Fati

– C’est quoi encore ce Blanc-là, ma fille ? Tu connais même pas de quel côté il sort, tu ignores ce qu’il est venu faire et tu vas lui tenir la main pour visiter Roche Blanche et Ti-Paradis ! A cause ? Tu sais, toi, ce que cet étranger vient rôder par ici ?

– Mais maman, d’abord je vais pas lui tenir la main. Et puis Marraine le connaît, c’est plus un étranger !

– Marraine le connaît. Marraine le connaît. Ça fait même pas six mois, tu viens de le dire toi-même ! Et si c’était un bougre du gouvernement chargé de nous faire partir au diable, maintenant que la plupart des gens sont relogés, hein ?

– S’il était du gouvernement, ce serait pas un étranger.

– Ah, tu vois que c’est un étranger !… C’est ça, lève les yeux au ciel en te foutant de ta mère !

– Je ne me fous pas de toi.

Sa mère secoue la tête, les yeux tournés vers les maisons du haut, le long de la rue qui va vers le cap.

– Qu’est-ce qu’il peut bien espérer trouver ici, celui-là ? Surtout maintenant que presque tout le monde a déménagé ! Un trésor ? Ti-Paradis, c’est pas le cimetière marin de Saint-Jean, ni la Grotte des Corsaires !

– Mais pourquoi tu fais une affaire avec ça, maman ? C’est moi qui lui ai demandé de venir. S’il peut aider Rose-May à s’occuper des enfants d’ici ou ceux de Roche Blanche, ce serait bien non ? Moi, avec mon travail à Saint Jacques, je ne peux pas.

Elle fixe des yeux sa fille et croise les bras.

– Parce que tu crois que les deux trois enfants qui restent encore ici intéressent ton bonhomme ! C’est plutôt toi, oui ! Et bien sûr, pour mam’zelle, un Monsieur blanc d’Europe, là il n’y a plus rien qui compte.

Exaspérée, Fati s’insurge :

– Assez avec les commérages, maman !

– Mon Dieu Seigneur ! (Elle s’étouffe presque). Commérages. Je suis ta mère tout de même ! On dirait que tu les connais pas toutes ces langues d’ici, coupantes comme feuilles de vacoas, de trois côtés à la fois. Attends… tu vas voir comment les gens ils roulent langage !

– Arrête un coup maman s’il te plaît ! A voir le mal partout. C’est pour aider Rose-May.

– Ben que Rose-May s’en occupe, si sa mère la laisse faire. Et que ton bonhomme vienne pas tourner virer autour de ma fille ! Chaque cabri a sa bande. C’est vrai !

En colère, Fati s’exclame :

– Ecoute maman. Il n’y a pas longtemps, tu t’imaginais que je voulais me lancer dans la politique, parce qu’Axel avait proposé de mettre mon nom sur une liste, juste pour avoir un logement. Maintenant, tu vas imaginer des choses avec ce gars qui cherche seulement à ouvrir l’esprit des enfants avec des livres qui leur parlent. J’en ai marre à la fin ! Si c’est pour entendre tout le temps ce genre de commentaires, autant m’en aller tout de suite ! Je pourrai voir qui je veux sans que ça fasse une histoire !

Outrée, sa mère attrape une serviette et se tamponne le visage, suffocant :

– Ah ben ! Dire que j’ai usé tant de salive ! que j’ai lavé la cochonceté des Blancs pour que tu puisses continuer l’école, alors que t’étais plus qu’en âge de travailler ! Ton frère n’a pas eu la même chance. Et maintenant que mam’zelle est arrivée maîtresse, voilà comment elle cause à sa mère. Si c’est ça le respect que les marmailles apprennent avec toi ! Vraiment, ma fille…

[…]