Extraits

Le spectacle de cette jeune femme, berçant amouresement contre elle un homme assez âgé pour être son grand-père, pouvait sembler étrange, mais pour leur famille cela n'avait rien d'extraordinaireSpoiler(cliquez pour révéler): c'était juste Will et Tessa.

Tessa avait toujours admiré ses yeux, ses lèvres, son visage, mais elle n'avait jamais vraiment pensé à son corps. En le voyant, elle songea au David de Michel-Ange.

« Ave atque vale », songea-t-il. « Salut et adieu. » Il n’avait jamais vraiment réfléchi à ces mots auparavant. Chaque rencontre donnait lieu à des adieux, et il en serait ainsi tant que les hommes mourraient. Chaque rencontre recelait la tristesse des adieux, mais toute séparation s’accompagnait de la joie de s’être connus.

Et cette joie, il ne l’oublierait pas.

Will connaissait la citation par cœur. "J'ai traversé bien des terres et des mers, mon frère, pour rendre hommage à tes restes infortunés, t'apporter cette suprême et funèbre offrande, à ta cendre muette adresser de vains mots. Et pour toujours, mon frère, salut et adieu."

- L'enfer est pavé de bonnes intentions. Regardez le Magistère. S'il agit de la sorte, c'est par loyauté envers ses parents assassinés par les Chasseurs d'Ombres. Cela peut se comprendre, et pourtant rien ne justifie le résultat. Je crois qu'à chaque fois que l'on est confronté à un choix, il faut examiner non seulement les raisons qui le motivent mais aussi les conséquences qui en résulteront, et il faut aussi se demander si les gens bien souffriront de notre décision.

Après avoir scellé la lettre, Will appela l'aubergiste et obtint qu'en échange d'une demi-couronne le garçon d'écurie l'apportât à la malle-poste. Une fois qu'il eut payé, Will se renfonça dans son siège et s'apprêtait à commander un autre verre de vin pour s'assurer une bonne nuit de sommeil quand il éprouva une douleur aiguë à la poitrine. Il sursauta comme s'il venait de recevoir une flèche en plein cœur, et son verre se brisa sur le sol. S'étant levé d'un bond, il s'appuya des deux mains à la table sans prêter attention aux regards braqués sur lui. Il entendait vaguement la voix anxieuse de l'aubergiste dans son oreille, mais la douleur était si vive qu'il avait du mal à réfléchir et l'impression d'étouffer.

La tension dans sa poitrine, qu'il voyait comme l’extrémité d'une corde le reliant à Jem, s'était accrue au point qu'il avait l'impression d'avoir le cœur comprimé. Il recula en chancelant, bouscula un petit groupe de clients accoudés au bar et franchit la porte de l'auberge. Il n'avait qu'une idée en tête, sortir pour prendre l'air.

IL s'enfonça dans la nuit en titubant. Pendant un bref instant, la douleur reflua et il s'adossa au mur du bâtiment. Il pleuvait à sceaux et, en quelques secondes, il fut trempé de la tête au pieds. Il chercha son souffle, le cœur battant, en proie à une terreur mêlée de désespoir. Était-ce seulement la distance avec Jem qui l'affectait ? Il n'avait jamais éprouvé pareil malaise, même quand Jem était au plus mal.

La corde se rompit.

L'espace d'un instant, tout devint blanc. Will tomba à genoux et vomit son dîner dans la boue. Une fois que les spasmes se furent calmés, il se releva péniblement et commença à marcher à l'aveuglette pour semer la souffrance. Il atteignit les écuries et vomit de nouveau sur le mur près de l'abreuvoir. En s'agenouillant pour plonger les mains dans l'eau glacée, il aperçut le reflet de son visage livide et de sa chemise, sur laquelle s'épanouissait une grosse tache de sang.

Saisissant le vêtement par le col, il tira d'un coup sec, et tous les boutons cédèrent. Dans la faible clarté provenant de l'auberge, il vit que sa rune de parabatai saignait.

Peu à eu, la pluie lava le sang qui maculait ses mains et son torse. Alors Will s'aperçut que la rune, auparavant noire, avait pris une teinte argentée, et que tout ce qui faisait sens dans sa vie venait de laisser place au chaos.

Jem était mort.

_ J'envisageais justement de ligoter Cecily pour aller nourrir les canards de Hyde Park avec sa carcasse, di celui-ci en gratifiant Jem d'un de ses rares sourires. Je veux bien de ton aide.

_Hélas, il te faudra reporter tes projets fraticides. Gabriel Lightwood est en bas et j'ai deux mots à te transmettre. Deux mots qui comptent parmi tes favoris, du moins employés ensemble.

_Âne bâté ? Arriviste forcené ?

Jem sourit avant de répondre :

_Non. Vérole démoniaque.

Il se baissa pour ramasser quelque chose et, quand il se redressa, il tenait son étui à violon dans une main et son archet dans l'autre.

-Je... j'ai quelque chose pour toi. Un cadeau de mariage. Mais j'aimerais te l'offrir dès à présent si tu le permets.

-Un cadeau? répéta-t-elle, perplexe. Mais nous venons de nous quereller!

Il eut un sourire charmant qui éclaira tout son visage, un de ces sourires qui faisaient oublier sa maigreur et sa fatigue.

-Les disputes font parties intégrale du mariage, à ce que l'on m'a dit. Celle ci aura tenu lieu d'entrainement.

-Mais...

-Tessa, t'es-tu vraiment imaginé qu'il existait un sujet de dispute, grave ou bénin, susceptible de remettre en question mon amour pour toi?

Il semblait perplexe, et soudain elle songea à Will, à toutes ces années durant lesquelles il avait mis à l'épreuve la loyauté de son ami. Il l'avait maintes fois fait tourner en bourrique avec ses mensonges, ses esquives et son caractère autodestructeur, et pourtant l'affection que Jem portait à son frère de sang n'avait jamais faibli.

-J'avais peur, dit-elle tout bas.

Will allait tourner les talons quand Jem lui agrippa le poignet. Il fut si surpris qu'il ne put articuler un son.

-Je ne suis pas encore mort, Will, dit Jem d'une voie douce mais déterminée. Que sous-entendait Magnus quand il t'a demandé si je savais que tu es amoureux de Tessa?

Jusqu'à ce que la voix de Bridget, s'élevant de la cuisine, la ramène à la réalité.

(...)

Après s'être détaché à contrecoeur de Gideon, Sophie se redressa en époussetant sa robe.

-Pardonnez-moi, mon cher Mr. Lightwood - je veux dire Gideon - mais il faut que j'aille étrangler la cuisinière. Je reviens tout de suite après.