirablement dans un marigot putride et puant (non, j’exagère, c’est juste une flaque de boue !). Voila ce que c’est de ne pas regarder devant soi quand on conduit ! Mon moniteur d’auto-école me l’avait assez dit, pourtant ! Je débraye, passe la seconde, et tente de nous dégager, mais les roues patinent dans le vide, projetant des gerbes de sable et d’eau derrière nous. Caraï ! Comme aurait dit Bruno Brasil, un autre de mes héros favoris. Nous voici ensablés dans le sable, enterrés dans la terre, embourbés dans la bourbe, ennuyés dans la nuit, englobés dans un globe, emmerdés dans… Mais ce n’est pas le moment de faire de l’esprit !

— Il faut continuer à pied ! Criais-je, comme si nous n’avions d’autre choix.

Cathy a déjà sauté à terre, pardon, dans la boue. Ses genoux dépassent à peine. Pour un bourbier… Je la rejoins, et, cahin caha, nous nous dégageons de la flaque et nous mettons à courir vers notre droite. La falaise à cet endroit semble praticable et pas trop en pente. Mais avec nos chaussures boueuses, c’est une autre histoire ! Tant bien que mal, je donne la main à Cathy, l’aidant à monter lorsqu’elle peine. Je n’ose me retourner, mais Catherine, elle, le fait et me fait signe de regarder derrière nous. Je distingue un autre 4x4 qui s’arrête à coté de la Doge, et deux hommes qui en descendent et se lancent à pied à notre poursuite ! Ils sont à peine à deux cent mètres… Il me semble que l’un d’eux tient un fusil à la main, tandis que l’autre porte un gros paquet ou panier dont le contenu me semble encore plus menaçant. La conscience du danger nous donne des ailes et tant bien que mal nous arrivons au sommet d’un monticule de grès jaune surmonté d’un immense candélabre improbable. Au delà, cela semble être un labyrinthe de petites gorges ravinées et tortueuses, dans lesquelles nous nous engageons, voyant là un espoir, bien faible en vérité, de confondre nos deux suiveurs. Nous essayons de ne pas laisser de traces derrière nous, naturellement, mais je ne me fais pas d’illusions. Soudain nous arrivons à une sorte de carrefour : dans la clarté de l’aube, on distingue deux étroites gorges qui s’enfoncent devant nous, l’une à droite, l’autre à gauche. Un grand classique des jeux vidéo et des films d’aventure, sauf que nous ne sommes pas dans un jeu ! Alors, à droite ou à gauche ?

— Séparons nous, me souffle Catherine. Ce sera plus facile de nous cacher dans un recoin et de leur échapper. Rendez vous à la Dodge, lorsque nous les aurons semés…

Nous séparer ? Elle rigole ? Il n’en n’est pas question ! Mais je vois bien qu’elle ne blague pas. Cette petite fille si fragile, si délicate, a aussi une volonté de fer. Que dis-je, d’airain, d’uranium, de titane ! Je sais qu’il n’y a pas moyen de discuter. Du reste, nous sommes un peu pris par le temps. Je lui serre donc une dernière fois la main, très fort, en guise d’un au revoir que j’espère de ton mon cœur ne pas être un adieu et, la mort dans l’âme, je m’engage à droite tandis qu’elle prend la voie de gauche. Rogndudjuu ! Il était temps. Derrière nous, les deux hommes se rapprochent, et je crois même qu’ils nous ont vus nous séparer…

