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J’avais aimé le cliché sous cette forme. Je le préférais, presque. Mais, à un moment donné – je ne me rappelle pas exactement quand, mais très probablement avant de l’exposer pour la première fois –, j’ai changé d’avis. J’ai décidé qu’elle était mieux sans moi. Je me suis sortie de la photo.
Je le regrette aujourd’hui. C’était malhonnête de ma part, c’était la première fois que j’utilisais mon art pour mentir, et j’ai envie de dire à Marcus que je m’en veux. Pour tout. De l’avoir suivi à Berlin, de l’avoir laissé tout seul sur l’image, de n’être pas la personne qu’il croyait que j’étais.
Même après tout ce temps, je m’en veux encore.
Afficher en entierUn homme ; il paraît avoir une vingtaine d’années. On voit la partie supérieure de son corps : il a l’air nu, et il contemple son reflet. L’image qui se trouve en face de lui est nette, mais lui ne l’est pas. Il a le visage émacié. Il plisse les yeux, il a la bouche entrouverte, comme s’il était sur le point de parler ou de soupirer. Il y a quelque chose de mélancolique dans cette photographie, mais ce qu’on ne peut pas voir c’est que, juste avant que le cliché soit pris, l’homme – Marcus – riait. Il vient de passer l’après-midi au lit avec sa petite amie, dont il est amoureux, tout comme elle l’est de lui. Ils se sont fait la lecture – Adieu à Berlin d’Isherwood, ou peut-être était-ce Gatsby, qu’elle a déjà lu, mais pas lui – en mangeant de la glace directement dans le pot. Ils ont chaud, ils sont heureux, rien ne peut leur arriver. Une radio émet du rythm’n’blues dans la chambre à coucher qui se trouve en face, de l’autre côté du couloir, et, sur la photo, il a la bouche ouverte parce que sa petite amie, c’est elle qui prend la photo, fredonne en même temps et qu’il s’apprête à l’imiter.
Afficher en entierAu début, je m’autorise seulement un coup d’œil vers les murs. Il y a environ une douzaine de grandes photos accrochées à intervalles réguliers, plus quelques-unes, plus petites, entre deux grandes. Même si aujourd’hui, je suis venue pour une seule photo, je me dis que je pourrais flâner un peu, faire semblant de m’intéresser aux œuvres… Mais je n’en fais rien.
Il me faut un moment pour la trouver. Elle est placée sur le mur le plus éloigné, au fond de la salle, pas tout à fait au centre. Elle se trouve à côté de deux autres clichés – un portrait en couleur et en pied d’une jeune fille dans une robe déchirée, un plan rapproché d’une femme aux yeux cerclés de khôl en train de fumer une cigarette. Elle est en couleur, prise dans une lumière naturelle ; elle présente une palette où les bleus et les gris dominent, et agrandie de cette manière, elle est imposante. L’exposition est intitulée « Lendemain de fête » et, même si je ne la regarde pas en détail avant d’être à moins d’un mètre d’elle, je comprends pourquoi cette photo a été accrochée à un emplacement si privilégié.
Afficher en entierJe monte les escaliers mais la porte est fermée. Je reste devant, j’hésite. Maintenant que je suis là, je ne veux pas entrer. J’ai envie de faire demi-tour, de retourner à la maison. Je réessaierai plus tard.
Mais c’est ma dernière chance. L’exposition est en place depuis des semaines et elle se termine demain. C’est maintenant ou jamais.
Afficher en entierUne autre vague de désespoir me balaie. Rien de tout cela n'était réel. Depuis le début, tout était basé sur un mensonge, une illusion d'amour.
Afficher en entierC'est difficile de se préparer au pire, quand on n'a aucune idée de ce qu'est le pire.
Afficher en entierSonatine, p. 239
« Quelqu'un se fraye un passage devant lui tout en murmurant "Pardon".
C'est étrange, me dis-je.
Ce nouvel arrivant est seul, il y a plein d'autres sièges disponibles.
Pourquoi choisit-il notre rangée ?
Je me pousse moi aussi, et il me dit pardon également, même s'il ne quitte pas l'écrans des yeux.
Je suis encore plus surprise lorsqu'il s'assoit juste à côté de moi.
J'envisage de lui faire remarquer qu'il y a beaucoup de places plus loin, mais je finis par me dire qu'il n'y a pas grand mal.
Je me concentre à nouveau sur le film.
Quelques instants plus tard, je commence à sentir une pression conte ma jambe.
J'ai des doutes au début, mais ensuite cela devient clair.
Le nouvel arrivant presse sa jambe contre la mienne ; le mouvement paraît délibéré, même si je ne peux pas en être sûre.
Je baisse les yeux – sa cuisse est nue ; il porte un bermuda – puis j'écarte la mienne, de quelques centimètres.
C'était peut-être accidentel ; je ne veux pas en faire une histoire.
Je fais semblant de m'absorber dans le film, mais alors la jambe de l'homme se rapproche pour entrer à nouveau en contact avec la mienne, plus manifestement cette fois, trop clairement pour que ce soit une coïncidence.
Je jette un coup d'œil dans sa direction.
La scène sur l'écran est sombre, et je ne vois pas grand-chose.
Je distingue des lunettes à monture épaisse et une casquette de base-ball, de ce modèle rigide qui est posé bien droit sur le devant de la tête.
L4homme a les yeux rivés sur l'écran, il frotte le bas de son visage avec sa main droite, comme s'il était absorbé dans la contemplation des images.
Je décale à nouveau ma jambe et je prends une grande inspiration, m'apprêtant à lui dire d'arrêter ou d'aller se faire voir ; je ne sais pas ce que je vais choisir.
À ce moment précis, l'étranger retire la main de son visage, et se tourne vers moi ; brusquement, le scène sur l'écran s'éclaire violemment, et la salle de cinéma se retrouve baignée de lumière. »
Afficher en entierSonatine, p. 84
« — Oui. Quand quelqu'un est vivant, même quand on ne le voit pas très souvent, on sait qu'on peut le voir.
Si on veut.
— Oui.
— Et maintenant, je ne peux plus. »
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