Sous Tiberius Claudius Nero, à Rome

– Au « sauveur des vestales » ! clame Ménécratès en levant sa troisième coupe. Au nouveau Metellus ! Par Vulcain, Augusta en personne t’a applaudi ce jour-là !

Elle le pouvait bien ! Au mépris de sa propre vie, Sabinus a empêché un terrible incendie de s’étendre.

Alors tribun des vigiles et responsable de la zone incluant l’antique forum, il arrive sur place avec deux centuries, dont le rôle essentiel consiste à protéger la population en formant un cordon de sécurité autour du site d’intervention ; il est aussi suivi d’une troupe de pompiers aguerris, cinquante hommes, seulement, sur le millier d’affranchis placés sous ses ordres, la plupart de ses sparteoli ne bénéficiant que d’une formation de base dans la lutte contre le feu.

Les flammes ravagent des constructions d’habitation qu’occupaient autrefois les ministres du culte, jusqu’au divin César. Auguste, lui, ayant choisi d’habiter le Palatin, a fait ériger un second sanctuaire de Vesta sur cette hauteur et comme dédommagement aux vestales, leur a laissé l’exclusivité de ces demeures. Adossées au mur nord de la maison des vestales, elles n’étaient pas encore occupées par les prêtresses ni par leur personnel de service : la vieille Occia, Grande vestale avant même l’avènement d’Auguste, s’y était toujours refusé. Le service de sauvetage, formé par les emitulari, n’a même pas à dérouler les matelas qu’il a emportés, puisque personne n’habite là, ce qui est un avantage, au vu des circonstances. On n’a jamais su comment le feu a pris. Si l’incendie ne s’infiltre pas encore dans la Maison des vestales, ce n’est pas tant grâce au mur relativement épais qui l’en sépare qu’à la faveur du vent, qui souffle de l’est. Ce faisant, toutefois, il rabat les flammes en direction du sanctuaire de Vesta : le Palladium a déjà été mis à l’abri et deux prêtresses sont allées chercher le feu sacré pour l’abriter dans la Regia, siège officiel du collège pontifical et des flamines. Les quelques dizaines de pas à faire ont dû leur sembler des milles, tant il y avait à redouter que le feu ne s’éteigne sous l’action conjuguée du vent et des mouvements de foule.

Les vigiles ont tôt fait de porter renfort aux forces urbaines et à un détachement de prétoriens accouru depuis la curie, mais les spécialistes s’avèrent peu utiles : l’incendie a gagné trop d’ampleur pour laisser un rôle aux aquarii et siphonarii attachés au service de l’eau, alors que les deux pompes tractées arrivent trop tard, comme c’est souvent le cas. La seule action à entreprendre consiste à créer une zone de vide autour de l’incendie en démolissant les constructions voisines, notamment celles vers lesquelles les flammes se propagent : là encore, plusieurs corps de spécialistes se trouvent inopérants, le feu dégageant une chaleur trop forte pour permettre une approche suffisante aux centonari, à leurs bâches et à leurs perches aux bouts sertis d’éponge imbibée de vinaigre, aux falcarii et à leurs faux, aux uncarii et à leurs crocs.

Ne reste que la baliste, pense Sabinus, au moment où déboule sur le forum les ballistarii tirant derrière eux leur magnifique pièce d’artillerie. Il ne suffirait que de deux ou trois projectiles lancés aux endroits stratégiques pour faire s’effondrer pans et toitures, mais c’est prendre le risque de causer de gros dégâts à la maison des vestales, notamment à son deuxième étage, sans compter que le feu pourrait en profiter pour s’engouffrer dans une trouée qu’on aurait malencontreusement opérée. Un risque à prendre, malgré tout. Comme le tribun fait mettre la baliste en place, il est averti par l’un de ses centurions de l’arrivée de deux femmes, qu’on n’a pu empêcher de venir jusqu’à lui car on ne touche pas à des vestales. Elles informent Sabinus qu’une des leurs, refusant d’abandonner la statue de Vesta, est restée à l’intérieur de la maison : il s’agit ni plus ni moins de leur maîtresse, la nouvelle Grande vestale, qui prend son rôle d’autant plus au sérieux qu’elle succède à la bienheureuse Occia. Ce renseignement change la donne : que choisir entre la préservation de l’édifice sacré et le salut de la cheffe des vestales prête à mourir pour sa déesse ?