Les métiers de Versailles

MARIE-MADELEINE MERCIER, NOURRICE DE LOUIS XV

L'attente

1707-1710

Nourrice retenue

Simon Mercier, son mari, ne l'accompagnait pas. Pour les choses qui lui coûtaient, elle préférait être seule. À la halte du coche qui reliait plusieurs fois par jour Paris à Versailles, devant la place d'Armes, le calme était inhabituel mais il faisait si froid ; on s'en souviendrait de cet hiver 1709 ! Marie-Madeleine avait averti de sa venue Mme Duparc qui l'attendait, bien calfeutrée dans l'une des deux chaises à porteurs qu'elle apercevait. Un peu plus âgée que Marie-Madeleine, la quarantaine juste passée, la gouvernante des nourrices retenues1 vint lui souhaiter la bienvenue en souriant. Elle ôta son manchon de fourrure et prit l'enfant que Marie-Madeleine serrait contre elle afin que celle-ci puisse descendre plus commodément, tandis que les porteurs empoignaient son coffre.

— Nous sommes maintenant installées au nouvel hôtel des nourrices, bien plus au large, vous verrez. Mais ne nous attardons pas, pour le petit. Nous parlerons tout à l'heure. Vous allez connaître les nouvelles, elles sont moins pimbêches.*

— Tant mieux, répondit Marie-Madeleine qui avait compris qu'il s'agissait des trois nouvelles nourrices retenues, mais cela n'a plus tant d'importance et je comprends mieux leurs humeurs, car je les ai éprouvées moi aussi avant d'être, aujourd'hui enfin, la nourrice du corps.

— Et moi je suis toujours la gouvernante des « retenues » pour le meilleur et pour le pire ! Allons.

Chacune monta dans une chaise. Marie-Madeleine avait repris son fils Louis-Vigor. Il avait juste trois mois, et c'était grâce à lui qu'elle revenait à Versailles, sollicitée à la Cour pour nourrir le prince ou la princesse à naître.

De la place d'Armes à la rue des Bons-Enfants2, le trajet n'était pas long mais les oscillations régulières de la chaise endormirent l'enfant et Marie-Madeleine put regarder ces lieux qu'elle connaissait bien : la contre-allée était vide jusqu'à la chapelle du château au loin. La dernière fois qu'elle s'était trouvée à proximité de l'édifice, elle avait entendu les marteaux des sculpteurs qui taillaient les façades. Aujourd'hui le chantier semblait terminé, à moins qu'il ne fût simplement arrêté par l'hiver ; le froid avait même chassé tous les mendiants qu'on avait dû ramasser et enfermer à l'Hôpital général. La petite rue à droite, dans laquelle les porteurs s'engagèrent, était pentue et glissante. Entre les hauts murs, le ciel paraissait chargé de neige à venir. En soupirant, elle repensa à son enfance déjà lointaine dans ce pays lumineux qu'elle n'avait jamais complètement oublié bien qu'elle l'eût quitté très jeune3.