Lucy

J’apprécie particulièrement la soirée quand, après une longue séance d’écriture et de correction, je me pose tranquille dans mon salon pour écouter de la musique. Je l’aime douce et pas trop rythmée. Elle me permet de me laisser aller et d’inventer dans ma tête des histoires que je coucherai certainement sur le papier plus tard lorsque le moment sera venu. Souvent, des solos de piano s’élèvent dans mon appartement, je les savoure les yeux fermés. Toutefois, ce soir, ma quiétude est perturbée par des bruits inhabituels provenant du couloir. Je sors de chez moi, intriguée et monte quelques marches. Je me retrouve nez à nez avec une petite fille. Elle joue avec un cheval noir en plastique. La fillette mime son animal au trot et se raconte une histoire, seule sur ce palier intermédiaire.

Je ne l’ai jamais vue ici et suis très étonnée par sa présence. Je m’approche d’elle et m’accroupis pour être à sa hauteur.

— Bonsoir !

Surprise, elle s’arrête dans son élan, me regarde, sourit et me répond :

— Bonjour Madame.

— C’est un joli cheval que tu as là, dis-moi ! Comment se nomme-t-il ?

— Éclair ! Il est très rapide !

— Je vois, oui. Tu aimes les chevaux ? Euh… comment t’appelles-tu ?

— Oui Madame, j’aime beaucoup les chevaux. Plus tard, quand je serai grande, ma maman m’a dit que je pourrais en avoir un vrai. Je m’appelle Lucy.

— Enchantée Lucy, moi c’est Maggie.

Lucy regarde attentivement la main que je lui tends et vient à ma rencontre. Très fièrement, elle me répond :

— Enchantée Madame Maggie !

— Tu peux m’appeler Maggie, tu sais ?

— Ma maman dit que je dois être polie quand je parle aux personnes que je ne connais pas, Maggie.

Cette gamine est vraiment mignonne, mais je suis très troublée par sa présence ici.

— Peux-tu m’indiquer ton âge, Lucy ?

— J’ai huit ans !

— Et où se trouve ta maman ?

— Elle travaille, dit-elle en se remettant à jouer avec son cheval.

— Tu n’habites pas l’immeuble, n’est-ce pas ?

— Non Madame.

— Comment as-tu fait pour passer le portail ?

— Maman et moi, on a croisé une dame cette après-midi. Maman lui a porté ses courses et a tapé le code pour l’aider à rentrer.

Je considère la petite fille deux minutes sans plus rien ajouter, lorsqu’une évidence me frappe.

— C’est gentil à vous d’avoir aidé Madame Blanchard. C’est une très vieille dame, tu sais.

— Oui, c’est ce que m’a dit maman. Moi aussi, je l’ai aidée à porter ses courses !

Je souris à la fillette devant moi et l’examine en détail. Assise sur une couverture épaisse pliée sur elle-même et habillée comme il faut, elle s’avère parfaitement propre. Elle semble bien éduquée et très polie. J’ai de la peine à la voir ainsi dans le couloir, seule avec son jouet et un livre que j’observe minutieusement. Il s’agit d’un manga, « Plum, un amour de chat ».

— Tu aimes lire Lucy ?

— Oui Madame.

— Et tu aimes les chats ?

— Oh oui ! Maman dit que bientôt, j’en aurai un comme Plum.

— Ah oui ! C’est génial ça ! Tu sais que j’ai un chat ? C’est une femelle, elle est toute noire comme Éclair, mais avec une minuscule tache blanche, là, sous la tête, lui dis-je en pointant mon doigt sur elle à l’endroit précis de la tâche. Elle s’appelle Truffe.

J’observe les yeux de la petite fille pétiller. Elle me touche et j’ai du mal à la voir ainsi seule et sans protection.

— As-tu mangé Lucy ?

— Oui, avec maman avant de venir.

— D’accord, très bien. Sais-tu à quelle heure ta maman va finir de travailler ?

— Non. Maman m’a dit qu’elle était juste à côté, qu’il ne fallait pas que je bouge d’ici et que je l’attende sans faire de bruit.

Je suis perplexe quant à cette femme capable d’abandonner sa fille seule dans un couloir d’immeuble...