Extraits

Evidemment, Jeremiah avait raison. J’étais amoureuse de Conrad. J’aurais pu dire à quel moment précis j’en avais eu la certitude. Conrad s’était levé de bonne heure afin de préparer un petit déjeuner spécial pour la fêtes de Pères, seulement M. Fisher n’avait pas pu arriver dans la nuit comme prévu. Conrad s’était quand même aux fourneaux; il avait treize ans et cuisinait comme un pied, mais nous avions tout mangé. Alors qu’il nous servait des oeufs caoutchouteux en essayant de dissimuler son chagrin, j’avais pensé: j’aimerai toujours ce garçon.

"Je me suis demandée si les amours d'enfance mourraient toujours ainsi, lentement d'abord, dans un sanglot, avant de s'évanouir comme ça, d'un coup." Belly, L'été où je suis devenue jolie.

-Je sais que tu as toujours eu un faible pour Conrad, mais c'est fini maintenat,non ?

Il y avait une telle lueur d'espoir dans ses yeux que ça me tuait,ça me tuait de ne pas pouvoir lui donner la réponse qu'il souhaitait.

-Je...je ne suis plus sûr, ai-je chuchoté.

Il a fait claquer sa langue, comme toujours lorsqu'il n'obtenait pas ce qu'il voulait.

-Mais pourquoi? Il ne te voit pas comme ça. Alors que moi, oui.

Je sentais les larmes me monter aux yeux.C'était injuste, je ne devais pas pleurer. Simplement, il avait raison: Conrad ne me considérait pas comme ça.Si seulement j'avais pu partager les sentiments de Jeremiah...

-Je sais, j'aimerais changer. Mais c'est ce que je ressens.C'est ce que je continue à ressentir.

Il s'est écarté de moi. Il n'arrivait plus à me regarder,ses yeux se posaient partout dans la pièce sauf sur les mienss.

-Il ne réussira qu'a te blesser...

Sa voix s'est brisée.

-Je suis désolée, Jeremiah, si tu savait à quel point.Ne m'en veux pas, s'il te plaît, je ne pourrai pas le supporter.

Il a soupiré.

-Je ne t'en veux pas...Mais pourquoi faut-il que ce soit Conrad?

Il s'est levé et m'a abandonnée sur le canapé.

Les deux garçons ont échangé un regard.

- Je suis un ange, mais je pense que le terme d'angelot conviendrait mieux à Jeremiah, a rétorqué Conrad en ébouriffant les cheveux de son frère.

- Toi, un ange ? a-t-il riposté en repoussant sa main. Tu es le diable, oui !

La bagarre n'était plus qu'un souvenir lointain. C'était comme ça avec les garçons : ils se battaient, puis ils passaient à autre chose.

-Eh, regarde! ai-je lancé en indiquant la route. Ce type en fauteuil roulant vient de nous dépasser!

Steven m'a ignorée et je me suis mise à jouer avec la radio. [...]

J'ai trouvé ma chaîne préférée, qui passait de tout, pop, vieux tubes, hip-hop. Tom Perry était en train de chanter ''Free Fallin.'' J'ai aussitôt entonné : ''She's a good girl, crazy 'bout Elvis. Loves horses and her boyfriend too.''

Steven a tendu la main pour changer de station et je l'ai repoussé d'une tape.

-Belly, ta voix me donne envie d'envoyer la voiture au fond de l'océan.

Il a fait semblant de donner un grand coup de volant à droite. J'ai braillé encore plus fort, ce qui a réveillé ma mère, et elle s'est aussitôt jointe à moi. Nous chantions plus faux l'une que l'autre et Steven a secoué la tête avec cet air dégouté qui lui était propre. Il détestait être en minorité. C'Était ce qui l'embêtait le plus avec le divorce de nos parents : se retrouver seul, sans papa pour prendre son parti.

Je lui ai serré la main. Je n'avais pas l'impression de faire ce qu'il fallait depuis longtemps. On est restés assis, main dans la main, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde. (...)

Je n'ai pas bougé, je lui ai tenu la main en silence. Tout le reste paraissait si loin; il n'y avait que nous.

Je m'était toujours demandé à quoi ils ressemblaient en décembre.J'avais essayé de les imaginer avec des écharpes rouges cerise et des cols roulés,les joues rosies par le froid,devant un arbre de Noël,mais l'image m'avait toujours paru factice.Je n'avais jamais vu ni Jérémiah ni Conrad en hiver et j'étais jalouse de ceux qui les fréquantaient à cette période de l'année.J'avais les tongs,les coups de soleil sur le nez,les maillots de bain et le sable.Mes les filles de la Nouvelle-Angleterre avaient,elles,les batailles de boules de neige dans la forêt.C'étaient elles qui se blotissaient contre eu en attendant que la voiture se réchauffe,elles à qui ils prêtaient leurs manteaux lorsque l'air se rafraîchissait.Enfin,Jérémiah peut-être.Pas Conrad.Conrad n'aurait jamais fait une chose pareille;ce n'était pas son genre.Mais peu importe,ça me paraissait injuste.

" Je ne savais pas quoi dire. J'aimais Conrad et ce serait sans doute toujours le cas. Je l'aimerais toute ma vie, d'une façon ou d'une autre. Je me marirai peut être avec un autre, je fonderais peut être une famille, mais ça n'aurait aucune importance, parce qu'une partie de mon coeur, celle où vivait l'été, serait toujours à Conrad." Belly, L'été où je suis devenue jolie.

"Parfois, les gens vous paraissent un million de fois plus beaux qu'ils ne le sont en réalité. Comme si on les voyait à travers des verres spéciaux - sauf qu'à partir du moment où on les aperçoit d'une certaine façon, est-ce qu'ils ne finissent pas par le devenir réellement ?" Belly, L'été où je suis devenue jolie.

- Belly, si tu continues, tu vas finir avec des épaules de nageuse allemande, m'a prévenue Taylor en plongeant ses orteils dans l'eau pour la tester.

Je l'ai ignorée. Qu'est-ce qu'elle en savait, d'abord ? Elle considérait que faire du shopping en talons était une activité sportive.