Extraits

Le sac coincé sous le bras, jʼobservai la salle, mon seau dans une main et mon cocktail dans lʼautre. Mon surfeur avait disparu. Je réprimai un soupir de déception. Tête baissée, je regardai mes jetons et remarquai que les deux S entrelacés étaient gravés dessus. Sans même connaître la valeur monétaire de ce quʼil y avait dans le seau, je dérivai vers la table de craps où lʼambiance était à lʼexcitation.

Je ne pus mʼempêcher de sourire. Kisten me prit par le coude et mʼorienta en douceur vers la cage dʼescalier. Il me touchait sans arrêt, mais je ne pensais pas que cʼétait pour arriver à ses fins – pas encore du moins – et je pouvais donc supporter quʼil me dirige comme une poupée Barbie. Dʼune certaine manière, ça allait avec mon look sophistiqué, et je me sentais encore plus « spéciale ».

Existe-t-il un manuel pour les sorcières ? Il avait réussi à sʼapprocher à moins de soixante centimètres de moi, et pourtant je ne me rappelais pas lʼavoir vu bouger. Lʼodeur de son manteau de laine était envahissante, mais ne parvenait pas à cacher celle, entêtante, du cuir. Nerveuse, je lui arrachai le livre. Il recula dʼun pas.

La voix profonde et sonore dʼAlgaliarept semblait sʼéchapper dʼentre ses lèvres immobiles. Jʼavais lʼimpression quʼelle résonnait au plus profond de mon être. Il parlait en latin ; les mots mʼétaient à la fois familiers et étrangers, comme dans un rêve.

Et puis cʼétait mieux de le rencontrer dehors pour ne pas obliger Ivy à passer le lendemain à nettoyer du sang au plafond.

Le sang du démon ou le mien ? Je nʼétais pas pressée de répondre à cette question, je ne comptais pas me laisser aspirer dans lʼau-delà pour servir de familier à Algaliarept jusquʼà la fin des temps, je ne pouvais pas me le permettre.

Chapitre premier

Je pris une grande inspiration pour me calmer et rabattis le revers de mes gants sur mes poignets nus en secouant les mains. Jʼallai poser lʼune de mes plus grosses marmites près dʼune pierre tombale ébréchée en faisant attention à ne pas renverser le médium de transfert. Je ne sentais plus mes doigts à travers la laine. Avec le froid, mon haleine faisait de la vapeur à la lumière de la bougie blanche bon marché achetée en solde la semaine précédente.

Je versai un peu de paraffine sur la stèle et y collai la bougie. Mon attention se porta sur le voile lumineux à lʼhorizon, à peine visible à cause des lumières de la ville, et mon estomac se noua. La lune tout juste décroissante ne tarderait pas à faire son apparition. Ce nʼétait pas un bon moment pour invoquer des démons, mais Algaliarept viendrait même si je ne lʼappelais pas. Je préférais le rencontrer selon mes propres termes – autrement dit, avant minuit.

Un coup dʼœil derrière moi à lʼéglise bien éclairée où Ivy et moi habitions mʼarracha une grimace. Ivy était de sortie. Elle ne savait pas que jʼavais conclu un pacte avec un démon et pouvait encore moins se douter quʼil était temps de le rétribuer pour ses services. Je suppose que jʼaurais pu le faire à lʼintérieur, au chaud dans ma belle cuisine, avec mon matériel de magie et tout le confort moderne, mais le cimetière sʼétait insidieusement imposé comme le lieu idéal pour appeler un démon, et ce malgré le froid et la neige.

Et puis cʼétait mieux de le rencontrer dehors pour ne pas obliger Ivy à passer le lendemain à nettoyer du sang au plafond.

Le sang du démon ou le mien ? Je nʼétais pas pressée de répondre à cette question, je ne comptais pas me laisser aspirer dans lʼau-delà pour servir de familier à Algaliarept jusquʼà la fin des temps, je ne pouvais pas me le permettre. Je lʼavais déjà blessé une fois ; je lʼavais fait saigner. Et, sʼil pouvait saigner, il pouvait mourir. Mon Dieu, aidez-moi à survivre à cette épreuve. Aidez-moi à trouver un moyen de faire quelque chose de bien.

Le tissu de mon manteau crissa lorsque je croisai les bras pour me tenir chaud. Je me servis tant bien que mal de La semelle de ma botte pour dégager un cercle dʼune quinzaine de centimètres de ciment rouge argile dans la gangue de neige gelée qui entourait la stèle sur laquelle jʼavais repéré un grand cercle gravé.

- Monsieur Kalamack... Ne dévoilez pas mes secrets, sinon, demain, vous trouverez des feuilles dans votre thé.

Trent se pencha pour regarder par-dessus son épaule et afficha un grand sourire qui le changea complètement.

- Comme ça, je pourrai lire mon avenir dedans.

- Et que se passe-t-il si c'est lui qui brise notre accord?

- S'il vous fait du mal à toi ou à ta famille - volontairement-, Newt l'enfermera dans une bouteille et tu auras un génie à ton service. C'est une règle de base, mais je suis contente que tu m'aies demandé.

J'écarquillai les yeux. Mon regard passa d'Al à Ceri.

- Sans déconner?

- Tu es à moi, c'est à de petites choses que je le vois, murmura-t-elle. (Elle avait fermé les yeux; son front trahissait sa douleur intérieure, ce qui me rendait mal à l'aise.) Tu es à moi, même si tu ne le sais pas. Tu es à moi, lien né de la passion...