Extraits

Kellan hocha la tête, l’air sombre en pensant à tout le temps qu’on allait passer séparés. Il détestait ça autant que moi. Denny était peut-être mon meilleur ami mais Kellan était mon âme sœur, et être loin de lui… ça faisait mal.

– J’aimerais tellement que tu restes avec moi.

Il releva la tête et chercha mon regard.

– Parce que tu veux toujours être avec moi ? demanda-t-il en ayant l’air d’avoir peur de ce que j’allais répondre.

– Bien sûr. Je t’aime et je veux rester avec toi.

Il sourit et baissa la tête.

– Je sais que c’est compliqué d’être avec moi… Je me suis dit que tu en avais peut-être marre…

Il plaisantait ou quoi ? Je l’observai de plus près et me rendis compte qu’il était sérieux. Il ne comprenait vraiment pas comment et pourquoi quelqu’un pouvait l’aimer, était donné que les personnes qu’il avait le plus aimées (car je pensais vraiment qu’il avait aimé ses parents, en dépit de leur cruauté) avaient été incapables de lui rendre son amour. Parfois, c’était en famille que l’amour se manifestait de la manière la plus cruelle : personne ne peut faire plus de mal que ceux qui vous ont mis au monde. Je l’obligeai à relever la tête et je lui souris.

– C’est tellement facile de t’aimer, Kellan, il n’y a rien de plus simple. C’est te faire confiance qui est compliqué.

Je ne sais pas trop combien de temps je suis restée par terre, à contempler la tournure que venait de prendre ma vie. Avant le début de cette tournée, j’étais sûre qu’on était des âmes sœurs, destinées à être ensemble pour toujours. Alors que j’avais peur qu’il finisse par se réveiller et se rendre compte qu’il pouvait trouver bien mieux que moi, je m’étais aussi accrochée à la conviction qu’il ne me tromperait jamais, parce que j’étais la première personne à entrer dans son cœur. Je croyais que ça avait scellé notre union. Mais peut-être que ça avait juste laissé une marque sur sa peau. Peut-être que mon nom tatoué sur sa poitrine suffisait, comme un symbole que je l’avais aidé à se dévoiler et à s’autoriser à s’aimer lui-même… et à en aimer d’autres.

Et maintenant qu’on n’était plus ensemble, j’étais sûre qu’il aimerait à nouveau. D’abord, il se taperait des groupies dans tous les sens pour noyer son chagrin, puis il la trouverait. Elle serait douce, peut-être timide, et elle aurait totalement confiance en lui. Parce que leur relation n’aurait pas commencé comme la nôtre. On avait démarré sur une trahison. On s’était regardés en train de mentir à quelqu’un qu’on aimait. On s’était regardés coucher avec d’autres personnes tout en étant amoureux l’un de l’autre. Fous amoureux. Assister à ce genre de trahison, et y prendre part… ça vous rendait aigri.

On savait tous les deux de quoi on était capables. Peut-être qu’on s’était condamnés dès le début. Peut-être que c’était ma faute. Quand Denny était revenu de Tucson, j’aurais dû lui dire ce qui s’était passé pendant son absence. Ça aurait mis fin à notre relation, mais c’était déjà fini entre nous de toute façon. Ça aurait été une rupture propre et honnête, et là, peut-être qu’on aurait eu une chance, Kellan et moi.

Je souris en montant dans la Chevelle. Je n’avais jamais vraiment pensé au mariage avec Denny. Peut-être parce qu’on était très jeunes, ou peut-être parce que je savais qu’il ne voudrait pas se marier sans avoir une situation stable. Avec lui, ça avait toujours été comme un objectif lointain qu’on finirait par atteindre un jour, et je n’avais pas ressenti le besoin de presser les choses. Mais avec Kellan… Mon pouls s’accélérait rien qu’à l’idée de porter une bague venant de lui. Et en plus de l’honneur d’être sa femme, le voir porter une alliance dissuaderait peut-être les filles qui lui couraient habituellement après.

Je marquai une pause avant de mettre le contact : je n’aimais pas cette idée. Je ne voulais pas l’épouser juste pour qu’il ne soit plus « sur le marché », je voulais l’épouser parce qu’il était tout pour moi. Et c’était ce qu’il était… mais il y avait quelque chose dans le fait d’être sa femme qui me perturbait. Peut-être que je n’étais pas encore prête. Il fallait que je commence par arrêter d’être aussi possessive. Je devais être assez à l’aise dans notre relation pour ne plus accorder d’importance aux personnes extérieures.

Autrement dit… je devais apprendre à lui faire confiance. C’était quelque chose qu’on devait apprendre tous les deux, et cette tournée était exactement ce qu’il nous fallait. C’était l’opportunité de tester notre fidélité. Je savais que je ne m’écarterais pas du droit chemin, et je priais pour que ce soit pareil du côté de Kellan. Mais dans tous les cas, on le saurait avec certitude après cela.

A partir du moment où vous arrivez à l’école, on vous enseigne que le temps est constant. Que c’est une de ces choses qui ne changent jamais, sur laquelle on peut toujours compter, un peu comme la mort et les impôts. Il y aura toujours soixante secondes dans une minute, soixante minutes dans une heure, vingt-quatre heures dans une journée, et le temps passera à la même vitesse tout au long de votre vie.

Eh bien, c’est la plus grosse connerie que j’aie jamais apprise à l’école. La vérité, c’est que le temps fluctue. C’est facile de perdre des heures ou même des jours en un clin d’œil, et parfois, passer d’une heure à une autre est une torture. C’est un flux et un reflux aussi implacables que les marées, et tout aussi puissants. Les moments dont vous souhaiteriez qu’ils durent toujours sont ceux qui passent à toute vitesse, et ceux que vous voudriez abréger avancent avec la lenteur d’un escargot. C’est ça, la vérité. Et de mon côté, ma vie avançait en accéléré sans que je puisse faire quoi que ce soit.

J’avais l’impression que c’était la veille que Kellan avait accepté à contrecœur de partir en tournée, et soudain, il ne restait plus que quelques jours avant son départ. On était lundi matin, et il partait samedi. Et même si les dernières semaines avaient filé à la vitesse de la lumière, je savais que les six mois à venir seraient cruellement interminables. Je compterais chaque seconde durant notre séparation, et ça allait être horrible, mais il le fallait. Je ne voulais pas égoïstement contraindre un autre homme à tout abandonner pour moi, peu importait à quel point cela allait me faire souffrir.