Extraits

— Il est minuit, me souffle-t-il à l’oreille. Hier est parti, demain n’arrive pas encore, mais aujourd’hui… j’ai juste envie qu’il existe, et dure à l’infini.

Rhys

Il semble tellement démuni qu’il provoque une nouvelle rage en moi. Si je pouvais dégommer ce foutu destin qui nous a réservé une telle détresse en ne nous donnant aucun guide, aucun mode d’emploi pour nous en sortir. Il aurait suffi de rien… Peut-être plus de mots. Plus d’écoute. Moins de colère…

Je maudis ce que nous sommes, pauvres humains impuissants face à l’existence et à ses pièges.

Jordan

Je crois que Rhys Ashton est un animal sauvage qui n’a jamais été dompté. S’approcher de cet homme nécessite de la patience.

Et, à mon plus grand dam, tout mon être ne cherche qu’à l’approcher…

Rhys

Silencieusement, je savoure l’effet des gouttes bien trop chaudes qui agressent ma peau. J’observe sans bouger les ténèbres qui se diluent lentement sur mon épiderme pour glisser le long de mes muscles, dévaler mes membres, s’amasser à mes pieds sur la faïence blanche, puis tourbillonner jusqu’au siphon pour enfin disparaître à tout jamais dans un abîme qui ne m’appartient plus.

Jordan

— Et même si je joue le jeu… reprend-il, toujours parti dans sa fureur. Tu veux savoir quoi ? Comment personne ne porte attention à ta petite personne lorsqu’un truc pareil se produit ? Comment tu peux découcher sans que personne s’y intéresse ? Comment je suis tombé dans la drogue sans attirer l’attention de qui que ce soit, alors que je rentrais complètement défoncé au motel ? Comment j’aime et je comprends tellement bien mes parents que je ne peux même pas leur reprocher de m’avoir oublié au passage ?

[...]

— Que je me sentais seul, si seul que j’ai dû m’allier aux mauvaises personnes pour ne pas me foutre sous une bagnole ? C’est ça que tu veux que je raconte à cette gamine, Jordan ? Le sentiment si fort que tu n’aurais jamais dû naître. Que plus rien ne ressemblera jamais au putain de bonheur de merde dans ta vie ? Que tu es le maillon faible, que tu as déçu les seules personnes que tu aimes plus que tout ? Qu’ils ne te diront jamais qu’ils te haïssent parce qu’ils gardent, malgré tout ça, cette haute notion de la famille et d’un amour filial qui n’existent plus que dans leurs certitudes ? C’est vraiment ça que tu veux qu’elle entende ?

— Rhys… soufflé-je, totalement démuni, dévasté et au bord des larmes. Je t’en prie, arrête…

— Non ! rugit-il en se rapprochant de moi. Non, je n’arrêterais pas, Jordan Thomas, parce que tu es venu chercher tout ça ! Et pour la première fois de toutes nos deux vies merdiques réunies, je vais répondre à tous ces regards que tu m’as lancés pendant toutes ces années.

Il attrape mon menton pour m’obliger à lui faire face. Son nez contre le mien, ses yeux emprisonnant les miens. Son souffle calcinant le mien.

— Oui, je suis coupable, Jordan. Entièrement coupable de tout ce qui a pu chagriner ta vie. Le démon de l’histoire, le sale con qui a préféré ses clopes à son frangin. L’égoïste, l’alcolo. Et oui, je suis désolé. Tellement désolé que ce mot est inscrit dans mon âme. Dans mes cauchemars. Dans mes nuits, dans mes jours. Il n’y a pas une heure qui passe depuis ce foutu lundi sans que je pense à ma connerie.

Jordan

1/ Rhys est un connard. Ce fait est gravé dans le marbre. Donc, aucunement sexy ou tentateur.

2/ Rhys est hétéro. Inutile de développer plus, le mot suffit.

3/ Rhys est le frangin de Cam. Jamais je ne pourrai en pincer pour le frère de mon meilleur pote que je considère comme un frère, justement. Et donc, par extension, son frangin est le mien aussi. Risque élevé de consanguinité. C’est mort.

Rhys

— Julian a trouvé du boulot ! déclaré-je en laissant ma mère ajouter du sucre dans ma tasse.

Ça aussi c’est un truc que je me révèle incapable de contrer. Je ne prends plus de sucre dans mon café depuis mes dix-huit ans, mais je ne lui ai pas avoué. Elle semble prendre un certain plaisir à me dorloter chaque fois que je passe les voir. Inutile de la vexer.

Jordan

Je capte son regard sur moi à travers l’obscurité et je me sens ridiculement nul face à ce mec. Mon expérience et la sienne n’ont rien en commun. Lui, il semble avoir tout vécu et moi, rien. Même nos physiques sont l’exact opposé. Lui, Tarzan, moi Jane, pour résumer.

Donc, nous engager sur le terrain délicat du sexe me paraît d’ores et déjà une défaite cuisante. Je ne suis pas de taille à affronter, même verbalement, ce sujet avec le serial baiseur qu’il est. Hétéro ou homo, ce n’est même pas le problème. Il maîtrise, moi pas.

Jordan

J’ai besoin de lui. J’ai besoin de le haïr lorsque la pression m’étouffe. Besoin de ses paroles acides pour m’y raccrocher lorsqu’il n’existe personne à blâmer. Besoin de le maudire lui au lieu du destin. Que je le veuille ou non, la vie m’a enchaîné à lui pour une longue et pathétique éternité.

Je crois que j’ai besoin de sa solidité et de toute cette rage qu’il porte en lui. Rhys a toujours été un roc au milieu de mes frayeurs. Même si je me plais à détester ce foutu roc.

Rhys

Je retire mon sweat d’un geste décidé, balance mon tee-shirt derrière moi en longeant le couloir et déboutonne mon froc en m’arrêtant devant la porte de mon paradis noir. Mes mains tremblent de cette excitation morbide qui commence à se diffuser le long de mes membres. Pire qu’une drogue, mon ersatz me tient captif dans son emprise. Le meilleur remède au mal est le mal lui-même, et c’est trop bon.

J’en bande sous l’attente de passer ce seuil, de me retrouver dans mon propre cerveau, seul et prêt à tout encaisser. Ma rage, ma peur et ma foutue addiction…