Pour l'amour d'un milliardaire

** Extrait offert par Trish Morey **

1.

Après un regard furtif du côté du gardien, qui allait à coup sûr la sommer d’emprunter l’escalier de service, Carmelina Milazzo se mit à grimper quatre à quatre les marches du grand escalier de marbre du château de Montvelatte.

Chaque seconde comptait.

A cause de la mémoire défaillante de sa grand-mère, dont elle avait la charge, elle était très en retard ce matin pour apporter à la suite de Sienna Wainwright, la fiancée australienne du prince Raphael, un tailleur de lin et soie qui sortait du pressing ; une tenue que la future princesse avait expressément exigée pour ses rendez-vous de la matinée.

Le gardien pouvait bien s’époumoner, c’était le cadet de ses soucis. Elle imaginait déjà avec effroi la signorina Sienna en train d’appeler Sebastiano, le secrétaire du prince, pour se plaindre du retard de son habilleuse. Les candidates ne manqueraient pas pour la remplacer. La plupart des habitants de Montvelatte rêvaient de trouver un emploi au château, et attendaient avec impatience qu’une place se libère pour se retrouver sous les ordres du prince Raphael, le nouveau gouvernant de la principauté. La moindre remarque, la moindre allusion à une erreur de sa part et elle perdrait son job ce qui, avec la dette de sa famille à rembourser, serait une catastrophe pour elle.

Ses semelles de caoutchouc claquaient légèrement contre le marbre, et elle haletait après sa course à travers la cour du château depuis la blanchisserie.

Encore une volée de marches, et elle serait sauvée. Pour la centième fois, elle regarda le tailleur enveloppé de plastique transparent pour s’assurer qu’il ne se froissait pas. A travers l’emballage, le lin beige à fines rayures de soie couleur pastel brillait sous la lumière. Un vêtement magnifique mais difficile à entretenir, dont la jeune Australienne abusait un peu, à son goût. Elle soupira. Hier, elle avait eu l’audace de lui suggérer de varier davantage ses tenues, mais la future princesse n’avait rien voulu entendre.

Arrivée sur le palier, elle vira à droite tête baissée, et se cogna avec force contre… un mur qui n’aurait pas dû être là.

Un grognement lui parvint au moment où le choc la faisait reculer, les bras battant désespérément l’air, les jambes vacillant sous le brutal changement de direction qui leur était imposé. Si des mains puissantes ne l’avaient pas tout à coup retenue par les épaules, elle aurait terminé sa course étalée sur le sol.

— Scusi, dit-elle, hors d’haleine, tout en évaluant mentalement les dommages.

Si elle ne pouvait nier être en faute, au moins avait-elle une certitude : l’homme qu’elle avait heurté dans sa précipitation était trop grand et trop fort pour être Sebastiano, le frêle secrétaire. Et d’après le juron qu’il avait proféré, la voix qu’elle avait entendue n’était pas celle du prince Raphael. Oh ! bien sûr, il n’y avait pas de quoi se vanter. Percuter ainsi un invité ne pouvait en aucun cas être considéré comme un exploit…

— Je suis désolée.

En effet, elle avait des raisons de l’être : le sac du pressing, qui lui avait échappé, gisait en tas informe sur le marbre.

Envahie par une bouffée de désespoir, elle se mit à pleurer.

— Vous vous êtes fait mal ? demanda l’homme d’une voix grave.

Cette fois, ce timbre remua quelque chose au plus profond de sa mémoire… Elle détourna les yeux du tailleur froissé.

Il ne l’avait pas lâchée ; ses mains étaient toujours posées sur ses épaules.

De grandes mains, puissantes et chaudes.

Etonnant, d’être capable d’enregistrer ces détails après la catastrophe qu’elle venait de provoquer… Elle frémit et sentit les doigts resserrer leur prise.