Extraits

- J'aime les livres qu'on peut mettre dans les poches, trimballer, aimer, prêter, corner, donner, racheter pour relire ses passages préférés. C'est un acte important pour moi d'échanger un livre qu'on aime, c'est comme prêter ses chaussures.

C'est fou ce que ce truc me rappelle la mère d'une fille que j'ai connue ! Elle dégageait cette même suffisance rêche et bourgeoise. Les traits de son visage étaient d'une incroyable laideur. Rien de suffisamment monstrueux pour que ça en devienne attachant ou inquiétant, juste la laideur étriquée et mesquine d'un petit caporal fier de son triste galon.

Est-ce que ça va mieux, est-ce que c'est léger comme une bulle de laisser son corps juste là, tel un vêtement abîmé que l'on ne peut plus porter ? C'est fini ce poids qui écrasait ton sourire ? qui écrasait ton ventre, qui t'écrasait ? Tu as pu t'échapper, dis ? Avec ton sourire en poche maintenant qu'il fait tout le temps nuit sur toi ?

Un rêve brisé bien recollé peut devenir encore plus beau et solide. Au point de frrrrlllacasser les limites du réel.

- Mais oui ! Tu es vivant, tu es donc une machine à rêves en état de marche. Tu dois seulement continuer à actionner le mécanisme ! La preuve qu'elle est pas foutue ta machine à rêves, c'est que tu as un grand con de géant qui est venu te filer un morceau d'ombre et bouffer des pommes de pin dans ton jardin, hé !

Maintenant il fait tout le temps nuit sur toi. Tu reçois des lettres, on les donne à lire à tes vêtements, ça ne les déplie pas. Est-ce que je peux t'envoyer un peu d'Espagne, du bon champagne et deux, trois livres, maintenant qu'ils te foutent la paix avec leurs tuyaux dans le nez et le ventre, que tu n'as plus à te forcer à manger et à décrocher le téléphone?

- Je vis dans ton rêve, personne ne peut voir tes rêves. Ceci dit, dit-il avec sa curieuse position dos recourbé index pointé, tu dois continuer à rêver de toutes tes forces...

- Rêver maintenant ?

- Maintenant ! C'est ta meilleure arme pour rester vraiment vivant. C'est d'ailleurs le cas pour tout le monde. Mais vu ta situation, c'est une priorité ! Ah oui !

- Oui ? Je ne suis pas sûr de savoir encore comment ça marche, les rêves.

Tous mes patients sont différents. Certains en sortent consolidés, même sauvés, d'autres en meurent, étouffés dedans comme des poussins dans leur coquille. Les ombres que je dispense sont fabriquées à base de liquide amniotique ; certains se noient dedans en plein sommeil.

L'hôpital. Son couloir interminablement blanc à escalader en marchant à l'horizontale sans s'écraser contre un mur. Il est interdit de s'écrouler. Il ne faut pas. Articuler les poumons, avec des mouvements normaux de respiration. Tout est bloqué, tout est vide.

Utilise tes rêves. Et même s'ils sont cassés, recolle-les ! [...] Un rêve brisé bien recollé peut devenir encore plus beau et solide.