Extraits

- Que voulez-vous? demandai-je à l'oracle.

Elle se tapota le menton, qui tombait en poussière. Dégoûtée, je reculai d'un pas.

- Mmm, voyons voir. De quoi serais-tu prête à te séparer? Peut-être ton futur enf...

- Non, répondis-je en même temps qu'Ash.

L'oracle grogna.

- Vous ne m'en voudrez pas d'avoir essayé.

Il lâcha ma main, recula d'un pas et posa un genou au sol en inclinant la tête. Mon cœur se serra ; les larmes me montèrent aux yeux.

- Mon nom est Ashallyn'darkmyr Tallyn, troisième fils de la cour Unseelie.

Sa voix était basse mais assurée, et j'eus le souffle coupé en l'entendant prononcer son nom complet. Son véritable nom.

- Qu'on se le dise : à partir de ce jour, je fais le serment de protéger Meghan Chase, fille du roi de l'Été, par mon épée, mon honneur et ma vie. Ses désirs sont les miens. Ses souhaits sont les miens. Quand bien même le monde entier serait contre elle, ma lame sera à son service. Dût-elle échouer à la protéger, qu'il en soit alors fini avec ma propre existence. Je le jure, sur mon honneur, mon véritable nom, et ma vie. A partir de ce jour...

Sa voix se fit encore plus basse, mais je l'entendis comme s'il m'avait chuchoté au creux de l'oreille.

- … je suis à toi.

Le cœur battant, je me tournai alors vers Puck qui ne ma quittait pas des yeux et ne s'était pas départi de son fameux sourire oblique. Grand, dégingandé, il était semblable à lui-même, toujours prêt à se lancer dans la bagarre et à décrocher une remarque piquante ou une répartie malicieuse. Je distinguai dans ses yeux une ombre de couleur et de colère qui me serra le cœur.

- Salut, princesse.

- Salut, murmurai-je.

A ces mots, Ash m'enlaça possessivement et cloua Puck de son regard d'acier. Ce message muet était plus éloquent qu'un discours : "Elle est à moi. Bas les pattes."

- Maintenant, poursuivit-elle en reculant, je crois que tu as tout ce qu'il te fallait, Meghan Chase. Lorsque je te reverrai, quels que soient tes choix, tu ne seras plus la même.

Nous restâmes assis là, tous les quatre, à parler tranquillement ou à regarder le ciel sans rien dire. Je ne vis pas d’étoile filante, mais si tel avait été le cas, j’aurais fait le vœu qu’il n’arrive rien de fâcheux à mon père, qu’Ash et Puck survivent aux luttes à venir, et que, globalement, nous nous en sortions tous bien. Mais on n’allait pas bien loin avec des vœux. Les marraines-fées n’existaient pas non plus, et quand bien même elles auraient existé, elles n’auraient pas eu de baguette magique pour les exaucer (pas sans un bon contrat à la clé, en tout cas). Cela dit, j’avais bien mieux qu’une marraine-fée : j’avais mon chevalier-fée, mon illusionniste-fée, et mon chat-fée. Ce n’était déjà pas mal.

Le glamour enflait en moi comme une tornade, un tourbillon d’énergie et d’émotion. Lors de notre première entrevue, la reine Mab, reine de l’Hiver, avait bloqué ma magie de peur que je l’exerce ; depuis, le sortilège avait été levé, et je sentais de nouveau m’envahir les pulsations familières de mon pouvoir. Le glamour était partout : en moi, autour de moi — sauvage, indomptable, gorgé de la magie d’Oberon et de celle des fées de l’Eté.

Je poussais un soupir.

- Il me déteste.

- Non, je crois que ce sentiment m'est exclusivement réservé, dit Ash.

Comme je ne répondais pas, il nous fit avancer jusqu'au coin de l'allée.

