- Non, répétai-je en fermant les yeux douloureusement, je suis tombé amoureux de la seule fille que je ne pourrai jamais avoir...

Qu'avaient fait les sanchaïm pour mériter un tel sort ? La réponse, tant de fois mûrie par la pratique de la méditation, s'imposa d'elle-même : les dieux ne sauraient être blâmés de la folie des hommes.

- Mãe, tu as parié sur moi ?
- Jamais de la vie, filha. J'avais parié sur Max.
Celui-ci se penche à mon oreille.
- Ta mère est une femme pleine de bon sens.

Quand tu as passé une journée horrible, ou que quelque chose cloche, je veux que tu penses à moi et à mes bras comme l'endroit où tu trouveras du réconfort.

Je me fiche d'être le premier ou le centième, tant que je suis le bon pour toi.

J'escaladerai les remparts que tu as dressés pour te prouver combien je tiens à toi.

- Une projection astrale, comprit Rehn avec irritation. Je ne peux pas t'atteindre physiquement.
- Il nous faudra nous rencontrer face à face pour cela, lui confirma le mirage. Je te l'ai dit, ce moment viendra.
- Alors quoi ? Es-tu seulement venue pour m'assommer à propos de la toquade d'une adolescente envers mon homme et peloter ma poitrine ?
- Quelle poitrine ? se moqua Scathach en reculant d'un pas.
- Tiens-tu vraiment à orienter le débat sur le physique, Feuille Morte ? Pour rappel, tu t'es mélangée à un arbre.

Elle est l'impératrice des chimères. Elle vous a leurré. Nul ne peut quitter le cœur de la brume sans en avoir préalablement détruit le maléfice. En fuyant ce sanctuaire aujourd'hui, vous vous condamneriez à une éternité d'errances dans les limbes cauchemardesques. Croyez-moi, mon esprit y gît.

D'un geste agacé, la tempestaire commanda à ses alliés de ranger leurs lames, puis enchaîna sa remontrance tandis que Knud, morne et dévasté, se sentait lentement engloutir par le sol. Impitoyable, elle porta l'estocade.
- Vous n'avez ni l'âme d'un chef, ni celle d'un héros. Pas même d'un compagnon digne. Vous n'avez fait que conspirer, duper, et ne défendre que vos propres intérêts tout le long de notre périple. Regardez-vous ! Il ne vous aura fallu étreindre ce misérable bout de ferraille qu'une poignée de seconde avant de révéler votre vraie nature. Simulacre de prêcheur, guerrier timoré et traître à la cause de Noirelouve. C'est pour vous que vos soldats sont tombés. Vous couvrez de honte leur loyauté, minable ! Vous mériteriez la corde si nous n'étions pas autant à court de ressources.

- N'avez-vous pas saisi ? Lui lança Rehn, que l'exaspération rendait fort chiche en doigté. L'embrouilleuse qui s'est acharnée à nous barrer la route jusqu'au seigneur Trénus, c'est Scathach. Sous sa forme spectrale. Façonneuse de cauchemars et fantôme aux mille aspects hantant nos songes, comme elle le fait avec son prisonnier. Nous la combattons depuis le début et vous pensez que cet affrontement ne vous concerne pas ? Croyez-vous aussi qu'elle vous laissera rejoindre Val Halfdan si vous partez aujourd'hui ?

Je suis Rehn, héritière désignée de la Haute-Maison des Macareux par son seigneur, mon père. Je suis destinée à commander à mon clan et défendre le prestige de mes aïeux. Au grand désarroi des miens, et peut-être pourrez-vous en témoigner, je ne suis guère conciliante, notamment envers les obligations qui restreignent ma liberté. Et mon séjour en Arcadie a, je le crains, contribué à faire germer les mauvaises pousses de ma personnalité que mon père a tant tenté d'élaguer. Il n'est pas dans mon intention immédiate de cesser de frustrer ses attentes en me cloîtrant dans notre fief familial. Je lui préfère largement les périls auxquels m'expose une vie d'aventures, à battre la campagne pour satisfaire mon insatiable désir d'indépendance. Je veux jouir du vaste monde et en faire reculer les limites. Je veux éprouver le potentiel de mes pouvoirs en bravant ce que les dieux disposeront sur mon chemin. Tel mes ancêtres, je veux acquérir ma propres gloire et conquérir mes propres richesses au lieu d'hériter sans mérite. Je veux forger mon propre destin.

- Cinq est un chiffre de pouvoir, affirma ce dernier avec contentement en désignant chacun d'eux. Moins que le sept initial, assurément, mais d'une valeur certaine.
- Cinq tels les doigts de la main, commenta Jarand avec piété.
- Gageons qu'il ne s'agisse pas d'une main gauche, plaisanta Rehn devant leur air solennel.

Tout n'était que lutte de pouvoir. Il n'était pas question que la détention de celui de cette compagnie lui échappe à la faveur d'un sursaut théologique. De quel droit Knud orientait-il les choix et soumettait-il les décisions à son jugement ? Courir après une relique légendaire et un couple d'ombres ou rassembler des fagots n'avait pas la moindre importance. Leur groupe ne s'engagerait sur aucune piste qu'elle n'aurait choisi d'emprunter. Imposer sa volonté sans soumettre, obtenir l'obéissance sans menacer, influer à l'insu tout en persuadant ses suivants qu'ils disposaient de leur libre arbitre, telle était la recette du véritable commandement.

- Les chiens que le castré a lancés à tes trousses ne t'ont pas retrouvée à Val Halfdan, poursuivit le jeune Arcadien comme s'il lisait ses pensées. Ils n'y parviendront pas davantage ici. J'ai couvert t'es traces.
- Tu m'as protégée ?!
- C'est ce que nous avons toujours fait, répondit-il, foncièrement étonné par la question. Veiller l'un sur l'autre. Qu'est-ce qui pourrait changer ça ?
- Tu es mort par ma faute, sanglota l'adolescente, débordée par l'émoi. Ce silence, cet esseulement... J'avais fini par me convaincre que tu étais furieux contre moi, que tu m'abandonnais après que je t'ai abandonné. Je me suis sentie tellement coupable toutes ces années !

- Votre cicatrice. D'où vient-elle ?
[...]
- Une lance mal déviée au Guet du Pendu.
- Les tribus du Père des Corbeaux, acquiesça doucement le jarl, satisfait. J'ai perdu un frère lors de cette bataille.
- J'aurais voulu y perdre l'un des miens.
- Eux savaient sans doute tenir une garde haute, commenta le vieux guerrier avant de se détourner et repartir.

Je loue votre fougue, jeune homme. Vous pensez que je manque de cran, mais je déplore votre absence de raison. Les Terres d'Hiver se moquent bien de l'un ou de l'autre. Elles ne rendent jamais ceux qui en franchissent la lisière.