Détalant comme un lapin sous la volée de plomb d’un chasseur imbécile, je cours comme un dératé, ventre à terre, battant sans nul doute le record du cent dix mètres cactus. Derrière moi, j’entends le bruit des pas de mes poursuivants, presque le halètement de leur respiration… C’est donc après moi qu’ils en ont ! Mais pourquoi ? Je n’ai pas le temps d’approfondir cette transcendante question. Hors d’haleine, je déboule soudain dans un entrelacs de crevasses tordues et ravinées, de rocs aigus et tranchants, digne de la planète Mars. Du coin de l’œil, j’avise une anfractuosité profonde, dans laquelle je m’engouffre, le cœur battant. On dirait l’entrée d’une grotte. Il fait noir comme dans un four sénégalais, là dedans ! Je n’y vois goutte, je progresse au jugé. Et brusquement je perds pied, chute de trois ou quatre mètres, me cognant douloureusement la tête, et atterris sur une roche dure sur laquelle je me tords la cheville. La douleur est fulgurante, je lutte pour ne pas m’évanouir, je prends ma cheville à pleine main et je la presse fortement. Rien de cassé, juste une foulure. C’est toujours ça. Où suis-je ? A tâtons, j’explore les alentours. Il me semble que je suis coincé en bas d’une cheminée verticale et étroite, sans autre issue. Ça ne se présente pas bien du tout ! Mes yeux s’habitant progressivement à l’obscurité, je distingue au dessus de moi l’orifice de la crevasse, quatre bons mètres plus haut. Et voici qu’un visage s’encadre dans l’ouverture ! C’est celui d’un homme barbu qui sonde du regard l’obscurité. Je me fais aussi petit et silencieux que possible, dérisoire protection, car il est bien évident que l’homme sait que je suis là. Enfin, après un interminable instant, le visage disparaît soudain de l’opercule de ma prison, faisant place à un néant gris. J’entends alors une voix, puis une autre, mais je ne comprends pas les paroles car les deux hommes s’expriment dans une langue hachée, plein de sifflantes et de consonnes. De l’Arabe ? L’un des deux hommes s’esclaffe brusquement d’un rire méchant, qui me fait froid dans le dos. Puis c’est le silence.

Je profite de ce répit temporaire pour mieux regarder autour de moi, profitant de la clarté crépusculaire de l’aube (je devrais donc dire la clarté aubulaire, me semble-t-il, mais c’est une pensée fort incongrue à cet instant, je vous le concède) qui filtre par le haut de la cheminée. Je ne vois autour de moi que des parois grises et tourmentées, pleines d’aspérités et de petites crevasses. Aucune issue, donc, à moins d’être une souris, mais ça je le savais déjà.

Soudain, un bruit sourd et mou se fait entendre à coté de moi. Quelque chose vient de tomber, balancé par les deux hommes par l’orifice de la cheminée. Quelque chose de long et mobile, qui se dirige vers moi… C’est un serpent ! Il ne doit pas faire loin d’un mètre de long. Je n’y connais rien en matière de reptiles, mais celui là est certainement venimeux, sans doute mortel. Pétrifié, je n’ose faire un geste, les yeux écarquillés, souhaitant maintenant ne plus y voir ! Je distingue parfaitement sa tête oblongue, ses yeux jaunes, sa langue noire qu’il sort de temps en temps à autre avec un léger sifflement. Il se met à ramper sur mon ventre, se rapprochant de ma tête… Puis, avec une lenteur affolante, il dodeline doucement et se dirige vers mes jambes…

Soudain l’obscurité presque totale se fait. Levant les yeux, je distingue encore le visage de l’homme barbu, avant qu’il ne lance brusquement un gros caillou dans la crevasse. Par pur réflexe, j’écarte la tête, évitant de justesse la caillasse qui choit sur mon ventre. Affolé par ce mouvement soudain, le reptile bondit soudain et me mord à la cheville droite. Sur le coup, je ne sens presque rien, je note seulement que le serpent relâche sa prise et se sauve en ondulant, disparaissant dans un trou de souris avec un sifflement terrifiant. Puis une douleur aiguë m’irradie toute la jambe, me faisant crier. J’ai à peine conscience qu’au-dessus de moi le visage s’est retiré à nouveau, avec un rire caverneux qui résonne infiniment longtemps dans mes tempes. Je vais mourir, ais-je le temps de penser encore, avant que la douleur ne m’emporte.

Il est un état de l’esprit très voisin du paroxysme de la terreur, c’est le vide total, le néant. Toute pensée est absorbée dans un maelström d’impressions/sensations confuses, tandis que l’esprit s’effiloche et perd jusqu’à la conscience d’exister. Je bascule sans m’en rendre compte dans cet état second, cotonneux, hypnotique. Je ne suis plus moi, je m’observe de l’extérieur. Ma vie défile devant moi à vitesse accélérée, puis soudain c’est le noir.
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