- Goodfellow ne te déteste pas, poursuivit-il tandis que l'ombre se faisait plus noire et menaçante au-delà des réverbères. Il est en colère, mais je pense que c'est plutôt envers lui-même. Après tout, il a eu seize ans pour se déclarer. Qu'il s'en prenne à lui-même, s'il est furieux que j'ai gagné.

- Ah, parce que c'est une compétition, maintenant ?

- Si tu veux appeler ça comme ça...

J’ai appris aussi que l’amour peut transcender la race et le temps ; qu’il peut être beau, parfait, digne qu’on se batte pour lui, mais qu’il peut également se révéler fragile, déchirant, et nécessiter des sacrifices. Que l’on se retrouve parfois seule contre le monde entier, sans qu’aucune décision ne soit facile. Que l’on doit savoir quand tenir bon… et quand lâcher prise. Et que même si cet amour revient vers vous, on peut découvrir quelque chose de caché chez quelqu’un d’autre qui vous a toujours été proche.

Vous autres, mortels, ne mesurez la valeur de ce que vous possédez que lorsque vous le perdez.

Spoiler(cliquez pour révéler)« - Je t'aime. N'oublie jamais ça. Je … je voulais vivre toute ma vie avec toi. Mais…

[…]

- Mais je ne peux pas te laisser mourir à cause de moi.

Son regard s'assombrit quand il comprit où je voulais en venir et il eut un l'air affolé.

- Je ne le permettrai pas, Ash…

- Meghan, non !

- Peu importe que tu me détestes,poursuivis-je en parlant plus vite pour qu'il ne puisse pas me faire changer d'avis. Détestes-moi, même, comme ça tu pourras trouver quelqu'un… quelqu'un d'autre à aimer. Mais je veux que tu vives. Tu as tant de choses à faire.

- Je t'en prie.

Il agrippa ma main.

- Ne fais pas ça.

- Je te libère de ton serment de chevalier et des promesses que tu as faites. Ton service envers moi est terminé, Ash. Tu es libre.

Il baissa la tête, et ses épaules s'affaissèrent. Je tentai d'avaler la boule amère qui me serrait la gorge; mon ventre se contracta douloureusement. Voilà, c'était fait … Je lui en avais demandé tant ! Même s'il était sincèrement prêt à mourir, je ne pouvais pas laisser une telle chose arriver.

- Maintenant, dis-je en lâchant sa main, pars, Ash. Retourne au Pays de Nulle Part avant qu'il ne soit trop tard.

- Non !

- Ash, tu ne peux pas rester là ! Tu n'as plus d'amulette. Si tu t'attardes encore, tu vas mourir!

Ash ne répondit pas et je sus, au vent de détermination que je percevais autour de lui, qu'il resterait auprès de moi malgré tout. Il me restait encore un moyen…

Il allait maudire le jour où il avait rencontré la jeune fille dans la forêt Sauvage et faire le voeu de ne plus jamais, jamais tomber amoureux. Mais il allait vivre.

- Ashallyn'darkmyr Tallyn, dis-je.

Il ferma les yeux.

- Par le pouvoir de ton véritable nom, quitte immédiatement le royaume de Fer.

Je détournai la tête pour ne plus le voir, et me forçai à prononcer ces derniers mots :

- Et ne reviens pas.

Je suis vraiment désolée Ash. Mais je t'en prie, vis pour moi. Si quelqu'un mérite de sortir vivant de tout cela, c'est bien toi.

Il y eut un petit bruit, comme un sanglot étouffé. Puis Ash se leva, l'air hésitant, semblant lutter contre l'obligation d'obéir.

- Je serais toujours ton chevalier, Meghan Chase, dit-il d'une voix étranglée, comme si chaque seconde lui faisait mal. Et je jure que s'il existe une quelconque façon pour nous d'être à nouveau ensemble, je la trouverai. Peut importe le temps que cela prendra. Si je dois chercher ton âme jusqu'au fond de l'éternité, je le ferai jusqu'à ce que je la trouve, je le promets.

Et il s'en alla.»

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